« Journée Himalaya »
08 janvier 2009
Campus Gérard Mégie
Organisée par l’INSU (CNRS) et le Réseau Asie-Imasie (UPS 2999 CNRS/FMSH)
Jean Philippe Avouac
L’Himalaya: Séismes, plissements et surrection des reliefs au front
de la collision Inde – Asie.
California Institute of Technology
Dans cet exposé je vais vous retracer l’histoire de la géologie himalayenne.
J’incorporerai à cet exposé des résultats qui ont été obtenus au cours des 10-20
dernières années. L’exposé sera également assez général.
Il y a de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi nous étudions l’Himalaya. La
première raison est que, si on comprend bien l’Himalaya, on comprend également la
manière dont se forment les chaînes de montagnes. Vous verrez également à travers
l’exposé, qu’en étudiant l’heure, on a un éclairage sur la façon dont se déforme la
lithosphère continentale, qui reste un problème encore très mal compris aujourd’hui en
science de la terre. On verra aussi que l’Himalaya est un lieu d’interaction entre la
dynamique interne et dynamique externe de la planète. C’est un lieu privilégié pour
comprendre comment la planète fonctionne de manière globale.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais mentionner les nombreux collaborateurs
qui ont travaillé avec moi au cours des 10 dernières années. (Diapo 2) En particulier, les
étudiants qui ont fait leur thèse ou des projets de posdoctorat sur des sujets himalayens :
comme Jérôme Lavé, Laurent Bollinger, Rodolphe Catin, Pierre Bettinelli ou Olivier
Beyssac et tous les collaborateurs du CEA, du CNRS. Les sources de financement sont
venus du CEA et de l’INSU.
Dans un premier temps, vous trouverez, ci-joint (Diapo 3), une vue globale avec une
carte de la sismicité mondiale et les séismes d’une magnitude supérieure à 4.5 sur
quelques années. Les codes de couleur représentent la profondeur à laquelle les séismes
se produisent. Les points rouges sont les séismes superficiels (typiquement moins de 33
km de profondeur), et les autres sont plus profonds. Quand vous observez cette carte,
vous comprenez immédiatement la tectonique des plaques. On voit que dans leur vaste
majorité, les séismes superficiels suivent des limites extrêmement étroites qui sont les
limites des grandes plaques. Aujourd’hui, si vous donnez cette carte à un enfant en
classe de CP, en quelques heures, il est capable de retracer les limites des grandes
plaques lithosphériques. Là où l’enfant rencontrera peut-être une difficulté, c’est quand
il arrivera dans la région qui s’étend depuis les Alpes jusqu’à l’Himalaya, qui est
beaucoup plus diffuse. L’Himalaya fait partie d’une frontière de plaque entre l’Eurasie
et l’Inde. Nous voyons ici (Diapo 4) la limite de la tectonique des plaques. La
tectonique des plaques est une description cinématique des mouvements à la surface de
la terre. La théorie veut que ces mouvements sont accommodés par des frontières de
plaques qui sont extrêmement étroites. On voit donc, quand on est en domaine
continental, que la théorie ne s’applique pas strictement. La déformation devient
distribuée. Il y a donc une différence fondamentale entre la déformation de la
lithosphère continentale et celle de la lithosphère océanique. La tectonique des plaques
permet alors quand même de comprendre les conditions limite de la collision Inde -
Asie. Vous trouverez ci-joint une carte qui représente l’âge des fonds océaniques. Le
code de couleur est le suivant. En rouge, vous avez les fonds océaniques les plus récents
et, en bleu, les fonds océaniques les plus anciens. L’échelle est en million d’années.
Quand vous regardez cette carte vous voyez, par exemple, que l’océan indien s’ouvre,
encore actuellement, et s’est ouvert continuellement au cours des cent derniers millions
d’années. L’Inde était autrefois rattachée à Madagascar et à l’Afrique, et s’en est
détaché au cours de cette période. Ce que nous pouvons faire à partir de cette carte, c’est
reconstruire le mouvement de l’Inde par rapport à l’Eurasie en refermant l’océan indien,
l’océan Atlantique du Sud et l’océan Atlantique du Nord. Ensuite, vous reconstituez le
mouvement entre l’Inde et l’Europe durant les cent derniers millions d’années. C’est ce
qui est représenté ci-joint. Vous avez le mouvement de l’Inde sur 80 millions d’années.
On voit que l’Inde allait vers le Nord à une vitesse de l’ordre de 14 cm par an avant la
collision entre 80 et 50 millions d’années. Il y a 50 millions d’années, la vitesse de
l’Inde a brusquement chuté. On sait que cela correspond à la période à laquelle les
sédiments marins dans la zone himalayenne disparaissaient. C’est l’indice du moment
où, l’océan, qui autrefois séparait l’Inde de l’Eurasie, se ferme. C’est à partir de cet âge
qu’on commence également à exhumer des roches qui ont été métamorphisées. Elles ont
été entraînées dans la zone de collision en profondeur puis exhumées. C’est donc
clairement le moment où la collision se produit. Incidemment, on voit que le fait que la
chaîne se construit et que le plateau tibétain se soulève change fondamentalement les
forces aux limites qui déterminent le mouvement de l’Inde. Les collisions ont donc une
influence sur la dynamique interne de la planète. On avait donc un océan entre l’Inde et
l’Asie, il y a plus de 50 millions d’années. Cet océan, le fond océanique, subductait.
Alors, le fond océanique peut subducter parce que ce sont des roches plus denses que les
roches qui forment la croûte continentale. Et quand l’océan est suffisamment ancien et
froid, il est suffisamment dense pour plonger dans le manteau. On a donc un phénomène
de subduction qui ne présente pas de grand mystère. A partir du moment où la collision
se produit et arrive au niveau de la fosse de subduction de la croûte continentale, qui
elle est trop peu dense pour pouvoir subducter, on commence à produire un
raccourcissement de la croûte continentale. Cette hypothèse figure dans le film joint.
Voilà, au premier ordre, l’idée générale de la façon dont se forment les chaînes de
montagnes qui représente l’idée du bulldozer. Le sol, qui serait la table dans
l’expérience que vous avez vue, représente le manteau lithosphérique qui peut subducter
facilement. Le tas de sable représente la croûte continentale qui est plus dense et reste à
la surface. Il va donc se raccourcir par le biais de différents chevauchements. En
laboratoire, on peut reproduire des choses qui ressemblent à des chaînes de montagne.
En Himalaya, on peut comprendre la façon dont se forment les chaînes de montagnes
parce que la chaîne est active. On peut aujourd’hui observer ce qu’il s’y passe. On a
beaucoup appris grâce à deux techniques en particulier. La première technique est la
sismologie. Au début des années 90, le laboratoire de détection géophysique du CEA a
installé un réseau de stations sismologiques qui couvrent l’ensemble du territoire
népalais. C’est un réseau permanent qui tourne encore aujourd’hui. On a ensuite installé
des stations GPS qui mesurent les déplacements du sol. On mesure donc à la fois les
séismes et les déformations du sol par ces deux techniques. Ci-joint, vous pouvez voir
une station GPS sur le terrain. Je vais commencer par parler de ce qu’on apprend avec
les stations GPS.
Une carte ci-joint (Diapo 6) vous montre les vitesses de déplacements mesurées à un
certain nombre de stations GPS. Il y a donc les stations où se trouvent des récepteurs
GPS permanents et le référentiel est l’Eurasie. On voit donc ici (Diapo 8) que l’Inde se
déplace vers le nord à une vitesse de 3 – 4 cm par an, qui est un petit peu moins rapide
que ce que prédit le modèle de tectonique des plaques global (d’après la reconstruction
que j’ai présentée précédemment) mais du même ordre de grandeur. On voit également
que ces différents vecteurs sont compatibles avec un mouvement de bloc rigide. L’Inde
ne se déforme pratiquement pas. En revanche, si on va au nord, on voit que les vecteurs
sont de plus en plus petits. On a donc une zone où le mouvement de convergence entre
l’Inde et l’Eurasie est absorbée par de la déformation continentale. Pour y voir un peu
plus clair, on peut calculer le taux de déformation à partir du champ de vecteurs figuré
ci-joint (Diapo 9). En rouge, il y a les zones où les taux de déformation sont les plus
importants et en bleu, les zones où il ne se passe pas grand-chose. Ce qu’on voit
immédiatement, c’est l’Himalaya qui ressort comme une zone de déformation très
intense. En fait, près de la moitié de la convergence entre l’Inde et l’Eurasie est
absorbée par du raccourcissement au travers de la chaîne himalayenne sur une distance
qui fait typiquement une centaine de kilomètres de longueur. Vous observez d’autres
endroits qui ressortent aussi, comme le Tian Shan, le Lungmen Shan Chan. Maintenant,
ces déformations sont des déformations produites au cours des dix dernières années (un
petit peu moins) pendant laquelle il ne s’est pas produit de très fort séisme. Ce sont donc
des déformations qui se sont accumulées lentement au cours de cette période. On peut
se demander ensuite si les chaînes de montagnes que l’on trouve partout en Asie sont le
résultat de l’accumulation dans le temps sur des périodes géologiques de ces
déformations. Au premier abord, on sait que non, car lorsqu’on regarde une période
d’une dizaine d’années, on rate des éléments de déformation essentiels qui sont les
grands séismes himalayens. Ci-joint (Diapo 11) vous trouverez une photo qui montre
Baktapur avant et après le séisme de 1934. Simplement pour vous rappeler qu’il y a eu
des séismes dévastateurs en Himalaya, il n’y a pas si longtemps. Celui-ci a atteint une
magnitude de 8 environ. Si on regarde les archives historiques et des données
géologiques de paléo-sismologie (Diapo 12), on s’aperçoit que l’ensemble de l’arc
himalayen a produit de très forts séismes par le passé. Les ellipses représentent la taille
des zones rompues lors de ces séismes. On voit immédiatement à leur taille, que le
séisme majeur en terme de destruction de 1934, ne compte pas parmi les plus gros
qu’on ait recensé en Himalaya. Le plus récent est celui de 2005 avec une magnitude de
7,6. Ce séisme n’était pas gigantesque mais a quand même provoqué plus de 80 000
morts. Le souci actuellement est de savoir se qu’il se passera le jour où il se produira un
nouveau séisme en Himalaya. Entre 1934 et 2005, il ne s’est pas passé grand-chose le
long de l’arc himalayen central. On voit également qu’il y a des zones où il ne s’est rien
passé pendant 500 ans, voire plus. La question qu’on peut donc se poser est et de savoir
si l’on doit s’attendre à un séisme de magnitude de plus de 8,5 dans cette région. Vous
imaginez immédiatement les effets potentiels vu la qualité des constructions et la
densité de populations dans le nord de l’Inde. Il faut donc s’attendre à un nombre de
victimes de plusieurs centaines de milliers, probablement supérieur à ce qui s’est passé
au Sichuan l’année dernière.
Si on effectue un petit zoom sur ce qui s’est passé lors du séisme du Cachemire de
2005, cette image (Diapo 13) a été obtenue par une technique qu’on a développé il y a
quelques années dans mon laboratoire au CEA. Cette technique consiste à corréler des
images optiques prises par le satellite SPOT, avant et après un séisme, pour mesurer les
déplacements du sol liés au séisme. Le code de couleur correspond à l’amplitude du
déplacement, ci-joint, un déplacement nord-sud. Ce que vous voyez dans l’image jointe,
c’est la zone de faille. Le séisme a rompu la surface du sol et a accompagné un
chevauchement de la zone montagneuse sur l’avant-pays, de l’ordre de 4 à 5 mètres. La
taille maximum était 7 mètres. Il s’agit d’un séisme relativement modeste, car il est de
7,6. La longueur de la rupture fait 70 – 75 kilomètres. Donc, lorsqu’il y a un grand
séisme en Himalaya, vous avez un incrément de déplacement sur une faille qui va
séparer les reliefs et qui contribue au soulèvement des reliefs. On voit donc déjà deux
éléments se mettre en place. D’abord, des déformations lentes sur des dizaines d’années
ou des centaines d’années qui préparent ces grands séismes. On voit par une règle de
trois très simple, que si le déplacement est de l’ordre de 5 mètres lors d’un séisme, vu
que le raccourcissement mesuré par la géodésie est de l’ordre de 2 centimètres par an, il
faut environ 250 ans pour préparer un séisme comme celui-ci. Ensuite la question qu’on
va se poser est de savoir comment ces séismes contribuent à former la chaîne et quelles
sont les failles sur lesquelles ils se produisent. Ensuite, il faut se demander si on peut
prédire, anticiper, et essayer de savoir si ces séismes se produisent de manière arbitraire
partout dans le prisme himalayen, où s’ils ont lieu sur des failles identifiables. On voit
tout de suite que ce n’est pas la géodésie qui va nous aider à répondre à cette question,
parce qu’on regarde une période qui est trop courte pour être représentative de ce qui se
passe à long terme. Il faut trouver une façon de quantifier les déformations sur une
échelle de temps qui va couvrir plusieurs cycles sismiques. La bonne approche, pour
cela, consiste à regarder des marqueurs géomorphologiques, typiquement des terrasses
fluviales. Ci-joint (Diapo 15), vous avez un exemple le long de la Trisuli. La rivière se
trouve ci-joint et quand vous regardez dans le paysage, vous voyez à flanc de vallée des
terrasses, qui sont des paléo-lits de rivières. Elles ont été abandonnées alors que la
rivière incisait en réponse au soulèvement des reliefs. Une fois que ces lits de rivières
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