La logique-I
© Gilles Josse 2008
Qu'est-ce que la logique ?
La logique, c'est ce qui nous sert dans la vie quotidienne à diriger nos actes en
fonction de notre connaissance du monde à un moment donné, ainsi qu'à
organiser cette connaissance. Dans ce sens, elle est superposable avec ce que
les philosophes appellent la raison. Elle nous sert ainsi à conserver un certain
état de bien-être qui, sans elle, serait aléatoire. C'est elle qui nous pousse par
exemple à nous habiller chaudement avant de sortir quand il gèle dehors et
nous évite ainsi de nous enrhumer.
De manière générale, chacun d'entre nous s'accorde à penser qu'il agit de
manière logique la plupart du temps. Il arrive pourtant que deux personnes
soient en désaccord à ce sujet. Ça n'est alors pas « la logique » elle-même qui
est en cause mais plutôt la base de connaissance du monde des deux individus
et/ou leurs motivations. Ainsi, nous avons tous des croyances et des
préférences qui ne sont pas forcément celles de notre voisin. Untel sera par
exemple tenté de jouer régulièrement de petites sommes aux jeux de hasard
quand un autre jouera occasionnellement de grosses sommes et un autre
encore pas du tout. Pourtant, tous trois auront le même souci de conserver ou
d'améliorer leurs conditions de vie et les trois attitudes face au jeu sont
logiquement valables.
On s'aperçoit ainsi que dans la vie quotidienne, l'application de la logique peut
mener à des opinions et à des actes contradictoires. En mathématiques, le
problème se pose de la même manière puisque des théories différentes peuvent
être construites quand on s'appuie sur des jeux d'axiomes différents. L'exemple
le plus flagrant est celui des trois types de géométries distincts que l'on obtient
selon la façon d'envisager le cinquième postulat d'Euclide.
La logique habituellement utilisée en mathématiques est la logique
aristotélicienne, que nous désignerons par logique-H comme logique
habituelle. Cette logique n'attribue que deux valeurs de vérité possibles à une
proposition, qui sont 0 si elle est fausse et 1 si elle est vraie. Ceci constitue le
principe de bivalence de la logique-H.
On en déduit alors la règle du tiers exclus ou principe de non-contradiction, qui
dit que l'on ne peut avoir v(P) = 1 et v(P) = 1 simultanément, v() désigne la
valeur de vérité et P désigne la négation de P (que l'on notera également
non(P) au besoin). Autrement dit, une proposition et son contraire ne peuvent
être vraies simultanément et on a :
v( P ET P ) = 0
La règle du tiers exclus est équivalente au principe de non-contradiction via la
règle d'élimination de la double négation qui dit que la négation de la négation
d'une proposition P vaut P. Le raisonnement est alors le suivant :
non contradiction : non (R ET (non(R)) <=> non(R) OU non(non(R))
<=> non(R) OU R : tiers exclu
La règle d'élimination de la double négation semble naturelle. Ainsi « il est faux
qu'il ne pleut pas » semble bien équivalent à « il pleut ». Pourtant, dans le
langage courant, le procédé de la litote, qui consiste à affirmer une chose en
affirmant que son contraire n'est pas vrai, est soumis à l'ambiguïté du contexte
et de l'interprétation. Ainsi, « ce n'est pas mauvais », qui est équivalent à « ce
n'est pas pas bon » peut signifier tout autant « c'est excellent » que « c'est
médiocre », suivant l'intonation du locuteur par exemple.
De la même manière, en mathématiques, certains ont rejeté l'usage de la
double négation, donnant naissance à une logique différente de la logique-H
que l'on appelle logique intuitionniste. Dans ce cadre, l'apparition de la
proposition « il pleut » demande juste à vérifier qu'elle n'est pas contradictoire
avec l'ensemble du raisonnement, alors que sa double négation demande à
vérifier qu'il pleut effecttivement. Pour la logique intuitionniste, le principe du
tiers exclus n'est plus dérivable du principe de non-contradiction, ce qui exclut
ainsi du champ des démonstrations valables les démonstrations par l'absurde.
On constate ainsi que ce que nous avions appelé « la logique » en début de
chapitre peut donner lieu à d'autres interprétations présentant des ensembles
de règles différents de la logique-H. Nous verrons d'ailleurs dans le chapitre
suivant que la logique-H peine à rendre compte de la logique naturelle du
langage et nous introduirons une autre logique que nous appellerons
logique-I, comme logique inhabituelle.
II – Le paradoxe du barbu et la logique-I
Considérons un barbu B avec N poils à sa barbe. Si je retire un poil de sa
barbe, il reste barbu. Si je répète l'opération, c'est la même chose. Pourtant, si
je lui retire successivement N poils, il n'est effectivement plus barbu. Ce
paradoxe est un exemple de ce qu'on appelle paradoxe sorite.
D'où provient-il ? Il provient de ce que la logique-H n'admet que deux valeurs de
vérité qui sont 0 et 1 et que l'on ne peut pas passer continuement de l'une à
l'autre. On peut résoudre aisément ce paradoxe en introduisant une logique
multivaluée la valeur de vérité de « B est barbu » passe continuement de 1 à
0. Ainsi, si k est le nombre de poils de barbe qui restent au barbu B et N le
nombre de poils qu'il avait à sa barbe au départ, on a :
v( « B est barbu » ) = k / N
Ainsi, tant que k est proche de N, on peut toujours dire que B est barbu, mais
dès que k / N s'approche de 0, il convient de choisir un autre adjectif. Il est à
noter que l'on ne sait pas véritablement se situe le seuil car, par exemple, si
l'on a retiré la moitié des poils à B et tous du côté gauche, il est évident que l'on
n'a plus affaire à un véritable barbu, alors que si l'on a retiré les poils pour moitié
à gauche et pour moitié à droite, nous avons un barbu à la barbe clairsemée.
De cette manière, une proposition peut se voir attribuer une valeur de vérité
comprise entre 0 et 1. Cette manière de procéder est celle de ce que l'on
appelle la logique floue qui permet de prendre des décisions en cas de
connaissance incertaine. Ainsi, si notre barbu B devait participer au concours du
plus beau barbu, la logique floue nous permet d'estimer nos risques si nous
devons parier sur sa victoire. Si k / N tombe en dessous de 1 / 2 nous ne
parierons certainement pas pour B, alors que la logique-H ne nous donne aucun
élément de décision.
La logique floue peut intervenir dans toute situation l'on peut graduer la
valeur de vérité entre 0 et 1 mais elle ne permet pas de rendre compte de tous
les paradoxes que peuvent présenter les affirmations du langage. Ainsi, si l'on
considère le paradoxe du menteur, M « cette phrase est fausse », la logique
floue est incapable d'en rendre compte.
Si l'on suppose que M est vraie, alors elle est fausse, et si l'on suppose qu'elle
est vraie, alors elle est fausse : c'est un défi pour la logique-H. La logique floue
ne sait pas non plus attribuer de valeur de vérité à P.
Pour cela, il faut introduire une extension de la logique floue que nous
appellerons logique-I, qui attribue la valeur de vérité 1 / 2 à P, car elle n'est
ni vraie, ni fausse.
Si l'on considère maintenant l'affirmation V « cette phrase est vraie », elle peut
être aussi bien vraie que fausse, et encore, nous lui attribuerons la valeur de
vérité 1 / 2, ce que ne sait pas faire la logique floue, ni la logique-H.
Nous dirons que les deux affirmations M et V sont indéterminées et nous
poserons que toute affirmation indéterminée à pour valeur de vérité 1 / 2 pour la
logique-I. L'inverse n'est pas vrai et on peut rencontrer des affirmations
auxquelles la logique floue permet d'attribuer la valeur de vérité 1 / 2 qui ne sont
pas indéterminées. Ainsi l'affirmation F, « x est une femme », sur l'ensemble des
êtres humains vaut à peu près 1 / 2 et on peut la calculer par une énumération
exhaustive.
Lorsque l'on peut calculer la valeur de vérité d'une proposition par énumération
et qu'on trouve une valeur proche de 1 / 2, on dira que la proposition P est
incertaine Lorsque l'on trouve une valeur proche de 0, on dira que P est quasi-
fausse, et quasi-vraie si la valeur de vérité est proche de 1. Par extension, les
propositions indéterminées seront considérées comme des propositions
incertaines.
Il convient de noter une différence importante entre d'une part les affirmations M
et V que nous avons vues plus haut et l'affirmation F : M et V sont des
propositions que nous pouvons appeler unitaires car leur support ou domaine
de définition se réduit à un seul élément. En effet, M et V n'affirment quelque
chose que sur elles-mêmes. La proposition F, en revanche, est une proposition
composée, dont le domaine de définition comporte une multitude d'éléments, à
savoir ici l'ensemble des êtres humains.
L'affirmation F, « x est une femme », est une affirmation qui porte sur un être
humain quelconque pris dans un certain groupe de référence. On voit ainsi que
sa valeur de vérité dépend de ce groupe de référence qui est le support ou le
domaine de définition de la proposition. Ainsi, si l'on rapporte F à un pensionnat
de jeunes filles on trouvera une valeur de vérité proche de 1, alors que si on la
rapporte à l'assemblée nationale, on trouvera plutôt 0,2.
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