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Le choc de la mort
« Je suis redescendue, c’était le
même ascenseur, apparemment la
même personne l’occupait, mais
au-dedans de moi, je vivais la fin du
monde. Je me répétais : Il est mort,
il est mort… Une armée d’aiguilles
attaquait ma peau du dedans, je
n’étais qu’un cri… »
Anne Philippe, après l’annonce du décès
du comédien Gérard Philippe,
LE TEMPS D’UN SOUPIR,
Julliard, 1969
« Rien au monde n’aurait pu m’at-
teindre davantage. Pendant deux
mois, je suis resté prostré. Un
mort-vivant, incapable du moindre
mouvement. Deux mois pratique-
ment sans ouvrir la bouche, sans
émettre le moindre jugement. La
vie autour de moi passait sans que
je m’en aperçoive. Au bout de ce
long temps, j’ai décidé de vivre. De
revivre. La poésie est venue à mon
secours. »
Jean-Louis Trintignant,
après la mort de sa fille Marie,
DU CÔTÉ D’UZÈS,
Entretiens avec André Asséo,
Le cherche midi, 2012
« Martin est mort ! C’est par ces mots
que j’appris la mort de mon fils. […]
J’entendis. Demeurai interdit par
ces trois mots, ces trois mots in-
croyables, incroyables et définitifs
dans leur agencement autour de ce
verbe être, qui reliait un nom et un
adjectif n’ayant rien à voir, aucune
raison de s’assembler ; définitifs
dans leur netteté et l’évidence de
l’irréparable. »
Bernard Chambaz,
MARTIN CET ÉTÉ,
Julliard, 1994
La tristesse d’un père, inconsolable
Jean Bezençon a posé devant lui, et devant
nous, quelques photos de sa fille et le texte
qu’il a écrit pour évoquer le choc de l’an-
nonce. [ Il est très ému. ]
Mercredi matin, 2 octobre 1996
Le sergent de la Police Cantonale se tenait devant
moi ; il s’était présenté d’une voix curieusement
douce ; il ne portait d’ailleurs pas son uniforme,
seul le galon de son pantalon rappelait sa fonction.
- Vous êtes le Dr Bezençon ?
Que me voulait-il ? Etait-il arrivé quelque chose
à l’un de mes patients ?
- Vous avez une fille qui vit en Afrique ?
Nicole a dû à nouveau perdre son permis de
conduire, me dis-je. Cela lui était déjà arrivé
quelques mois plus tôt.
- Il lui est arrivé quelque chose de grave, me
dit le sergent en hésitant, et il me tendit la
feuille qu’il tenait à la main.
Confédération Suisse-Département Fédéral des
Affaires Etrangères - Section Développement et
Coopération. A Police Cantonale Neuchâteloise
- 2300 La Chaux-de-Fonds. Prière d’informer
avec ménagement le Dr Jean Bezençon,
2300 La Chaux-de-Fonds, que sa fille Nicole
Bezençon-Heri a été assassinée le 1er octobre
1996 aux environs de Maputo ( Mozambique ).
Je sentis le sol se dérober sous moi.
- Puis-je vous aider ?
- Non, laissez-moi, merci.
- Je me disais qu’un docteur était peut-être
plus habitué à la mort.
- Non, vous voyez…
- Vous êtes sûr que ça va aller ?
- Oui, merci. Laissez-moi…
La porte refermée, je m’écroulais, pensant mou-
rir, car une douleur fulgurante, écrasante, me
déchirait la poitrine et le ventre. Si seulement…
Si seulement, j’avais pu mourir à la place de
Nicole.
[ Il s’interrompt, puis explique. ]
« Nicole travaillait comme ethnologue dans
l’humanitaire. Mourir comme ça, à 38 ans, avec
deux petits garçons de 3 et 6 ans… C’était un
crime crapuleux et inutile, un meurtre pour rien,
pour un vol de voiture. [ Il pleure. ] J’ai vraiment
le sentiment d’une injustice. Sur cet événement-
là, je ne vois pas du tout quel type de consola-
tion je peux trouver. »
JEAN BEZENÇON
TÉMOIGNAGE
« Tu refoules, tu refoules
l’idée. Mais elle est là. J’ai
couru, couru…
L’électrochoc, c’est de voir
le corps. Et là, tu ne peux
pas te poser en victime.
La victime, c’est lui. »
Une jeune femme de 20 ans,
à la mort d’un ami
TÉMOIGNAGE