VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 - 35 € Recherche • L’inhibition de la biosynthèse des androgènes. Une nouvelle approche thérapeutique dans le cancer de la prostate résistant à la castration. Santé publique • Unité Pilote de Coordination en OncoGériatrie dans le département de la Côte-d’Or : une expérience originale Cas clinique • Sarcome de Kaposi et sujet âgé : à propos d’un cas Article original • Applicabilité des recommandations de l’évaluation onco-gériatrique par les médecins généralistes au cours du suivi en ville des malades âgés atteints de cancer Actualités • L’image du JOG - Un « eczéma » du mamelon pas ordinaire • 9ème Congrès International Francophone de Gériatrie et Gérontologie (CIFGG) 30èmes Journées Annuelles de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie Billet d’humeur « • L’Oncogériatrie, un partage des compétences : position du Docteur Michel Hery, co-président du congrès Monaco Age Oncologie (MAO) Dossier thématique • Nutrition en oncogériatrie » Kephren Publishing Éditorial Editorial Éditorial Chère Consœur, Cher Confrère, Le JOG : 1 an déjà… 1 an depuis la parution du 1er numéro de la 1ère revue scientifique francophone dédiée à l’Oncogériatrie. A l’occasion de ce 1er anniversaire, nous souhaitons remercier très sincèrement l’ensemble des professionnels de santé et partenaires qui nous ont soutenus dans cette aventure humaine. Cette 1ère année a ainsi été marquée par un engagement fort à nos côtés du Gépo-g, SFGG et SFPO, par la construction de partenariats avec les principaux événements médicaux francophones (MAO, SFCP, EPO-G, CIFGG), et par l’implication des membres des comités scientifiques et de rédaction. Le JOG a ainsi pu, au travers de la qualité des articles publiés, grâce à son nombre croissant d’abonnés, et à votre très forte adhésion, se faire un nom et une crédibilité au sein de la presse spécialisée. Pour cette année 2011, la volonté du JOG est de continuer à accompagner, soutenir et diffuser l’ensemble des travaux et communications scientifiques réalisés sur la thématique Oncogériatrique auprès de la communauté scientifique de façon pluridisciplinaire. Cette réflexion Oncogériatrique récente est en plein essor. Le JOG a pour vocation d’accompagner cette dynamique. Plus que jamais, nous vous invitons donc à nous rejoindre et nous soutenir au travers de la soumission de vos travaux scientifiques. De plus, afin d’assurer sa pérennité et sa crédibilité, le JOG se doit de justifier d’un nombre d’abonnés payants auxquels il réservera sa diffusion. Nous espérons donc très sincèrement que 2011 marquera la continuité de votre soutien en vous abonnant ou réabonnant au JOG. Toute l’équipe du JOG vous souhaite une excellente année 2011 et reste à votre écoute. n Très confraternellement Véronique Girre Rédacteur en chef Oncologue médicale Institut Curie, Paris Olivier Guérin Rédacteur en chef Gériatre CHU de Nice Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Jean-Philippe Spano Directeur de la rédaction Oncologue médical Pitié-Salpêtrière, Paris 241 Dimitri Verza Directeur de la publication Pharmacien Paris VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Sommaire Table of contents VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Rédacteurs en chef V. Girre (Paris) O. Guérin (Nice) Directeur de la rédaction 241 Editorial Editorial V. Girre, O. Guérin, J.-P. Spano, D. Verza J.-P. Spano (Paris) L. Balducci (Tampa - USA) J.-P. Droz (Lyon) Recherche Research L’inhibition de la biosynthèse des androgènes. Une nouvelle approche thérapeutique dans le cancer de la prostate résistant à la castration. Androgen Biosynthesis Inhibition (ABI): A new therapeutic approach in Castration-Resistant Prostate Cancer (CRPC) Chefs de rubrique Ph. Beuzeboc, A. Toledano, M. Zerbib Rédacteur en chef technique T. Marquet (Paris) 245 Advisory board Recherche : G. Zulian (Genève - Suisse) Santé publique : T. Cudennec (Boulogne-Billancourt) Cas clinique : F. Retornaz (Marseille) Article original : C. Terret (Lyon) Actualités : L. Balardy (Toulouse), L. Mourey (Toulouse) 251 Comité éditorial G. Albrand (Lyon) - E.-C. Antoine (Neuilly-sur-Seine) T. Aparicio (Bobigny) - A. Astier (Créteil) - R. Audisio (Londres - UK) - D. Azria (Montpellier) - S. Baffert (Paris) - S. Bonin-Guillaume (Marseille) - C. Bouleuc (Paris) E. Brain (Saint-Cloud) - E. Carola (Senlis) - P. Chaibi (Paris) - A. Charrasse (Monaco) - P. Chassagne (Rouen) L. de Decker (Nantes) - S. Delaloge (Villejuif) M. Extermann (Tampa - USA) - P. Follana (Nice) E. François (Nice) - J.-M. Hannoun-Levi (Nice) - Y. Kirova (Paris) - V. Laroche (Chilly-Mazarin) - C. Leger-Falandry (Lyon) - F. Lokiec (Saint-Cloud) - N. Magné (Saint-Priest en Jarez) - Y. Menu (Paris) - M. Paccalin (Poitiers) M. Puts (Toronto - Canada) - L. Ribière (Versailles) L. Rotenberg (Neuilly-sur-Seine) - F. Rousseau (Marseille) - S. Schneider (Nice) - F. Scotté (Paris) - L. Sifer-Rivière (Paris) - P. Soubeyran (Bordeaux) - L. Teillet (Paris) - M.-C. Van Nes (Liège, Belgique) Comité scientifique M. Arcand (Sherbrooke - Canada) - J.-P. Aquino (Paris) - B. Asselain (Paris) - D. Benchimol (Nice) R.-J. Bensadoun (Poitiers) - H. Bergmann (Montréal Canada) - G. Berrut (Nantes) - F. Blanchard (Reims) - M. Bonnefoy (Lyon) - I. Bourdel-Marchasson (Bordeaux) H. Curé (Reims) - T. De Baere (Paris) - M. Debled (Bordeaux) - L. Escalup (Paris) - J.-M. Ferrero (Nice) M. Ferry (Valence) - G. Freyer (Lyon) - J.-P. Gérard (Nice) - E. Gilson (Nice) - X. Hebuterne (Nice) - M. Hery (Monaco) - C. Jeandel (Montpellier) - P. Kerbrat (Rennes) - D. Khayat (Paris) - J. Latreille (Montréal - Canada) - J.-P. Lotz (Paris) - L. Mignot (Paris) - G. Milano (Nice) - E. Mitry (Boulogne-Billancourt) - F. Mornex (Lyon) - M. Namer (Nice) - F. Nourhashemi (Toulouse) - A. Pesce (Monaco) - J.-Y. Pierga (Paris) - F. Piette (Ivry-sur-Seine) - F. Puisieux (Lille) - M. Rainfray (Bordeaux) - G. Ruault (Paris) O. Saint-Jean (Paris) - M. Schneider (Nice) C. Thieblemont (Paris) - A. Thyss (Nice) - A. Toledano (Neuilly-sur-Seine) - J.-M. Vannetzel (Neuilly-sur-Seine) - U. Wedding (Berlin - Allemagne) - H. Wildiers (Louvain - Belgique) V. Quipourt, S. Marilier, P. Fumoleau 257 258 22, rue Chanez 75016 Paris - France Tél. : +33 (0)1 75 77 20 91 [email protected] www.kephren-publishing.com 262 Maquette 267 S.P.E.I. Imprimeur, Pulnoy Relations commerciales Prise en charge de la dénutrition en oncogériatrie Management of undernutrition in oncogeriatrics L. Evesque, S.M. Schneider 271 La sarcopénie : un nouveau concept en oncologie Sarcopenia: a new concept in oncology G. Zeanandin, S.M. Schneider, X. Hébuterne 277 Cas clinique Clinical case study Sarcome de Kaposi et sujet âgé : à propos d’un cas Kaposi’s sarcoma and the elderly subject A.-L. Couderc, D. Giacchero, I. Bereder, R. Boulahssass, O. Guérin 281 Article original Original article Applicabilité des recommandations de l’évaluation onco-gériatrique par les médecins généralistes au cours du suivi en ville des malades âgés atteints de cancer Applicability of the comprehensive geriatric assessment recommendations by general practitioners during the follow-up of elderly cancer outpatients Ph. Caillet, M.-A. Cariot, E. Paillaud 289 291 Actualités News L’image du JOG - Un « eczéma » du mamelon pas ordinaire L. Rotenberg 9ème Congrès International Francophone de Gériatrie et Gérontologie (CIFGG) 30èmes Journées Annuelles de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie O. Guérin 293 Au support Imprimeur Evaluation de l’état nutritionnel avant décision thérapeutique en oncogériatrie Nutritional assessment before therapy in oncogeriatrics F. Diebold, A. Danalache Directeur de la publication D. Verza La Nutrition en oncogériatrie : un élément majeur de l’évaluation et de la prise en charge des malades Nutrition in oncogeriatrics: a major tool for assessing and treating patients X. Hébuterne Liste communiquée en fin d’année Kephren Publishing Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie Nutrition in oncogeriatrics Coordination : S.M. Schneider Comité de lecture Editeur Santé publique Public health Unité Pilote de Coordination en OncoGériatrie dans le département de la Côte-d’Or : une expérience originale Pilot Coordination Unit in Geriatric Oncology in Côte-d’Or: an original experience Billet d’humeur Personal view L’Oncogériatrie, un partage des compétences : position du Docteur Michel Hery, co-président du congrès Monaco Age Oncologie (MAO) Interview du Docteur Michel Hery par Dimitri Verza 295 Agenda Calendar - Petites annonces Job ads I. Chartrain - [email protected] Abonnements [email protected] CPPAP 0212 T 90198 ISSN version papier : 2106-8534 ISSN version électronique : 2107-6669 Dépôt légal : à parution Indexé Base PASCAL (INIST-CNRS) Adhérent au SPEPS Comité de lecture 2010 L. Balardy (Toulouse) - M. Benoit (Nice) - V. Brunel (Marseille) - E. Carola (Senlis) - E. Castel-Kremer (Lyon) - A.-L. Couderc (Nice) - T. Cudennec (Boulogne-Billancourt) - L. de Decker (Nantes) - B. de Wazieres (Nimes) - C. Gaudin (Toulouse) - V. Girre (Paris) - O. Guérin (Nice) - N. Magné (Saint-Priest en Jarez) - L. Mourey (Toulouse) - E. Mulin (Nice) - F. Retorrnaz (Marseille) - F. Rousseau (Marseille) - P. Soubeyran (Bordeaux) - J.-P. Spano (Paris) - C. Terret (Lyon) - G. Zulian (Genévé-Suisse) Les articles publiés dans le Journal d’OncoGériatrie le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Androgen Biosynthesis Inhibition (ABI): A new therapeutic approach in CastrationResistant Prostate Cancer (CRPC) Ph. Beuzeboca, A. Toledanob, M. Zerbibc a. Département d’oncologie médicale, Institut Curie, 26 rue d’Ulm, 75005 Paris, France. b. Hôpital Américain de Paris, 63 boulevard Victor Hugo, 92200 Neuilly-sur-Seine, France. c. Hôpital Cochin, 27 rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France. Résumé L’apparition de la résistance à la castration est un événement majeur de l’évolution du cancer de la prostate, et les armes thérapeutiques dont nous disposons à ce stade, et qui reposent sur la chimiothérapie, ne permettent d’espérer qu’une survie limitée. La castration bloque la production des androgènes testiculaires mais la prolifération tumorale reste dépendante des androgènes d’origine périphérique, et tout particulièrement des androgènes d’origine intratumorale, comme l’ont montré des travaux récents. L’acétate d’abiratérone est un inhibiteur puissant, sélectif et irréversible de l’activité de CYP17 α-hydroxylase et C17-20-lyase qui sont des étapes clés de la biosynthèse des androgènes. Il permet ainsi un blocage de la biosynthèse des androgènes au niveau des surrénales, ainsi que dans la tumeur elle-même. Les résultats de l’étude de phase III présentée lors du congrès de l’ESMO le 11 octobre dernier à Milan montrent que l’acétate d’abiratérone entraîne une amélioration significative de la survie globale versus placebo chez les patients métastatiques résistants à la castration, après échec d’une ou deux lignes de chimiothérapie (dont une avec docétaxel), et ce avec une très bonne tolérance. Mots clés : Inhibiteurs de la biosynthèse des androgènes, cancer de la prostate résistant à la castration, acétate d'abiratérone, docétaxel. Abstract Castration resistance is a major event of prostate cancer evolution. At this stage, treatment is primarily based on systemic chemotherapy leading to limited survival improvement. Castration induces testicular androgens blockade but tumoral proliferation continues to be dependant of peripheral androgens and primarily intratumoral androgens as recently demonstrated. Abiraterone acetate is a potent, selective and irreversible inhibition of CYP17 α-hydroxylase and C17-20-lyase activity, these two enzymes being key steps of androgen biosynthesis. Then, it allows androgen biosynthesis blockade at the adrenal gland and tumor levels. Phase III trial data released on October 11, 2010, during last ESMO congress in Milan, demonstrated that Abiraterone acetate induces statistically significant overall survival improvement compared to placebo in patients with metastatic castration-resistant prostate cancer after failure of one or two previous chemotherapy regimen including one with docetaxel. These results were obtained with a very good safety profile. Keywords: Androgen Biosynthesis Inhibition (ABI), Castration-Resistant Prostate Cancer (CRPC), Abiraterone Acetate (AA), Docetaxel. Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 245 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Recherche Research L’inhibition de la biosynthèse des androgènes. Une nouvelle approche thérapeutique dans le cancer de la prostate résistant à la castration. Du fondamental au développement clinique De fait, l’addition de dexaméthasone 0,5 mg/j à l’AA entraîne une diminution par 3 du niveau de base de l’ACTH, une diminution conséquente des niveaux de désoxycorticostérone jusqu’à un niveau inférieur à la limite de sensibilité dans les tests utilisés (<5 ng/dl), et une diminution importante par 2 des niveaux de corticostérone. De façon similaire, on note une diminution des niveaux de 11-désoxycortisol. En aval, la suppression des niveaux de stéroïdes persiste. Il a fallu plus d’une quinzaine d’années pour confirmer l’intérêt thérapeutique du blocage du cytochrome P450 (17) alpha (17 alpha-hydroxylase/C17-20 lyase ou CYP17), une enzyme clé de la biosynthèse des androgènes 1. Elle catalyse deux réactions importantes impliquant la 17 α-hydroxylase et la C17-20-lyase 2. L’acétate d’abiratérone (AA), développé initialement en Angleterre à l’Institute of Cancer Research, s’est révélé être un inhibiteur puissant, sélectif et irréversible de CYP17 3. Figure 1 : Inhibition de la biosynthèse des androgènes par Abiratérone Hypokaliémie Hypertension A Surcharge hydrique ACTH Positive drive VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Feedback négatif Prégnénolone 17OH-Prégnénolone x3 Prégnénolone x 1,5 Cortisol x2 Abiratérone Testostérone < 1 ng/dl Estradiol < 80 pg/dl < 2 ng/dl Androstènedione x3 Désoxycorticostérone CYP 17 17α-hydroxylase 17OH-Prégnénolone < 5 ng/dl x3 Corticostérone x2 Aldostérone Abiratérone 11-désoxycortisol CYP 17 C17-20-lyase DHEA Aldostérone T x4 B ACTH x 40 Abiratérone 11-désoxycortisol CYP 17 C17-20-lyase Corticostérone T Désoxycorticostérone x 10 CYP 17 17α-hydroxylase DHEA On pouvait craindre que AA n’entraîne une insuffisance surrénalienne. Mais la synthèse de corticostérone, un corticostéroïde plus faible que le cortisol, est préservée. Il en résulte une élévation de l’ACTH avec un syndrome d’hypersécrétion de minéralocorticoïdes, caractérisé par une rétention hydro-sodée, une hypokaliémie, et une hypertension. L’utilisation d’une corticothérapie ou d’antagonistes des minéralocorticoïdes supprime cette élévation de l’ACTH et les signes d’hyperaldostéronisme (figure 1, B). Suppression de rénine x5 T AA (figure 1, A) inhibe la 17 α-hydroxylase, ce qui entraîne une diminution du cortisol et une augmentation significative des hormones adrénocorticotropes (ACTH) et la biosynthèse de stéroïdes. Les niveaux de désoxycorticostérone et corticostérone augmentent de 10 et 40 fois respectivement. On observe aussi une augmentation (jusqu’à 4 fois) du taux de 11-désoxycortisol, mais aussi du fait de l’inhibition complète de la C17-20-lyase une suppression significative de la déhydroépiandrosténedione (DHEA), de l’androsténedione et de la testostérone. Vu l’implication des androgènes dans le développement et la progression du cancer de la prostate, l’équipe du Royal Marsden 4 et d’autres 5 ont vite compris l’intérêt clinique potentiel de cette molécule dans x2 Cortisol x2 T Recherche Research Cancer de la prostate métastatique : nouvelle approche thérapeutique • Metastatic prostate cancer: new therapeutic approach Abiratérone Androstènedione 246 Testostérone < 1 ng/dl Estradiol < 80 pg/dl < 2 ng/dl Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie thérapeutiques ultérieurs (la montée des stéroïdes en amont atteint un plateau au-dessus de 750 mg). Les principales toxicités, dues à un syndrome d’excès de minéralocorticoides, étaient contrôlées par l’éplérénone, un antagoniste de récepteur minéralocorticoïde (la spironolactone ne doit pas être utilisée car elle peut activer le RA). Des baisses du PSA de 30 %, 50 % et 90 % ont été observées respectivement dans 66 %, 57 % et 29 % des cas pour une durée allant de 69 à 578 jours, associées également à des améliorations cliniques (douleurs), biologiques (PAL, LDH) et des réponses RECIST objectives. le traitement du cancer de la prostate, et des essais de phase I/II de l’abiratérone ont été initiés 6. Les premières études d’escalade de doses, qui avaient pour but d’entraîner le maximum de suppression de la synthèse de testostérone chez les patients atteints de cancer de prostate, castrés et non castrés, ont permis de montrer qu’une dose répétée de 800 mg/jour pendant 12 jours chez des patients aux fonctions gonadiques intactes permettait de baisser la testostéronémie au taux de castration. Néanmoins, ce niveau de suppression androgénique n’était pas maintenu en raison d’une hypersecrétion compensatrice de LH 7. Dans la deuxième étude de phase I 13 utilisant le même schéma d’escalade de doses, les patients pouvaient avoir reçu préalablement du ketoconazole (le kétoconazole est inhibiteur faible de CYP17). Il n’a pas été non plus observé de toxicité limitante. Une baisse du PSA > 50 % a été observée chez 47 % des patients traités préalablement par kétoconazole et chez 64 % des patients n’en ayant pas reçu. Parallèlement, les concepts fondamentaux concernant la résistance à la castration évoluaient 8, insistant sur le fait que la prolifération tumorale restait dépendante de la signalisation par le récepteur des androgènes (RA). Les cellules du cancer de la prostate développent une résistance à la castration par l’acquisition de modifications biologiques incluant une surexpression du RA et une surexpression des enzymes impliquées dans la synthèse des androgènes 9 : • L’émergence de phénotypes hypersensibles par amplification, surexpression ou modulation des RA par d’autres voies de signalisation rend ces cellules excessivement sensibles à des taux très bas d’androgènes exogènes. De plus, les anti-androgènes classiques ont des effets agonistes en cas de surexpression ou mutations du RA. • Les cancers de la prostate métastatiques sont aussi capables de maintenir chez des patients castrés des taux d’androgènes intra-tumoraux pouvant activer les gènes cibles du RA (comme le prouve l’augmentation du PSA). Cette stéroïdogénèse intracrine, à partir d’androgènes surrénaliens mais aussi du cholestérol, permet de contourner les niveaux faibles d’androgènes circulants. Montgomery et coll 10 ont montré que les niveaux de testostérone et les transcripts d’enzymes de la stéroïdogenèse étaient plus élevés dans les métastases de patients castrés que dans les cancers de la prostate primaires de patients non castrés. Deux études de phase II ont été réalisées dans les formes résistantes à la castration pour évaluer l’efficacité de l’acétate d’Abiratérone après échec du docétaxel. • Dans l’étude anglaise, rapportée par Reid 14, 47 patients ont été traités par 1 000 mg/j d’acétate d’abiratérone. Des baisses de PSA > 30 %, > 50 % et > 90 % ont été observées respectivement chez 68 %, 51 % et 15 % des patients. Le temps moyen jusqu’à progression biologique était de 169 jours (IC 95 % : 113 à 281 jours). Sur les 27 patients qui avaient plus de 5 cellules tumorales circulantes (CTC), 11 (41 %) ont présenté une baisse de leurs CTC. • Dans la deuxième étude 15, 58 patients ont aussi été traités par 1 000 mg/jour associés à 5 mg x 2/j de prednisone (47 % avaient reçu du ketoconazole). Une baisse du PSA > 50 % a été confirmée chez 36 % des patients (26 % pour ceux traités par ketoconazole et 45 % pour les autres). Le temps médian jusqu’à progression biologique était de 169 jours (IC 95 % : 82 à 200 jours). Des baisses des CTC ont aussi été constatées dans 34 % des cas (10/29). Les résultats cliniques observés dès les essais précoces avec l’acétate d’abiratérone ont confirmé très vite les espoirs suscités par cette nouvelle approche thérapeutique 11,12. Au décours des études de phase II 16, trois points importants doivent être relevés : • le fait d’être efficace après ketoconazole laisse penser qu’il existe un effet sur la synthèse intracrine d’androgènes au niveau des cellules tumorales et pas seulement au niveau surrénalien ; • l’addition de prednisone réduit l’incidence des toxicités liées aux effets minéralocorticoïdes et augmente l’ef- La première étude de phase I 2, ayant inclus 21 patients résistants à de multiples hormonothérapies, chimio-naïfs, réalisée par paliers de 3 patients avec une escalade de dose (250, 500, 750, 1 000 et 2 000 mg/j en continu), a permis de choisir la dose de 1 000 mg/j pour les essais Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 247 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Recherche Research Cancer de la prostate métastatique : nouvelle approche thérapeutique • Metastatic prostate cancer: new therapeutic approach type de progression (taux de PSA seulement versus la progression radiologique avec ou sans progression PSA). Figure 2 : Schéma de l’étude COU-AA-301 1195 patients avec un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration en échec d’une ou de deux lignes de chimiothérapie (dont au moins une avec docétaxel) 2 Acétate d’abiratérone 1000 mg/j Prednisone 5 mg x 2/j n = 797 Critères d’efficacité (ITT) Critère primaire ● Survie globale (25% d’amélioration ; HR = 0,8) R 1 Critères secondaires (ITT) ● Temps jusqu’à progression ● Survie sans progression ● Taux de réponse PSA Placebo Prednisone 5 mg x 2/j n = 398 1170 patients avec un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration, chimio-naifs 2 Acétate d’abiratérone 1000 mg/j Prednisone 5 mg x 2/j n = 780 R 1 Il a été retrouvé un avantage très significatif (HR = 0,646 (0,54-0,77), p < 0,0001) en survie globale: 14,8 mois (IC 95 %: 14,1-15,4 mois) versus 10,9 mois (IC 95 % : 10,2-12,0 mois) (figure 4). La durée médiane de traitement a été de 8 mois dans le bras abiratérone. Il faut noter que 28,1 % des patients (n = 222) du bras abiratérone étaient encore dans l’étude au moment de l’analyse versus 13,7 % dans le bras placebo (n = 54). L’analyse en sous-groupe a montré que le bénéfice concernait de façon systématique, l’ensemble des sousgroupes (figure 5). Figure 3 : Schéma de l’étude COU-AA-302 Placebo Prednisone 5 mg x 2/j n = 390 D’autre part, tous les critères de jugement secondaires de l’étude étaient significativement améliorés que ce soit : • le temps jusqu’à progression PSA : 10,2 mois versus 6,6 mois (HR = 0,58, IC 95 % : 0,46-0,73, p < 0,0001) ; • la survie sans progression : 5,6 mois versus 3,6 mois (HR = 0,67, IC 95 % : 0,59-0,78, p < 0,0001) ; ficacité (pour les patients en progression, le fait de rajouter une corticothérapie entraîne des réponses) ; • le schéma utilisé pour les études de phase III versus placebo associe abiratérone 1000 mg/jour en une prise à prednisone 5 mg x 2/j. Figure 4 : Etude de phase III COU-AA-301. Courbes de survie globale. Celles-ci ont pour critère de jugement COU-AA-301 : L’Acétate d’Abiratérone principal une amélioration de la survie globale (figures 2 et 3). améliore la survie globale des CRPCm Les résultats de la première étude randomisée (2:1) de phase III (COUAA-301) comparant acétate d’abiratérone (797 patients) versus placebo (n = 398) après une chimiothérapie (une à deux lignes dont une à base de docétaxel) viennent d’être présentés à Milan par JS De Bono lors du congrès de l’ESMO 17. Cette étude de phase III, multicentrique, randomisée, en double aveugle, versus placebo a inclu 1195 patients sur 147 sites dans 13 pays (Europe, USA, Australie, Canada). La stratification a été établie selon le statut ECOG (0-1 versus 2), les douleurs les plus intenses antérieures aux dernières 24 heures (par l’échelle courte BPI : absent [0-3] ; présent [4-10], une chimiothérapie antérieure (1 versus 2), le VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 100 Acétate d’abiratérone : 14,8 mois (IC 95%: 14,1. 15,4) 80 Survie (%) Recherche Research Cancer de la prostate métastatique : nouvelle approche thérapeutique • Metastatic prostate cancer: new therapeutic approach 60 40 Placebo : 10,9 mois (IC 95%: 10,2. 12,0) 20 Aprés 1 ligne de chimiothérapie OS : 15,4 mois AA vs 11,5 mois placebo 0 0 100 200 300 400 500 600 700 Nombre de jours depuis la randomisation AA 797 728 631 475 204 25 0 Placebo 398 352 296 180 69 8 1 248 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Figure 5 : Bénéfice en survie observé dans tous les sous-groupes BPI; Brief Pain Inventory, ALK-P, phosphatase alcaline • Le taux de réponse biologique (PSA) : 38 % versus 10,1 % (p < 0,0001). La tolérance a été acceptable avec de rares toxicités de grade 3 ou 4 : rétention hydrique : 2,3 %, hypokaliémie : 3,8 %, troubles hépatiques : 3,5 %, hypertension : 1,3 %, désordres cardiaques : 4,1 %. Ces données étaient assez comparables à celles du bras placebo. Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Très clairement, l’abiratérone apparaît comme un nouveau tournant dans la prise en charge des cancers de la prostate résistants à la castration après docétaxel avec un rapport bénéfice/risque très favorable. Il faudra attendre les données de la deuxième étude de phase III (figure 3) chez des patients métastatiques résistants à la castration mais chimio-naïfs (le recrutement est clos) pour envisager une utilisation à un stade plus précoce. n 249 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Recherche Research Cancer de la prostate métastatique : nouvelle approche thérapeutique • Metastatic prostate cancer: new therapeutic approach Recherche Research Cancer de la prostate métastatique : nouvelle approche thérapeutique • Metastatic prostate cancer: new therapeutic approach 10 Montgomery RB, Mostaghel EA, Vessella R, Hess DL, Kalhorn TF, Higano CS, et al. Maintenance of intratumoral androgens in metastatic prostate cancer: a mechanism for castration-resistant tumor growth. Cancer Res 2008; 68(11): 4447-54. 11 Ang JE, Olmos D, de Bono JS. CYP17 blockade by abiraterone: further evidence for frequent continued hormone-dependence in castration-resistant prostate cancer. BrJ Cancer 2009; 100(5): 671-5. 12 Attard G, Reid AH, Olmos D, de Bono JS. Antitumor activity with CYP17 blockade indicates that castration-resistant prostate cancer frequently remains hormone driven. Cancer Res 2009; 69 (12): 4937-40. 13 Ryan CJ, Smith MR, Fong L, Rosenberg JE, Kantoff P, Raynaud F, et al. Phase I clinical trial of the CYP17 inhibitor abiraterone acetate demonstrating clinical activity in patients with castration-resistant prostate cancer who received prior ketoconazole therapy. J Clin Oncol 2010; 28(9): 1481-8. 14 Reid AH, Attard G, Danila DC, Oommen NB, Olmos D, Fong PC, et al. Significant and sustained antitumor activity in post-docetaxel, castration-resistant prostate cancer with the CYP17 inhibitor abiraterone acetate. J Clin Oncol 2010; 28(9): 1489-95. 15 Danila DC, Morris MJ, de Bono JS, Ryan CJ, Denmeade SR, Smith MR, et al. Phase II multicenter study of abiraterone acetate plus prednisone therapy in patients with docetaxel-treated castration-resistant prostate cancer. J Clin Oncol 2010; 28(9): 1496-501. 16 Chen Y, Clegg NJ, Scher HI. Phase II multicenter study of abiraterone acetate plus prednisone therapy in patients with docetaxel-treated castration-resistant prostate cancer. Anti-androgens and androgen-depleting therapies in prostate cancer: new agents for an established target. Lancet Oncol 2009; 10(10): 981-9. 17 De Bono JS, Logothetis CJ, Fizazi K, North S, Chu L, Chi KN, et al. On behalf of the COU-AA-301 investigators. Abiraterone acetate (AA) plus low dose prednisone (P) improves overall survival (OS) in patients (PTS) with metastatic castration-resistant prostate cancer (MCRPC) who have progressed after docetaxel-based chemotherapy (CHEMO): results of COU-AA-301, a randomized double-blind placebo-controlled phase III study. 35th ESMO Congress, Abst LBA5. Bibliographie : 1 Barrie SE, Potter GA, Goddard PM, Haynes BP, Dowsett M, Jarman M. Pharmacology of novel steroidal inhibitors of cytochrome P450(17) alpha (17 alpha-hydroxylase/C1720 lyase). J Steroid Biochem Mol Biol 1994; 50(5-6): 267-73. 2 Attard G, Reid AH, Yap TA, Raynaud F, Dowsett M, Settatree S, et al. Phase I clinical trial of a selective inhibitor of CYP17, abiraterone acetate, confirms that castrationresistant prostate cancer commonly remains hormone driven. J Clin Oncol 2008; 26(28): 4563-71. 3 Jarman M, Barrie SE, Llera JM. The 16,17-double bond is needed for irreversible inhibition of human cytochrome p45017alpha by abiraterone (17-(3-pyridyl)androsta5, 16-dien-3beta-ol) and related steroidal inhibitors. J Med Chem 1998; 41(27): 5375-81. 4 Attard G, Belldegrun AS, de Bono JS. Selective blockade of androgenic steroid synthesis by novel lyase inhibitors as a therapeutic strategy for treating metastatic prostate cancer. BJU Int 2005; 96(9): 1241-6. 5 Leroux F. Inhibition of p450 17 as a new strategy for the treatment of prostate cancer. Curr Med Chem 2005; 12(14): 1623-9. 6 Madan RA, Arlen PM. Abiraterone. Cougar Biotechnology. IDrugs 2006; 9(1): 4955. 7 O'Donnell A, Judson I, Dowsett M, Raynaud F, Dearnaley D, Mason M, et al. Hormonal impact of the 17alpha-hydroxylase/C(17,20)-lyase inhibitor abiraterone acetate (CB7630) in patients with prostate cancer. Br J Cancer 2004; 90(12): 2317-25. 8 Sher HI, Sawyers CL. Biology of progressive, castration-resistant prostate cancer: directed therapies targeting the androgen-receptor signalling. J Clin Oncol 2005; 23(32): 8253-61. 9 Stanbrough M, Bubley GJ, Ross K, Golub TR, Rubin MA, Penning TM, et al. Increased expression of genes converting adrenal androgens to testosterone in androgen-independent prostate cancer. Cancer Res 2006; 66(5): 2815-25. VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 250 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Pilot Coordination Unit in Geriatric Oncology in Côte-d’Or: an original experience V. Quipourta,b, S. Mariliera,b, P. Fumoleaub a. Unité Pilote de Coordination en Oncogériatrie, Centre Gériatrique de Champmaillot, 2 rue Jules Violle, CHU, 21079 Dijon Cedex, France. b. Centre Georges-François Leclerc, 1 rue du Professeur Marion, BP 77980, 21079 Dijon Cedex, France. Correspondance : Valérie Quipourt, Unité Pilote de Coordination en Oncogériatrie, Centre Gériatrique de Champmaillot, CHU, 2 rue Jules Violle, 21079 Dijon Cedex, France. Courriel : [email protected] Résumé L’originalité de l’Unité Pilote de Coordination en Oncogériatrie (UPCOG) de Côte-d’Or est de considérer toutes les filières de soins du département, publiques et privées, et de développer un programme de recherche clinique et en santé publique avec les registres spécialisés des cancers du département. La mise en place de cette unité a permis de confirmer une collaboration plus étroite entre les gériatres, les spécialistes d’organes et les médecins généralistes, mais qui n’est pas totalement acquise et nécessite un travail relationnel suivi, entre autres, en participant régulièrement aux réunions de concertation pluridisciplinaire, lieux d’échanges entre les différents professionnels. Comme les autres UPCOG, notre unité s’est beaucoup investie dans ce projet et souhaiterait poursuivre et développer ses activités dans le futur. Mots clés : Cancer, sujet âgé, registre des cancers, évaluation gériatrique. Abstract The originality of the Pilot Coordination Unit in geriatric oncology in Côte-d’Or is twofold: it includes all oncology departments, both public and private, and it develops a clinical and public health research program from the Côted’Or cancer registers. The development of this unit confirmed the collaboration between geriatricians, organ specialists and general practitioners. However, as this collaboration is not complete, it requires continued contact, including multidisciplinary discussion meetings and exchanges between different professionals. Like other French pilot coordination units in geriatric oncology, this unit has invested a great deal in this project and the authors would like to continue and expand its activities in the future. Keywords: Cancer, elderly patient, cancer register, geriatric evaluation. E n 2005, en France, plus de 30 % des cancers ont été diagnostiqués chez des sujets âgés de 75 ans ou plus 1. Les données issues des registres de cancers ont permis de souligner l’insuffisance de traitement des sujets âgés dans certains domaines de l’oncologie 2. Dans le cadre du premier appel d’offres de l’INCA en 2005 3, concernant la mise en place des UPCOG, notre objectif principal était d’améliorer la qualité des soins apportés aux sujets âgés de 75 ans ou plus, atteints d’un cancer digestif, gynécologique (sein et autre localisation) ou d’une hémopathie maligne. Avec les registres spécialisés des cancers du département qui sont à l’initiative du Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie projet, l’originalité était d’évaluer tous les cas diagnostiqués dans la population de Côte-d’Or, quel que soit le lieu de résidence et la filière de soins. Il était également prévu de développer un programme de recherche clinique et en santé publique, grâce aux registres des cancers (digestif, sein et hémopathie maligne). Des études ponctuelles concernant en particulier l’analyse des comorbidités, de la qualité de vie et des effets indésirables des traitements étaient envisagées. L’Unité Pilote de Coordination en Oncogériatrie (UPCOG) de Côte-d’Or est coordonnée par le Dr Valérie Quipourt – PH Gériatre au CHU de Dijon et par le Pr Pierre Fumoleau – 251 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Santé publique Public health Unité Pilote de Coordination en OncoGériatrie dans le département de la Côte-d’Or : une expérience originale Santé publique Public health UPCOG dans le département de la Côte-d’Or • PCUGO in Côte-d’Or rendus opératoires et les résultats anatomo-pathologiques couplés à l’entretien, l’examen clinique et les tests gériatriques (tableau 1), puis a été informatisé à l’aide du logiciel Capture System. Au 10 décembre 2010, 575 évaluations oncogériatriques (242 en 2010) ont été réalisées, et 158 suivis (53 en 2010). Nous présentons les résultats d’une étude rétrospective sur notre activité du 1er janvier 2010 au 30 avril 2010, qui a porté sur 89 évaluations initiales et 9 suivis. Les caractéristiques des patients sont présentées dans le tableau 2. Pour les évaluations initiales, la population était à prédominance féminine avec un âge moyen de 83 ans. Un avis sur le traitement oncologique était principalement demandé. Les localisations néoplasiques étaient dans plus de 25 % des cas mammaires, dans 16 % colo-rectales et dans 9 % pulmonaires. Pour 32,6 %, le statut était métastatique lors de la consultation. L’impact des comorbidités était important avec en moyenne 2,1 comorbidités considérées comme sévères. Les comorbidités les plus fréquentes étaient : hypertension artérielle, arthrose, dyslipidémie, insuffisance rénale et affections cardiaques (tableau 3). La stabilisation des comorbidités n’était obtenue que dans 57,3 % des cas. Un syndrome gériatrique était dépisté dans plus de 9 cas sur 10. La prise en charge gériatrique était alors principalement nutritionnelle, une adaptation thérapeutique, une prescription de kinésithérapie ou un soutien social. L’information diagnostique du patient n’était obtenue que dans 57 % des cas. Les suivis correspondaient surtout à des demandes de suivi plus gériatrique qu’oncologique avec, au final, principalement des conseils de prise en charge nutritionnelle. Les patients apparaissaient mieux informés lors du suivi PUPH Oncologue et Directeur du Centre Georges-François Leclerc de Dijon (Centre de Lutte Contre le Cancer Régional). Mise en place de l’UPCOG de Côte-d’Or Organisation de l’évaluation oncogériatrique Depuis décembre 2006, nous avons instauré une consultation d’oncogériatrie spécifiquement dédiée aux patients âgés de 75 ans et plus porteurs d’un cancer, et accessible sur demande des médecins dans un délai maximum de 10 jours. Cette consultation intervient, selon la pathologie, soit dès le diagnostic avant tout traitement, soit après le traitement chirurgical, chaque fois qu’il existe une indication de traitement adjuvant ou en cas de traitement palliatif. L’évaluation concerne toutes les filières de soins du département, publiques et privées. Le gériatre est aidé dans ses évaluations par une infirmière dédiée à cette activité. Concernant les cas résidant à Dijon et son agglomération, pour le secteur public et libéral, la consultation est réalisée soit dans le centre référent du département : pôle de gérontologie du CHU de Dijon (consultation ou hospitalisation de jour gériatrique avec une approche multidisciplinaire), soit en consultation au Centre Georges-François Leclerc (CGFL), soit au lit du patient dans le cadre de l’Équipe Mobile Oncogériatrique (CHU, CGFL, établissements privés). Pour les trois centres hospitaliers généraux du département (Beaune, Semur-en-Auxois et Châtillonsur-Seine, soit 25 % des cas), la consultation oncogériatrique est assurée sur site par le gériatre du centre référent en gérontologie le plus proche. Un questionnaire papier a été conçu en utilisant les dossiers médicaux des patients et en particulier les comptes Tableau 1 : Eléments de l’évaluation gériatrique Identification du patient Situation sociale Condition de l’évaluation Données oncologiques Données gériatriques Données biologiques Information du patient Avis du gériatre sur le traitement oncologique Proposition d’un Programme de soins personnalisé Recueil des données lors d’une évaluation oncogériatrique Sexe, âge, lieu de résidence Situation familiale, lieu d’habitation, aides à domicile, APA, régime de protection, profession et niveau d’études Motif, médecin et service demandeurs, date, lieu et modalité de l’évaluation Localisation primitive, histologie, stade TNM 4, présence de métastases, traitement antérieur reçu < 6 mois Indice de karnofsky, antécédents, comorbidités selon Charlson, CIRS-G et pathologies chroniques évolutives, dépendance, état nutritionnel (dosage albumine et pré-albumine), évaluations cognitive, thymique, motrice, sensorielle et sphinctérienne, évaluation de la douleur, médicaments (nombre, liste) Taux d’hémoglobine (g/dl), taux de créatinine plasmatique (µmol/l), clairance de la créatinine (ml/mn) selon Cockroft et MDRD Sur le diagnostic, motivation pour un traitement Médical, chirurgical, radiothérapie, radiochimiothérapie, surveillance sans intervention thérapeutique, soins palliatifs, autre proposition Equilibre des comorbidités, détection de syndromes gériatriques, interventions proposées, proposition d’un suivi gériatrique VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 252 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Tableau 2 : Caractéristiques des patients (78 % des cas), et il s’agissait de cancer du sein dans plus d’un tiers des cas. Recherche en Oncogériatrie Suivi (n = 9) N (%) 29 (32,6) 60 (67,4) 4 (44,4) 5 (55,6) 9 (10,1) 21 (23,6) 22 (24,7) 24 (27,0) 13 (14,6) 83,0 1 (11,1) 3 (33,3) 3 (33,3) 1 (11,1) 1 (11,2) 80,6 36 (40,4) 29 (32,6) 21 (23,6) 3 (3,4) 8 (88,9) 1 (11,1) 0 0 25 (27,2) 15 (16,3) 9 (9,7) 7 (7,6) 7 (7,6) 2 (2,2) 2 (2,2) 2 (2,2) 1 (1,1) 1 (1,1) 1 (1,1) 20 (21,7) 3 (33,3) 1 (11,1) 1 (11,1) 0 1 (11,1) 0 0 0 1 (11,1) 0 0 2 (22,2) 29 (32,6) 60 (67,4) 3 (33,3) 6 (66,7) 14 (15,7) 75 (84,3) 8 (88,9) 1 (11,1) 14,0 2,1 13,6 1,9 Information du patient Oui Non Inconnu 51 (57,3) 20 (22,5) 18 (20,2) 7 (77,8) 1 (11,1) 1 (11,1) Equilibre des comorbidités Oui Non 51 (57,3) 38 (42,7) 5 (55,6) 4 (44,4) Existence de syndromes gériatriques Oui Non 81 (91,0) 8 (9,0) 8 (88,9) 1 (11,1) Prise en charge gériatrique proposée Modification de traitement Prise en charge nutritionnelle Kinésithérapie Prise en charge psychologique Prise en charge cognitive Prise en charge sociale 45 (50,1) 59 (66,3) 34 (38,2) 24 (27,0) 14 (15,7) 32 (36,0) 6 (66,7) 8 (88,9) 3 (33,3) 4 (44,4) 3 (33,3) 3 (33,3) Sexe Homme Femme Age < 75 ans 75 - 79 ans 80 - 84 ans 85 - 89 ans ≥ 90 ans Age moyen Type de prise en charge Consultation CGFL HJ gériatrique EMG CHU EMG CGFL L’UPCOG a aussi une mission de recherche. Nous avons participé à l’étude Oncodage suite à l’appel d’offre de l’INCA en 2007 et plusieurs travaux ont été réalisés en lien avec les structures de recherche : une étude sur la prise en charge et la survie du cancer colorectal chez le sujet âgé à partir des données des registres a été publiée en 2007 dans European Journal of cancer 5. Un poster a été accepté au congrès du GRELL à Lugano en 2009 sur l’incidence et la survie des hémopathies malignes chez les patients âgés de plus de 75 ans sur une période de 26 ans, et leur prise en charge thérapeutique au cours des 3 dernières années, en Côte-d’Or à partir des données du registre des hémopathies malignes. Les résultats confirment chez ces sujets une augmentation de toutes les hémopathies malignes, exceptées les leucémies aigues, et une insuffisance de traitement. Un autre travail sur l’influence des comorbidités sur la prise en charge thérapeutique des patients âgés atteints de cancer colorectal sur base de population a fait l’objet d’une communication orale aux Journées Francophones d’Hépato-gastro-entérologie et d’Oncologie Digestive (JFHOD), et est en cours de publication dans le Journal of American Geriatrics Society (JAGS) 6. Ce travail montre que la présence de comorbidités n’explique pas l’insuffisance de prise en charge du sujet âgé. D’autres projets sont en cours. Une étude rétrospective sur la prise en charge thérapeutique des patientes âgées de 75 ans et plus, en comparant celles ayant bénéficié d’une consultation d’oncogériatrie et les autres, à partir des données du registre des cancers du sein entre 2007 et 2009, est en phase d’analyse statistique. Nous envisageons également l’analyse des données de notre base oncogériatrique avec l’objectif de comparer le traitement oncologique proposé par le gériatre avec celui effectivement réalisé. Une autre étude rétrospective des facteurs pronostiques de la survie chez les patientes âgées de 75 ans et plus et atteintes d’un cancer du sein, et des facteurs prédictifs de la prise en charge thérapeutique, à partir des données du registre des cancers du sein, est prévue sur l’année 2011. Enfin, un essai de phase III randomisé, multicentrique (7 centres prévisionnels), évaluant l’efficacité de la consultation oncogériatrique chez les patientes âgées de 75 ans et plus et atteintes d’un cancer du sein : étude de l’influence sur la qualité de vie, la prise en charge thérapeutique et la survie, va faire l’objet d’un projet libre de recherche INCa. Localisation primitive Sein Colo-rectal Poumon Inconnu Hémopathies Vessie ORL Estomac Prostate Rein Foie Autres Métastases Oui Non Type de demande Avis gériatrique simple Avis sur traitement oncologique CIRS-G Total Nombre de catégories ≥ 3 (moyenne) Autres activités Un groupe de travail régional d’oncogériatrie au sein du réseau Onco-Bourgogne existe depuis juin 2008. Ses Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Evaluation initiale (n = 89) N (%) 253 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Santé publique Public health UPCOG dans le département de la Côte-d’Or • PCUGO in Côte-d’Or Santé publique Public health UPCOG dans le département de la Côte-d’Or • PCUGO in Côte-d’Or Tableau 3 : Pathologies chroniques évolutives Formation en Soins Infirmiers). Des formations spécifiques destinées aux médecins et soignants ont été réalisées dans le cadre des Régionales de Cancérologie, mais aussi avec le réseau Onco-Bourgogne. missions sont la promotion des projets de recherche et d’études dédiés aux patients âgés atteints de cancer, la diffusion de référentiels existants pour chaque localisation tumorale avec les spécificités gériatriques, l’organisation de réunions de formation médicale continue pour les médecins et les soignants, et le partage de nos expériences et formations par le biais d’un site internet. La participation régulière aux RCP d’organe représente un investissement important mais indispensable pour une meilleure prise en charge des patients en lien avec les oncologues, radiothérapeutes et chirurgiens. L’information des médecins et des soignants est une autre priorité avec l’organisation de nombreuses réunions et l’élaboration de brochures d’information destinées aux professionnels, mais aussi au grand public « Comment mieux prendre en charge les patients atteints de cancer ? » disponibles dans les Espaces Rencontres Informations (ERI). Au sein de notre mission universitaire, nous intervenons dans le cadre de la Capacité de Gériatrie (Diplôme Interrégional avec les villes de Dijon, Besançon et Reims). Nous participons également au Diplôme Interrégional Universitaire de Lyon intitulé « Gériatrie appliquée à la prise en charge de patients âgés atteints de cancer ». Les personnels paramédicaux sont aussi concernés (Institut de VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Conclusion La mise en place de l’UPCOG dans le département de la Côte-d’Or a permis de développer une collaboration plus étroite entre les gériatres, les spécialistes d’organe et les médecins généralistes, avec toutefois une certaine fragilité illustrée par l’absence prolongée de la coordinatrice en 2009, qui n’a pas pu être remplacée au niveau d’une équipe médicale gériatrique déjà extrêmement limitée, avec ainsi une nette diminution de l’activité clinique mais aussi de recherche au cours de cette même année. L’avenir devrait être plus serein avec l’implication d’un second gériatre depuis juin 2010. Notre équipe comporte de réels atouts : déjà une équipe très motivée (médecins, infirmière, secrétaire) qui nous a permis de renforcer l’activité clinique, en continuant de participer très régulièrement aux Réunions de Concertation Pluridisciplinaire, lieux d’échanges, d’autant plus intéressants lorsque le patient a préalablement bénéficié d’une évaluation gériatrique, mais aussi pour que nos collègues 254 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie dont les résultats ne sont pas acquis et qui nécessite un investissement permanent. Se pose enfin l’avenir de notre unité au niveau local, régional et national… n spécialistes n’oublient pas l’intérêt de cette consultation. Ainsi, lorsque nous participons aux RCP, le recrutement des patients augmente très sensiblement. Peut-être que la diffusion systématique de l’outil de dépistage gériatrique en oncologie (G8), lorsqu’il sera validé, modifiera le recrutement, mais il est sûr que certains services resteront très réticents à son utilisation et à l’évaluation oncogériatrique, malgré toute la bonne volonté des équipes de terrain. En tout cas, notre activité clinique ne cesse d’augmenter mais nous pose aussi des problèmes d’organisation avec l’ensemble de nos missions, dont la coordination, la formation et la recherche. Un autre point fort est la collaboration avec les registres des cancers du département, bien implantés localement et sur le plan national, avec lesquels nous avons déjà développé plusieurs travaux communs. D’autres projets sont en cours, avec une valorisation par des publications sur le plan international. Ces résultats sont tout à fait encourageants mais ne doivent pas nous faire oublier qu’il s’agit d’une activité récente Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Bibliographie : 1 Belot A, Grosclaude P, Bossard N, et al . Cancer incidence and mortality in France over the period 1980-2005. www.invs.sante.fr/surveillance/cancers/estimations_cancers/default.htm. Rev Epidemiol Sante Publique 2008 ; 56 : 159-75. 2 Faivre-Finn C, Bouvier AM, Mitry E, Rassiat E, Clinard F, Faivre J. Chemotherapy for colon cancer in a well-defined French population: is it under or over-prescribed? Aliment Pharmacol Ther 2002 ; 16 : 353-9. 3 Mise en place d’une unité pilote de coordination en oncogériatrie dans le département de la Côte-d’Or. Appel à projet national pour l’émergence d’unités pilotes de coordination en Oncogériatrie (UPCOG). 2005 INCA. 4 Sobin L, Wittekind C : TNM atlas. International Union Against Cancer, Wiley-Liss, 1997. 5 Faivre J, Lemmens V.E.P.P, Quipourt V, Bouvier AM. Management and survival of colorectal cancer in the elderly in population-based study. Eur J Cancer 2007 ; 43 : 2279-84. 6 Quipourt V, Jooste V, Cottet V, Faivre J, Bouvier AM. Comorbidities alone do not explain the under – treatment of colorectal cancer. JAGS 2010. Publication en cours. 255 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Santé publique Public health UPCOG dans le département de la Côte-d’Or • PCUGO in Côte-d’Or « Dossier thématique • Nutrition en oncogériatrie Dossier thématique Review • Nutrition in oncogeriatrics Coordination : S.M. Schneidera, b a. Pôle digestif, Service de Gastro-entérologie et Nutrition Clinique, CHU de Nice, France. b. Faculté de Médecine, Université de Nice Sophia-Antipolis, France. » La Nutrition en oncogériatrie : un élément majeur de l’évaluation et de la prise en charge des malades Nutrition in oncogeriatrics: a major tool for assessing and treating patients X. Hébuterne Evaluation de l’état nutritionnel avant décision thérapeutique en oncogériatrie Nutritional assessment before therapy in oncogeriatrics F. Diebold, A. Danalache Prise en charge de la dénutrition en oncogériatrie Management of undernutrition in oncogeriatrics L. Evesque, S.M. Schneider La sarcopénie : un nouveau concept en oncologie Sarcopenia: a new concept in oncology G. Zeanandin, S.M. Schneider, X. Hébuterne Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 257 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 La Nutrition en oncogériatrie : un élément majeur de l’évaluation et de la prise en charge des malades Nutrition in oncogeriatrics: a major tool for assessing and treating patients X. Hébuterne Pôle digestif, Service de Gastro-entérologie et Nutrition Clinique, CHU de Nice, France. Faculté de Médecine, Université de Nice Sophia-Antipolis, France. Correspondance : Xavier Hébuterne, Service de Gastro-entérologie et Nutrition Clinique, Hôpital de l’Archet 2, 151 route de Saint-Antoine, BP 3079, 06202 Nice Cedex 3, France. Tél. : +33 (0)4 92 03 61 68, fax : +33 (0)4 92 03 65 75, courriel : [email protected] L a dénutrition est si communément associée à la maladie tumorale qu’elle est souvent considérée comme partie intégrante de l’évolution des cancers, et donc banalisée. Il est pourtant admis que bon nombre de malades cancéreux décèdent de cachexie, et que la dénutrition limite la tolérance et l’efficacité des traitements. La prévalence globale de la dénutrition, tous cancers confondus, est de l’ordre de 40 %. Elle est la même qu’il y a 30 ans, et elle est particulièrement importante au cours des cancers digestifs et des cancers ORL (figure 1) 1. Chez un malade cancéreux, une perte de poids supérieure à 15 % est constamment associée à une altération du pronostic, indépendamment de la maladie tumorale. La dénutrition serait directement responsable du décès des malades dans 5 à 25 % des cas 2. Au cours des dix dernières années, la prévalence du cancer a augmenté alors que la mortalité a diminué. Les progrès thérapeutiques ont été considérables et, dans certaines situations métastatiques, la médiane de survie a été multipliée par 3 ou 4. Il est possible d’affirmer que dans certains cas, une maladie autrefois constamment mortelle a été transformée en maladie chronique. Certains malades reçoivent par exemple une chimiothérapie au long cours qui, sans les guérir, permet une stabilisation prolongée de leur cancer. Ainsi, le problème nutritionnel, qui était marginal compte tenu du pronostic effroyable des malades, est passé au premier plan. Par ailleurs, l’âge n’est plus un obstacle au traitement des malades et l’on sait bien que les personnes âgées (PA) présentent des particularités métaboliques qui augmentent le risque de dénutrition. L’âge, le cancer et l’agression d’une chirurgie, d’une chimiothérapie et/ou d’une radiothérapie se conjuguent pour détériorer de manière synergique la situation nutritionnelle des malades. Figure 1 : Prévalence de la dénutrition mesurée « un jour donné » Chez un malade cancéreux l’anorexie chez 1 903 malades cancéreux. Etude Nutricancer 1 est au premier plan, favorisée par des troubles du goût très fréquents, et la stimulation du système pro-opiomélanocortine par les cytokines, qui inhibe la prise alimentaire 3. Dans une enquête récente réalisée un jour donné chez 1 023 malades, plus de 50 % affirmaient manger moins, et autant disaient avoir présenté une modification du goût depuis le début de leur maladie 4. On sait, notamment depuis les travaux de Roberts et al. 5 et de Rolls et al. 6, que les personnes âgées présentent des troubles spécifiques du contrôle de l’appétit, même en l’absence d’agression. La sarcopénie dont on connaît la pré- VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 258 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Dossier thématique Review valence élevée chez la PA a d’importantes conséquences en cas de cancer, et ceci est rappelé dans un article de ce numéro de la revue 7. Par ailleurs, nous avons pu montrer qu’en cas de dénutrition par carence d’apports, la perte pondérale chez une PA portait plus spécifiquement sur la masse maigre, alors qu’elle est homogène (masse maigre et masse grasse) chez une personne plus jeune 8. Ainsi, une perte pondérale équivalente aura des conséquences fonctionnelles beaucoup plus importantes chez une PA que chez un malade plus jeune. La dénutrition est également plus difficile à corriger chez les PA que chez des sujets plus jeunes 9. Enfin, au cours du cancer, la dénutrition est également iatrogène, favorisée par la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie, mais aussi par les hospitalisations répétées des malades, et l’on sait que les PA sont particulièrement sensibles aux stress répétés, médicaux ou psychologiques. Alors que les réunions de concertations pluridisciplinaires, les consultations d’annonce, les programmes personnalisés de soins se généralisent, et que personne ne pourrait imaginer aujourd’hui ne pas proposer une prise en charge psychologique adaptée et ne pas traiter efficacement la douleur des malades, la prise en compte de la dénutrition est encore trop souvent absente dans les unités de cancérologie, ou alors trop tardive et inadaptée. L’évaluation de l’état nutritionnel doit être systématique en oncogériatrie. L’utilisation de marqueurs comme le Performance Status (PS), pourtant largement diffusé en cancérologie, est insuffisant et nous avons pu montrer que plus de 50 % des malades avec un PS à 2 (c’està-dire considérés comme aptes à recevoir une chimiothérapie) étaient dénutris 10. Ainsi, pour une même valeur du PS, il existe deux catégories de malades : dénutris ou non dénutris. Le cancérologue doit rajouter à sa liste d’outils une balance pour peser les malades à chaque visite et établir une courbe de poids, ainsi qu’une échelle visuelle analogique pour évaluer les ingesta. Cet outil simple et validé 11 permet de se faire une idée suffisamment précise de ce que mangent nos malades, ce qui permet de mettre en place rapidement les mesures correctives et éviter ainsi un diagnostic tardif de la dénutrition dont les conséquences sont souvent désastreuses. Dans l’étude Nutricancer 4, moins de 50 % des malades qui affirmaient manger moins de la moitié de leur ration habituelle avaient reçu des conseils nutritionnels ou des compléments nutritionnels oraux (figure 2). Ceci peut facilement être expliqué par la rareté des diététiciennes dans les unités de cancérologie, alors que pratiquement aucun poste n’a été créé dans le cadre du plan cancer. Dans de nombreuses situations, la supériorité de la nutrition entérale sur la nutrition parenLe JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 259 Figure 2 : Type de prise en charge nutritionnelle (Conseils : conseils nutritionnels ; CNO : compléments nutritionnels oraux) proposée à des malades cancéreux (n = 1 023) non sélectionnés interrogés « un jour donné », en fonction de leurs ingesta évalués à l’aide d’une échelle visuelle analogique (EVA ; 0 : ingesta nuls ; 10 : ingesta normaux). Etude Nutricancer 4 térale est bien démontrée et cette dernière doit être strictement réservée aux situations d’insuffisance intestinale et en cas d’échec de la nutrition entérale 12. Bien qu’elle soit souvent techniquement possible 13, même dans des cas où son utilisation était autrefois impensable 14, la nutrition entérale est largement sousemployée dans la prise en charge nutritionnelle des malades cancéreux. Au cours des cancers ORL, la mise en place précoce d’une gastrostomie percutanée endoscopique, pratique maintenant courante, a révolutionné la prise en charge des malades en permettant des traitements agressifs impossibles il y a quelques années 15. Cette expérience devrait servir d’exemple pour les autres cancers et la nutrition entérale devrait être plus largement utilisée, notamment en oncogériatrie, si besoin dans le cadre d’essais cliniques démontrant son efficacité sur le devenir des malades. Enfin, la nutrition péri-opératoire a fait la preuve de son efficacité, et il est maintenant démontré que l’immunonutrition pré- et péri-opératoire réduit la morbidité des malades cancéreux opérés 16. On peut se demander combien de services de chirurgie ont systématisé ce genre d’approche pourtant très efficace. Devant ce constat, la Société Francophone Nutrition Clinique et Métabolisme (SFNEP) a décidé d’animer, avec le soutien de la Haute Autorité de Santé (HAS) et de l’Institut National du Cancer (INCa), un groupe de travail qui est en train d’élaborer des recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge nutritionnelle des malades cancéreux. Ces recommandations qui seront disponibles vers la fin de l’année 2011, permettront, grâce à un consensus formalisé d’experts, de faire le point sur les évidences dans le domaine et d’établir un document de référence. Une attention toute partiVOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Il est important de démontrer, comme l’ont par exemple fait Ravasco et al. 17, qu’un programme de soutien nutritionnel précoce bien conduit permet d’améliorer le pronostic et la qualité de vie des malades. Des études spécifiques en oncogériatrie doivent voir le jour. Celles-ci devront s’intéresser aux problèmes de prise alimentaire chez les PA au cours des traitements du cancer ; de la sarcopénie avec ses conséquences sur la tolérance des traitements et éventuellement sur la modulation des doses de cytotoxiques en fonction de la masse maigre ; et enfin, bien sûr, aux stratégies de prise en charge précoce de la dénutrition chez ces malades en évaluant leurs impact sur la tolérance des traitements, la qualité de vie et le coût des soins. Plus encore que chez un sujet plus jeune, le traitement du cancer chez une PA doit s’intégrer dans une démarche globale qui intègre les soins de support, et en particulier la prise en charge de la dénutrition. n Tableau 1 : Stratégie de prise en charge nutritionnelle d’une personne âgée qui présente un tube digestif fonctionnel (www.has-sante.fr) Statut nutritionnel Normal Dénutrition Dénutrition sévère Normaux Surveillance Conseils diététiques Alimentation enrichie Réévaluation à un mois Conseils diététiques Alimentation enrichie et CNO Réévaluation à 15 jours Diminués mais supérieurs à la moitié de l’apport habituel Conseils diététiques Alimentation enrichie Réévaluation à un mois Conseils diététiques Alimentation enrichie Réévaluation à 15 jours, puis en cas d’échec CNO Conseils diététiques Alimentation enrichie et CNO Réévaluation à une semaine, puis en cas d’échec NE Très diminués, inférieurs à la moitié de l’apport habituel Conseils diététiques Conseils diététiques Conseils diététiques Alimentation enrichie Alimentation enrichie Alimentation enrichie et CNO Réévaluation à une semaine, et NE d’emblée Réévaluation à une semaine, puis en cas d’échec CNO Réévaluation à une semaine puis en cas d’échec NE CNO : compléments nutritionnels oraux ; NE : nutrition entérale VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 260 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review culière sera donnée à la prise en charge du malade âgé porteur d’un cancer. Il conviendra, bien sûr, de réfléchir aux mesures d’évaluation des retombées de ces documents en matière de prise en charge de la dénutrition. Cependant, chez la PA, il semble possible dès maintenant de s’appuyer sur les recommandations de pratiques cliniques de l’HAS, pour la stratégie de prise en charge en matière de dénutrition protéino-énergétique chez le sujet âgé qui ont été publiées en 2007 (tableau 1). Le bon sens et la simplicité de ces recommandations font qu’elles sont facilement applicables, notamment chez un malade en cours de traitement pour un cancer. Mais les mesures pour lutter contre la dénutrition des malades cancéreux ne doivent pas s’arrêter là. L’élaboration de programmes de recherche clinique est indispensable. En particulier, pour convaincre les cancérologues de l’utilité de la nutrition chez leurs malades, il faut des preuves qui, il faut bien le reconnaître, ne sont pas présentes dans tous les domaines. Apports alimentaires spontanés Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Bibliographie : 10 Cessot A, Hébuterne X, Coriat R, Durand JP, Mir O, Mateus C, et al. Defining the clinical condition of cancer patients : it is time to switch from performance status to nutritional status (soumis) 11 Thibault R, Goujon N, Le Gallic E, Clairand R, Sébille V, Vibert J, Schneider SM, Darmaun D. Use of 10-point analogue scales to estimate dietary intake : a prospective study in patients nutritionally at-risk. Clin Nutr 2009 ; 28 : 134-40. 12 Zaloga GP. Parenteral nutrition in adult inpatients with functioning gastrointestinal tracts : assessment of outcomes. Lancet 2006 ; 367 : 1101-11. 13 Boulton-Jones JR, Lewis J, Jobling JC, Teahon K. Experience of post-pyloric feeding in seriously ill patients in clinical practice. Clin Nutr 2004 ; 23: 35-41. 14 Séguy D, Berthon C, Micol JB, Darré S, Dalle JH, Neuville S, Bauters F, et al. Enteral feeding and early outcomes of patients undergoing allogeneic stem cell transplantation following myeloablative conditioning. Transplantation 2006 ; 82 : 835-9. 15 Piquet MA, Ozsahin M, Larpin I, Zouhair A, Coti P, Monney M, et al. Early nutritional intervention in oropharyngeal cancer patients undergoing radiotherapy. Support Care Cancer 2002 ; 10 : 502-4. 16 Heys SD, Walker LG, Smith I, Eremin O. Enteral nutritional supplementation with key nutrients in patients with critical illness and cancer : a meta-analysis of randomized controlled clinical trials. Ann Surg 1999 ; 229 : 467-77. 17 Ravasco P, Monteiro-Grillo I, Vidal PM, Camilo ME. Dietary counseling improves patient outcomes : a prospective, randomized, controlled trial in colorectal cancer patients undergoing radiotherapy. J Clin Oncol 2005 ; 23 : 1431-8. Dossier thématique Review 1 Hébuterne X, Lemarié E, Michallet M, Beauvillain de Montreuil C, Goldwasser F. Prévalence de la dénutrition au cours du cancer : une enquête nationale un jour donné. Nutr Clin Metabol 2006 ; 20 : S86. [Résumé] 2 Senesse P, Assenat E, Schneider SM, Chargari C, Magné N, Azria D, Hébuterne X. Nutritional support during curative treatment of patients with gastrointestinal (GI) cancer : who could benefit ? Cancer Treat Rev 2008 ; 34 : 568-75. 3 Laviano A, Meguid M, Rossi-Fanelli F. Cancer anorexia : clinical implications, pathogenesis, and therapeutic strategies. Lancet Oncol 2003 ; 4 : 686-94. 4 Hébuterne X, Lemarié E, Michallet M, Beauvillain de Montreuil C, Goldwasser F. Effets des cancers sur l’état nutritionnel et la prise alimentaire : la perception des malades. Nutr Clin Metabol 2007 ; 21 : S39. [Résumé] 5 Roberts S, Fuss P, Heyman M, Evans WJ, Tsay R, Rasmussen H, et al. Control of food intake in older men. JAMA 1994 ; 272 : 1601-6. 6 Rolls B, Dimeo K, Shide D. Age-related impairments in the regulation of food intake. Am J Clin Nutr 1995 ; 62 : 923-31. 7 Zeanandin G, Schneider SM, Hébuterne X. La sarcopénie : un nouveau concept en oncologie. JOG J Oncogériatr 2010; 1: 271-6. 8 Schneider S, Al-Jaouni R, Pivot X, Bender Braulio V, Rampal P, Hébuterne X. Lack of adaptation to severe malnutrition in elderly patients. Clin Nutr 2002 ; 21: 499-504. 9 Hébuterne X, Broussard JF, Rampal P. Acute renutrition by cyclic enteral nutrition in elderly and younger patients. JAMA 1995 ; 273 : 638-48. Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 261 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Evaluation de l’état nutritionnel avant décision thérapeutique en oncogériatrie Nutritional assessment before therapy in oncogeriatrics F. Diebold, A. Danalache Court-séjour gériatrique, Centre Hospitalier de Sedan, France. Correspondance : Frédéric Diebold, Service de Court séjour gériatrique, Centre Hospitalier de Sedan, 2 avenue du Général Margueritte, 08200 Sedan, France. Courriel : [email protected] Résumé La dénutrition est fréquente chez la personne âgée. Ses conséquences sont maintenant bien connues et son dépistage ainsi que sa prise en charge tendent à se développer. En oncogériatrie, elle est un des principaux facteurs pronostiques, tant pour la tolérance au traitement que pour la survie. Lors de l’évaluation gériatrique standardisée (EGS), l’outil le plus souvent proposé pour son dépistage est le MNA. Nous proposons, à partir des données récentes de la littérature, un bilan nutritionnel plus complet, prenant à la fois en compte les critères cliniques, biologiques, et des outils d’évaluation tel que le GNRI ou le MNA, afin d’aider au mieux les oncologues pour la décision thérapeutique, ainsi que pour adapter la prise en charge nutritionnelle. Mots clés : Dénutrition, cancer, personne âgée, facteurs pronostiques, évaluation gériatrique. Abstract Undernutrition is frequent in the elderly. The consequences are now well known. Screening as well as care tend to progress. In oncogeriatrics, undernutrition is one of the main prognostic factors for survival and response to treatment. A comprehensive geriatric assessment usually uses MNA as a screening tool for undernutrition. This review, based on recent studies, proposes a nutritional assessment portfolio including clinical parameters, biological parameters, and tools such as GNRI and MNA, in order to help oncologists adapt therapy as well as optimise nutritional intervention. Keywords: Undernutrition, cancer, elderly, prognostic factors, geriatric assessment. Introduction La dénutrition est fréquente chez la personne âgée (PA). Sa prévalence est de 5 à 10 % à domicile, 15 à 18 % en institution et peut atteindre 50 à 60 % à l’hôpital 1. Chez les patients hospitalisés pour un cancer, environ 40 % sont à risque de dénutrition quand ils ne sont pas déjà dénutris 2. Une étude a mis en évidence un état nutritionnel altéré chez 66 % des personnes âgées atteintes d’un cancer ; les critères étant un MNA < 24 et un taux d’albumine < 35 g/L 3. Elle est de manière générale associée à une augmentation de la mortalité, de la durée de l’hospitalisation, des infections nosocomiales et d’une perte de l’autonomie 1. En cancérologie, il s’agit d’un des principaux facteurs péjoratifs pour la survie 3,4. En outre, elle diminue la tolérance à la chimiothérapie, augmente le délai entre les cures, diminue le statut immunitaire et, par là-même, la résistance aux infections 5. Le statut nutritionnel est VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 un facteur prédictif de la mortalité à long terme dans les cancers du poumon, non à petites cellules, et traités par lobectomie 6. Les causes de dénutrition sont multiples, à la fois liées à la maladie cancéreuse elle-même mais aussi aux comorbidités associées (insuffisances cardiaque, respiratoire, rénale, hépatique, démences, troubles buccodentaires et de la déglutition…), ainsi qu’aux facteurs psycho-socio-environnementaux. L’évaluation gériatrique standardisée (EGS) est une partie essentielle du bilan du cancer de la PA. Elle permet de dépister les comorbidités, d’aider à la décision thérapeutique et de proposer une prise en charge gériatrique globale. Son efficacité sur la survie et la tolérance aux traitements a été démontrée dans de nombreuses études 1,5,7. Cette évaluation est multidisciplinaire mais peut être longue et délicate selon les patients. Le bilan nutritionnel est une partie importante de cette 262 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Dossier thématique Review évaluation mais est encore loin d’être standardisé (tableau 1). Les différents modèles d’EGS ne proposent souvent que le MNA pour le dépistage. Pourtant, ainsi que l’a montré une étude récente 3, il n’existe pas encore de facteur nutritionnel unique à la fois prédictif de la mortalité, de la tolérance au traitement et du risque de dépendance secondaire. C’est un ensemble de critères à la fois anthropométriques, biologiques et d’outils de dépistage qui permettent de préciser l’état nutritionnel et d’optimiser sa prise en charge tout au long du traitement. A partir des dernières données de la littérature, nous proposons un bilan nutritionnel plus complet, plus long à réaliser, mais au vu de l’importance de l’état nutritionnel sur le devenir, nous le croyons nécessaire pour une prise en charge optimale. Tableau 1 : Différents éléments du bilan nutritionnel. D’après 1,3 Valeurs seuils pour le diagnosParamètres : tic de dénutrition Clinique - Perte de poids ≥ 5 % en un mois ou ≥ 10 % en 6 mois : modérée ≥ 10 % en 1 mois ou 15 % en 6 mois : sévère - Indice de masse corporelle < 21 : modérée < 18 : sévère - Périmètre tricipital - Circonférence du mollet Biologique - Albuminémie - Transthyrétinémie Poids Critère essentiel, il doit être recueilli à l’admission. Mais plus que le poids, c’est surtout la perte de poids qui est importante et doit alerter. Si le poids antérieur n’est pas toujours connu, il est possible de prendre pour référence le poids idéal théorique obtenu à partir de la formule de Lorentz : • Homme : poids idéal = taille -100- [(taille – 150)/4] ; • Femme : poids idéal = taille - 100 - [(taille – 150)/2,5]. Une perte de poids ≥ 5 % en un mois ou ≥ 10 % en 6 mois caractérise une dénutrition modérée. Une perte de poids ≥ 10 % en 1 mois ou 15 % en 6 mois caractérise une dénutrition sévère 1. La perte de poids est fréquente chez le patient âgé atteint d’un cancer. Elle entraîne une augmentation de la mortalité et est associée à une baisse de la réponse à la chimiothérapie (traitement plus court pouvant expliquer en partie la plus faible réponse), de la qualité de vie et de la survie globale 9,10. C’est un facteur de mauvais pronostic chez les patients recevant une chimiothérapie, surtout dans les cancers digestifs et pulmonaires 1,11. Dans les cancers pulmonaires, une perte de poids supérieure à 11 % au moment du diagnostic est associée à une baisse de la survie globale 3. De préférence mesurée en position verticale, elle peut également être prédite à partir de la hauteur talon genou, par l’équation de Chumlea et al, lorsque le patient ne peut tenir debout. Elle est indispensable pour calculer l’Indice de Masse Corporelle (IMC). < 35 g/L : modérée < 30 g/L : sévère < 200 mg/L : modérée < 100 mg/L : sévère Indice de masse corporelle < 17 : dénutrition > 17 et ≤ 23,5: risque de dénutrition ≥ 24 : absence de dénutrition C’est le rapport poids/(taille)2. Il est corrélé à la masse maigre, et sa diminution est prédictive de la morbi-mortalité hospitalière. Une valeur inférieure à 21 signe une dénutrition, et une valeur inférieure à 18 une dénutrition sévère 1. Cependant, ce n’est pas un marqueur précoce de dénutrition, et il peut encore être normal quand le MNA dépistera, lui, une dénutrition. De même chez l’obèse sarcopénique, l’IMC ne dépistera pas une diminution de la masse maigre et musculaire. GNRI < 82 : risque majeur 82 ≤ GNRI ≤ 92: risque modéré Geriatric Nutritional Risk Index 92 ≤ GNRI ≤ 98 : risque faible GNRI > 98 : absence de risque Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Les paramètres cliniques sont plus pertinents que les paramètres biologiques et ont démontré un meilleur impact sur le pronostic 8. Taille - Protéine C-réactive - Leptine - Hémoglobine - IL-6 Mini Nutritional Assessment Bilan clinique 263 Périmètres et plis cutanés Dans les études, c’est principalement le pli cutané tricipital qui est proposé pour identifier la dénutrition 3. Il doit être mesuré en même temps que le plis cutané bicipital 4. VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics La circonférence du mollet est un marqueur de la masse musculaire. Elle est un reflet du handicap et est corrélée aux taux d’albumine plasmatique ainsi qu’au MNA dont elle est un des critères, et peut représenter un paramètre valide de dénutrition 12. perte de poids > 3 kg dans les 3 mois (p = 0,01). En analyse multivariée, seule l’albuminémie était proche du seuil de significativité 18. Enfin, il a été montré qu’une combinaison des taux d’albuminémie, d’interleukine6 et de CRP pouvait être prédictive de la mortalité à trois et sept ans 15. Autres Le reste du bilan doit également comprendre un examen bucco-dentaire et la recherche de troubles de la déglutition 3,13. Enfin, un bilan des ingesta est indispensable. Au cours de ce bilan la recherche de l’autonomie du patient vis à vis de son alimentation est importante à rechercher et peut s’appuyer sur l’ADL et/ou l’IADL. L’ADL (Activities of Daily Living), ou Echelle de Katz, prend en compte l’autonomie à la toilette, la continence, l’habillage, la locomotion et l’alimentation. C’est un facteur prédictif de la mortalité à un an 6. L’IADL (Instrumental Activities of Daily Living) prend, elle, en compte la capacité à utiliser le téléphone, prendre ses médicaments, utiliser un moyen de transport, gérer son argent, faire ses courses et préparer un repas. Un bon score IADL est associé à un meilleur pronostic 14. Ces deux échelles sont souvent proposées dans l’EGS pour l’évaluation du statut fonctionnel de la personne âgée Bilan biologique De nombreux paramètres ont été étudiés et mesurés, mais peu d’entre eux ont fait leur preuve comme facteur pronostique pertinent. Parmi eux, l’albuminémie et le taux d’hémoglobine sont les deux plus importants 15. Transthyrétinémie Son taux varie également en fonction de l’état inflammatoire. Sa demi-vie est plus courte et elle serait un marqueur de la dénutrition aigüe ou chronique surtout en l’absence d’inflammation. Les valeurs proposées sont < 200 mg/L en cas de dénutrition modérée et < 100 mg/L pour une dénutrition sévère 4. Protéine C-réactive C’est une des protéines de l’inflammation. Si elle n’est pas un des marqueurs de la dénutrition, elle doit être prise en compte, car corrélée à la perte de poids 9 et à la réponse à la radio chimiothérapie 4. De plus, l’albuminémie doit être analysée en regard de l’état inflammatoire. Leptinémie Le taux plasmatique de leptine est corrélé à la masse grasse. Un taux bas de leptine est un facteur de mauvais pronostic dans les cancers pulmonaires 3. Dans une étude portant sur 192 patients âgés (médiane 85 ± 7 ans), le taux de leptine était le seul facteur biologique pronostique corrélé au statut nutritionnel défini par l’IMC et le pli cutané tricipital. Les valeurs seuils étaient de 4 ng/mL pour l’homme et de 6,48 ng/mL pour la femme 3. Albuminémie S’il s’agit du marqueur nutritionnel le plus ancien et le plus utilisé, il reste très décrié comme marqueur nutritionnel pur, car très variable selon les situations, notamment inflammatoires. Sa demi-vie est de 21 jours et un taux inférieur à 35 g/L peut faire évoquer une dénutrition. C’est plus un marqueur du risque de morbi-mortalité 1. La diminution de l’albumine plasmatique entraîne une diminution des doses de chimiothérapies délivrées aux organes cibles, et augmente la toxicité. De tous les paramètres cliniques et biologiques étudiés, c’est le principal facteur pronostic d’événements infectieux, non infectieux et de mortalité dans les 30 jours suivant une intervention chirurgicale 8, et un facteur de risque indépendant de mortalité 2,12,15,16. Dans une étude portant sur 54 patients suivis pour une hémopathie (âge moyen 86 ± 6 ans), les trois facteurs prédictifs de la mortalité, en analyse univariée, étaient : albumine plasmatique < 30 g/L, échelle IADL < 3 et échelle ADL > 5. Etait également retrouvée une VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Hémoglobine L’anémie entraîne une augmentation de la fatigue (facteur de dépendance) et aggrave la toxicité des chimiothérapies par hémoconcentration 7. Elle est corrélée au déclin fonctionnel et à la mortalité 15, et le plus souvent combinée à d’autres paramètres biologiques. Cytokines Si l’interleukine-1, l’interleukine-6, le TNF-α et l’IFN-γ sont souvent citées dans les études 11, c’est sur l’interleukine6 que nous avons retrouvé le plus de données comme facteur pronostique. Cette cytokine pro-inflammatoire joue, avec l’interleukine-1 et le TNF-α, un rôle dans l’anorexie. Comme la CRP, elle est un facteur pronostique significatif pour le déclin fonctionnel 12 et la survie 9. En postopératoire, les personnes âgées avec un IMC bas ont un taux d’interleukine-6 augmenté, suivi d’une augmentation de la réaction inflammatoire et d’une aggravation de la perte de poids. A contrario, en cas de statut nutritionnel correct, la réaction immunitaire reste stable 3. Dans 264 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics une étude sur les cancers pulmonaires, le pronostic était lié à un taux élevé d’interleukine-6, un taux bas d’IFN-γ, un âge avancé et le nombre de métastases 3. Protéine vectrice du rétinol Nous avons retrouvé une étude dans laquelle a RBP ou Retinol Binding Protein est corrélée aux scores du MNA et du NRS dans le dépistage de la dénutrition 8. Cette protéine est synthétisée par le foie et de demivie très courte. Mais, dans l’état actuel, il s’agit plus d’un outil de recherche que de diagnostic courant de la dénutrition. GNRI Outils d’évaluation nutritionnelle Dossier thématique Review MNA Le Mini Nutritional Assessment a été développé par Guigoz et Vellas en 1991 pour l’évaluation du risque de dénutrition de la personne âgée. C’est l’échelle d’évaluation la plus utilisée dans la littérature 3,5,9,17-20, et une de celles recommandées par la société européenne de nutrition clinique et métabolisme (ESPEN) pour le dépistage de la dénutrition. Les scores sont : • < 17 : dénutrition ; • > 17 et ≤ 23,5 : risque de dénutrition ; • ≥ 24 : absence de dénutrition. Il est corrélé à la perte de poids et permet le dépistage de la dénutrition lorsque l’IMC et l’albumine sont encore normales 13. Dans le dépistage de la dénutrition, sa sensibilité est de 96 %, sa spécificité de 98 % et sa valeur prédictive positive de 97 % 4. Il est plus sensible que l’albuminémie dans le dépistage des personnes à risque de dénutrition et prédictif de la mortalité à trois mois (8 % pour les PA classées à risque et 33 % si dénutries) et à un an (48 % si MNA < 17, 24 % si le score est entre 17 et 23,5) 1. C’est aussi un facteur prédictif de fragilité, de morbi-mortalité et du statut fonctionnel. Il est également en rapport avec un mauvais état bucco-dentaire 13. Dans la plupart des EGS, c’est l’échelle recommandée pour le dépistage de la dénutrition, par entre autres la SIOG, dans le bilan d’évaluation du cancer de la prostate 20. Chez une série de patients âgés suivis pour un cancer, le risque de décès à six mois était de 7,4 % pour un MNA ≥ 24 et de 34 % pour un MNA ≤ 17 quel que soit le type de cancer. Dans une autre étude de 202 patients âgés de plus de 70 ans, et pour qui une chimiothérapie était proposée, un MNA < 24 était associé à une moins bonne survie et à une diminution des cycles de chimiothérapie 19. Les limites du MNA sont : une durée de remplissage qui peut être longue, l’impossibilité de renseigner certains items en cas de confusion, d’aphasie ou de Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie démence quand l’entourage n’est pas présent et que l’histoire clinique est difficile à reconstituer. Il existe une version courte : le MNA-SF. Un score ≤ 11 indique une possibilité de malnutrition et doit être alors être complété par les 12 questions restantes du MNA. Dans notre bibliographie, c’est toujours le MNA dans sa version longue qui est utilisé. Une nouvelle version du MNASF permet de prendre en compte le périmètre du mollet en cas d’impossibilité de calculer l’IMC et de se limiter à la version courte ; elle est en cours de validation 21. 265 Le Geriatric Nutritional Risk Index a été adapté à partir du NRI en utilisant le poids idéal obtenu par la formule de Lorentz 22. GNRI = [1,489 x albuminémie (g/l)] + [41,7 x poids actuel/poids idéal théorique]. Les valeurs seuil retenues sont : • GNRI < 82 : risque majeur ; • 82 ≤ GNRI ≤ 92 : risque modéré ; • 92 ≤ GNRI ≤ 98 : risque faible ; • GNRI > 98 : absence de risque. Sa valeur pronostique sur le risque de mortalité a été confirmée. Dans une enquête de prévalence du RESCLAN de Champagne-Ardenne de 2006 (données fournies par le Pr E. Bertin et en cours de publication), pour un GNRI < 82, l’OR était pour les escarres de 3,92 et pour les infections nosocomiales de 1,77 dans une population de 857 personnes âgées de plus de 70 ans. Autres La mesure de la composition corporelle est souvent évoquée dans les études, mais nous n’avons pas retrouvé de données validant son intérêt, tant comme facteur pronostique que comme facteur modulateur des traitements. Conclusion Dans les différents modèles d’EGS proposés, la dénutrition est le plus souvent dépistée à partir du seul MNA. Si son intérêt n’est plus à démontrer, le bilan nutritionnel ne peut se limiter à ce seul paramètre, mais doit prendre en compte un ensemble de critères cliniques biologique et échelles d’évaluation. Le bilan des ingesta, la perte de poids, l’IMC, la circonférence du mollet, l’état bucco-dentaire, un éventuel trouble de la déglutition, un bilan biologique comprenant l’albuminémie, la CRP, le taux d’hémoglobine, peut-être la leptine et l’interleukine-6, doivent figurer dans l’évaluation nutritionnelle, couplés au MNA et au GNRI. Ces critères semblent, aujourd’hui, les plus utiles et les plus pertinents dans la prise en charge du patient âgé cancéreux. VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Ce bilan doit être adapté à l’état général du patient, aux objectifs, au temps disponible et aux possibilités de chaque équipe. Il reste également à déterminer la Bibliographie : 1 Raynaud A, Revel-Delhom C, Alexandre D, Alix E, Ancellin R, Bouteloup C, et al. Stratégies de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique de la personne âgée. Nutr Clin Metabol 2007 ; 21 : 120-33. 2 Terret C, Zulian GB, Naiem A, Albrand G. Multidisciplinary approach to the geriatric oncology patient. J Clin Oncol 2007 ; 25 : 1876-81. 3 Blanc-Bisson C, Fonck M, Rainfray M, Soubeyran P, Bourdel-Marchasson I. Undernutrition in elderly patients with cancer : target for diagnosis and intervention. Crit Rev Oncol Hematol 2008 ; 67 : 243-54. 4 Hébuterne X, Alix E, Raynaud-Simon A, Vellas B (eds). Traité de nutrition de la personne âgée. Paris, Springer-Verlag 2009, 312 p. 5 Balducci L, Colloca G, Cesari M, Gambassi G. Assessment and treatment of elderly patients with cancer. Surg Oncol 2010 ; 19 : 117-23. 6 Pallis AG, Wedding U, Lacombe D, Soubeyran P, Wildiers H. Questionnaires and instruments for a multidimensional assessment of the older cancer patient : what clinicians need to know ? Eur J Cancer 2010 ; 46 : 1019-25. 7 Le Caer H. Non small-cell lung cancer in elderly. Which management ? Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 16S88-94. 8 Extermann M, Hurria A. Comprehensive geriatric assessment for older patients with cancer. J Clin Oncol 2007 ; 25 : 1824-31. 9 Slaviero KA, Read JA, Clarke SJ, Rivory LP. Baseline nutritional assessment in advanced cancer patients receiving palliative chemotherapy. Nutr Cancer 2003 ; 46 : 148-57. 10 Hurria A. Geriatric assessment in oncology practice. J Am Geriatr Soc 2009 ; 57 Suppl 2 : S246-9. 11 Brunello A, Sandri R, Extermann M. Multidimensional geriatric evaluation for older cancer patients as a clinical and research tool. Cancer Treat Rev 2009 ; 35 : 487-92. 12 Drescher T, Singler K, Ulrich A, Koller M, Keller U, Christ-Crain M, et al. Comparison of two malnutrition risk screening methods (MNA and NRS 2002) and their association with markers of protein malnutrition in geriatric hospitalized patients. Eur J Clin Nutr 2010 ; 64 : 887-93. VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 bonne combinaison pronostique en termes d’efficacité thérapeutique et de survie, ainsi qu’à évaluer l’intérêt de la mesure de la composition corporelle. n 13 Guigoz Y, Lauque S, Vellas BJ. Identifying the elderly at risk for malnutrition. The Mini Nutritional Assessment. Clin Geriatr Med 2002 ; 18 : 737-57. 14 Gallardo-Valverde JM, Calañas-Continente A, Baena-Delgado E, ZureraTendero L, Vázquez-Martínez C, Membrives-Obrero A, et al. Obstruction in patients with colorectal cancer increases morbidity and mortality in association with altered nutritional status. Nutr Cancer 2005 ; 53 : 169-76. 15 Extermann M, Aapro M, Bernabei R, Cohen HJ, Droz JP, Lichtman S, et al. Task Force on CGA of the International Society of Geriatric Oncology. Use of comprehensive geriatric assessment in older cancer patients : recommendations from the task force on CGA of the International Society of Geriatric Oncology (SIOG). Crit Rev Oncol Hematol 2005 ; 55 : 241-52. 16 Sullivan DH, Roberson PK, Bopp MM. Hypoalbuminemia 3 months after hospital discharge : significance for long-term survival. J Am Geriatr Soc 2005 ; 53 : 1222-6. 17 Raynaud C, Le Caer H, Borget I, Jullian H, Locher C, Chouaid C. Evaluation gériatrique et morbidité après exérèse pulmonaire pour cancer bronchique. Rev Mal Respir 2010 ; 27 : 483-8. 18 Rollot-Trad F, et al. Hémopathies et sujets âgés : expérience d’un service de court séjour gériatrique. Rev Med Int 2008 ; 29 (7) 541-49. 19 Aaldriks AA, Maartense E, le Cessie S, Giltay EJ, Verlaan HA, van der Geest LG, et al. Predictive value of geriatric assessment for patients older than 70 years, treated with chemotherapy. Crit Rev Oncol Hematol 2010, doi : 10.1016/j. critrevonc.2010.05.009 20 Droz JP, Balducci L, Bolla M, Emberton M, Fitzpatrick JM, Joniau S, et al. Background for the proposal of SIOG guidelines for the management of prostate cancer in senior adults. Crit Rev Oncol Hematol 2010 ; 73 : 68-91. 21 Kaiser MJ, Bauer JM, Ramsch C, Uter W, Guigoz Y, Cederholm T, et al. Validation of the Mini Nutritional Assessment short-form (MNA-SF) : a practical tool for identification of nutritional status. J Nutr Health Aging 2009 ; 13 : 782-8. 22 Bouillanne O, Morineau G, Dupont C, Coulombel I, Vincent JP, Nicolis I, et al. Geriatric Nutritional Risk Index : a new index for evaluating at-risk elderly medical patients. Am J Clin Nutr 2005 ; 82 : 777-83. 266 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Prise en charge de la dénutrition en oncogériatrie Management of undernutrition in oncogeriatrics L. Evesquea, b, S.M. Schneidera, b a. Pôle digestif, Service de Gastro-entérologie et Nutrition Clinique, CHU de Nice, France. b. Faculté de Médecine, Université de Nice Sophia-Antipolis, France. Correspondance : Ludovic Evesque, Service de Gastro-entérologie et Nutrition Clinique, Hôpital de l’Archet 2, 151 route de Saint-Antoine, BP 3079, 06202 Nice Cedex 3, France. Tél. : +33 (0)4 92 03 61 68, fax : +33 (0)4 92 03 92 31, courriel : [email protected] Dossier thématique Review Résumé Le dépistage systématique de la dénutrition nécessite, par la suite, de pouvoir prodiguer une prise en charge nutritionnelle adaptée aux besoins de chaque patient. Pour ce faire, une évaluation de la situation en milieu spécialisé permettra de pouvoir envisager un projet de soins personnalisé pour chaque patient. Dans tous les cas, un conseil nutritionnel semble indispensable, afin de prévenir ou de traiter une dénutrition sous-jacente. Ce conseil nutritionnel peut être associé à la prescription de compléments nutritionnels oraux en cas de difficulté pour le patient à maintenir des ingesta satisfaisants, sous réserve de la vérification régulière d’une bonne observance thérapeutique. Si ces mesures s’avèrent insuffisantes, une nutrition artificielle par voie entérale ou parentérale doit alors être envisagée. Il est cependant important de bien évaluer le rapport bénéfice/risque de ce type de prise en charge car, si elle a démontré un bénéfice clair dans certaines indications comme la situation périopératoire ou en prévention des toxicités induites par les traitements anticancéreux, elle expose également le patient à des effets secondaires spécifiques. De plus, le bénéfice en termes de qualité de vie n’est pas clairement établi, probablement en raison de difficulté méthodologique des essais dans cette situation (hétérogénéité des patients étudiés, difficultés d’ordre éthique). Au final, la prise en charge de ces patients nécessite une coordination de l’ensemble des acteurs impliqués (nutritionnistes, oncologues, gériatres, chirurgiens, diététiciennes) afin de proposer un projet personnalisé au cas par cas. Mots clés : Gériatrie, Cancer, Dénutrition, Prise en charge. Abstract Screening for undernutrition should be followed by nutritional support tailored for each patient. Dietary advice is always necessary to prevent or treat an underlying malnutrition. This nutritional counselling may be associated with the prescription of oral nutritional supplements if the patient has difficulty maintaining a satisfactory food intake, provided that proper compliance is checked on a regular basis. If these measures prove to be insufficient, artificial nutrition by enteral or parenteral administration should be considered. However, it is important to assess the risk/benefit ratio of this type of support because, although clear benefits have been demonstrated in specific indications such as the perioperative situation, or in the prevention of drug-related toxicity, it also exposes the patient to specific side effects. Moreover, benefits in terms of quality of life have not been clearly established, probably due to methodological difficulties (heterogeneity of the populations studied, ethical difficulties). In conclusion, the management of these patients requires the coordination of all professionals involved (nutritionists, oncologists, geriatricians, surgeons, dieticians) to provide an individualized project on a case-by-case basis. Keywords: Geriatrics, Cancer, Undernutrition, Management. Introduction Dans le domaine de l’oncogériatrie, la prise en charge de la dénutrition devrait permettre d’augmenter la ration énergétique des patients, et par là-même leurs paramètres nutritionnels, afin d’envisager une diminution de Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 267 la morbidité liée aux traitements ainsi qu’une meilleure qualité de vie. Toutefois, les modalités de cette prise en charge doivent être étroitement modulées en fonction du type de patient et du type de pathologie néoplasique sous-jacente. VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Objectifs Dans ses guidelines, l’European Society for Clinical Nutrition and Metabolism (ESPEN) suggère que les besoins énergétiques d’un patient cancéreux sont de 30 à 35 kcal/kg/j pour les patients valides, et de 20 à 25 kg/j pour les patients alités 1,2. Bien qu’il semble exister en situation cancéreuse une augmentation de la lipolyse 3, contrastant avec une insulinorésistance 4, aucune étude n’a évalué l’intérêt d’une composition spécifique pour les patients cancéreux L’apport protéique nécessaire est par ailleurs de 1,2 à 2 g/kg/j, et ne devrait pas être en deçà de 1 g/kg/j 5. La question du sujet âgé cancéreux n’est pas spécifiquement établie dans ces recommandations. Toutefois, elles correspondent aux besoins établis pour la population gériatrique, et peuvent par conséquent pleinement s’appliquer à ce sous groupe de patients 6. Stratégies de prise en charge La figure 1 présente la stratégie globale de traitement de la dénutrition, qui ne diffère pas chez le malade âgé et porteur de cancer des autres indications. sur le conseil nutritionnel seul, sans association à une prescription de compléments oraux 7. Toutefois, dans le domaine de la cancérologie, Ravasco et al. ont montré, dans une étude randomisée, que l’administration d’un conseil nutritionnel adapté à des patients traités par radiothérapie pour cancer colorectal était suivie d’une amélioration de la qualité de vie et de la quantité des ingesta, ainsi qu’une diminution des effets secondaires à trois mois supérieure par rapport à la prescription de compléments nutritionnels oraux seuls 8. On peut aisément concevoir l’impact positif que pourrait représenter l’usage d’un conseil nutritionnel en oncogériatrie, au sein d’une population de patients pouvant présenter des carences d’apport liées à une texture des repas inadaptée, ou à des difficultés de préparation de ceux-ci par exemple. Le bénéfice d’une intervention nutritionnelle seule sur la qualité et la quantité des ingesta au sein d’une population de 592 patients de plus de 65 ans non cancéreux n’a cependant pas pu être établi, mais il s’agissait de patients suivis en milieu hospitalier sur une courte période. L’étude multicentrique française INOGAD actuellement en cours évalue l’intérêt du conseil nutritionnel dans le domaine spécifique de l’oncogériatrie. Conseils diététiques Le conseil nutritionnel représente l’ensemble des interventions éducatives visant à entraîner une augmentation de la quantité et de la qualité des ingesta pour un patient. Il est en pratique délivré par une diététicienne. Une revue systématique a évalué l’impact du conseil nutritionnel sur les paramètres nutritionnels des patients adultes dénutris, toutes pathologies confondues. Les auteurs soulignent le faible niveau de preuve d’une stratégie basée Compléments nutritionnels oraux Les compléments nutritionnels oraux (CNO) peuvent être prescrits en cas de baisse des ingesta, afin de maintenir l’équilibre nutritionnel des patients. Leur prescription est fréquente, et devrait être réalisée au plus tôt. Toutefois, la prescription de CNO ne peut se concevoir que dans le cadre d’un suivi nutritionnel associé. Une étude réalisée en milieu gériatrique a montré la discordance parfois majeure entre la quantité de compléments Figure1 : Arbre décisionnel du soin nutritionnel (www.sfnep.org) prescrite et celle effectivement prise par le patient 9. Sur 29 patients institutionnalisés auxquels étaient prescrits des CNO, seuls neuf d’entre eux recevaient effectivement le traitement prescrit, et deux d’entre eux prenaient effectivement la totalité du traitement. Au total, la quantité effectivement prise par le patient était d’environ 55 % de la quantité prescrite. En cancérologie, Ovesen et al. ont comparé pendant cinq mois, avant et en cours de chimiothérapie, un groupe de patients recevant des CNO et des conseils diététiques VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 268 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Dossier thématique Review réguliers, à un groupe témoin sans CNO ni conseil diététique systématique 10. Les ingesta énergétiques totaux augmentaient progressivement et significativement dans le groupe avec conseil diététique, alors qu’ils diminuaient dans le groupe témoin. Le poids diminuait durant les trois premiers mois dans les deux groupes (-1,5 kg en 3 mois) puis augmentait uniquement dans le groupe CNO (+1,5 kg en 2 mois). En pratique, malheureusement, les CNO sont, faute de temps, fréquemment prescrits sans prendre en compte la dimension éducative nécessaire, ce qui explique sans doute les données discordantes concernant l’efficacité des CNO sur la prise pondérale en pathologie cancéreuse. Ainsi l’analyse des données publiées dans le domaine faite par Raynard en 2005 montrait que seuls cinq essais randomisés sur huit publiés, représentant 349 patients au total, mettaient effectivement en évidence un bénéfice à l’adjonction de CNO en termes de gain pondéral dans une population de patients cancéreux 11. Ces essais souffraient néanmoins d’une qualité méthodologique médiocre : absence de prise en compte de l’observance, durée d’étude variable, absence de conseils nutritionnels. Nutrition entérale La nutrition entérale (NE) doit être classiquement proposée en cas de troubles de déglutition ou de dysphagie haute entravant une prise alimentaire correcte, avec intégrité du tube digestif. Elle peut être réalisée par le biais d’une sonde nasogastrique ou par l’intermédiaire d’une sonde de gastrostomie en cas de nécessité de nutrition entérale prolongée (supérieure à trois semaines). Les contre-indications classiques en sont la présence de vomissements mal contrôlés, de troubles cognitifs gênant le bon déroulement de la nutrition, ou de troubles de la vigilance. Il s’agit là d’une méthode relativement contraignante. En oncogériatrie, ce mode de nutrition ne peut s’envisager qu’après avoir clairement évalué la motivation du patient et de son entourage, ainsi que sa compliance attendue. Une évaluation gériatrique préalable semble par conséquent indispensable. L’ESPEN a édité en 2006 des guidelines concernant l’utilisation de la NE en gériatrie 12. L’effet positif de la NE sur la qualité de vie des patients en gériatrie n’est pas clairement établi. Le faible nombre d’essais publiés, de même que les effets secondaires de la NE que peuvent représenter les nausées, les diarrhées, et qui sont fréquemment majorées en situation cancérologique, expliquent sans doute également cette absence de bénéfice démontré. En termes de durée de vie des patients, le bénéfice n’est, là aussi, pas clairement démontré. Une revue systématique des essais publiés évaluant la NE par gastrostomie des patients gériatriques menée par Mitchell et al. en 2000 n’a pas mis en évidence de gain Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 269 de survie par rapport aux patients contrôles 13. Un âge avancé ainsi que la présence concomitante d’un cancer évolutif représentaient les facteurs les plus péjoratifs en termes de mortalité. Toutefois la faible qualité méthodologique des cinq essais pris en compte ne permettait pas aux auteurs de conclure de façon définitive. Enfin, l’ESPEN recommande de ne pas entamer de nutrition entérale pour les patients fragiles à haut risque de mortalité. La NE a clairement démontré son intérêt dans certains sous-groupes de patients. Une étude randomisée a analysé l’impact d’une nutrition périopératoire entérale ou parentérale à l’appréciation de l’investigateur chez des patients (N = 468) devant être opérés de cancers digestifs (estomac ou côlon) et présentant une dénutrition initiale. Les patients ayant bénéficié du support nutritionnel artificiel présentaient moins de complications post opératoires (18,3 % vs 33,5 % ; p = 0,012) (6,0 vs 2,1 % ; p = 0,003) 14. Nutrition parentérale La nutrition parentérale (NP) ne doit se concevoir qu’en cas de contre-indication ou de mauvaise tolérance de la NE. Elle présente en effet un risque de complications plus élevé que la NE. Globalement, le taux d’infection sur cathéter veineux central varie selon les études de 6 % à 38 %, selon les conditions de réalisations de la nutrition parentérale 15. En revanche, il n’a pas été spécifiquement étudié dans la population gériatrique. La problématique demeure donc la même que pour la NE. Il s’agit, là aussi, d’un moyen de support nutritionnel invasif dont le rapport bénéfice/risque et les modalités doivent être clairement établis et expliqués au patient et à son entourage avant de l’initier. Il n’existe pas non plus de données rapportées dans la littérature concernant la qualité de vie des patients gériatriques sous NP. La NP a cependant montré un bénéfice en situation péri-opératoire, comme indiqué dans le paragraphe précédent 14. Au final, la place de la NP dans l’arsenal thérapeutique des patients en oncogériatrie apparaît donc modeste, bien qu’elle ne doive pas être exclue. En pratique, l’absence de support nutritionnel chez un malade aphagique, quel que soit le stade d’évolution de sa maladie, est difficile à accepter par les patients et leur entourage, et cette modalité de support est, par conséquent malgré, tout fréquemment utilisée. Immunonutrition Divers nutriments tels que l’arginine, la glutamine ou les acides gras oméga-3 ont montré, utilisés seuls ou en association, qu’ils étaient capables de moduler les paramètres nutritionnels, immunologiques, et inflammatoires des patients. Dans une méta-analyse de 2 419 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics patients hospitalisés en soins intensifs ou en post opératoire (après chirurgie carcinologique digestive pour la plupart), Heyland et al. ont mis en évidence une diminution des complications infectieuses (RR = 0,66 ; IC 95 % = 0,54-0,80) et une diminution de la durée d’hospitalisation (-3,33 jours ; IC 95 % = -5,63 à -1,02 jours). Ces effets positifs étaient plus particulièrement observés pour le sous-groupe de malades chirurgicaux et pour les solutions nutritives ayant un apport élevé en arginine 16. De même, Gianotti et al. ont démontré dans une étude prospective ayant inclus 305 malades devant être opérés d’un cancer digestif, en bon état nutritionnel (IMC moyen à 24), qu’une immunonutrition préopératoire (arginine, oméga 3) pendant 5 jours sans support nutritionnel post-opératoire, entraînait significativement moins de complications infectieuses (14 malades vs 31 malades, p < 0,02) et une durée significativement plus courte d’hospitalisation (12,2 ± 4,1 jours vs 14,0 ± 7,7 jours, p < 0,03) 17. En revanche, le bénéfice de l’immunonutrition en situation de dénutrition n’est pas établi 18. L’immunonutrition pourrait également jouer un rôle bénéfique sur la toxicité des traitements. Ainsi, il a été montré, dans un essai de phase III ayant porté sur 86 patients, que l’adjonction par voie orale de glutamine (15 g/j) diminuait de façon significative (11,9 versus 31,8 % ; p = 0,04) l’incidence des neuropathies sévères au cours du traitement par oxaliplatine (schéma Folfox 4) pour carcinome colorectal, sans altérer la réponse à la chimiothérapie 19. En termes de mortalité, il a enfin été montré qu’une supplémentation orale en n-3 chez des patients (N = 60) porteurs de cancers à un stade avancé conduisait à une amélioration de la survie à un an, de 30 % dans le groupe témoin à 60 % dans le groupe expérimental 20. Ces données concernant l’amélioration de la survie et de la toxicité demeurent toutefois trop isolées pour recommander l’usage d’une immunonutrition en dehors d’essais cliniques. A l’heure actuelle, la seule indication validée d’une immunonutrition en cancérologie demeure donc, en situation périopératoire, une chirurgie carcinologique majeure chez des patients initialement non sévèrement dénutris. De plus, il n’existe pas de données spécifiques dans le domaine de l’oncogériatrie. Conclusion La prise en charge nutritionnelle en oncogériatrie est une problématique extrêmement fréquente. Cependant, bien qu’un grand nombre de données abordent la question de la nutrition en gériatrie ou en cancérologie, il n’existe en revanche que très peu d’essais ayant évalué de front la double problématique oncogériatrique. De plus, en dehors de certaines situations bien précises comme la période périopératoire, l’interpréVOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 tation des données de la littérature dans le domaine est rendue difficile par la grande hétérogénéité des patients analysés, de leur type néoplasique, de leur durée de suivi inégale, et par les problèmes d’ordre éthique suscités par la question de la nutrition en fin de vie. Il apparaît, par conséquent, fondamental de réaliser une évaluation précise de la situation globale de chaque patient, qui doit passer par une expertise gériatrique et oncologique au cas par cas. n Bibliographie : 1 Bozzetti F, Arends J, Lundholm K, et al. ESPEN Guidelines on Parenteral Nutrition : non-surgical oncology. Clin Nutr 2009 ; 28 : 445-54. 2 Arends J, Bodoky G, Bozzetti F, et al. ESPEN Guidelines on Enteral Nutrition : Non-surgical oncology. Clin Nutr 2006 ; 25 : 245-59. 3 Korber J, Pricelius S, Heidrich M, et al. Increased lipid utilization in weight losing and weight stable cancer patients with normal body weight. Eur J Clin Nutr 1999 ; 53 : 740-5. 4 Lundholm K, Holm G, Schersten T. Insulin resistance in patients with cancer. Cancer Res 1978 ; 38 : 4665-70. 5 Nitenberg G, Raynard B. Nutritional support of the cancer patient : issues and dilemmas. Crit Rev Oncol Hematol 2000 ; 34 : 137-68. 6 Cynober L, Arnaud-Battandier F, Bonnefoy M, et al., editors. Apports nutritionnels conseillés pour la population française. Lassay les Châteaux : Tec & Doc ; 2001. 7 Baldwin C, Weekes CE. Dietary advice for illness-related malnutrition in adults. Cochrane Database Syst Rev 2008: CD002008. 8 Ravasco P, Monteiro-Grillo I, Vidal PM, et al. Dietary counseling improves patient outcomes : a prospective, randomized, controlled trial in colorectal cancer patients undergoing radiotherapy. J Clin Oncol 2005 ; 23 : 1431-8. 9 Kayser-Jones J, Schell ES, Porter C, et al. 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Dietary omega-3 polyunsaturated fatty acids plus vitamin E restore immunodeficiency and prolong survival for severely ill patients with generalized malignancy : a randomized control trial. Cancer 1998 ; 82 : 395-402. 270 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics La sarcopénie : un nouveau concept en oncologie Sarcopenia: a new concept in oncology G. Zeanandina, b, S.M. Schneidera, b, X. Hébuternea, b a. Pôle digestif, Service de Gastro-entérologie et Nutrition Clinique, CHU de Nice, France. b. Faculté de Médecine, Université de Nice Sophia-Antipolis, France. Correspondance : Gilbert Zeanandin, Service de Gastro-entérologie et Nutrition Clinique, Hôpital de l’Archet 2, 151 route de Saint-Antoine, BP 3079, 06202 Nice Cedex 3, France. Tél. : +33 (0)4 92 03 61 68, fax : +33 (0)4 92 03 59 23, courriel : [email protected] Dossier thématique Review Résumé Le cancer du sujet âgé revêt une forme particulière car les conséquences de la cachexie cancéreuse se greffent sur celles liées au déclin physiologique de la masse et de la fonction musculaires, la sarcopénie. Les deux processus se potentialisent, et les effets délétères se traduisent par une augmentation du risque de morbidité et de mortalité. Les récentes études ont fait émerger que la toxicité de nombreuses chimiothérapies était directement corrélée à la masse musculaire totale résiduelle. Celle-ci peut être estimée par coupe tomodensitométrique passant au niveau de la troisième vertèbre lombaire. Le calcul des doses des molécules anticancéreuses selon la surface corporelle semble dépassé. Dans un proche avenir, il faudra certainement intégrer la composition corporelle dans la détermination des posologies des chimiothérapies cytotoxiques, et prendre plus activement en charge la sarcopénie en parallèle de la cachexie cancéreuse. L’exercice physique contre résistance régulière et la prise en charge d’une dénutrition protéino-énergétique sont les stratégies qui ont fait leurs meilleures preuves, mais elles demandent à faire l’objet d’études dans ce domaine. Mots clés : Sarcopénie, cancer, toxicité, chimiothérapie, masse musculaire. Abstract Undernutrition in the elderly cancer patient is remarkable as it combines the consequences of cancer cachexia with those of age-related sarcopenia, namely muscle mass and function loss. Both phenomena increase morbidity and mortality. Recent studies show that the toxicity of chemotherapy is strongly linked to residual and total muscle mass. Muscle mass can be estimated by computed tomography with a lumbar vertebral landmark (L3). Dose-limiting toxicity according to body surface area seems to be unsuitable in predicting this toxicity. In the near future, the body composition will probably be included to determine the dose-limiting toxicity and the active management of sarcopenia will be necessary at the same time as cancer cachexia. Resistance training and adequate protein supplementation are currently the most effective and safe interventions available to attenuate or recover some of the loss of muscle mass and strength that accompany ageing, although their effect in this situation needs to be assessed. Keywords: Sarcopenia, cancer, toxicity, chemotherapy, muscle mass. Introduction La prévalence du cancer est croissante dans le monde et reste en très grande partie liée au vieillissement de la population mondiale. L’oncogériatrie occupe désormais une place privilégiée dans le paysage de l’oncologie médico-chirurgicale. Ces dernières années, la recherche clinique en cancérologie a été animée par un souci permanent de développer une vision intégrée de l’approche du patient cancéreux, mais aussi de repérer le plus précocement, dans la démarche diagnostique, les facteurs Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 271 cliniques et biologiques de mauvais pronostic. De nombreuses études ont clairement montré que la dénutrition protéino-énergétique était très fréquente au décours de l’évolution de tout cancer, et qu’elle associait la carence d’apports à une forme particulière appelée cachexie cancéreuse. Cette entité complexe constitue pour le patient un facteur de mauvais pronostic, et reste indépendant des caractéristiques de la tumeur initiale. Les études mécanistiques rapportent cette conséquence à une déplétion quantitative et qualitative de la masse VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics musculaire correspondant à la sarcopénie. La sarcopénie induite par la néoplasie peut alors se greffer à la sarcopénie liée à l’âge et avoir un effet global négatif sur le devenir du patient. Le diagnostic de la sarcopénie est donc une étape primordiale de la prise en charge en oncogériatrie. Les stratégies visant à limiter la sarcopénie revêtent un intérêt particulier en complément des thérapeutiques conventionnelles pour améliorer le pronostic global. Après un rappel sur la définition récente retenue par les experts pour la sarcopénie, nous aborderons successivement sa physiopathologie, ses points divergents et communs avec la cachexie cancéreuse, les causes de la déplétion du capital musculaire au décours du cancer, l’impact spécifique de la sarcopénie en oncologie, avant de conclure sur les stratégies interventionnelles thérapeutiques ou préventives dans ce domaine. Sarcopénie, une entité relativement récente en médecine mais lourde de conséquences Le vieillissement est marqué par une profonde modification de la composition corporelle avec un accroissement de la masse grasse au détriment de la masse maigre (masse des organes dont masse musculaire, masse osseuse). Cette modification commence en moyenne dès l’âge de 40 ans, ne s’accompagne pas nécessairement d’une perte de poids, et intéresse essentiellement la masse maigre et plus particulièrement la masse musculaire. En 1989, Irwin Rosenberg pose les fondements de la sarcopénie en définissant ainsi la diminution de la masse musculaire squelettique liée à l’âge 1. La prévalence de la sarcopénie est variable dans les études, du fait de critères diagnostiques et techniques d’évaluation différents. Classiquement, le diagnostic de sarcopénie répond au critère d’une masse musculaire inférieure à la moyenne moins deux écarts types des valeurs de ceux d’individus âgés de 40 ans. Dans une cohorte américaine de 4 449 sujets de plus de 60 ans, Janssen et al. ont relevé une sarcopénie modérée chez 35 % des personnes âgées et sévère chez 10 % d’entre eux 2. En France, Vellas et son équipe ont décrit, sur une cohorte de femmes de plus de 75 ans, une prévalence de la sarcopénie de 9,4 % 3. Le concept de sarcopénie a longtemps souffert d’une définition uniquement quantitative avec pour support la seule diminution de la masse musculaire. En 2008, Clark l’a complétée en intégrant les notions de perte de la force musculaire aboutissant à une perte de la fonction musculaire, la dynapénie 4. Un groupe d’experts européens a récemment proposé une définition consensuelle de la sarcopénie. La diminution de la masse musculaire n’est plus le primum movens (présarcopénie), mais accompagne soit une diminution de VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 la force soit une diminution de la performance 5. La sarcopénie est dite sévère dès lors où ces trois paramètres sont réunis. Le déclin de la force et des performances fonctionnelles musculaires sont les facteurs les plus péjoratifs car ils sont directement responsables de l’aggravation de la morbidité du patient. L’intérêt suscité par la sarcopénie est issu du lien étroit entre perte de la masse musculaire et diminution de la force musculaire d’une part, entre perte de la masse musculaire et diminution des performances fonctionnelles d’autre part. Rapportée naguère comme une entité exclusive au sujet âgé, la sarcopénie peut s’observer dans de nombreuses situations cliniques où existe une perte de masse musculaire, dont la cachexie. Il en est ainsi des pathologies cancéreuses qui peuvent induire, à un certain moment de leur évolution, une perte préférentielle de masse musculaire et s’additionner aux conséquences délétères du processus physiologique de la sarcopénie liée à l’âge 6. Etiopathogénie de la sarcopénie, de la dénutrition protéino-énergétique et de la cachexie : points de convergence et de divergence Sarcopénie, dénutrition protéino-énergétique et cachexie sont des états dynamiques et ont pour socle commun la perte de la masse musculaire 7. Les processus de sarcopénie et de dénutrition protéino-énergétique peuvent survenir en condition physiologique en dehors de toute agression métabolique. Toutefois, la perte de masse musculaire découle le plus souvent d’une condition pathologique : maladie chronique évolutive, dénutrition protéino-énergétique suite à une agression aigüe ou chronique, cachexie dans la cadre du cancer ou d’une insuffisance d’organe. La sarcopénie résulte de la conjoncture de plusieurs mécanismes aussi différents que l’inactivité, la dégénérescence des motoneurones innervant les fibres musculaires, l’inflammation secondaire au vieillissement, la diminution des hormones anabolisantes circulantes, la prédisposition génétique, et surtout une protéosynthèse musculaire insuffisante en regard de la protéolyse physiologique 8. La diminution de la protéosynthèse musculaire sans franche altération de la protéolyse est d’ailleurs la caractéristique la plus importante de la sarcopénie et la distingue de la cachexie où il existe un hypercatabolisme avec protéolyse accrue associée à une protéosynthèse en déclin et à une lipolyse accrue 7,9. Un statut plasmatique en cytokines pro-inflammatoires exacerbé, la déplétion en hormones anabolisantes, l’inadéquation des ingesta aux besoins, une insulinorésistance périphérique d’origine inflammatoire sont des mécanismes décrits autant dans la sarcopénie que dans la cachexie. La physiopa272 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics thologie très proche de ces deux entités explique aussi leurs conséquences communes sur la diminution de la force et des performances musculaires ainsi que leur caractère péjoratif sur la morbidité comme la mortalité de l’individu. Dossier thématique Review Mécanismes spécifiques de la perte de la masse musculaire dans le cancer L’évolution de tout cancer est marquée, à des degrés différents, par une perte de masse musculaire. Chez la personne âgée, ce tableau revêt une importance particulière car cette perte pathologique vient se greffer à la perte physiologique du capital musculaire, et les effets délétères de l’un et de l’autre se potentialisent. Les deux principales causes de déclin musculaire du sujet âgé cancéreux sont, d’une part la perte de l’appétit avec diminution des ingesta protéiques et énergétiques, d’autre part les dommages liés à l’inflammation secondaire à la fois au vieillissement et à la tumeur. L’anorexie du sujet âgé atteint d’un cancer est multifactorielle. La tumeur elle-même, via l’activation de la sécrétion de peptides anorexigènes (mélanocortine hypothalamique) et la synthèse accrue de cytokines pro-inflammatoires (tumor necrosing factor de type α), réprime les circuits centraux de promotion de l’appétit 10. Les molécules anticancéreuses sont sources de nombreux effets secondaires digestifs tels nausées, mucite, diarrhée. Le vieillissement s’accompagne physiologiquement d’une perte de l’appétit 11. D’autres facteurs comme la dépression ou une plus grande dépendance pour s’alimenter y participent aussi. Durant le cancer, l’inflammation est le plus souvent à un stade infraclinique et elle est sous tendue par une élévation des cytokines pro-inflammatoires 12. Elle induit des dommages métaboliques majeurs qui vont s’accentuer dans le temps : exacerbation de la protéolyse au détriment de la protéosynthèse musculaire, insulinorésistance musculaire avec une perte du signal anabolique des nutriments, lipolyse. La baisse de la synthèse des hormones anabolisantes au profit de protéines inflammatoires, la diminution de l’activité physique, la prévalence croissante des maladies chroniques sont d’autres facteurs qui contribuent à la déplétion musculaire du patient cancéreux âgé. Impact de la sarcopénie sur le pronostic du patient et ses conséquences spécifiques en oncologie La principale répercussion de la sarcopénie est liée à ses conséquences sur les performances fonctionnelles musculaires aboutissant à ce qui a été défini par Linda Fried comme le syndrome de fragilité incluant faiblesse Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 273 musculaire, lenteur à la marche, inactivité physique, appréciation subjective de fatigue et une perte de poids récente 13. Le syndrome de fragilité est corrélé à un très mauvais pronostic morbide du patient en majorant le risque de chutes, de fractures, de dépendance, et en précipitant l’entrée dans une institution ou en induisant des hospitalisations récurrentes. Il aggrave aussi la probabilité de mortalité. Les conséquences du syndrome de fragilité sont liées à une diminution des réserves physiologiques exposant le patient aux nombreux événements péjoratifs lorsqu’il est confronté à un stress quelconque. Toute agression aigüe ou chronique induit un hypercatabolisme qui devient délétère en cas de réserves protéiques entamées. D’ailleurs, cette dernière situation correspond à celle observée lors d’une néoplasie évolutive et plus particulièrement chez le sujet âgé. Chez le patient cancéreux, la déplétion quantitative et qualitative de la masse musculaire a fait l’objet d’études récentes et il a été mis en évidence que ce facteur était associé à une diminution des performances physiques, à une toxicité plus élevée induite par la chimiothérapie, et enfin à une baisse de la survie sans progression. Dans une étude prospective menée chez 55 patientes traitées par capécitabine pour cancer du sein métastasé, Prado et al. ont évalué l’influence de la masse musculaire sur la toxicité liée à la chimiothérapie après un cycle de traitement, ainsi que la survie sans récidive 14. La surface musculaire a été estimée par coupes tomodensitométriques passant par la troisième vertèbre lombaire (figure 1). Le diagnostic de sarcopénie a été ainsi retenu chez un quart des patientes comparativement à des valeurs seuils précédemment validées. Cette prévalence était identique autant chez les patientes à indice de masse corporelle bas qu’élevé (surpoids ou obésité). Une toxicité induite par la chimiothérapie a été observée chez la moitié des sarcopéniques contre seulement un quart chez les non sarcopéniques avec une différence statistique significative (p = 0,03). Par ailleurs, le délai sans récidive était significativement plus court chez les sarcopéniques comparativement aux non sarcopéniques (101,4 jours contre 173,3 jours, IC95 % = [59,3-142,9] vs [126,1220,5], p < 0,05). Cette même équipe avait constaté des résultats similaires sur une étude précédente conduite chez 62 patients porteurs d’un cancer colorectal réséqué avec nécessité d’une chimiothérapie adjuvante (5 FluoroUracile = 5 FU) 15. La toxicité avait été évaluée après le premier cycle de traitement et elle était significativement liée à la masse musculaire résiduelle. D’ailleurs, quand la dose totale de 5 FU administrée (425/m²) était rapportée à la masse maigre, les posologies variaient du simple au double (12 à 23 mg/kg de masse maigre) sans différence entre les sexes, et il VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Figure 1 : Coupe acquise par tomodensitométrie passant par la troisième vertèbre lombaire L’utilisation d’un logiciel (Slice-O-Matic software V4.3 ; Tomovision, Montreal, Quebec, Canada) va permettre, en fonction des unités Hounsfield, de mesurer la surface occupée par la masse musculaire (en rouge), celle occupée par le tissu adipeux viscéral (en jaune) et celle occupée par le tissu adipeux sous-cutané (en bleu). Ces surfaces sont linéairement corrélées à la masse musculaire ainsi qu’au tissu adipeux de l’ensemble de l’organisme. D’après 17 était noté une toxicité plus élevée au dessus d’un seuil de 20 mg de 5 FU/kg de masse maigre. Outre l’effet seuil, il ressortait un effet sexe avec une toxicité significativement plus fréquente chez les femmes. Cette différence semblait être expliquée par une proportion plus importante d’individus de sexe féminin au dessus du seuil toxique de 20 mg de 5 FU/kg de masse maigre comparativement au sexe masculin. Il avait préalablement été décrit que les obèses sarcopéniques étaient ceux qui avaient le plus mauvais pronostic au sein d’une cohorte de patients atteints de cancers solides du tractus digestif ou respiratoire 16. Ce sousgroupe de patients présentait une altération significative des performances physiques (p = 0,009) et un taux de survie quatre fois moindre par rapport aux sujets sans obésité sarcopénique (hazard ratio = 4,2 ; IC95 % = 2,4 – 7,2, p < 0,0001). Très récemment, Antoun et al. ont mené chez des patients traités pour cancer du rein une étude sur le même design que celle de Prado 17. Ils ont montré que le sous-groupe de patients avec un indice de masse corporelle normal ou bas et une masse musculaire diminuée avait un risque plus élevé de toxicité chimio-induite, et nécessitait des ajustements de dose comparativement aux individus avec une masse musculaire conservée (7/15 vs 5/40, p = 0,035). Il est connu depuis longtemps que la tolérance à la chimiothérapie est fortement conditionnée VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 par l’existence d’une dénutrition 18. Toutefois, la relation entre masse maigre et toxicité est une notion très récente dans le domaine de l’oncologie et avait été très peu décrite. Aslani et al. se sont intéressés chez 31 patients à la toxicité hématologique du cyclophosphamide, du méthotrexate et du 5 FU, dont les doses avaient été calculées selon la surface corporelle totale 19. Ils avaient relevé, en analyse multivariée, un risque relatif de neutropénie 28 fois plus important en cas de masse maigre inférieure à 89 % de celle considérée pour l’âge et le sexe. Même si toutes ces études concordent pour montrer que la masse musculaire est un indice pronostique majeur, l’appréciation de la fonction musculaire reste certainement l’élément essentiel. Gale et al. ont répertorié 800 patients autonomes, de plus de 65 ans, qu’ils ont suivi sur une durée de 27 ans 20. Au début de l’étude, chaque patient avait bénéficié d’une évaluation de la performance musculaire par test contre-résistance (hand grip test). Le taux de mortalité, toutes causes confondues, était significativement plus élevé chez les personnes présentant une altération de la performance fonctionnelle musculaire. La même observation était faite pour le taux de mortalité par cancer, mais seuls les hommes maintenaient cette tendance en analyse multivariée, et il ne semblait pas exister de lien significatif entre circonférence musculaire brachiale inférieure abaissée et taux de mortalité. Stratégies préventives et thérapeutiques de la sarcopénie dans le cadre du cancer Au vu de ce qui vient d’être évoqué, la prévention de la sarcopénie dans le cancer a pour but de prévenir la sarcopénie primaire liée à l’âge, et la sarcopénie secondaire induite par la tumeur et des traitements associés. La dernière ne peut se concevoir qu’au prix d’une mise en rémission prolongée ou définitive de la maladie. De ce fait, les moyens d’intervention se limitent à la seule sarcopénie primaire. La sarcopénie est inévitable lors du vieillissement et conduit inexorablement à une diminution de la masse et de la force musculaire. A défaut d’une prévention efficace, la limitation du déclin musculaire et le retardement de l’entrée dans une sarcopénie symptomatique sont les deux pistes préventives possibles. Les différentes stratégies interventionnelles ont pour objectif de remédier aux différents mécanismes de dysrégulation dans la sarcopénie, préalablement évoqués. A ce jour, la pratique régulière d’une activité physique contre résistance est la stratégie la plus efficace, avec une rapide amélioration des performances physiques, en l’absence même de gain significatif de masse musculaire 21. L’Association américaine de cardiologie conseille une pratique régulière, au moins 274 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Dossier thématique Review deux fois par semaine, d’un exercice physique de résistance sollicitant au moins 2/3 des muscles appendiculaires et axiaux. Ce type d’exercice stimule la protéosynthèse musculaire, augmente le recrutement des unités motrices, diminue l’insulinorésistance périphérique, exerce un effet anti-inflammatoire s’opposant aux effets délétères des cytokines pro-inflammatoires, diminue la fatigue et stimule l’appétit. La prise en charge parallèle d’une dénutrition protéinoénergétique est indispensable pour corriger les carences en protéines et substrats énergétiques mais également tous les déficits en micronutriments anti-oxydants 22. Dans ce cadre, la supplémentation en acides aminés a éveillé un grand intérêt et particulièrement la supplémentation en leucine. Cet acide aminé essentiel ramifié, en dehors d’être le plus abondant dans les muscles, se comporte comme un véritable nutriment signal. Il active la protéosynthèse musculaire in vitro mais aussi in vivo, chez l’animal comme chez l’homme, via des voies de signalisation cellulaire indépendantes de l’insuline et impliquant un complexe protéique – le complexe mTOR (mammalian target of rapamycin) – dont le rôle majeur dans la régulation de la synthèse protéique et la différenciation de la cellule est actuellement clairement établi. Le vieillissement est caractérisé par une perte de réponse de cette voie aux nutriments avec une protéosynthèse musculaire suboptimale même si les apports protéiques sont suffisants. Toutefois, la leucine est le seul acide aminé à restaurer l’activation de cette voie quand elle est administrée en bolus lors des repas. Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 275 La correction ou la supplémentation en différentes hormones anabolisantes déficitaires n’ont pas fait leur preuve et les résultats restent décevants. D’autres pistes sont en cours d’élaboration et de validation (vitamine D, myostatine) et constitueront certainement des perspectives prometteuses dans un avenir proche. Conclusions Le dépistage et le diagnostic de la déplétion musculaire sont indispensables en début de toute prise en charge en oncologie et plus particulièrement en oncogériatrie, au vu du pronostic extrêmement péjoratif de la sarcopénie en termes de morbidité et de mortalité. Les quelques études qui se sont intéressées au sujet montrent que la toxicité de certaines chimiothérapies est directement corrélée à la masse musculaire, et que le calcul des doses limitantes selon la surface corporelle totale n’est pas le plus pertinent. Plus que la simple réduction de la masse musculaire, il semblerait que le facteur pronostique le plus important soit la performance fonctionnelle musculaire. Toutes ces données sont en faveur, dans un proche avenir, de l’intégration de la composition corporelle dans la détermination des posologies des chimiothérapies cytotoxiques. Les pistes thérapeutiques dans le domaine de la sarcopénie restent très limitées à ce jour, et la meilleure prévention gravite autour de la pratique régulière d’un exercice physique d’endurance et de la prise en charge d’une dénutrition protéino-énergétique. Ceci reste, bien sûr, à être démontré. n VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Bibliographie : 1 Rosenberg I. Summary comments : epidemiological and methodological problems in determining nutritional status of older persons. Am J Clin Nutr 1989 ; 50 : 1231-3. 2 Janssen I, Baumgartner RN, Ross R, Rosenberg IH, Roubenoff R. Skeletal muscle cutpoints associated with elevated physical disability risk in older men and women. Am J Epidemiol 2004 ; 159 : 413-21. 3 Rolland Y, Lauwers-Cances V, Cournot M, Nourhashemi F, Reynish W, Riviere D, et al. Sarcopenia, calf circumference, and physical function of elderly women : a cross-sectional study. J Am Geriatr Soc 2003 ; 51 : 1120-4. 4 Clark BC, Manini TM. Sarcopenia ≠ dynapenia. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2008 ; 63 : 829-34. 5 Cruz-Jentoft AJ, Baeyens JP, Bauer JM, Boirie Y, Cederholm T, Landi F, et al. European Working Group on Sarcopenia in Older People. Sarcopenia : European consensus on definition and diagnosis : Report of the European Working Group on Sarcopenia in Older People. Age Ageing 2010 ; 39 : 412-23. 6 Buford TW, Anton SD, Judge AR, Marzetti E, Wohlgemuth SE, Carter CS, et al. Models of accelerated sarcopenia : critical pieces for solving the puzzle of agerelated muscle atrophy. Ageing Res Rev 2010 ; 9 : 369-83. 7 Thomas DR. Loss of skeletal muscle mass in aging : examining the relationship of starvation, sarcopenia and cachexia. Clin Nutr 2007 ; 26 : 389-99. 8 Janssen I. Evolution of sarcopenia research. Appl Physiol Nutr Metab 2010 ; 35 : 707-12. 9 Argilés JM, Busquets S, Felipe A, López-Soriano FJ. Muscle wasting in cancer and ageing : cachexia versus sarcopenia. Adv Gerontol 2006 ; 18 h 39-54. 10 Laviano A, Meguid MM, Rossi-Fanelli F. Cancer anorexia : clinical implications, pathogenesis, and therapeutic strategies. Lancet Oncol 2003 ; 4 : 686-94. 11 Drewnowski A, Shultz JM. Impact of aging on eating behaviors, food choices, nutrition, and health status. J Nutr Health Aging 2001 ; 5 : 75-9. 12 Tisdale MJ. Cancer cachexia. Curr Opin Gastroenterol 2010 ; 26 : 146-51. 13 Fried LP, Tangen CM, Walston J, Newman AB, Hirsch C, Gottdiener J, et al. VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Frailty in older adults : evidence for a phenotype. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2001 ; 56 : M146-56. 14 Prado CM, Baracos VE, McCargar LJ, Reiman T, Mourtzakis M, Tonkin K, et al. Sarcopenia as a determinant of chemotherapy toxicity and time to tumor progression in metastatic breast cancer patients receiving capecitabine treatment. Clin Cancer Res 2009 ; 15 : 2920-6. 15 Prado CM, Baracos VE, McCargar LJ, Mourtzakis M, Mulder KE, Reiman T, et al. Body composition as an independent determinant of 5-fluorouracil-based chemotherapy toxicity. Clin Cancer Res 2007 ; 13 : 3264-8. 16 Prado CM, Lieffers JR, McCargar LJ, Reiman T, Sawyer MB, Martin L, et al. Prevalence and clinical implications of sarcopenic obesity in patients with solid tumours of the respiratory and gastrointestinal tracts : a population-based study. Lancet Oncol 2008 ; 9 : 629-35. 17 Antoun S, Baracos VE, Birdsell L, Escudier B, Sawyer MB. Low body mass index and sarcopenia associated with dose-limiting toxicity of sorafenib in patients with renal cell carcinoma. Ann Oncol 2010 ; 21 : 1594-8. 18 Andreyev HJ, Norman AR, Oates J, Cunningham D. Why do patients with weight loss have a worse outcome when undergoing chemotherapy for gastrointestinal malignancies ? Eur J Cancer 1998 ; 34 : 503-9. 19 Aslani A, Smith RC, Allen BJ, Pavlakis N, Levi JA. The predictive value of body protein for chemotherapy induced toxicity. Cancer 2000 ; 88 : 796-803. 20 Gale CR, Martyn CN, Cooper C, Sayer AA. Grip strength, body composition, and mortality. Int J Epidemiol 2007 ; 36 : 228-35. 21 Jones TE, Stephenson KW, King JG, Knight KR, Marshall TL, Scott WB. Sarcopenia-mechanisms and treatments. J Geriatr Phys Ther 2009 ; 32 : 39-45. 22 Morley JE, Argiles JM, Evans WJ, Bhasin S, Cella D, Deutz NE, et al. Nutritional recommendations for the management of sarcopenia. J Am Med Dir Assoc 2010 ; 11 : 391-6. 23 Balage M, Dardevet D. Long-term effects of leucine supplementation on body composition. Curr Opin Clin Nutr Metab Care 2010 ; 13 : 265-70. 276 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Dossier thématique Review Dossier thématique Review Nutrition en oncogériatrie • Nutrition in oncogeriatrics Kaposi’s sarcoma and the elderly subject A.-L. Couderca, D. Giaccherob, I. Beredera, R. Boulahssassa, O. Guérina a. Pôle de Gérontologie, CHU Nice, Hôpital de Cimiez, 4 avenue Reine Victoria, 06000 Nice, France. b. Service de Dermatologie, CHU Nice, Hôpital de l’Archet 2, 151 route de St Antoine de Ginestière, 06200 Nice, France. Résumé L’histoire clinique d’un patient âgé de 89 ans ayant peu de comorbidités et sans perte d’autonomie, atteint d’un Sarcome de Kaposi (SK) de forme classique ou méditerranéen nous rappelle qu’il s’agit d’une pathologie assez fréquente du sujet âgé dans les régions méditerranéennes. Ce patient a été traité par plusieurs types de chimiothérapies et de la radiothérapie suite à de nombreuses rechutes de la pathologie, et a finalement présenté peu d’effets secondaires après les différentes chimiothérapies. La robustesse de certains patients âgés, voire très âgés, montre bien que l’âge n’est pas un critère de fragilité en oncogériatrie. Mots clés : Maladie de Kaposi, grand âge, polychimiothérapie. Abstract The clinical history of an 89-year old, autonomous patient with few co-morbidities, suffering from classic (Mediterranean) Karposi’s sarcoma reminds us that this is a fairly common disease in the elderly subject in the Mediterranean regions. This patient was treated with several types of chemotherapy and radiotherapy following a great many recurrences of the disease. He presented few adverse effects after the different chemotherapies. The hardiness of certain elderly or even very old patients proves that age is not a criterion of fragility in oncogeriatrics. Keywords: Kaposi’s sarcoma, elderly patient, polychemotherapy. Cas Clinique réduite de 25 %) est réalisée fin 2008, en l’absence de contre-indications devant l’apparition de nouvelles lésions de Kaposi aux membres inférieurs, et a permis une nette amélioration clinique dans les suites. Etant donné la réapparition de nodules violacés de Kaposi sur les membres inférieurs droit et gauche en 2010, il est décidé en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) de reprendre un traitement par Doxorubicine Liposomale Pégylée après un avis oncogériatrique et un bilan préthérapeutique. Le patient avait comme antécédents des troubles visuels, suite à un traumatisme de l’œil gauche dans l’enfance, un diabète de type 2, une hypertrophie bénigne de la prostate et un tabagisme ancien à 15 Paquets Années (PA). Son traitement comportait Glimépiride 2 mg/j, Alfuzosine LP 10 mg/j, Naftidrofuryl 200 mg 2/j et Ranélate de strontium 1/j. Au niveau social, il vivait seul et n’avait pas d’enfant ; mais une aide-ménagère intervenait 6 heures par semaine à son domicile. Il ne présentait pas de perte d’autonomie : les activités de la vie quotidienne (ADL) et les activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL) n’étaient pas altérées. Il présentait par ailleurs des troubles de la marche secondairement à l’amputation de Mr T. âgé de 89 ans, d’origine corse, est adressé en consultation d’oncogériatrie, avant décision d’un traitement anti-cancéreux de type chimiothérapie, pour un sarcome de Kaposi méditerranéen ou classique localisé aux membres inférieurs. Le patient est suivi dans le service de dermatologie pour un sarcome de Kaposi évoluant depuis 1997 sans association au virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Il a déjà eu plusieurs traitements pour cette pathologie dont 10 cures de Vinblastine en 2003 qui se sont compliquées d’une neuropathie périphérique, et 13 séances de radiothérapie sur les lésions cutanées de l’avant-pied droit compliquées de radiodermite. Devant la récidive des nodules de Kaposi en 2006, un nouveau traitement est instauré par 24 cures de Bléomycine (dose cumulée à 300 mg). En 2007, le patient a présenté une ostéite de l’avant-pied droit compliquant la radiodermite tout d’abord traitée par antibiothérapie puis, devant l’insuffisance de réponse au traitement médical et aux soins locaux, il est décidé de réaliser une amputation transmétatarsienne de l’avant-pied droit en 2008. Une nouvelle chimiothérapie de 6 cures de Doxorubicine Liposomale Pégylée (dose Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 277 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Cas clinique Clinical case study Sarcome de Kaposi et sujet âgé : à propos d’un cas Cas clinique Clinical case study Sarcome de Kaposi et sujet âgé : à propos d’un cas • Kaposi’s sarcoma and the elderly subject Discussion l’avant-pied droit, et le Get up and Go test était donc pathologique. Le patient ne présentait pas de perte d’appétit, pas de perte de poids et le Mini Nutritional Assessment (MNA) ne montrait pas de risque de dénutrition. Il existait tout de même au bilan biologique une carence en vitamine B9 à 5,1 ng/ml qui nécessitait une supplémentation mais pas d’autres carences vitaminiques associées. Un bref bilan cognitif montrait un Mini Mental State Examination (MMSE) à 29/30 et un test de l’Horloge à 7/7. Le patient ne présentait par ailleurs aucun trouble neurologique à l’examen clinique. Aucun trouble de type dépressif n’existait également chez ce patient, que ce soit lors de l’entretien ou lors de la réalisation du Geriatric Depression Scale (GDS). A l’examen dermatologique, on retrouvait au niveau des membres inférieurs, des nodules violacés prédominant sur la face interne de la jambe droite et du creux poplité droit, ainsi que des nodules de la jambe gauche (cf. photos 1 et 2). Le moignon d’amputation et la face dorsale du pied droit présentaient une lésion nodulaire ulcérée. La Maladie de Kaposi (MK) est associée à l’infection par l’herpès virus 8 (HHV-8) sous quatre formes épidémiologiques 1 : classique, endémique, post-transplant et épidémique (ou associée au VIH). La forme classique ou méditerranéenne, qui est la forme ayant atteint notre patient, est présente de façon sporadique chez des patients du pourtour méditerranéen (surtout en Italie, en Grèce) 2 et d’Europe de l’Est 3. Une origine ethnique est probablement en cause dans cette pathologie 4. Cette maladie atteint principalement les hommes âgés (5 à 15 hommes pour une femme au-delà de 60 ans). La MK, sous sa forme classique, survient surtout sous forme cutanée et atteint principalement les membres inférieurs, comme cela est le cas dans notre observation. La deuxième forme est la forme endémique, qui est fréquente en Afrique de l’Est et Centrale, où elle représente de 1 à 10 % des cancers diagnostiqués dans ces régions 1. Elle survient principalement chez les hommes à partir de 40 ans et est beaucoup plus agressive que la forme classique avec souvent des nodules disséminés, des lésions infiltrantes parfois viscérales et des atteintes ganglionnaires. La troisième forme de MK est la forme dite post-transplant, rencontrée chez les patients greffés, en particulier du rein, recevant un traitement immunosuppresseur de longue durée. La dernière forme est dite épidémique car liée à l’épidémie de l’infection par le VIH dont elle constituait autrefois le mode d’entrée vers le stade SIDA. Cette forme épidémique représentait une des maladies opportunistes les plus fréquentes et était le premier cancer chez les patients infectés par le VIH au stade SIDA. Elle est en net recul épidémiologique depuis l’avènement de la trithérapie. Il s’agit souvent de formes disséminées avec des lésions multifocales et une atteinte viscérale 1. La MK classique dont est atteint notre patient réalise un tableau typique de MK limitée à la peau, avec des lésions multiples à type de papulo-nodules rouge sombre prédominant aux membres inférieurs. Initialement superficielles, elles s’épaississent en plaques ou tuméfactions, en nodules bruns ou violacés, de tailles variables, kératosiques ou ulcérés. A un stade avancé, un oedème des membres inférieurs, dur et scléreux s’associe aux placards infiltrés et aux nodules 3,5. Les autres atteintes de type viscérales sont rares 3, de l’ordre de 10 % des patients atteints de la forme classique 6. Le plus souvent, les lésions évoluent lentement et l’état général est conservé pendant de longues années, mais certaines études ont montré que dans la forme classique de MK il existait une augmentation du risque de certaines néoplasies type lymphomes malins non hodgkiniens ou mélanomes 7. Le traitement de la forme classique de MK consiste le plus souvent en une simple surveillance lorsque le patient est immunocompétent et asymptomatique. La mortalité est relativement faible dans Photos 1 et 2 : Nodules violacés de Kaposi chez Mr T. Le bilan biologique montrait un ionogramme et un bilan hépatique normaux, une clairance de la créatinine en MDRD à 100 ml/min et une hémoglobine à 7,1 mmol/l. Les examens paracliniques à la recherche d’une extension de la maladie de Kaposi se sont révélés négatifs : une radiographie thoracique normale et une échographie abdominale ne montrant pas d’anomalie hépatique. Une échographie cardiaque transthoracique a été également réalisée en bilan préthérapeutique et montrait une hypertrophie concentrique du ventricule gauche, une fraction d’éjection à 58 %, une insuffisance tricuspide et pas d’hypertension artérielle pulmonaire. Au vu de l’évaluation oncogériatrique, le patient était de type fragile mais ne présentait pas de contre-indications à la chimiothérapie. Selon la classification de Balducci, ce patient est de type Balducci III (soins de confort) mais notre expertise clinique gériatrique nous a plutôt orientés vers un Balducci II, avec des réserves fonctionnelles diminuées. Un traitement par Doxorubicine Liposomale Pégylée a donc été instauré et est actuellement poursuivi. VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 278 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie chance en terme de survie mais également de qualité de vie. Nous touchons là également les limites de la classification de Balducci pour ces patients très âgés qui sont en général de fait classés Balducci III, alors qu’une expertise clinique approfondie montre chez certains de ces patients une chance raisonnable de traitement. cette pathologie comme le montre l’étude de Brenner et al 8 où 4 % des patients sur 123 patients atteints de MK étaient décédés des suites de cette pathologie. Lorsque la pathologie est plus évoluée, la radiothérapie obtient des rémissions fréquentes et souvent prolongées 8. Dans les formes plus étendues une chimiothérapie est plus appropriée. Des réponses ont été obtenues sous Vinblastine, Bléomycine, Doxorubicine et Dacarbazine seules ou en association 6. Les anthracyclines liposomales type Doxorubicine Liposomale Pégylée montrent actuellement des résultats encourageants 3. Des traitements locaux comme des injections d’interféron alpha dans la lésion peuvent être une alternative aux traitements systémiques. Notre patient a eu plusieurs types de chimiothérapies suite à une extension importante des lésions de MK. Il a tout d’abord eu, lors de la découverte de la pathologie, un traitement par Vinblastine et de la radiothérapie, puis trois ans après la rémission, un traitement par Bléomycine a dû être instauré. Devant une nouvelle apparition de lésions cutanées au bout de deux ans, une chimiothérapie de type anthracycline liposomale a été réalisée et a permis une rémission pendant deux ans. Une nouvelle cure d’anthracycline liposomale a été proposée au patient devant une rechute de la MK qui, pour l’instant, se déroule sans effets secondaires. La particularité de ce cas clinique est la bonne tolérance aux différentes chimiothérapies de ce patient pourtant très âgé. Seule une neuropathie périphérique sous Vinblastine avait motivé une interruption ; les autres types de chimiothérapie n’ont pas altéré son autonomie ou fait décompenser ses comorbidités. Ainsi cette robustesse de certains patients âgés, voire très âgés, face aux différents cycles de chimiothérapie nous montre une fois encore que le critère d’âge seul, ne doit pas contre indiquer un traitement efficace qui améliore la qualité de vie. Des études concernant les facteurs influençant la longévité et la robustesse chez les patients âgés et très âgés 9-11 indiquent que la perte d’autonomie pour les actes de la vie quotidienne ou les troubles cognitifs sont les critères déterminants de fragilité et de mortalité notamment chez les très âgés. Un sujet âgé et très âgé (>85 ans) devrait donc bénéficier systématiquement d’une évaluation gérontologique standardisée avant d’instaurer ou de contre indiquer une thérapeutique anti-cancéreuse, car si sur-traiter certains patients fragiles peut être très délétère, soustraiter des patients robustes est une véritable perte de Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Conclusion La MK sous sa forme classique atteint donc de préférence les patients originaires du pourtour méditerranéen ou d’Europe de l’Est, de sexe masculin âgé de plus de 60 ans. C’est une forme cutanée qui touche habituellement les membres inférieurs et a une évolution relativement lente. Dans notre cas clinique, l’évolution a été marquée par plusieurs périodes de rémissions et de rechutes dont les traitements ont été de la radiothérapie et plusieurs types de chimiothérapies incluant les anthracyclines liposomales. Ce patient pourtant très âgé a finalement présenté peu d’effets secondaires après les différents cycles de chimiothérapie mais a présenté une complication non négligeable de la radiothérapie. Ce cas illustre la robustesse de certains patients très âgés aux effets indésirables médicamenteux, et notamment aux effets secondaires post-chimiothérapies. n Bibliographie : 1 Plancoulaine S, Gessain A. Aspects épidémiologiques de l’herpèsvirus humain 8 (HHV8) et du sarcome de Kaposi. Médecine et maladies infectieuses 2005 ; 35 : 314-21. 2 Vitale F, Briffa DV, Whitby D et al. Kaposi’s sarcoma herpes virus and Kaposi’s sarcoma in the elderly populations of 3 Mediterranean islands. Int J Cancer 2001; 91: 588-91. 3 Hengge UR, Ruzicka T, Tyring SK, et al. Update on Kaposi’s sarcoma and other HHV8 associated diseases. Part 1: epidemiology, environmental predispositions, clinical manifestations, and therapy. Lancet Infect Dis 2002 ; 2 : 281-92. 4 DiGiovanna JJ, Safai B. Kaposi’s sarcoma. Retrospective study of 90 cases with particular emphasis on the familial occurrence, ethnic background and prevalence of other diseases. Am J Med 1981 ; 71 (5) : 779-83. 5 FNCLCC. Le dictionnaire des cancers de A à Z. Hoerni B. Maladie de Kaposi. www.fnclcc.fr 6 Antman K, Chang Y. Kaposi’s sarcoma. N Engl J Med 2000 ; 342 : 1027-38. 7 Friedman-Birnbaum R, Weltfriend S, Katz I. Kaposi’s sarcoma : retrospective study of 67 cases with the classical form. Dermatologica 1990 ; 180 : 13-17. 8 Brenner B, Rakowsky E, Katz A, et al. Tailoring treatment for classical Kaposi’s sarcoma : comprehensive clinical guidelines. Int J Oncol 1999 ; 14 (6) : 1097-102. 9 Nybo H, Petersen HC, Gaist D, et al. Predictors of mortality in 2,249 nonagenarians-The Danish 1905-Cohort Survey. J Am Geriatr Soc 2003 ; 51 : 1365-73. 10 Campbell AJ, Diep C, Reinken J et al. Factors predicting mortality in a total population sample of the elderly. J Epidemiol Community Health 1985 ; 39 : 337-42. 11 Allard M, Robine JM et al. Medical predictors of survival among centenarians. In : Martin P, Rott C, Hagberg B et al, eds. Centenarians Autonomy Versus Dependence in the Oldest Old. Paris : Springer Co., 2000 ; 13: 32-46. 279 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Cas clinique Clinical case study Sarcome de Kaposi et sujet âgé : à propos d’un cas • Kaposi’s sarcoma and the elderly subject Applicability of the comprehensive geriatric assessment recommendations by general practitioners during the follow-up of elderly cancer outpatients Ph. Cailleta, M.-A. Cariotb, E. Paillauda, b a. Département de Médecine Interne et Gériatrie, Centre Hospitalo-universitaire Henri Mondor, Albert Chenevier (AP-HP), 51 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil Cedex, France. b. Département de Médecine Interne et Gériatrie, Centre Hospitalo-universitaire Henri Mondor, Albert Chenevier (AP-HP), 41 rue de Mesly, 94010 Créteil Cedex, France. Correspondance : Philippe Caillet, Hôpital Henri Mondor, Département de Médecine Interne et Gériatrie, Consultation d’Onco-Gériatrie (UPCOG Créteil), 51 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil Cedex, France. Tél. : +33 (0)1 49 81 47 14, courriel : [email protected] Résumé Objectif : Le but de cette étude prospective était d’évaluer, au travers d’une enquête d’opinion auprès des médecins traitants, si les recommandations de l’évaluation gériatrique standardisée (EGS) étaient applicables au cours du suivi en ville des malades âgés cancéreux. Matériel et méthode : Nous avons interrogé les médecins de ville auxquels les comptes rendus (CR) de l’EGS avaient été envoyés. Les difficultés rencontrées en ville pour appliquer les recommandations de l’EGS ont été appréciées par des questions à choix binaire (réponse par oui ou par non) ou à réponse ouverte. Résultats : Parmi 80 médecins interrogés, 45 questionnaires (56,3%) ont pu être analysés. La majorité des médecins (77,7%) a estimé que les informations contenues dans le CR et les recommandations de l’EGS étaient utiles pour la prise en charge en ville de leurs patients âgés cancéreux. Les recommandations proposées ont été jugées difficilement applicables en ville dans 60% des cas, principalement les recommandations concernant la prise en charge nutritionnelle et sociale, respectivement pour 53,4% et 46,7% des médecins interrogés. Les recommandations relatives à la prise en charge en kinésithérapie, au traitement de la douleur et à la réalisation d’examens complémentaires ont été jugées applicables en ville respectivement dans 60,0%, 64,4% et 84,4% des cas. Conclusion : Les médecins de soin primaire ont jugé utiles les recommandations de l’EGS pour la prise en charge de leurs malades cancéreux âgés. Les recommandations relatives à la prise en charge nutritionnelle et sociale sont apparues les plus difficiles à appliquer en ville. Mots clés : Patients âgés, évaluation gériatrique, cancer, médecine générale. Abstract Purpose: This prospective study used an opinion survey of primary care physicians to determine whether the recommendations of the comprehensive geriatric assessment (CGA) were applicable during the follow-up of elderly cancer patients in private practice. Materials and methods: The authors surveyed the physicians receiving the CGA reports. In private practice, the difficulties encountered in implementing the CGA recommendations were assessed using binary-choice questions (yes / no) or open answers. Results: It was possible to analyse 45 out of the 80 questionnaires (56.3%). Most physicians (77.7%) felt that the information contained in the CGA reports and the CGA recommendations were useful in the management of their elderly cancer patients in private practice. The proposed recommendations were considered unpractical in 60% of the cases, mainly the recommendations for nutritional care and social management, in 53.4% and 46.7% of the Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 281 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Article original Original article Applicabilité des recommandations de l’évaluation onco-gériatrique par les médecins généralistes au cours du suivi en ville des malades âgés atteints de cancer Article original Original article Applicabilité en ville des recommandations de l’EGS • Applicability of CGA recommendations for outpatients cases respectively. The recommendations for physiotherapy, pain management and additional examinations were considered applicable in private practice in 60.0%, 64.4% and 84.4% of the cases respectively. Conclusion: Primary care physicians found the CGA recommendations useful in the care of their elderly cancer patients. The implementation of the nutritional care and social management recommendations appeared most difficult in private practice. Keywords: Elderly patients, comprehensive geriatric assessment, cancer, general practice. Introduction charge proposées et/ou initiées lors de la consultation sont multiples et peuvent concerner : • la prise en charge sociale (évaluation des aides nécessaires à domicile, mise en place de ces aides, aide à la constitution du dossier d’Allocation Personnalisée d’Autonomie, orientation vers un Service Social, etc.) ; • le maintien ou l’amélioration de l’autonomie (prescription de kinésithérapie, orientation du patient vers un service de soins de suite et réadaptation, etc.) ; • la prise en charge nutritionnelle (prescription de compléments alimentaires, orientation vers une consultation diététique, etc.) ; • la prise en charge psychologique (orientation vers un suivi psychologique et/ou une consultation psychiatrique, prescription d’un antidépresseur, etc.) ; • la prise en charge d’un trouble cognitif existant ou révélé par l’EGS (orientation vers une consultation mémoire, prescription des examens complémentaires nécessaires à cette consultation, etc.) ; • les comorbidités (proposition de mesures correctives adaptées en cas de comorbidités non stabilisées, prescription d’examens complémentaires utiles au suivi et/ou à la prise en charge spécifique de ces comorbidités, etc.) ; • le traitement habituel du patient (arrêt de certains médicaments responsables d’effets iatrogènes, réévaluation de l’indication de certains médicaments, mise en place de moyens pour faciliter l’observance thérapeutique, etc.) ; • la prise en charge de la douleur (prescription ou adaptation du traitement antalgique, gestion des effets secondaires de ces traitements, orientation vers la consultation douleur, etc.). Les éléments de l’EGS et l’ensemble des recommandations de prise en charge sont synthétisés dans un compterendu de consultation dactylographié adressé à l’oncologue, mais également au médecin traitant du patient. Cependant, l’applicabilité en ville des recommandations de cette évaluation n’a jamais été étudiée. L’objectif de ce travail est d’évaluer, au travers d’une enquête d’opinion auprès des médecins traitants des malades âgés cancéreux, si les recommandations de l’EGS sont applicables au cours du suivi en ville. La prise en charge des personnes âgées atteintes de cancer est devenue un important enjeu de santé publique dans les pays occidentaux, en raison du vieillissement régulier de la population et de l’augmentation de l’incidence des cancers avec l’âge. Actuellement, plus de 60 % des cancers et 75 % des décès par cancer surviennent chez des personnes de plus de 65 ans en Europe et aux Etats-Unis 1-3. En France, l’âge moyen au moment du diagnostic est de 64 ans pour les femmes et de 67 ans pour les hommes 4. Cependant, l’hétérogénéité de la population âgée, en termes de comorbidités et de statut fonctionnel, explique en grande partie la difficulté à établir des recommandations de prise en charge thérapeutique du cancer chez les malades âgés. Afin d’optimiser la prise en charge des personnes âgées, les gériatres ont développé une procédure d’évaluation médico-psycho-sociale : « l’Évaluation Gériatrique Standardisée » (EGS) ou « Compréhensive Geriatric Assessment » (CGA) dans la littérature anglosaxonne 5,6. L’EGS permet une évaluation multidimensionnelle de l’état de santé global des patients âgés au travers de l’analyse des comorbidités et de leurs traitements, du statut fonctionnel, de l’état nutritionnel, cognitif et thymique, et de l’environnement social. Basée sur des échelles gériatriques validées, elle permet l’identification des différents problèmes de santé et la mise en œuvre d’un plan de soins personnalisés pour la prise en charge de ces problèmes. Chez le patient non cancéreux, cette approche globale multidisciplinaire a prouvé son intérêt en retardant la perte d’autonomie, en diminuant le taux d’institutionnalisation ainsi que la mortalité dans certaines études 7. Cette procédure d’évaluation et de prise en charge globale des malades âgés est actuellement proposée pour la prise en charge des patients âgés atteints de pathologies cancéreuses 6,8-11. Au sein de l’Unité Pilote de Coordination en OncoGériatrie (UPCOG) de notre centre hospitalier, une EGS peut être réalisée pour tous les patients âgés de 70 ans et plus atteints de cancer, adressés par les oncologues, les radiothérapeutes, les chirurgiens, les hématologues ou tout autre spécialiste d’organe prenant en charge des patients âgés cancéreux. A l’issue de cette évaluation, le gériatre rend non seulement un avis sur la faisabilité du traitement anticancéreux envisagé par l’équipe oncologique, mais il élabore également des recommandations de prise en charge globale du patient âgé. Les actions de prise en VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Matériel et méthode Médecins interrogés Pour cette étude descriptive et observationnelle, les données ont été recueillies de manière prospective entre jan282 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie vier et mars 2010, à l’initiative de l’Unité Pilote de Coordination en Onco-Gériatrie (UPCOG) d’un Groupe Hospitalo-Universitaire de la région parisienne (France). Nous avons établi la liste des médecins traitants auxquels les comptes-rendus de consultation (CRC) d’évaluation oncogériatrique avaient été envoyés au cours de l’année 2009. Un premier contact téléphonique a été établi avec chacun des médecins de cette liste afin de leur présenter l’étude et d’obtenir leur accord de participation. Les médecins non joignables à plusieurs reprises ont été exclus. Les données pouvaient être recueillies dès le premier contact, si le médecin était disponible pour répondre immédiatement au questionnaire. S’ils n’étaient pas disponibles immédiatement, les médecins choisissaient de répondre au questionnaire ultérieurement selon un des procédés suivants : 1/au cours d’un second entretien téléphonique ; 2/questionnaire adressé et retourné par mail ; 3/par fax ; 4/par courrier. Un délai maximal d’un mois était accordé pour compléter et retourner le questionnaire. Pour chaque médecin interrogé, nous avons noté son sexe, son âge et le nombre d’années d’exercice depuis l’installation en ville. Figure 1 : Schéma de l’étude et réponses exploitables pour l’analyse statistique descriptive. CRC : compte-rendu de consultation EGS : évaluation gériatrique standardisée Résultats Nombre de questionnaires analysables Les comptes-rendus des évaluations onco-gériatriques ont été adressés par courrier à 95 médecins traitants au cours de l’année 2009. Dix médecins (10,5 %) n’ont jamais pu être contactés pour leur proposer de participer à l’étude, et cinq médecins (5,3 %) ont refusé d’emblée de participer à l’étude. Au total, 80 médecins ont accepté de participer à notre enquête. Parmi eux, 45 praticiens (56,3 %) ont répondu à l’ensemble des questions. Dix questionnaires (12,5 %) ont été exclus de l’analyse statistique dans la mesure où plus de six questions étaient restées sans réponse. Vingtcinq médecins (31,2 %) n’ont jamais retourné le questionnaire, malgré plusieurs relances. Finalement, 45 questionnaires ont été retenus pour l’analyse statistique descriptive. La figure 1 résume le schéma de notre étude. Les réponses ont été obtenues de la façon suivante : onze par mail (24,5 %), neuf par courrier (20,0 %), quinze par fax (33,3 %) et dix par entretien téléphonique (22,2 %) dont huit (17,8 %) dès le premier contact téléphonique. Questionnaire de l’étude L’intégralité du questionnaire de l’étude comportait 20 questions à choix binaire (réponse par oui ou par non) dont certaines étaient complétées par des questions ouvertes afin de permettre une libre expression et de préciser les difficultés rencontrées en ville pour appliquer les recommandations de l’EGS. Les questions se répartissaient selon quatre thèmes : 1/la connaissance de l’onco-gériatrie par les médecins de ville et le lien ville-hôpital ; 2/l’utilité des informations transmises dans le CRC pour la prise en charge et le suivi des patients ; 3/l’applicabilité des recommandations proposées en ville ; 4/l’amélioration de la pratique professionnelle concernant la prise en charge spécifique des malades âgés cancéreux au travers des recommandations proposées. Dans cet article, nous présentons les résultats relatifs aux questions concernant l’utilité des informations transmises dans le CRC et à l’applicabilité des recommandations de l’EGS en ville par les médecins généralistes au cours de la prise en charge et du suivi à domicile de leurs malades cancéreux âgés (cf. tableau 1). Profils des médecins dont les questionnaires ont été retenus pour l’analyse Les médecins interrogés avaient un âge moyen de 51,5 ± 7,5 ans, compris entre 36 et 64 ans. Ils se répartissaient en 13 femmes (28,9 %) et 32 hommes (71,1 %). Le temps d’exercice depuis l’installation était en moyenne de 20,9 ± 8,7 ans, compris entre 5 et 36 ans. Environ trois quart des médecins généralistes interrogés (73,3 %) ne connaissaient pas l’existence d’une consultation d’évaluation onco-gériatrique avant d’avoir reçu le premier CRC. Analyse statistique Les questionnaires incomplets n’ont pas été retenus dans l’effectif utilisé pour l’analyse statistique. Les données qualitatives sont exprimées sous forme d’effectifs et de pourcentages. Les données quantitatives sont exprimées sous forme de moyennes et d’écarts-types. Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 283 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Article original Original article Applicabilité en ville des recommandations de l’EGS • Applicability of CGA recommendations for outpatients Article original Original article Applicabilité en ville des recommandations de l’EGS • Applicability of CGA recommendations for outpatients Tableau 1 : Questionnaire utilisé pour évaluer l’applicabilité par les médecins de ville des recommandations de prise en charge proposées par l’EGS. Réponses courtes Oui n (%) 1. Ces recommandations vous paraissent-elles utiles pour la prise en charge de vos patients âgés cancéreux ? O-N 35 (77,7) 2. Souhaiteriez-vous avoir des informations supplémentaires pour le suivi de vos patients âgés cancéreux ? ⇨Si oui, lesquelles ? O-N 8 (17,7) 3. Le CR vous aide-t-il à répondre aux questions spécifiques du patient sur sa pathologie cancéreuse et sa prise en charge ? ⇨Si non, pour quelle(s) raison(s) : O-N 32 (71,1) 4. Les recommandations concernant le traitement habituel vous paraissent-elles pertinentes ? ⇨Si non, pour quelle(s) raison(s) : O-N 37 (82,2) Questions Questions relatives aux informations contenues dans le CR : Questions relatives à l’applicabilité des recommandations de l’EGS : 5. Les recommandations du CR vous paraissent-elles facilement applicables au cours de votre suivi du patient ? ⇨Si non, pourquoi ? (N=27) recommandations trop nombreuses. recommandations trop difficiles à mettre en œuvre. manque de correspondants pour les mettre en œuvre. Autre : O-N 6. Les recommandations sur la prise en charge nutritionnelle sont-elles applicables dans votre pratique courante ? ⇨Si non, pour quelle(s) raison(s) : O-N 21 (46,6) 7. Les recommandations sur la prise en charge en kinésithérapie sont-elles applicables dans votre pratique courante ? ⇨Si non, pour quelle(s) raison(s) : O-N 27 (60,0) 8. Les recommandations sur la prise en charge sociale sont-elles applicables dans votre pratique courante ? ⇨Si non, pour quelle(s) raison(s) : O-N 24 (53,3) 9. Les recommandations sur la prise en charge de la douleur sont-elles applicables dans votre pratique courante ? ⇨Si non, pour quelle(s) raison(s) : O-N 29 (64,4) 10. Les recommandations concernant d’éventuels examens complémentaires sont-elles applicables dans votre pratique courante ? ⇨Si non, pour quelle(s) raison(s) : O-N 38 (84,4) 18 (40,0) 2 (7,4) 6 (22,2) 5 (18,5) Abréviations. EGS : évaluation gériatrique standardisée – CR : compte-rendu – O : oui – N : non. Les recommandations de l’EGS et leur applicabilité en ville pour la prise en charge de leurs patients âgés cancéreux, ainsi que pour répondre aux questions spécifiques des patients à propos de la pathologie cancéreuse et de sa prise en charge. Cependant, huit médecins de soins primaires (17,8 %) souhaitaient des informations complémentaires pour : • mieux expliquer cette prise en charge au patient et à son entourage (1 médecin) ; Le tableau 1 présente les résultats relatifs aux questions concernant l’utilité et l’applicabilité des recommandations de l’EGS au cours de la prise en charge des patients âgés cancéreux suivis en ville. La majorité des médecins (77,7 %) a estimé que les informations contenues dans le CRC d’évaluation et les recommandations de l’EGS étaient utiles VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 284 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie des urgences de la Réunion, a montré que les comptesrendus de passage aux Urgences étaient considérés dans 100 % des cas utiles au suivi du patient par les médecins généralistes 12. L’utilité des recommandations de l’EGS nous paraît d’autant plus importante que, selon certaines données de la littérature, 70 % des médecins généralistes prescrivent des traitements adjuvants ou symptomatiques aux patients cancéreux qu’ils suivent à domicile 13. Toutefois, même si les recommandations de prise en charge ont été jugées utiles, plus de la moitié des médecins de ville interrogés a estimé qu’elles étaient difficilement applicables en ville. Une étude, réalisée auprès de 163 médecins de ville, avait montré un résultat ambivalent similaire : 75 % des médecins de ville interrogés se déclaraient satisfaits du contenu du compte-rendu hospitalier, mais 55 % d’entre eux n’étaient pas satisfaits du projet de prise en charge 14. Dans notre travail, le nombre important des recommandations et le manque de correspondants pour les mettre en œuvre constituaient les deux principaux facteurs limitant l’applicabilité des recommandations. L’EGS est une évaluation multidimensionnelle médico-psycho-sociale qui appréhende le patient dans sa globalité. Toute anomalie constatée au cours de l’évaluation fait l’objet d’une prise en charge spécifique et/ou de recommandations. Le nombre important de ces recommandations s’explique principalement par la fréquence de la polypathologie, de la polymédication et de l’altération de l’autonomie physique, de l’état nutritionnel, cognitif et/ou thymique, avec l’avancée en âge. Une étude concernant la prise en charge de patients âgés cancéreux a révélé qu’en moyenne l’EGS mettait en évidence six problèmes de santé par patient, non traités et/ou non stabilisés avant la consultation 15. Dans cette même étude, il a été rapporté qu’au cours du suivi, 17 interventions en moyenne par patient étaient mises en œuvre. Le nombre élevé des recommandations proposées dans nos CRC au décours de l’EGS s’accorde à ces données de la littérature. Toutefois, il serait probablement nécessaire de mieux hiérarchiser les recommandations de prise en charge. Les difficultés d’applicabilité des recommandations étaient liées selon certains praticiens à un manque de correspondants en ville. L’impression d’ensemble paraît être celle d’une offre de soins quantitativement insuffisante pour répondre aux besoins exprimés, même si, en France, l’offre de soins en ville est très diversifiée (infirmières, kinésithérapeutes, orthophonistes, diététiciennes…) et peut répondre qualitativement aux besoins des malades âgés. Cette situation, mise en avant par les médecins interrogés, risque de se dégrader considérablement en raison de l’insuffisance du nombre de diplômés dans les années à venir, à l’image de ce qui est observé dans de nombreux pays développés 16. Cependant, selon les estimations, l’offre de soins en kinésithérapie en France est en crois- • avoir une connaissance des alternatives thérapeutiques éventuelles pour en discuter avec le malade et son entourage en cas de refus du traitement proposé (1 médecin) ; • préciser l’intérêt de certains examens complémentaires dans le cadre du traitement (1 médecin) ; • être informé des interactions médicamenteuses éventuelles entre la chimiothérapie proposée et le traitement habituel du patient, et des effets indésirables prévisibles de la chimiothérapie (2 médecins). Les recommandations proposées dans le CRC de l’EGS étaient difficilement applicables au cours du suivi en ville pour 60 % des médecins interrogés, en raison d’un nombre trop important de recommandations ou par manque de correspondants pour les mettre en œuvre. Dans notre étude, les recommandations concernant la prise en charge nutritionnelle et la prise en charge sociale des patients âgés cancéreux ont été considérées comme difficiles à appliquer en ville, respectivement pour 53,4 % et 46,7 % des médecins interrogés. Concernant la prise en charge nutritionnelle, un médecin a précisé qu’il existait une mauvaise observance de la prise en charge nutritionnelle proposée dès lors qu’il n’y avait pas de membre de la famille ou d’aide à domicile pour surveiller la prise des repas ou des compléments alimentaires. Deux autres médecins ont rapporté le refus d’un suivi nutritionnel à domicile par leurs patients. Concernant les difficultés d’applicabilité de la prise en charge sociale, deux médecins ont rapporté le refus des aides à domicile par leurs patients. Un médecin a souligné les problèmes financiers qui pouvaient limiter la mise en place des aides au domicile. Enfin, trois médecins ont expliqué qu’ils manquaient de temps pour contacter les différents intervenants, en évoquant également le manque de disponibilité des assistantes sociales en ville. Peu de médecins interrogés ont affirmé qu’il était difficile de réaliser des examens complémentaires en ville (15,6 %) et que, dans la pratique courante, la perte d’autonomie et/ou l’isolement social du patient constituaient les principaux obstacles à la réalisation de ces examens. Discussion Dans notre étude, les informations et recommandations établies à l’issue de l’EGS et transmises aux médecins de ville dans les CRC d’évaluation ont été jugées utiles pour la prise en charge en ville à près de 78 %. Cependant, 60 % des médecins interrogés ont estimé que les recommandations étaient difficilement applicables au cours du suivi en ville. Les informations contenues dans le CRC ont été majoritairement jugées utiles au cours de la prise en charge des patients âgés cancéreux en ville. L’intérêt des informations apportées par la prise en charge hospitalière pour la prise en charge en ville est souligné par d’autres travaux. Une étude récente, conduite au service d’accueil Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 285 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Article original Original article Applicabilité en ville des recommandations de l’EGS • Applicability of CGA recommendations for outpatients Article original Original article Applicabilité en ville des recommandations de l’EGS • Applicability of CGA recommendations for outpatients patient âgé lui-même ou à son entourage 20. Les réseaux gérontologiques qui regroupent des professionnels de la santé et du social peuvent occuper ici une place privilégiée dans l’organisation du maintien à domicile et l’accompagnement de la personne âgée grâce à une action directe de soins et de suivi à domicile. Un entretien téléphonique établi systématiquement entre le gériatre hospitalier et le médecin traitant du patient pourrait permettre de mieux expliquer les recommandations proposées, et de préciser d’emblée celles qui apparaitraient difficiles à mettre en œuvre. Cet entretien pourrait également permettre de mieux hiérarchiser l’ensemble des actions de prise en charge recommandées lorsqu’elles sont nombreuses, en intégrant l’avis du médecin traitant et les contraintes environnementales du patient. L’intérêt d’un tel entretien quant à l’amélioration de l’applicabilité en ville des recommandations de l’EGS par les médecins de ville reste à démontrer par de nouvelles études. La principale faiblesse de notre étude réside dans la taille restreinte de l’échantillon puisque nous n’avons pu analyser que 45 questionnaires. Ce faible effectif ne saurait être représentatif de l’avis de l’ensemble des médecins qui prennent en charge les sujets âgés cancéreux en ville. Les difficultés exprimées concernant la mise en œuvre de certaines recommandations de l’EGS peuvent être liées à des contraintes locales qui n’ont pas pu être vérifiées dans notre étude, mais qui mériteraient probablement une recherche particulière. Enfin, un biais de sélection a pu être introduit par le nombre de médecins qui ont refusé de participer à l’étude ou qui n’ont jamais retourné le questionnaire. Le motif de refus ou de non retour des questionnaires n’a pas pu être étudié. Cependant, malgré notre effectif modeste, notre travail constitue, à notre connaissance, la première étude qui s’est proposée d’étudier l’applicabilité des recommandations de l’évaluation oncogériatrique par les médecins de soins primaires au cours du suivi de leurs malades âgés atteints de cancers. sance, et le nombre de kinésithérapeutes libéraux devrait être proche de 60 000 en 2020 ce qui devrait permettre un accès à la rééducation à domicile plus aisé pour les patients âgés, cancéreux ou non 17. Dans notre étude, les recommandations les plus difficiles à mettre en œuvre concernaient principalement la prise en charge nutritionnelle et la prise en charge sociale. Un peu plus de la moitié des médecins interrogés a estimé qu’il était difficile d’appliquer les recommandations concernant la prise en charge nutritionnelle à domicile, particulièrement en l’absence de conjoint, de membre de la famille ou d’aide à domicile. La Haute Autorité de Santé (HAS) répond à ce problème en présentant plusieurs possibilités d’aides pour coordonner la prise en charge nutritionnelle de la personne âgée à domicile et aider les médecins de ville 18 : • des aides individuelles : aide de l’entourage, aide ménagère, portage des repas, restaurants de foyers ; • des structures qui ont un rôle de mise en place des dispositifs, de coordination et d’information : réseaux de soins dont les réseaux gérontologiques, centres communaux d’action sociale (CCAS), centres locaux d’information et de coordination (CLIC) et services sociaux ; • les services d’hospitalisation à domicile ont également pour mission d’assurer la prise en charge nutritionnelle des malades qu’ils ont en charge par l’intervention d’une diététicienne et/ou d’une infirmière. L’utilisation d’un carnet de suivi nutritionnel à domicile pourrait être utile pour conserver le bénéfice du suivi diététique mis en place dans un service de soins de suite et réadaptation chez les patients âgés dénutris 19. Les difficultés financières, parfois mises en avant pour expliquer les difficultés de prise en charge, sont également évoquées par l’HAS. Une aide financière pour la mise en place d’aides à domicile peut être obtenue grâce à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), à l’aide sociale départementale, à l’aide des caisses de retraite ou à certains contrats de mutuelles 18. Les compléments nutritionnels oraux remboursés à 100 % dans la dénutrition étaient déjà intégralement pris en charge dans le cadre d’une pathologie cancéreuse (arrêté du JO du 10 novembre 2000). La moitié environ des médecins interrogés dans notre étude a trouvé qu’il était difficile d’appliquer en ville les recommandations relatives à la prise en charge sociale de leurs patients âgés cancéreux. Pour pallier les problèmes financiers également évoqués à ce sujet et faciliter la mise en place des aides à domicile, l’APA et l’aide sociale aux personnes âgées évoquées ci-dessus sont utiles 20. De même, l’organisation et la mise en place d’un plan d’aide à domicile peuvent être facilitées par les différents organismes ou structures d’information citées ci-dessus : les CLIC et les CCAS peuvent transmettre les informations nécessaires à l’organisation du maintien à domicile au VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Conclusion Cette étude constitue le premier travail qui a évalué, au travers d’une enquête d’opinion, l’intérêt et l’applicabilité en ville des recommandations de l’évaluation onco-gériatrique réalisée en milieu hospitalier, au cours du suivi des patients cancéreux âgés par les médecins de soins primaires. Les médecins interrogés ont majoritairement estimé que les recommandations de l’évaluation étaient utiles en ville au cours de la prise en charge. Cependant, certaines recommandations sont apparues difficilement applicables pendant le suivi à domicile, telles que les recommandations concernant la prise en charge nutritionnelle et sociale. Un entretien téléphonique établi systématiquement entre le gériatre hospitalier et le médecin traitant du patient pourrait permettre une meilleure coordination. n 286 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie listes sur les comptes rendus de passage aux urgences de leurs patients [abstract]. Journal Européen des Urgences 2009 ; 22 (S2) : A37. 13 Guillou P. Propositions thérapeutiques et suivi par le médecin généraliste du patient atteint de cancer, dans Bacque M-F : Cancer et Traitement. Paris, Springer-Verlag, 2006, pp 85-6. 14 Jourdain J. A propos de la satisfaction des médecins généralistes vis-à-vis de l’hôpital ; enquête concernant le CHU de Poitiers. 48f. Thèse d’exercice : Médecine, Médecine Générale. Université de Poitiers : 2009. 15 Extermann M, Meyer J, McGinnis M, et al. Comprehensive geriatric intervention detects multiple problems in older breast patients. Crit Rev Oncol Hematol 2004 ; 49 : 69-75. 16 Saint-Jean O, Gisselbrecht M. L’offre institutionnelle gérontologique est-elle satisfaisante? Etat des lieux et proposition des pistes d’amélioration – L’offre de soins ambulatoire; dans: Etat des lieux et perspectives en oncogériatrie. Institut National du cancer 2009 : pp 344-9: www.e-cancer.fr/component/docman/doc_download/2339-etat-deslieux-et-perspectives-oncogeriatrie-170709; 06/12/2010. 17 Direction de la Recherche des Etudes de l’Evaluation et des Statistiques. Les Masseurs-Kinésithérapeutes en France Situation en 2002 et projections à l’horizon 2020. Etudes et Résultats. N°242, juin 2003. 18 Haute Autorité de Santé. Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énérgétique chez la personne âgée. Recommandations Professionnelles. Avril 2007. 19 Coubebaisse C, Thomas D, Saule Franco P. Suivi nutritionnel au domicile de patients âgés dénutris : un lien ville-hôpital réussi. L’information diététique 2007 ; 4 h 18-23. 20 Observatoire Régional de Santé d’Ile de France. Guide de service de soins et d’aides à domicile pour personnes âgées en Ile de France : www.ors-idf.org. Bibliographie : 1 Yancik R, Ries LG. Cancer in older persons : an international issue in an ageing world. Semin Oncol 2004 ; 31 : 128-36. 2 Jemal A, Siegel R, Ward E, et al. Cancer statistics, 2009. CA Cancer J Clin 2009 ; 59 : 225-49. 3 Piette F, Spano J-P, Chaibi P et al. Onco-gériatrie, une évidence épidémiologique. La Presse Médicale 2010 ; 39 (2) : 208-15. 4 Maraninchi D, Institut national du cancer, Situation du Cancer en France en 2009, www.e-cancer.fr. 5 Rolland Y, Rumeau P, Vellas B. L’évaluation gérontologique standardisée. La Revue de Gériatrie 2001 ; 26 (2) : 151-6. 6 Wielland D, Hirth V. Comprehensive Geriatric Assessment. Cancer Contrl. 2003 ; 10 (6) : 454-62. 7 Stuck AE, Siu AL, Wieland GD, Adams J, Rubenstein LZ. Comprehensive geriatric assessment : a meta-analysis of controlled trials. Lancet 1993 ; 342 (8878) : 1032-6. 8 Gosney MA. Clinical Assessment of elderly people with cancer. Lancet oncology 2005 ; 6 (10) : 790-7. 9 Extermann M, Aapro M, Bernabei R, et al. Use of geriatric assessment in older cancer patients : Recommendations from the task force on CGA of the International Society of Geriatric Oncology (SIOG). Crit Rev Oncol Hematol 2005 ; 55 : 241-52. 10 Balducci L. Management of cancer in the elderly. Oncology 2006 ; 20 (2) : 13552. 11 Balducci L, Baskin R, Cohen HJ, et al. (NCCN Senior Adult Oncology Panel Members). Senior Adult Oncology. NCCN Clinical Practice Guidelines in Oncology. V.2. 2007. www.nccn.org. 12 Loire C, Duval C-M, Hervé F et al. Enquête de satisfaction des médecins généra- Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 287 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Article original Original article Applicabilité en ville des recommandations de l’EGS • Applicability of CGA recommendations for outpatients Un « eczéma » du mamelon pas ordinaire L. Rotenberg Clinique Hartmann, 26 boulevard Victor Hugo, 92200 Neuilly-Sur-Seine, France. Mme B, 76 ans, sans antécédent mammaire, présente une lésion sèche du mamelon droit évoluant depuis 8 mois. Pas de prurit ni écoulement mamelonnaire. Examen clinique normal par ailleurs. 1. Décrivez la lésion cutanée : quels diagnostics évoquez-vous ? 2. Quelles anomalies décrivez vous sur le cliché mammographique fourni. BiRads ? 3. Qu’attendez vous de l’IRM dans cette indication ? 4. Conduite à tenir Réponses page suivante Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 289 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Actualités News L’image du JOG Actualités News L’image du JOG • Réponses et Commentaires Maladie de Paget du sein s’étendre sur de nombreux mois, aboutissant à un placard débordant largement le mamelon. 1. Lésion mamelonnaire eczématiforme, rouge, croûteuse a. Eczéma ; b. Maladie de Paget. 2. Mammographie normale = Birads 1 mais la clinique impose un Birads 0 soit bilan à compléter avec indication de biopsie de l’aréole. 3. IRM avec injection de Gadolinium : a. Prise de contraste et épaississement de l’aréole ; b. Courbe type 2 ou 3 (progressive ou en plateau, voir lavage précoce (Wash-out) ; c. Recherche d’une infiltration intra-mammaire de la lésion cutanée, d’une lésion mammaire sous-jacente ; d. Sein controlatéral, creux axillaires, CMI. 4. Histologie : Maladie de Paget du mamelon. Pas de lésion mammaire sous-jacente. 5. Traitement : a. Chirurgie : pamectomie + ganglion sentinelle (GS) ; b. Radiothérapie ; c. Chimiothérapie si N +. Dans 1 cas sur 2, la lésion se localise au mamelon en surface, dans l’autre moitié des cas la lésion envahit le sein. La maladie de Paget est susceptible d’apparaître également dans les régions de la vulve et du pourtour de l’anus. Examens complémentaires 1. Biopsie cutanée pour analyse histologique : cellules carcinomateuses au sein du revêtement malpighien du mamelon. Les cellules sont de grandes tailles, polygonales, au cytoplasme abondant clair, au noyau irrégulier et d’architecture lentigineuse 1,3. 2. Mammographie : le plus souvent normale, elle peut révéler un cancer sous-jacent. 3. Échographie : épaississement de la plaque aréolaire, et bilan mammaire à la recherche de lésions associées. 4. IRM : prise de contraste de la plaque aréolaire et visualisation de l’infiltration en profondeur. Recherche de lésions intra mammaires associées 2. Commentaires Affection rare touchant le mamelon, elle accompagne environ 3 % des cancers du sein 1. Elle se caractérise comme une lésion cutanée eczématiforme, infiltrant peu à peu la glande mammaire. Le problème essentiel de la maladie de Paget du mamelon est son diagnostic tardif. La similitude avec l’eczéma entraîne souvent un retard diagnostic. La lésion est en général bien limitée, unilatérale, résistante au traitement topique. Traitement Le traitement chirurgical dépend de l’envahissement intra-mammaire. 1. Tumorectomie en cas de lésion cutanée isolée : pamectomie et ganglion sentinelle (GS). 2. Mastectomie + GS ou curage axillaire en cas d’envahissement plus profond. 3. Traitements complémentaires dans les indications habituelles. Sémiologie cutanée En l’absence de diagnostic suffisamment précoce, le pronostic n’est pas favorable. Taux de survie à 5 ans de 30 à 50 % 1,3. n • Rougeurs. • Écoulement de liquide non purulent. • Aspect croûteux de la lésion, quelquefois à l’origine d’une légère érosion, s’accompagnant d’une petite perte de substance. • Lésion unilatérale. • Résistance au traitement local (topique). • Le prurit est absent ou discret. • La plaque s’étend ensuite très lentement en surface, avec un aspect eczématiforme mais très bien limité. L’érythème peut être érosif, squameux ou croûteux 2. L’évolution peut VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Bibliographie : 1 Ikeda DM, Helvie MA, Frank TS, Chapel KL, Andersson IT. Paget disease of the nipple : radiologic-pathologic correlation. Radiology 1993; 189: 89-94. 2 Berg WA, Gutierrez L, NessAiver MS, Carter WB, Bhargavan M, Lewis RS, et al. Diagnostic Accuracy of Mammography, Clinical Examination, US, and MR Imaging in Preoperative Assessment of Breast Cancer. Radiology 2004; 233: 830-49. 3 Giess CS, Keating DM, Osborne MP, Ng YY, Rosenblatt R. Retroareolar breast carcinoma : clinical, imaging, and histopathologic features. Radiology 1998; 207: 669-73. 290 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 19-21 octobre 2010, Nice, France – Compte-rendu O. Guérin, Université de Nice Sophia-Antipolis, CNRS UMR 6267, INSERM U998. Pôle de Gérontologie, CHU de Nice, Hôpital de Cimiez, 4 avenue Reine Victoria, 06000 Nice, France. Correspondance : [email protected] L Frédérique Retornaz (gériatre au centre gérontologique départemental de Montolivet, Marseille, France) a fait le lien entre l’identification et l’évaluation de fragilités et la prise en charge oncogériatrique, insistant sur l’importance de la confrontation clinique avant la décision, et l’utilité de l’abord gériatrique tout au long du projet de soins, et pas seulement lors de la décision thérapeutique initiale. MarieClaire Van Nes (gériatre chef de service à Louvain, Belgique) a montré par la suite l’intérêt de la coordination ville-hôpital dans la prise en charge de nos patients âgés atteints de cancer, en présentant l’expérience pilote qu’elle a mise en place en Belgique. Enfin, le Pr Gilbert Zulian (cancérologue et gériatre, Collonge-Bellerive, Suisse) a insisté sur les aspects éthiques qui guident nos décisions oncogériatriques, au travers de cas cliniques. Lors de la session de posters spécifiques, 27 communications affichées ont été présentées, toutes d’un bon niveau. Il s’agissait là d’une des sessions les plus fournies dans le programme de communications affichées. Tout d’abord, il est à signaler quelques communications concernant la chirurgie carcinologique des sujets âgés, avec notamment un poster sur la cytoréduction chirurgicale et chimio-hyperthermie intra-péritonéale pour le traitement de la carcinose péritonéale 3 dont la conclusion était qu’une approche thérapeutique associant cytoréduction chirurgicale et CHIP pouvait apporter un gain de survie à long terme chez les sujets âgés de plus de 65 ans et atteints de carcinose péritonéale. Ces patients avaient été sélectionnés par une EGS initiale, ayant éliminé une vulnérabilité initiale. Cela confirme la possibilité de réaliser des actes très lourds sur des sujets âgés présentant un vieillissement réussi. D’autres présentations, nombreuses, ont abordé l’évaluation gérontologique en oncogériatrie, son utilisation et ses conséquences. Ainsi, l’équipe bordelaise 4 a montré que la qualité de vie globale (évaluée par le QLQ-C30) n’était pas influencée par l’âge, l’état métastatique ou les comorbidités. Une qualité de vie médiocre était corrélée avec un faible score à l’EGS. Les fonctions altérées et la présence de symptômes étaient liés à un état de dénutrition (perte e 9ème congrès international francophone de gériatrie et gérontologie de Nice s’est tenu du 19 au 21 octobre 2010 au palais Acropolis à Nice. Ce congrès était également le congrès annuel de notre société nationale. Plus de 1 400 consœurs et confrères gériatres issus de plus de 25 pays se sont retrouvés autour des trois thématiques centrales de ce congrès : les innovations thérapeutiques concernant nos patients âgés, les gérontechnologies, et la culture méditerranéenne. L’oncogériatrie a tenu une place d’honneur dans ce programme fourni et varié, avec une session dédiée de communications orales, d’intéressantes interventions lors des communications libres, et une session de posters spécifique. L’affluence du public lors de ces différentes séances a témoigné, si besoin en était, de l’importance que prend cette thématique au sein de l’approche gériatrique internationale. Lors des communications libres, l’équipe bordelaise 1 a présenté les résultats préliminaires de l’étude ONCODAGE dont le but est de construire et valider un outil de dépistage simple, rapide et utilisable par les oncologues, permettant de sélectionner les patients pour lesquels l’EGS (Evaluation Gériatrique Standardisée) est la plus utile avant de décider de la stratégie thérapeutique oncologique à leur proposer. Le recrutement (près de 1 700 sujets) est achevé, et les résultats étaient en cours d’exploitation à ce stade. Une équipe parisienne 2 a montré l’intérêt de l’évaluation gériatrique avant la prise en charge chirurgicale d’un cancer digestif, et notamment comment réduire le risque de syndrome confusionnel post-opératoire par quelques conseils simples, par exemple sur le choix des antalgiques. Lors de la session d’experts dédiée à l’oncogériatrie, la première communication présentée par le Dr Véronique Girre (cancérologue à l’Institut Curie, Paris, France) a permis de faire le point sur la recherche clinique concernant les thérapies ciblées, en particulier le bevacizumab et le trastuzumab, dans la prise en charge du cancer du sein de la femme âgée. L’usage de ces thérapies est une avancée pour le traitement de nos patientes âgées, même si des études spécifiques font encore défaut. Puis le Dr Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 291 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Actualités News 9ème Congrès International Francophone de Gériatrie et Gérontologie (CIFGG) 30èmes Journées Annuelles de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie Actualités News 9ème Congrès International Francophone de Gériatrie et Gérontologie (CIFGG) pour le groupe bien nutri (MNA supérieur ou égal à 23,5 points). Il est à noter également que plus de la moitié des sujets étaient dénutris ou à risque de dénutrition au moment du diagnostic de cancer, selon le critère MNA. Une étude prospective particulièrement intéressante a été présentée, et concernait les facteurs associés à une modification du traitement anti-cancéreux 10. L’âge moyen des sujets était de 80 ans. L’EGS pratiquée a montré que 52 % d’entre eux avaient une altération du statut ECOG (PS ≥ 2), 34 % une dépendance ou plus aux activités basales de la vie quotidienne (ADL), 58 % une dénutrition, 29 % une altération cognitive et 27 % une dépression. Le nombre moyen de comorbidités était de plus de 5. Cela représente donc une population âgée gériatrique assez représentative, ayant un nombre assez élevé de fragilités gérontologiques. En analyse multivariée, les facteurs indépendants associés à une modification du plan de traitement étaient l’altération du PS (OR = 3,6, 95 % CI : 1,77,7), la dénutrition (OR = 1,8, 95 % CI: 1,0-3,3), et le nombre de syndromes gériatriques (OR = 1,4, 95 % CI : 1,1-1,8). Enfin, des communications ont présenté des éléments liés à l’organisation de la filière et de l’activité oncogériatrique. Ainsi, l’équipe lyonnaise a fait part de son expérience pionnière en France concernant l’organisation d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) oncogériatrique spécifique 11. Leur étude a porté sur 300 patients, et la discussion lors de ces réunions de concertation oncogériatrique a montré un fort intérêt pour l’élaboration commune d’un programme de soins adapté. Les communications oncogériatriques lors du CIFGG ont donc été nombreuses et de qualité. La thématique oncogériatrique est désormais, lors des congrès généralistes de gériatrie et de gérontologie, absolument incontournable tant dans le champ médical que paramédical et dans l’espace des sciences humaines. n de poids, faible score au MNA) et à une perte d’autonomie (mauvais statut OMS et IADL altérées). Un autre travail rétrospectif 5 a montré l’intérêt d’un outil simplifié d’évaluation, le SGE, dans l’aide à la prise de décision d’une chirurgie carcinologique thoracique pour des sujets âgés atteints de cancer du poumon. Le retour d’une expérience intéressante de nos collègues de Fort-de-France a également été présentée, portant sur 60 patients 6. Leur EGS, suivie d’une discussion en RCP confrontant les arguments cliniques des gériatres et des oncologues impliquait, dans plus de 21 % des cas, une adaptation des traitements en fonction des fragilités identifiées. Dans leur expérience, un patient sur deux voyait son projet personnalisé de soins influencé par cette approche oncogériatrique exemplaire. L’expérience marseillaise s’est, quant à elle, intéressée notamment aux interventions gériatriques recommandées suite à l’EGS en oncogériatrie 7. Cette étude a concerné 81 patients, d’un âge moyen de 82 ans. Pour chaque patient, 2,74 interventions gériatriques ont été proposées suite à l’EGS. Elles concernaient principalement le statut nutritionnel, les comorbidités et le statut cognitif. 80 % des patients présentaient au moins un critère de fragilité. Dans 60 % des cas, le traitement proposé par l’oncologue était maintenu, mais nécessitait des ajustements, et dans 30 % des cas il a été contre-indiqué. Une étude sur l’intérêt des traitements par chimiothérapie dans le cancer du pancréas 8, portant sur 259 patients, dont 72 de plus de 75 ans, a montré que la survie globale (de 9,4 mois) n’était pas significativement différente entre les sujets jeunes (<75 ans) et les plus âgés. De même, la chimiothérapie améliorait la survie des patients quel que soit l’âge, et de manière identique pour les sujets plus jeunes ou plus âgés. Par contre, les sujets âgés avaient moins souvent de chimiothérapie que les plus jeunes (73 % vs 92 %), et présentaient plus souvent des réductions de doses. La conclusion des auteurs était que, même concernant ce cancer de mauvais pronostic, les sujets âgés sélectionnés, en bon état général, bénéficiaient autant de la chimiothérapie que des patients plus jeunes. Quelques communications affichées ont insisté sur l’impact majeur de la fragilité nutritionnelle ou de la dénutrition avérée sur les possibilités de traitement et le pronostic des cancers chez les sujets âgés. Ainsi, le Mini Nutritional Assessment (MNA) a été présenté comme un facteur pronostic très puissant de la survie 9. Dans le cadre de l’étude INOGAD, essai multicentrique chez les patients âgés cancéreux traités par chimiothérapie, le MNA a été pratiqué lors du screening. Chez ces 550 patients de médiane d’âge de 77,5 ans, les survies ont été très différentes en fonction de leur statut au MNA. Ceux qui étaient dénutris (MNA inférieur ou égal à 17 points) avaient une médiane de survie de 8,4 mois, pour 14,4 mois pour le groupe « à risque de dénutrition » (MNA entre 17,5 et 23 points), et pour 32 mois VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Bibliographie : 1 Rainfray M, Soubeyran P, Bellera C, Mertens C. Validation d’un outil de dépistage en oncogériatrie (G-8) dans une cohorte de 1669 patients âgés de plus de 70 ans, atteints de tumeurs malignes et devant recevoir un traitement: étude oncodage. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 246 (O2.2). 2 Moulias S, Benoist S, Brouquet A, Teillet L, Cudennec T. Facteurs de risque de syndrome confusionnel lors de chirurgie digestive carcinologique du sujet âgé, résultats d’une étude prospective menée auprès de 108 patients. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 249 (O2.9). 3 Bereder I, Boulahssass R, Mailland V, Couderc AL, Brocker P, Guérin O, et al. Cytoréduction chirurgicale et chimio-hyperthermie intra péritonéale pour le traitement de la carcinose péritonéale chez 59 patients âgés de plus de 65 ans. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 412 (P4.2-168). 4 Blanc-Bisson C, Rainfray M, Mathoulin-Pelissier S. La qualité de vie: l’état nutritionnel et l’autonomie, des facteurs déterminants. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 412 (P4.2-169). 5 Cudennec T, Gendry T, Moulias S, Chinet T, Teillet L. Utilisation d’une évaluation gériatrique simplifiée en oncologie thoracique. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 416 (P4.2-179). 6 Fanon JL, Godaert-Simon L, Khattar M, Rouquet-Saliba C, Delobel R, Bonnet M, et al. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 417 (P4.2-182). 7 Magarian MF, Pauly V, Potard I, Molines C, Retornaz F. Prise en charge des patients âgés atteints de cancer: intérêt de la consultation d’évaluation gériatrique. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 422 (P4.2-194). 8 Lagrandeur J, Mitry E, Cudennec T, Moulias S, Moussous W, Teillet L. Est-il pertinent de traiter les formes avancées de cancer du pancréas après 75 ans? Cah Annee Gerontol 2010; 2: 420 (P4.2-188). 9 Blanc-Bisson C, Blanc JF, Houede N, Mertens C. Le MNA: un facteur pronostic très puissant de la survie des patients âgés cancéreux. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 413 (P4.2-170). 10 Caillet P, Vouriot J, Canoui-Poitrine F, Berle M, Reinald N, Krypciak S, et al. Facteurs indépendants associés à une modification multivariée chez 392 patients âgés cancéreux. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 413 (P4.2-172). 11 Castel-Cremer I, Terret C, Lombard-Bohas C, Albrand G. Démarche décisionnelle en oncogériatrie à propos de 300 patients de plus de 70 ans. Cah Annee Gerontol 2010; 2: 414 (P4.2-173). 292 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Interview du Docteur Michel Hery, Service de radiothérapie, Centre Hospitalier Princesse Grâce, Avenue Pasteur, 98000 Monaco, Monaco. Par Dimitri Verza, Directeur de la publication du Journal d’OncoGériatrie Le Journal d’OncoGériatrie : Comment évaluezvous l’évolution du concept d’oncogériatrie au cours des 10 dernières années ? Michel Hery : Le concept d’oncogériatrie était, il y encore 10 ans, une grande nébuleuse. Ces dernières années, grâce à une prise de conscience collégiale, des actions menées par l’INCa, mais aussi de terrain comme le MAO (Monaco Age Oncologie), nous avons pu observer une grande évolution ; en effet, il existe aujourd’hui une évaluation gériatrique qui est entrée dans les mœurs, bien qu’encore inexistante à la fin des années 90. De plus en plus de travaux spécifiques ou d’essais thérapeutiques sur le sujet âgé sont réalisés (exemple de communication à l’ASCO sur le cancer digestif chez le sujet âgé, ce qui témoigne d’une réelle progression). Les spécificités du sujet âgé sont mises en avant et davantage prises en compte, ce qui nous permet également de mieux « catégoriser/classer » les patients âgés et ainsi, de les traiter plus facilement et efficacement. Parmi les progrès réalisés, au travers du MAO, nous pouvons recenser l’amélioration de la prise en charge du patient âgé entre le gériatre et l’oncologue. Pendant longtemps, l’oncogériatrie était dédiée aux oncologues uniquement, éludant le versant « gériatre » et ne permettant donc pas l’apprentissage mutuel. Enfin, citons un autre exemple patent de cette évolution : la création des DU/DIU d’oncogériatrie qui participent au développement de l’oncogériatrie et au partage des connaissances entre oncologues, gériatres et infirmières. Le JOG : Quels pourraient être les freins à la continuité de l’ouverture entre l’oncologie et la gériatrie, donc au développement de l’oncogériatrie ? M.H. : Il existe un ralentissement dans cette ouverture car beaucoup d’oncologues ont du mal à « franchir le pas » et à faire appel aux gériatres. Pourtant il est essentiel de faire équipe et de s’ouvrir aux autres, afin d’améliorer la pratique courante. Le JOG : Quels sont, selon vous, les facteurs d’accélération de la prise de conscience des deux spécialités ? M.H. : Lors de la 1ère réunion du MAO en 2007, il est ressorti l’importance de lier les spécialités d’oncologie et de gériatrie, car les gériatres sont une ressource essentielle qui permet de mieux comprendre les patients et de prendre en compte leur vieillissement. Le JOG : Hormis les réunions, quelles actions de terrain pourrions-nous mettre en place pour favoriser ce rapprochement ? M.H. : Nous pourrions faire participer les gériatres à l’élaboration des essais thérapeutiques car bien souvent le patient âgé n’est pas traité de façon optimale. Il est donc important d’intégrer les gériatres dans notre réflexion et confronter nos expertises et points de vue. Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Le JOG : Cependant, il serait difficile d’impliquer des gériatres partout, nous ferions face à une pénurie dans cette spécialité… M.H. : Il est évident qu’il ne faut pas faire appel aux gériatres pour tous les patients de 75 ans ; néanmoins, si les oncologues notent une fragilité chez leur patient, il est primordial qu’ils puissent s’adresser à un gériatre, dans des situations bien précises afin d’utiliser leur savoir et leurs spécificités à bon escient. Peut-être existe-il aujourd’hui une méconnaissance du rôle des gériatres ? Le JOG : Concernant l’oncogériatrie dans sa pratique quotidienne, quelles actions concrètes mettre en place sur l’ensemble du territoire ? M.H. : Il est important de favoriser et de multiplier les réunions de rencontres entre oncologues et gériatres pour créer de bonnes relations, partager sur des sujets communs et ouvrir des portes, afin de promouvoir le “partage” du malade. 293 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Billet d’humeur Personal view L’Oncogériatrie, un partage des compétences : position du Docteur Michel Hery, co-président du congrès Monaco Age Oncologie (MAO) Billet d’humeur Personal view L’Oncogériatrie, un partage des compétences : position du Docteur Michel Hery, co-président du congrès Monaco Age Oncologie (MAO) Le JOG : Jusqu’où aller dans ce transfert de compétences entre oncologues et gériatres ? Faut-il aller jusqu’à une double compétence ? M.H. : Il est difficile de dire jusqu’où ira le partage du malade, nous devons avancer pas à pas. collaboration. Il faut créer des actions pour que les oncologues et les gériatres s’impliquent dans ce rapprochement et se mélangent davantage. La programmation du déploiement de nouvelles Unités de Coordination en OncoGériatrie dans le cadre du plan cancer 2009-2013, sous l’égide de l’INCA, va dans ce sens. n Le JOG : Quels sont vos vœux « oncogériatriques » pour 2011-2012 ? M.H. : Augmenter les partenariats entre oncologues et gériatres et impliquer davantage les gériatres dans cette VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 294 Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie Agenda Février 2011 • 1er – 4 février, Paris – 22nd International Congress on Anti-Cancer Treatment www.icact.com • 3 – 5 février, Monaco – 3ème Monaco Age Oncologie www.mao-monaco.org • 17 – 19 février, Orlando, États-Unis – ASCO Genitourinary Cancers Symposium www.gucasymposium.org Mars 2011 • 10 – 12 mars, Paris – Congrès 2011 de la Société Française d’Hématologie sfh.hematologie.net • 16 – 19 mars, St. Gallen, Suisse – 12th St. Gallen International Breast Cancer Conference www.oncoconferences.ch • 18 – 22 mars, Vienne, Autriche – EAU Annual Congress www.eauvienna2011.org • 19 mars, Paris – 14èmes Rencontres Infirmières en Oncologie www.assoafic.org Avril 2011 • 2 – 6 avril, Orlando, États-Unis – American Association for Cancer Research 102nd Annual Meeting www.aacr.org • 3 – 6 avril, Paris – 37th Annual Meeting of the European Group for Blood and Marrow Transplantation www.ebmt.org Mai 2011 • 11 – 14 mai, Washington, DC, États-Unis – Annual Scientific Meeting of the American Geriatrics Society www.americangeriatrics.org • 14 – 19 mai, Washington, DC, États-Unis – AUA 2011 Annual Meeting www.aua2011.org Retrouvez l’agenda complet des congrès sur notre site internet www.le-jog.com Petites Annonces Cet espace vous est réservé afin de publier vos annonces emploi (postes à pourvoir, recherches de postes disponibles, etc.). Votre annonce sera également publiée en ligne sur notre site internet www.le-jog.com N’hésitez pas à contacter notre service Petites Annonces pour toute demande d’information : [email protected] Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie 295 VOLUME 1 - N°6 - NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 Agenda Calendar • Petites annonces Job ads Le JOG - Le Journal d’OncoGériatrie