Le développement de la justice pénale internationale : Obstacle ou

publicité
Le développement de la justice pénale internationale : Obstacle ou renfort au cadre
multilatéral de sécurité collective?
Présidente :
Geneviève Dufour, professeure adjointe, Faculté de droit, Université de Sherbrooke
Conférenciers :
Fannie Lafontaine, professeure, Faculté de droit, Université Laval
Alain-Guy Tachou-Sipowo, doctorant en droit, Université Laval et récipiendaire de la bourse JohnHumphrey
Stéphane Bourgon, Avocat, LaHaye, Pays-Bas
Rapporteuse : Syrinne Benmouffok, Université d’Ottawa et Maxine Vincelette, Université d’Ottawa
Le crime d’agression et la cour pénale internationale : confrontation ou complémentarité
entre justice pénale et sécurité internationale?
Ce panel de discussion a analysé le statut actuel du crime d’agression dans le contexte de la Cour
pénale internationale (CPI) afin de démontrer s’il y a confrontation ou complémentarité entre la
justice pénale et la sécurité internationale.
En 2002, l’Assemblée des États parties a créé un Groupe de travail afin de formuler une
proposition de révision du Statut de Rome de 1998, qui donnerait la possibilité à la CPI d’exercer
sa compétence à l’égard du crime d’agression. Le mandat de ce Groupe de travail était
d’élaborer un projet d’amendement du Statut de Rome comprenant une définition du crime
d’agression ainsi que les modalités d’exercice de la compétence de la CPI à l’égard de ce crime.
L’absence de consensus sur ces deux questions semble se justifier par des considérations
politiques. Il est en effet problématique que la CPI juge de la responsabilité d’individus pour un
crime dont le fait déclencheur découle d’un acte étatique. Comment réconcilie-t-on le crime
d’agression et la sécurité nationale? Évidemment, le crime d’agression interdit le recours à la
force entre États, question relevant de la compétence du Conseil de sécurité des Nations Unies
(CS) qui a comme mandat de promouvoir la paix et la sécurité internationale. Ceci dit, introduire
le crime d’agression dans le Statut de Rome et le définir demanderait qu’il y ait une compatibilité
avec la Charte des Nations Unies, dont relève l’action du Conseil de sécurité. Si nous tenons
compte du rôle de la CPI en tant qu’entité judiciaire de nature indépendante et le rôle du Conseil
de sécurité en tant qu’entité politique, il devient évident que la poursuite du crime d’agression
engendrera des tensions entre justice pénale internationale et sécurité internationale. Par
exemple, d’un côté la CPI devra gérer des questions de droit très politisées et de l’autre elle ne
sera peut-être pas en mesure de prévenir les conséquences et l’impact de telles actions sur la
sécurité collective.
Afin d’articuler la compétence de la CPI avec celle du Conseil de sécurité, voici ce que le
Groupe de travail propose au sujet de la définition du crime d’agression.
Le crime d’agression serait un fait internationalement illicite de l’État pour lequel la CPI
limiterait sa compétence à la répression du fait internationalement criminel de l’individu. Ci-
dessous des explications sur les éléments de cette définition données par les membres du Panel
B-3 :
1. « Un fait internationalement illicite de l’État » qui serait semblable à la définition adoptée
sous l’article 1 de la Résolution 3314 de l’Assemblée générale des Nations Unies de
1974 :
« L’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité
territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, de toute autre manière
incompatible avec la Charte des Nations Unies ».
2. « Un fait internationalement criminel de l’individu » : Une réconciliation entre la
définition du crime contre la paix de l’article 6 (a) du Statut de Nuremberg qui inclut la
direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression et
la définition de l’acte d’agression au niveau individuel tel que stipulé dans la version du
Projet de code CDI 1996 : « Tout individu qui, en qualité de dirigeant ou d'organisateur,
planifie, commet ou ordonne que soit commis un acte d'agression sera, une fois reconnu
coupable de cet acte, condamné ».
Aux termes du projet d’article 25, paragraphe 3bis du Statut de Rome, les poursuites seront
engagées uniquement contre les individus en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique
ou militaire d’un État.
La problématique de la compétence à l’égard du crime d’agression
Considérant les problèmes pratiques et opérationnels qu’imposerait la répression du crime
d’agression par la CPI, il est envisagé d’attribuer la détermination de l’existence de l’acte
étatique d’agression à un organe externe. Cependant, si une telle intervention devait se faire, cela
engendrerait des questions sur non seulement quel organisme serait mieux placé pour en avoir la
compétence, mais aussi sur le message donné quant au rôle de la CPI et sa capacité en tant que
système de justice internationale. Donner la compétence de ce crime à un organisme externe
pourrait donc nuire à la crédibilité de la CPI en tant qu’administratrice de la justice pénale
internationale et en tant qu’instrument de réconciliation. Toutefois, il est aussi vrai que la CPI
n’aurait probablement pas la capacité de gérer les conséquences et l’impact de ses décisions au
niveau de la sécurité collective.
Dans le cas où la CPI aurait une compétence secondaire à un organe externe, cela pourrait porter
atteinte à son indépendance en tant que système judicaire, de même que cette intervention
externe serait incompatible avec les principes d’équité procédurale. La dépendance de la CPI du
CS pourrait aussi affecter la proportion des actions intentées pour ce genre de crime. En d’autres
mots, le droit de veto des États faisant partie du Conseil de sécurité pourrait engendrer une
impossibilité de la part du CS de donner son autorisation de poursuivre une enquête.
Présentement en matière d’agression sous l’article 13 du Statut de Rome, le projet d’amendement
sur le crime d’agression suggère que la CPI peut être saisie à la suite d’un renvoi par un État, le
Conseil de sécurité (CS), ou le procureur de sa propre initiative. En ce qui concerne l’ouverture
d’une enquête voici ce que le Groupe de travail propose sous le projet d’article 15bis :
1. Dans le régime présent, tout renvoi est sujet à l’autorisation d’enquêter et seule
l’initiative du procureur est sujette à l’autorisation de la Chambre préliminaire. Le
Groupe de travail suggère donc que le procureur commence par établir si le CS a constaté
l’existence ou non de l’acte d’agression et dans le cas ou il existe un tel constat, le
procureur pourrait donc enquêter.
2. En l’absence d’un constat, le procureur ne peut enquêter à moins qu’une résolution du
Conseil lui permette de poursuivre. Le Groupe travail suggère donc 4 possibilités :
a. Le CPI poursuivrait en l’absence de constatation du CS six mois après une
notification de l’intention du Procureur d’ouvrir une enquête
b. À condition d’une autorisation de la Chambre préliminaire
c. À condition d’un constat de l’existence de l’acte d’agression par l’Assemblée
général des Nations Unies
d. À condition d’un constat de la Cour international de justice (CIJ).
En conclusion, que la justice pénale internationale soit considérée comme un obstacle ou un
renfort à la sécurité internationale, les opinions sur le sujet varieront en fonction du groupe qui
analyse la question. Cependant, nous pouvons être sûrs que le « test » de l’inclusion du crime
d’agression dans le Statut de Rome démontrera certainement les limites et/ou la complémentarité
de la justice pénale internationale et la sécurité internationale.
La justice pénale internationale actuelle : obstacle au système de sécurité collective
Stéphane Bourgon est un praticien du droit pénal international et un membre du barreau du
Québec. Me Bourgon est actuellement un acteur important du Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY).
Selon Me Bourgon, le développement de la justice pénale internationale peut être un renfort du
système de sécurité collective sous deux conditions : (1) elle doit être indépendante du cadre de
sécurité collective et (2) doit être une justice normale. Il est donc clair qu’il existe un lien étroit
entre la justice pénale internationale et la sécurité collective. Selon lui, les deux conditions ne
sont actuellement pas remplies. Il considère donc que la justice pénale internationale est sur une
mauvaise voie et constitue un obstacle à la sécurité collective.
Pour ce qui a trait à l’indépendance par rapport au système de sécurité collective, il nous donne
deux exemples, celui des travaux de Kampala et de la situation au Darfour. Premièrement, il fait
état de ces travaux qui tenteront d’inclure dans le Statut de Rome une définition du crime
d’agression en 2010. Bien qu’il les considère intéressants, il ne croit pas qu’une définition pour
ce crime permettrait de poursuivre un individu qui ne pourrait l’être dans une autre juridiction.
D’ailleurs, ce crime ne serait pas un apport positif dans la lutte à l’impunité de ces individus. Le
crime d’agression ne participerait donc à la réalisation de deux des objectifs principaux de la
CPI. Plutôt, l’inclusion du crime d’agression à la juridiction de la CPI entraînerait une plus
grande politisation de son activité en donnant plus de pouvoirs au Conseil de sécurité de l’ONU.
Cette inclusion aurait certainement pour conséquence de retarder de plusieurs décennies
l’adhésion au Statut de Rome des trois membres permanents du Conseil de sécurité ne l’ayant pas
encore signé ou ratifié. Me Bourgon ajoute qu’il existe de nombreuses autres violations
beaucoup plus pressantes qui n’entraîneraient pas une politisation de la CPI comme le crime de
piraterie ou celui du trafic de stupéfiants.
L’exemple du Darfour démontre les risques du rôle quasi-judicaire donné au Conseil de sécurité
par le biais de l’article 7 de la Charte des Nations unies. En l’espèce, trois États qui ne font pas
partie de la CPI ont enjoint celle-ci de faire une enquête sur un pays non membre de la CPI. Le
procureur a mené cette enquête et a identifié des personnes qui devaient faire face à la justice,
dont le président Al-Béchir, et a émis des mandats d’arrêt. Le constat général est que la
population du Darfour continue à souffrir malgré ces mandats et surtout parce que le Conseil de
sécurité n’a pas encore pris les mesures qui s’imposent pour remédier à la situation. Selon Me
Bourgon, le Conseil devrait soit avoir le courage d’arrêter les suspects, soit permettre à la
situation humanitaire de se rétablir. Dans cet exemple, il considère que la justice est devenue un
obstacle au système de sécurité collective surtout en raison de l’implication importante du
Conseil de sécurité, c’est-à-dire de la politisation de la justice pénale internationale. La CPI a
donc perdu en partie sa légitimité même si elle a agi sur la base d’une demande du Conseil de
sécurité.
Me Bourgon croit donc qu’il est impératif que la CPI soit indépendante de la mise en œuvre des
décisions du Conseil de sécurité et que celui-ci ne puisse s’immiscer dans ses travaux afin de
réduire la politisation de ses actes. De plus, tant que trois des membres permanents du Conseil de
sécurité n’auront pas ratifié la Charte de la CPI, une telle indépendance sera ardue.
La deuxième condition selon Me Bourgon n’est pas respectée non plus puisque pour l’instant, la
justice pénale internationale est une justice d’exception où la politique est omniprésente. Il cite
l’affaire de l’Hôpital de Vukovar. La décision d’acquitter les accusés d’aide et d’encouragement
par omission de meurtre de la première instance a été renversée en appel et les juges ont ajouté
dix-sept ans de peines aux accusés sans possibilité d’appel. Toutefois, le droit d’interjeter appel
est inscrit dans le Pacte international des droits civils et politiques et est considéré comme un
principe de justice fondamentale. Le TPIY peut se permettre une telle restriction à ce droit
seulement en raison du caractère exceptionnel de sa juridiction ce qui ne peut être que négatif
pour l’état du droit pénal international. Me Bourgon avance donc que tant que la justice pénale
internationale permettra de telles décisions contre la justice fondamentale, la justice pénale ne
pourra servir de renfort au système de sécurité collective.
Bref, l’état actuel de la justice pénale internationale est un obstacle au système de sécurité
collective en raison de son manque d’indépendance et de son caractère exceptionnel. Me
Bourgon conclut en disant qu’il ne faut pas aller trop vite et vouloir trop en faire avec une
nouvelle branche du droit international public.
Téléchargement