PAGE 8 LUNDI 6 AVRIL 2009 es plans de sauvetage des banques mis en place par les États font l’objet de contrôles par la Commission européenne. Si les autorités de Bruxelles ont fait preuve jusqu’à maintenant de pragmatisme, en particulier dans la délicate appréhension du risque de distorsion de concurrence et de la nécessité de maintenir un flux de crédit suffisant pour les établissements, ce rôle pose un certain nombre de questions. L DR CHRONIQUE C DAVID SPECTOR D Professeur associé à l’École d’économie de Paris Prof Depuis le sauvetage de Northern Rock à l’automne 2007, la Commission européenne a déployé une intense activité pour contrôler les aides au secteur bancaire. Elle a ouvert plusieurs dizaines de procédures concernant des dispositifs généraux mis en place par les États ou des aides octroyées à des banques individuelles. Elle a aussi rendu de nombreuses décisions, et publié pas moins de trois communications détaillées. Ce type de contrôle est unique au monde : aux États-Unis, le président et le Congrès peuvent envisager des mesures de recapitalisation, de nationalisation ou de rachat d’actifs sans les soumettre à un contrôle extérieur. Le partage des compétences entre les États et la Commission ne peut que donner à cette dernière un visage sévère, à quelques mois des élections européennes : la recherche et la mise en œuvre des solutions est du ressort des États, et le rôle de la Commission — seule institution véritablement supranationale — consiste principalement à exercer un contrôle strict. Il faut reconnaître que la Commission fait preuve d’un grand pragmatisme. BLOOMBERG NEWS Les douze mois qui séparent le sauvetage de Northern Rock de la faillite de Lehman Brothers ont été pour elle une période d’apprentissage, pendant laquelle six décisions ont été rendues. Cela a permis un traitement rapide et efficace des affaires ultérieures, au sommet de la crise financière. L’appréhension des aides au secteur bancaire par la Commission soulève néanmoins plusieurs questions. Tout d’abord, il peut exister une certaine tension entre l’objectif général du contrôle des aides d’État — limiter les distorsions de concurrence — et l’objectif spécifique des aides au secteur bancaire, qui consiste à maintenir un flux de crédit suffisant. Ainsi, en échange de son accord aux aides versées à Northern Rock, la Commission a obtenu que cette banque s’engage à diminuer fortement sa production de prêts, au risque de réduire le flux global de crédit à l’économie britannique. Cette contraLe déséquilidiction semble bre entre offre toutefois s’atténuer et demande puisque la Comde crédit mission met mainentre banque, inverse de celui qui prévaut dans le reste de l’économie, se traduit par des taux d’intérêt exceptionnellement élevés. tenant davantage l’accent sur des exigences de cessions d’actifs et de filiales. D’une manière générale, les risques de distorsion de concurrence sont en réalité moins marqués dans le secteur bancaire que dans le reste de l’économie. Dans l’industrie, la crise actuelle se traduit par une baisse de la demande. Les surcapacités qui en résultent conduisent à une inflation faible et parfois à des baisses de prix. Dans une telle situation, une aide publique à une entreprise a toutes les chances de nuire à ses rivaux et d’affecter la concurrence : si un État subventionne un constructeur automobile, la conséquence la plus probable n’est pas une augmentation globale de la production automobile européenne, mais un simple transfert de parts de marché entre constructeurs, sans bénéfice pour l’économie européenne dans son ensemble. Sans contrôle communautaire, l’octroi d’aides aux producteurs risquerait donc d’être un jeu à somme nulle parce que le goulot d’étranglement se situe du côté de la demande. Cela justifie d’ailleurs de donner une priorité aux politiques de soutien de la demande. La situation du secteur bancaire est très différente, car le goulot d’étranglement se situe du côté de l’offre, face à une demande qui ne faiblit pas. Les banques limitent l’octroi de crédit non pas en réponse à une moindre sollicitation de la part des emprunteurs, mais pour restaurer leurs liquidités et leurs ratios de solvabilité. Ce déséquilibre entre offre et demande, inverse de celui qui prévaut dans le reste de l’économie, se traduit par des taux d’intérêt exceptionnellement élevés (sauf pour certains États), et non par des baisses de prix comme dans le reste de l’économie. Ainsi, lorsqu’une aide publique permet à une banque de prêter davantage, une part importante des prêts supplémentaires ne représente pas un transfert de part de marché au détriment de banques concurrentes, mais plutôt une augmentation de la production totale de crédit. Il convient donc de ne pas surestimer le risque de distorsion de concurrence dans le secteur bancaire, et au contraire d’exercer un contrôle strict dans les autres secteurs. La question des nationalisations est un autre point d’achoppement pour la Commission. Si elle a autorisé la nationalisation de certaines banques et reconnu récemment qu’une telle solution peut faciliter le traitement des actifs toxiques, la Commission considère néanmoins les nationalisations, même partielles, comme une option de dernier ressort. Cette méfiance n’est pas totalement injustifiée à la lumière de l’expérience des dernières décennies. Mais à l’heure où de plus en plus de voix, aux États-Unis, soulignent les avantages des nationalisations bancaires temporaires par rapport aux autres mécanismes de sauvetage, on pourrait souhaiter une approche plus équilibrée, conformément au traité de Rome qui stipule une neutralité absolue quant à la forme publique ou privée de la propriété des entreprises. n ÉDITOS Leçon diplomatique pour Obama oute la difficulté de la posture diplomatique d’Obama a éclaté au grand jour lors de sa première tournée internationale, qui se poursuit aujourd’hui en Turquie. Le jeune président américain rêve d’un monde sans armes nucléaires et l’a montré par plusieurs gestes importants. Il a proposé à la Russie de négocier un nouvel accord de réduction des arsenaux stratégiques ; il s’est engagé hier à ratifier le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (il lui faudra pour cela convaincre le Congrès) ; il veut un nouveau traité international pour mettre fin « de manière vérifiable » à la production de matériaux fissiles à fins militaires ; enfin, il souhaite la tenue « dans le courant de l’année à venir » d’un sommet mondial contre leur prolifération. « Les États-Unis, en tant que seule puissance nucléaire à avoir jamais utilisé une arme nucléaire, ont la responsabilité morale d’agir », a-t-il déclaré devant une foule tchèque enthousiaste, avec cette manière tellement à lui d’inscrire son action dans le grand tableau de l’histoire américaine. Malheureusement, la dureté du monde s’est rappelée à lui sans ménagements. Peu avant l’aube, heure européenne, la Corée du Nord a tiré une fusée de longue portée, officiellement pour mettre en orbite un satellite, violant au passage l’espace aérien japonais et foulant aux pieds la résolution 1718 de l’ONU qui, en 2006, lui T PAR SOPHIE GHERARDI A. CAEN Jusqu’où faut-il contrôler les aides d’État aux banques ? avait enjoint de « s’abstenir de tout nouvel essai nucléaire ou tir de missile balistique ». « Provocation », a grondé le président Obama qui a réclamé aussitôt une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. On imagine le réveil qu’il a dû avoir, et le communiqué rédigé à la hâte entre le café et le grand discours sur son désir d’œuvrer « pour la paix et la sécurité d’un monde sans armes nucléaires » ! Kim Jong-il, en faisant irruption telle la fée Carabosse, a gâché le baptême diplomatique de Barack Obama, qui semblait couvert de tous les dons et promis à tous les succès. Sa fusée a fait plouf, mais son coup d’éclat a immédiatement séparé la Chine et la Russie, enclines à l’indulgence envers le dictateur communiste, de tous les alliés de l’Amérique. Obama a aussi compris que tendre la main à l’Iran ne suffisait pas à éclaircir l’avenir stratégique. Et découvert que tous ses amis de la veille ou l’avant-veille — Medvedev, Hu Jintao, et même Sarkozy dès que l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne a été évoquée — pouvaient en un instant devenir de coriaces adversaires. Rien que pour cette leçon, il ne devrait pas trop en vouloir au leader nord-coréen. n RETROUVEZ chaque jour la chronique économique d’Erik Izraelewicz sur latribune.fr Des clients flottants endre à tout prix. Tel semble être, ces derniers temps, le leitmotiv de nombreux commerçants, qu’ils travaillent dans l’automobile, le meuble ou la mode. Les clients boudent, les stocks gonflent, le cash se fait rare et la panique gagne. Dans l’habillement, où les ventes ont plongé de 15 % en février, nombre de commerçants se sont donc résolus à mettre en place la fameuse semaine de « soldes flottants » voulue par Bercy et instaurée par la loi de modernisation de l’économie. Le bilan d’avril dira s’il s’agissait d’une vraie innovation ou bien d’une « erreur majeure », comme le martèle depuis un an le président de la Fédération nationale de l’habillement. Pour les consommateurs, cette folie de soldes et de rabais constitue une aubaine. Mais elle jette aussi le trouble. Quel est le juste prix du petit pull marine aperçu dans la vitrine ? Les quelques euros payés par l’importateur au fabricant asiatique, le montant dix à vingt fois plus élevé inscrit sur l’étiquette, ou celui auquel je pourrai peut-être l’emporter si je patiente encore deux semaines ? Et à quoi riment les prix cata- V PAR ODILE ESPOSITO logues des marchands de meubles si le client se voit d’emblée proposer des ristournes de 40 à 50 % dès qu’il a franchi le seuil du magasin ? Déboussolés, les consommateurs flottent eux aussi et se réfugient dans les quelques certitudes qui subsistent. L’achat direct au producteur, par exemple, qu’ils plébiscitent et pour lequel ils ne chipotent que très rarement. Ou même le troc, qui gagne du terrain, dans l’habillement notamment. Faut-il s’en inquiéter ? Pour le vendeur menacé de perdre son emploi, oui, bien sûr. Mais si ce changement d’attitude, si ce scepticisme croissant conduisent distributeurs et fabricants à s’interroger davantage sur la valeur des produits proposés, à mettre entre parenthèses ce discours marketing triomphant asséné sans nuances pendant des années, alors cette crise de confiance n’aura pas été vaine. n