521 Aff méd print 16 - Précis d`anesthésie cardiaque

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PAC 5
•
Précis d’Anesthésie Cardiaque
CHAPITRE 21
AFFECTIONS MEDICALES
EN ANESTHESIE CARDIAQUE
Mise à jour: Novembre 2016
Table des matières
Introduction
Chirurgie cardiaque chez le patient âgé
Modifications cardiovasculaires
Autres modifications
Chirurgie cardiaque/noncardiaque
Anesthésie
Hypertension artérielle
Mesure de la pression artérielle
Risque cardiovasculaire
Traitement antihypertenseur
Anesthésie
Le diabète
Endocrinologie
Effets de la chirurgie et de la CEC
3
4
5
15
20
24
29
29
32
37
47
53
53
59
Contrôle de la glycémie
Anesthésie du patient diabétique
Insuffisance rénale
Fonction rénale périopératoire
Protection rénale
Anesthésie chez l’insuffisant rénal
Anesthésie pour chirurgie cardiaque
Pneumopathies
Effets pulmonaires de la CEC
Bronchopneumopathie obstructive
Asthme
Hypertension artérielle pulmonaire
Affections thyroïdiennes
Maladieses hématologiques
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
61
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74
79
82
84
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89
91
103
105
1
Auteur
Pierre-Guy CHASSOT
Ancien Privat-Docent, Faculté de Biologie et de Médecine, Université
de Lausanne (UNIL), CH - 1005 Lausanne
Ancien responsable de l’Anesthésie Cardiovasculaire, Service
d’Anesthésiologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV),
CH - 1011 Lausanne
Lectures conseillées
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Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
2
Introduction
Avec l'élargissement des indications opératoires, il n'est pas rare que les patients de chirurgie cardiaque
soumis à une intervention en CEC souffrent de maladies associées. Celles-ci augmentent le risque
opératoire, compliquent le devenir immédiat, et imposent des contraintes physiopathologiques
supplémentaires et parfois prioritaires. Il arrive aussi qu'une insuffisance organique se développe dans
les suites postopératoires.
Un certain nombre de ces affections sont revues ici avec leurs implications pour la chirurgie, la CEC et
l'anesthésie. Bien qu’elle ne soit pas une maladie, la vieillesse figure en tête de liste.

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




La vieillesse ;
L'hypertension artérielle (HTA) ;
Le diabète ;
L'insuffisance rénale ;
Les pneumopathies ;
Les endocrinopathies thyroïdiennes ;
Les principales maladies hématologiques.
Chaque rubrique est conçue sur un triple plan: un rappel de physiopathologie clinique, une évocation de
la dysfonction correspondante secondaire à la chirurgie en CEC, et une description de l'anesthésie pour
la chirurgie cardiaque ou non-cardiaque dans cette pathologie particulière.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
3
Chirurgie cardio-vasculaire chez le patient âgé
La cohorte des gens âgés ne cesse d’augmenter. En Europe et en Amérique du Nord, on estime que 1922% de la population générale ont plus de 65 ans [11]. Cette classe d’âge représente 35% des patients
chirurgicaux et consomme 40% des ressources de la santé publique [2]. De plus, elle est le groupe dont
la croissance est la plus rapide : si le rythme reste soutenu ces prochaines décennies, 30% de la
population aura plus de 65 ans en 2025 et plus de 80 ans en 2060 [7]. Or l’âge représente un facteur de
risque indépendant pour les complications postopératoires (OR 2.99) et pour la mortalité (OR 1.88) [8].
En moyenne, la mortalité opératoire est doublée au-delà de 70 ans et quadruplée au-delà de 90 ans [11].
Mais l’âge n’est probablement pas un facteur de risque en soi. Il est le marqueur d’une prévalence
élevée de comorbidités. Les lésions cardiovasculaires de la sénescence sont le fruit d’expositions
répétées ou continues à des éléments adverses, évitables ou non, dont l’âge ne fait que mesurer la durée
[6]. Bien que rien ne parvienne à enrayer le vieillissement physiologique, de nombreuses mesures
peuvent toutefois abaisser l’incidence des maladies cardiovasculaires liées à l’âge : restriction calorique,
activité physique, abstinence de tabac, hypolipémiants, etc. Seulement 20-30% de la variabilité de
l’espérance de vie sont génétiquement déterminés. L’âge physiologique, défini par l’étendue de la
dégénérescence clinique, peut ainsi être très différent de l’âge nominal.
L'âge physiologique est bien exprimé par la notion de fragilité (frailty) des malades. La fragilité
représente une vulnérabilité extrême conduisant à l'incapacité du malade à maintenir son homéostase
face aux modifications de son environnement, aussi bien physique que psychique. Elle est liée à l'effet
cumulatif du déclin de nombreux systèmes avec l'âge. Sa prévalence est de 16% entre 80 et 84 ans, et de
26% au-delà de 85 ans [5]. Cette perte de la résilience entame tellement les réserves physiologiques que
des stresseurs minimes peuvent déclencher des altérations disproportionnées de l'état clinique. Le
diagnostic de fragilité est très important parce que ces patients sont gravement péjorés par le stress
majeur d'une intervention chirurgicale, quand bien même leur âge chronologique n'est pas en soi une
contre-indication [4]. La fragilité est fréquemment associée à des maladies cardiovasculaires (OR 4.1)
[1]. La clinique est constituée de différents éléments: faiblesse, fatigabilité, chutes répétitives, inactivité,
perte pondérale, malnutrition, sarcopénie, rapetissement corporel, dépendance, lenteur de la marche (> 6
sec pour 5 m), dépression, altérations cognitives, épisodes de délire, anémie, immunodéficience. On
peut en constituer un index, qui est un prédicteur indépendant du risque opératoire, augmentant de 2 à 4
fois la mortalité [3]. Le hazard ratio (HR) est de 4.9 pour les complications cardiovasculaires; pour la
mortalité, il est de 2.6 – 3.7 dans les opérations en CEC et de 3.2 dans les TAVI (pose de valve aortique
par cathétérisme) [1,9]. En chirurgie non-cardiaque majeure, la mortalité est triplée (OR 3.1) [10].
La sénescence
Les personnes âgées représentent une proportion de plus en plus importante de la patientèle
chirurgicale. La vieillesse est un facteur de risque lié à la durée d'exposition aux comorbidités. La
mortalité opératoire moyenne est doublée au-delà de 70 ans et quadruplée au-delà de 90 ans.
Références
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Modifications cardiovasculaires dues à la vieillesse
Modifications cellulaires
Nos cellules ont une échéance appelée apoptose. L’apoptose consiste en une série d’évènements
génétiquement programmés qui conduisent à un rétrécissement de la cellule, à une perte de ses activités,
à une fragmentation du noyau et du DNA, et à une dégénérescence intracellulaire, mais avec un
maintien de l’intégrité du sarcolemme et des mitochondries. Ce qui reste de la cellule est ensuite
phagocyté par les voisines sans laisser de trace. Il n’y a ni fibrose ni cicatrice comme lors d’une nécrose
[15]. La cellule vieillit également par accumulation de radicaux libres (ROS : reactive oxygen species)
qui sont des peroxydes (O2-) produits par les mitochondries à cause de la perte d’électrons (e-) au cours
de la chaîne d’oxydo-réduction ; normalement, ces ROS hautement toxiques sont immédiatement
neutralisés par des enzymes (super-O--dismutases), car ils peuvent peroxyder le DNA et les
phospholipides de la membrane. Les ROS sont également produits par les radiations ionisantes, par des
toxines et par divers polluants. Progressivement, leur accumulation dépasse les capacités des enzymes
régulateurs, la cellule dysfonctionne, ne se régénère plus et meurt (Figure 21.1) [13,16].
Cette disparition progressive des cellules remplacées par du collagène se traduit par une baisse du
métabolisme global. A partir de 30-40 ans, la consommation d’O2 et le débit cardiaque diminuent
graduellement de 1% par an, pour n’être plus que de 50% à 80 ans [13]. La plupart des organes perd
environ 1% de sa capacité fonctionnelle par année à partir de 35 ans [9].
Modifications myocardiques
Le cœur n’échappe pas à cette règle. Avec l’âge, plusieurs modifications structurelles se développent
dans la paroi ventriculaire [16,20,24].
 Le myocarde adulte contient environ 60% de myocytes et 40% de fibrocytes ; à 75 ans, la
proportion s’est inversée : il n’y a plus que 40% de myocytes, 60% de la masse myocardique
étant constituée de fibrocytes.
 Pour maintenir la performance contractile, les myocytes restants s’hypertrophient.
 Outre les fibrocytes, les fibroblastes produisent également du collagène, qui induit une fibrose
interstitielle ; le myocarde devient moins compliant et plus rigide.
 L’élévation de la postcharge gauche due à la rigidité des grandes artères et à l’hypertension
artérielle conduit à une hypertrophie concentrique qui accentue encore la rigidité myocardique.
La fonction systolique globale est préservée et la fraction d’éjection conservée (FE 0.6), bien que la
prévalence de l'insuffisance cardiaque soit de 10-15% au-delà de 75 ans [16,19], mais une évaluation
plus fine met en évidence trois phénomènes.
 Dysfonction diastolique sur défaut de relaxation et perte de compliance, accompagnée d’une
augmentation des pressions de remplissage (voir Chapitre 5 Dysfonction et insuffisance
diastolique).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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 Dépendance accrue de la précharge pour maintenir le volume systolique (redressement de la
courbe de Starling (voir Figure 21.2 ci-dessous).
 Diminution de la puissance systolique (ralentissement de l’éjection à ≥ 300 ms, baisse de force /
unité de masse) et limitation du débit cardiaque maximal ; le DC chute de 1%/an au-delà de 40
ans par baisse de la demande métabolique.
Ionisation, polluants
Mitochondrie
ATP
Peroxidation
lipides
ROS
Oxydation
DNA
-
-
SuperO
dismutase
Cytochrome C
Transcription
de gènes
apoptotiques
e
↑ ROS
Canal
MPTP
Canal
KATP
Cytokines
↓ ATP
Capsases
↑ [Ca ]
++
Transitoire: apoptose
Défininitif: nécrose
Dysf myocard
Ischémie
Actine - myosine
© Chassot 2016
MPTP: mitochondrial permeability transition
pore
Figure 21.1 : Physiologie cellulaire du vieillissement. La cellule vieillit par accumulation de radicaux libres
(ROS : reactive oxygen species) qui sont des peroxydes (O2-) produits par les mitochondries à cause de la perte
d’électrons (e-) au cours de la chaîne d’oxydo-réduction ; normalement, ces ROS hautement toxiques sont
immédiatement neutralisés par des enzymes (super-O--dismutases), car ils peuvent peroxyder le DNA et les
phospholipides de la membrane. Les ROS sont également produits par les radiations ionisantes et par divers
polluants. La mitochondrie libère aussi du cytochrome C qui interfère avec la fonction de l’ATP, active des
cytokines et augmente le taux de ROS. Ces voies conduisent à la formation de capsases, enzymes susceptibles de
digérer la cellule et ses organelles.
Le cœur vieillissant présente encore d’autres altérations physiologiques par rapport à celui d’un jeune
adulte [20,25].
 Désensibilisation des récepteurs β-adrénergiques ; l’âge entraîne une augmentation du tonus
sympathique de base et de la sécrétion de nor-adrénaline [13], ce qui conduit à une régulation à
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








la baisse des récepteurs β. Cette désensibilisation explique la fréquence cardiaque de base plus
basse et la faible réponse inotrope et chronotrope en cas de stress sympathique ou de perfusion
de catécholamines à effet β1 et/ou β2 [12,27].
Augmentation de la densité des récepteurs α1 ; l’adrénaline est plus efficace que la dobutamine
ou la dopamine [22].
Abaissement de la fréquence cardiaque (FC) moyenne ; sa valeur maximale est donnée par la
formule : 220 – âge pour les hommes et 200 – âge pour les femmes. La FC est relativement fixe
et la variabilité fractale du rythme cardiaque est perdue [25].
Diminution de la réponse tachycardisante à l’hypovolémie, à l’hypotension, à l’effort et à la
stimulation sympathique.
Diminution du recrutement de contractilité à l’effort et à la stimulation sympathique.
Augmentation du volume télédiastolique ; élever le Vtd et la Ptd devient le moyen prépondérant
pour augmenter le débit cardiaque (effet Frank-Starling) lorsque l’accélération de la FC est
insuffisante [12].
Perte de l’efficacité des baroréflexes ; l’arc sympathique est conservé, mais l’arc
parasympathique est affaibli [5] ; bien qu’hypertendus, les malades souffrent d’hypotension
orthostatique.
Diminution de la réserve coronarienne par baisse de la production endothéliale de NO• et
augmentation de l’effet vasoconstricteur de l’endothéline [2].
Augmentation de l’incidence de tachyarythmies (20%) et de fibrillation auriculaire (10%) [20].
Après un infarctus, les fibroblastes âgés sont incapables de produire une cicatrice solide, d’où
un risque accru d’anévrysme, de défaillance et de rupture [24].
La courbe de Frank-Starling d’un vieillard est redressée et déplacée vers les hautes pressions
télédiastoliques à cause de la dysfonction diastolique : de faibles variations de remplissage se traduisent
par de fortes variations du volume systolique (Figure 21.2).
B
Débit
cardiaque
Normal
A
ΔVS
ΔVS
ΔP
© Chassot 2016
ΔP
Insuffisance
diastolique
Pression télédiastolique
Figure 21.2 : Courbe de Starling de l’insuffisance diastolique (en violet) comparée à la courbe normale (en bleu).
La pente de recrutement est très raide, le genou conduisant au plateau a disparu. La variation de volume systolique
correspondant à la même variation de pression de remplissage est plus grande en cas d’insuffisance diastolique.
Ceci se traduit pas une plus grande dépendance de la précharge et par une accentuation des variations ventilatoires
de la pression artérielle (B) par rapport à la normale (A).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Cliniquement, ce phénomène est responsable d’une étroite dépendance du débit cardiaque par rapport à
la précharge et de fortes oscillations du volume systolique, donc de la pression artérielle, avec les
modifications de pression endothoracique dues à la ventilation mécanique (IPPV). Ajoutée à la faible
accélération de la FC lors de stimulation sympathique, la dysfonction diastolique rend ces patients très
peu tolérants aux variations de volume ; l’hypovolémie n’est plus compensée et se traduit par une baisse
immédiate du volume systolique et du débit cardiaque. Ceci n’a pas de traduction clinique au repos,
mais limite la capacité à répondre au stress, car une augmentation de débit cardiaque s’accompagne
d’une augmentation disproportionnée de la pression télédiastolique ; d’où stase en amont et dyspnée par
excès liquidien interstitiel pulmonaire. Le pic de pression télédiastolique à l’effort est 30% plus élevé
chez la personne âgée que chez le jeune [6]. Cette haute pression diastolique peut contribuer à une
ischémie sous-endocardique si le flux coronarien y est déjà compromis.
La dysfonction diastolique modifie également la courbe de compliance, qui est déplacée vers le haut et
dont la pente est accentuée. Cette modification due à l’excès de fibrocytes et de collagène est accentuée
par l’hypertrophie ventriculaire concentrique (HVG) caractéristique de l’augmentation de postcharge
liée à la rigidité artérielle de l’âge (augmentation de l’impédance) et à l’hypertension systémique
(augmentation des RAS) (Figure 21.3).
Pression
Compliance
diminuée
P’’
Compliance
normale
P’
V’
V’’
V
V’’
Volume
© Chassot 2016
Figure 21.3 : Représentation schématique de la courbe de compliance normale du VG (en bleu) et lors de
dysfonction diastolique (en rouge). La courbe est curvilinéaire. A faible remplissage, la courbe a très peu de
pente : une variation de volume se traduit par une minime variation de pression. De ce fait, la pression veineuse
centrale (PVC) ou la pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) sont de médiocres critères de remplissage
en hypovolémie. En hypervolémie, au contraire, la relation entre la pression et le volume devient fiable (partie
droite de la courbe). La courbe lors d’insuffisance diastolique (compliance diminuée) se redresse et se déplace vers
le haut et vers la gauche. La même variation de volume se traduit par une variation de pression plus importante
que lorsque la compliance est normale. A la pression P correspond un volume ventriculaire plus petit (V’) que la
norme (V) ; le sujet peut être hypovolémique avec une POD (PVC) ou une POG (PAPO) normale. La normovolémie
d’un sujet souffrant de dysfonction diastolique (V’’ rouge) est une pression de remplissage (P’) qui correspond à
une hypervolémie (V’’ bleu) chez un sujet normal.
La prévalence de la dysfonction diastolique est de 60% au-delà de 75 ans ; celle de l’insuffisance
diastolique, qui est une défaillance ventriculaire congestive à fonction systolique préservée, n’est que de
10% [19]. La traduction clinique de la dysfonction diastolique est une élévation chronique de la PVC et
de la PAPO pour le même volume auriculaire, ce qui engendre une stase en amont, une dilatation de
l’OG et une augmentation de la pression liquidienne interstitielle pulmonaire. D’autre part, une PVC et
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une PAPO considérées comme normales chez l’adulte correspondent à une hypovolémie chez le
vieillard. Ce défaut diastolique implique une durée assez longue pour permettre le remplissage du
ventricule : le volume systolique baisse lorsque la fréquence est élevée. Il implique également une
intolérance à la bradycardie, parce que le ventricule n’est plus assez souple pour compenser la baisse de
fréquence par une augmentation adaptative du volume télédiastolique.
Le défaut de relaxation ventriculaire en protodiastole est bien visible sur la silhouette du flux mitral
(Figure 21.4).
E
A
A
⇓E
⇑A
B
Figure 21.4 : Flux mitral enregistré à l’échocardiographie transoesophagienne. A : flux normal; le flux
protodiastolique (E) fournit le 80% du remplissage ventriculaire et la contraction auriculaire (A) le 20%. B : chez
la personne âgée, la composante E diminue de vélocité et ne représente plus que la moitié du remplissage ; le flux
auriculaire augmente et apporte l’autre moitié du Vtd.
Normalement, le flux protodiastolique (composante E) fournit 80% du remplissage ventriculaire, la
contraction auriculaire (composante A) ne contribuant que pour 20% au volume télédiastolique (son but
est d’augmenter la Ptd et non le Vtd). Chez la personne âgée, la composante E diminue de vélocité et ne
représente plus que la moitié du remplissage ; dans ces conditions, la contraction auriculaire apporte
l’autre moitié du Vtd [11]. La conséquence est une étroite dépendance du rythme sinusal ; lorsque ces
malades passent en rythme nodal ou en FA, leur volume systolique diminue soudainement de moitié.
Par ailleurs, la prévalence de la FA est de 10% au-delà de 80 ans [25].
L’impact clinique de ces multiples modifications dues à l’âge est complexe, mais il peut se résumer par
les points suivants (Tableau 21.1).
 Dépendance accrue du volume systolique à la précharge et intolérance à l’hypovolémie (chute
importante de la pression artérielle et du DC à l’induction et à l’IPPV) ;
 Faibles modifications de la FC lors des variations de volume ou de stimulation sympathique ;
 Dépendance de la systole auriculaire ;
 Intolérance à la tachycardie ;
 Intolérance à la bradycardie ;
 Dyspnée d’effort.
A ces altérations myocardiques s’ajoutent des affections structurelles du cœur. L’usure des zones de
stress maximal se traduit par leur fibrose et leur calcification progressives. Ainsi les valves ont tendance
à devenir rigides et peu étanches. A cela s’ajoute la dégénérescence myxoïde propre à la valve mitrale.
Ainsi, un tiers des personnes âgées présente une insuffisance mitrale et un quart une sténose aortique.
Ces affections sont modérées et bénignes ; elles sont sans traduction clinique dans la vie quotidienne,
mais peuvent avoir une incidence fonctionnelle dans les situations de stress comme une intervention
chirurgicale.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Modifications vasculaires
Les artères vieillissent elles aussi. Plusieurs phénomènes apparaissent avec la sénescence de l’arbre
vasculaire ; ils conduisent à une rigidification progressive de ses parois [3,4,10,21].
 Epaississement de l’intima et de la média ;
 Dysfonction endothéliale avec frein à la synthèse du NO• et élévation de la production de ROS ;
 Glycosylation non-enzymatique (réaction du glucose avec des protéines, des lipides et des
acides nucléaires) conduisant progressivement à des amas moléculaires entrelacés et rigides ;
 Calcification dans l’intima et de la média ; le calcium envahit de nombreux tissus alors que les
os se décalcifient : c’est le paradoxe du calcium ;
 Modification du rapport entre le collagène et l’élastine au détriment de cette dernière, qui tend à
se fragmenter ; la prolifération du collagène diminue l’élasticité des grandes artères ;
 Accumulation de fibroblastes dans l’externa et remplacement progressif des myocytes par des
fibrocytes avec fibrose de toute la paroi.
Tableau 21.1
Caractéristiques hémodynamiques de la personne âgée

Dysfonction diastolique
o
o
o
o

Dysfonction systolique modérée
o
o

Désensibilisation des β-récepteurs
Réponse diminuée aux stimuli β-adrénergiques
Rigidité des parois artérielles
o
o


Non-accélération en cas de besoin
Faibles possibilités de varier le débit cardiaque
Stimulation sympathique centrale élevée
o
o

Surpopulation myocardique de fibrocytes
Hypertrophie ventriculaire concentrique (HVG)
Baisse de la vélocité d’éjection
o
Fixité de la fréquence cardiaque
o
o

Ralentissement de la relaxation
Baisse de compliance
Forte dépendance de la précharge
Forte dépendance de la fréquence et du rythme sinusal
Elévation de la pression systolique
Abaissement de la pression diastolique
Baisse de la réserve coronarienne
Sclérose et fuite valvulaires
Ces lésions d’artériosclérose (rigidification diffuse de toutes les artères) sont distinctes de celles de
l’athéromatose, qui consiste en dépôts lipidiques localisés, secondairement calcifiés ou non.
L’hypertension artérielle de la vieillesse est due pour 75% à la rigidité des grandes artères et pour 25% à
l’augmentation des résistances artériolaires (RAS). L’aorte et les grandes artères perdent leur élasticité
et leur capacité à amortir la différence de pression entre la systole et la diastole [3]. Normalement, elles
diminuent la pression artérielle systolique (PAs) par dilatation et stockage d’énergie en systole ; en
diastole, elles restituent le volume et l’énergie sous forme d’un flux diastolique antérograde (Figure
21.5).
Le rôle des grandes artères est ainsi d’amortir la pulsatilité engendrée par la systole ventriculaire et de
délivrer un flux quasi dépulsé dans les capillaires, sauf aux niveaux cérébral, coronaire et rénal. Avec
l’âge, la perte de cette élasticité fait que la pression systolique s’élève parce qu'elle n'est plus amortie,
alors que la diastolique (PAd) s’abaisse parce que la restitution du volume emmagasiné en systole
n'existe plus. La pression différentielle (PAs – PAd), ou pression pulsée, augmente comme chez
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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l’hypertendu (voir Chapitre 5, Couplage ventriculo-artériel). La rigidité des artères augmente également
l’intensité et la rapidité de l’onde de pression, et l’augmentation des résistances périphériques (0.5%/an)
accroît sa réflexion en périphérie [21]. La pression systolique s’en trouve accrue d’autant [14,17]. En
effet, la contraction du VG provoque une onde de pression qui se propage rapidement dans les parois
vasculaires (4-5 m/s), alors que le flux sanguin n’avance qu’à 0.6-1 m/s. Cette onde de pression est
réfléchie en périphérie au niveau des artérioles, là où les RAS augmentent brusquement, et revient en
direction du cœur, qu’elle atteint en protodiastole chez l’adulte jeune (Figure 21.6) [4].
Figure 21.5 : Amortissement
de la pression par l’élasticité
des grandes artères. A : En
systole, l’élasticité emmagasine
de l’énergie en se dilatant.
L’impédance
se
définit
comme le rapport entre la
pression instantanée et le flux à
cet instant (temps t) (Pt / Ft) ;
elle varie au cours de la systole.
Chez la personne âgée, elle est
très élevée. B : En diastole,
cette énergie est restituée sous
forme d’une augmentation de la
pression et du flux diastolique.
La résistance a lieu dans les
artérioles et les capillaires. Elle
est définie par la loi d’Ohm,
mais ne s’applique qu’à un flux
continu non-pulsé. Chez la
personne âgée, elle varie
normalement
selon
la
stimulation
sympathique
vasoconstrictrice alpha. Flèche
bleue: onde de pression
rétrograde.
Figure
21.6 :
Schéma
du
cheminement des ondes de flux et
des ondes de pression. A:
contraction
ventriculaire
en
protosystole: l’énergie est répartie
en une onde oscillatoire de pression
(flèche violette), dont la propagation
est fonction de la rigidité des parois
vasculaires, et en une onde de flux
(flèche rouge), qui propulse le
volume sanguin systolique effectif.
B: avancement à des vitesses
différentes de la masse sanguine et
de l’onde de pression qui se réfléchit
en périphérie. C: superposition de
l'onde de flux et du retour de l'onde
de pression, qui provoque un pic de
pression. Cette onde oscillatoire de
pression représente 10% de la
postcharge du VG, et 25-30% de la
postcharge du VD [14,17].
Résistance
Résistance
Artérioles
Artérioles
Aorte & gros
vaisseaux
Aorte & gros
vaisseaux
Onde de
pression
Impédance
A
VG
Systole
B
VG
Diastole
© Chassot 2016
A
B
C
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L’âge induit deux modifications majeures de ce mécanisme.
 La propagation de l’onde de pression est plus rapide (10 m/s) lorsque les parois sont rigides et la
pression artérielle élevée ;
 L’intensité de la réflexion en périphérie est augmentée lorsque les RAS sont élevées.
Le résultat est un retour plus rapide et plus intense de cette onde : elle se superpose au pic de pression
systolique et élève la postcharge du VG au lieu d’augmenter la pression diastolique. La composante
systolique de la courbe de pression apparaît bifide sur l’écran du moniteur (Figure 21.7).
Figure 21.7 : Comparaison d’une
artère normale et d’une artère
rigidifiée par une athéromatose diffuse
(artère fémorale). L’effet du retour de
l’onde de pression (onde réfléchie,
marquée par la flèche violette)
survient plus tôt dans le deuxième cas
et donne un crochetage sur le pic
systolique. Bien qu’enregistré comme
la pression systolique par le moniteur,
cet effet ne correspond pas à une
pression de perfusion réelle mais à un
simple pic de pression intra-artériel.
Artère normale
Artère rigide
Le moniteur donne comme valeur systolique la pression artérielle maximale, mais celle-ci ne
correspond pas à la pression de perfusion des organes. Cette dernière est liée à la pression engendrée par
le volume systolique et le flux sanguin; elle est représentée par le premier crochetage systolique (ou le
plus bas des deux pics). Si l’on compare la courbe artérielle d’une personne âgée à celle d’un individu
normal, on voit que le VG du premier est doublement pénalisé : sa postcharge augmente, alors que sa
pression de perfusion coronarienne diminue (Figure 21.8) [18,23].
La postcharge du VG est doublée par la rigidité des vaisseaux et encore augmentée par le cumul du
retour de l’onde de pression ; ceci entraîne une hypertrophie gauche de type concentrique. Les RAS,
résistance statique mesurée par la loi d’Ohm, sont la composante majeure de la postcharge gauche
lorsque l’arbre vasculaire est souple et compliant comme il l’est chez le jeune. Lorsque les vaisseaux
deviennent rigides chez la personne âgée, c’est au contraire la composante dynamique, mesurée par
l’impédance à l’éjection, qui devient le déterminant principal de la postcharge ; le travail du VG est
augmenté essentiellement à cause de la rigidité de l’aorte et des grandes artères [3]. Les RAS
n’augmentent pas avec le vieillissement lorsqu’il est physiologique (PAd basse), mais seulement
lorsqu’il s’accompagne d’hypertension artérielle (PAd élevée).
Le risque cardiovasculaire est directement lié à l’augmentation de la pression pulsée (PAs – PAd). Le
taux d’ictus, d’infarctus et de néphropathie s’accroît significativement lorsque la PA pulsée est > 80
mmHg [7,8]. En effet, les organes comme le cerveau, le cœur et les reins ne sont pas protégés par une
vasoconstriction artériolaire physiologique mais sont au contraire maintenus en vasodilatation par leur
autorégulation pour bénéficier d’un flux maximal. De ce fait, la pulsatilité artérielle s’y propage
jusqu’en périphérie ; plus elle augmente, plus s’élève le stress vasculaire et les risques d’accidents. La
vélocité de l’onde de pression, qui exprime le degré de rigidité de l’arbre vasculaire, est ainsi un
prédicteur indépendant d’accidents cardiovasculaires, avec un hazard ratio de 2.26 [26].
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou du récepteur de l'angiotensine (IRA) réduisent la
rigidité vasculaire et la pression artérielle centrale, et améliorent le pronostic à long terme
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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indépendamment de la baisse de la pression artérielle mesurée en périphérie [3]. Un régime de bétabloqueur et de diurétique n’a pas ces avantages, car la bradycardie augmente le volume systolique et de
ce fait accentue la pression réfléchie [28].
A
B
1
Amplitude
Pression pulsée
(~ rigidité)
dP/dt
2
3
PAM
Artère
normale
Artère
rigide
Surface sous
la courbe
(~ Vol systol )
Pente téléyst
& dicrotisme
(~ RAS)
© Chassot 2016
Figure 21.8 : Aspect analogique de la courbe artérielle. A : courbe normale. La pente ascensionnelle est fonction
du dP/dt intraventriculaire (pour autant qu’il n’y ait pas de pathologie valvulaire aortique). La surface sous la
courbe systolique est proportionnelle au volume systolique, la pente télésystolique et le niveau du dicrotisme sont
fonction des résistances artérielles périphériques (RAS), l’amplitude est fonction de la rigidité des parois mais
aussi de la volémie et des RAS. La pression artérielle moyenne (PAM) est calculée selon la formule : PAM =
(PAsyst + 2 PAdiast) / 3. B : comparaison d’une courbe artérielle normale (en rouge) et de la courbe d’un patient
souffrant d’athéromatose (en bleu), dont l’aorte est devenue rigide. 1 : augmentation de la pression systolique due
à la superposition de l’onde réfléchie. 2 : augmentation de la postcharge du VG. 3 : diminution de la pression de
perfusion coronarienne en diastole. La flèche bleue indique la pression de perfusion réelle des organes, qui est
celle générée par le volume systolique et non celle additionnée du retour de l'onde de pression.
Effets de l’anesthésie
L’induction de l’anesthésie provoque une baisse de la pression artérielle plus importante chez la
personne âgée que chez le jeune adulte. Plusieurs phénomènes sont impliqués (Figure 21.9).
 Chute des RAS ; cette vasodilatation diminue considérablement l’intensité de l’onde réfléchie,
mais non sa synchronisation parce que la pression artérielle différentielle liée au flux sanguin
n’a pas changé. Le moniteur de pression affiche la valeur maximale de la pression comme
valeur systolique ; on note donc une chute importante de la PAsyst, alors que la pression due à
l’éjection du volume systolique dans les artères ne s’est presque pas modifiée. Ce phénomène
est démontré par l’enregistrement préopératoire de la vélocité de l’onde de pression carotidofémorale ; ce test mesure le degré de rigidité de l’arbre artériel. Chez les patients dont les
vaisseaux sont rigides, la chute de pression artérielle à l’induction est de 25% plus importante
que chez ceux dont le test est normal [1].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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 Baisse de précharge par la veinodilatation (propofol, thiopental) et par le frein au retour veineux
(ventilation en pression positive) ; la courbe de Starling étant très verticale à cause de la
dysfonction diastolique, la diminution du volume systolique est très marquée.
 Le peu de tachycardie compensatrice ne permet pas de maintenir le débit cardiaque ; ce
phénomène est aggravé par le propofol qui bloque la cardio-accélération.
Même avec des substances sans effet inotrope négatif, la pression artérielle et le DC diminuent donc
considérablement.
A
B
© Chassot 2016
Figure 21.9 : Courbes de pression artérielle avant (A) et après (B) l’induction chez un patient de 80 ans dont les
vaisseaux artériels sont athéromateux et rigides. La vasodilatation due à l’anesthésie diminue l’intensité de l’onde
réfléchie (flèche violette), mais non sa synchronisation parce que la pression différentielle liée au flux sanguin
(premier pic systolique) n’a pas changé (flèches blanches: pression de perfusion des organes). Le moniteur affiche
la valeur maximale comme pression systolique, d’où la chute importante de la PAsyst, alors que la pression due à
l’éjection du volume systolique ne s’est presque pas modifiée.
Modifications cardiovasculaires dues à la vieillesse
La consommation d’O2 et le débit cardiaque baissent de 1%/an à partir de 30 ans. La plupart des
organes perd 1%/an de sa fonction à partir de 30-40 ans.
Modifications myocardiques :
- Dysfonction diastolique
- Dépendance accrue du volume systolique à la précharge
- Désensibilisation des récepteurs β et augmentation des récepteurs α
- Abaissement et fixité de la fréquence cardiaque
- Perte d’efficacité des baroréflexes
- Diminution de la réserve fonctionnelle et de la réserve coronarienne
Modifications vasculaires :
- Artériosclérose, perte d’élasticité et rigidité des grandes artères
- Amplification de l’onde de pression et de sa réflexion
- Hypertension artérielle systolique et baisse de la pression diastolique, augmentation de la
pression différentielle (PAs – PAd)
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Autres modifications dues à la vieillesse
L'appareil cardiovasculaire n’est pas le seul à être affecté par l’âge. Tous les systèmes sont touchés. De
nombreuses autres dysfonctions s’accumulent avec la vieillesse, qui ont toutes une incidence sur le
déroulement de l’anesthésie.
Système nerveux central
Les altérations du système nerveux autonome sont responsables de la baisse de la fréquence cardiaque
moyenne, de la faible réponse des barorécepteurs aux modifications de la pression artérielle ou du retour
veineux central, de la désensibilisation des récepteurs β, et de l’augmentation de réponse des récepteurs
α (augmentation des RAS). Ces altérations ont autant de poids que les modifications structurelles des
chambres cardiaques et des artères [6].
Plusieurs manifestations traduisent la dégradation du système nerveux central : baisse de l’acuité
visuelle et auditive, diminution de la mémoire immédiate et de l’attention, perte de la sensation de soif,
défaut de déglutition et fausses-routes (presbyphagie), chutes fréquentes. La thermorégulation devenant
défectueuse, les personnes âgées se refroidissent très vite dans un milieu hostile. Mais les deux
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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phénomènes qui ont le plus de poids dans la période périopératoire sont la dysfonction cognitive et le
delirium [1,8,19,21].
 Dysfonction cognitive : altérations de la mémoire immédiate, inattentions, désorientations,
hypoactivité. Incidence : 25% à 1 semaine, 10% à 3 mois ; peut survenir jusqu’à 41% des cas >
75 ans. Facteurs de risque : piètre status, âge > 70 ans, invasivité de la chirurgie [15]. Il est
souvent difficile de dissocier ce qui relève du stress opératoire de ce qui est lié à la dégradation
neuro-psychique progressive de la sénescence, car les malades tendent à attribuer à l’anesthésie
ce qui n’est que la perte de vigilance ou de mémoire propre à la vieillesse. Or la prévalence de
la dysfonction cognitive à > 75 ans est de 14-18% en dehors du contexte chirurgical [16].
 Delirium : altération de l’état de conscience et désorganisation de la pensée. Incidence 5-20%
en chirurgie générale, jusqu’à 65% en chirurgie cardiaque. Survient en général au 2ème-3ème jour
postopératoire, après un intervalle lucide. Facteurs de risque préopératoires : psychose,
désorientation, alcool, diazépines, polypharmacie ; facteurs peropératoires : benzodiazépines,
opiacés, douleur, hypothermie, hyperglycémie. La mortalité postopératoire est augmentée dans
les cas sévères.
Le type d’anesthésie et le choix des médicaments n’influencent pas la prévalence de ces deux
complications neuro-psychiques, à l’exception du midazolam qui tend à augmenter le risque de délire
postopératoire. Il n’y a notamment aucune différence entre l’anesthésie générale et la loco-régionale
rachidienne [1,19]. L’anesthésie n’est de loin pas seule en cause dans ces dérèglements. Il est certain
que le stress chirurgical, le syndrome inflammatoire systémique, les comorbidités et l’apoptose
neuronale continue jouent un rôle capital. Des travaux récents mettent sur une nouvelle piste :
l’anesthésie pourrait favoriser l’accumulation de protéine tau et de béta-amyloïde, substances
pathognomoniques de la maladie d’Alzheimer [9]. La dysfonction cognitive et le délire postopératoires
pourraient être des formes prodromales de cette maladie [18].
Système respiratoire
La vieillesse induit des modifications structurelles au niveau des poumons et de la cage thoracique, et
altère significativement les échanges gazeux [6,7,12,20].
 Compliance de la cage thoracique et élasticité pulmonaire diminuées ;
 Volume résiduel et capacité résiduelle fonctionnelle augmentés respectivement de 5% et 3% par
décade ;
 Diminution de la surface alvéolaire (de 20% à 70 ans) ;
 Diminution de la capacité vitale (25 mL/an dès 30 ans) ;
 Volume de fermeture supérieur à la capacité résiduelle fonctionnelle > 70 ans, ce qui provoque
un certain degré de shunt déjà en position verticale ; en anesthésie, les manœuvres de
recrutement (30 cm H2 O pendant 20 secondes) sont particulièrement nécessaires ;
 FEV1 diminué de 8% par décade ;
 Flux respiratoire bronchiolaire de type obstructif, augmentation des résistances dans les voies
aériennes ;
 Baisse de la PaO2 au repos (85-90 mmHg à 75 ans, ou PaO2 = 103 – 1/3 âge) liée à la
diminution de la surface alvéolaire, à l’effet shunt et à la fermeture des bronchioles ;
 Diminution de la réponse ventilatoire à l’hypoxie et à l’hypercarbie ;
 Incidence élevée de syndrome d’apnée du sommeil (40% à 80 ans) ;
 Réflexes pharyngo-laryngés déficients.
Le travail respiratoire est donc augmenté chez le patient âgé, pour une performance ventilatoire
diminuée. On peut dire que la capacité ventilatoire à l’effort est abaissée de moitié > 70 ans.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Foie et reins
La masse hépatique est diminuée de 30% au-delà de 75 ans. Le flux sanguin hépatique baisse de 1%/an
dès 40 ans ; il est donc réduit de 30% dès 70 ans [6,13]. La clairance des médicaments à métabolisme
hépatique est donc substantiellement abaissée ; c’est le cas des opiacés.
Un individu normal de 75 ans a perdu 30% de ses néphrons et 40% de sa filtration glomérulaire
comparativement à sa situation à 40 ans. L’excrétion rénale des substances et des métabolites diminue
de 1%/an dès 40 ans. La capacité du parenchyme rénal à conserver l’eau et le sodium est restreinte. La
créatinine reste normale chez la personne âgée parce que sa production a diminué par fonte de la masse
musculaire [20]. Comme elles sont fréquemment sous diurétiques et ressentent peu la soif, les personnes
âgées souffrent souvent d’hyponatrémie et d’hypovolémie.
Hématologie
Avec l’âge s’installent une hypoprotéinémie et une hypoalbuminémie. De ce fait, la liaison des
substances est diminuée et leur fraction libre augmentée. Pour le même dosage d’un médicament très lié
aux protéines comme le propofol, la concentration active de la substance est plus élevée, donc l’effet
clinique plus profond. Les réponses immnunitaires sont abaissées (immunosénescence), mais l’activité
coagulatoire est peu altérée (diminution d’environ 20%) [3].
Comme l’activité hématopoïétique se réduit avec les années, l’anémie (Hb < 100 g/L) touche environ
35% de la population au-delà de 65 ans. Or l’anémie est un facteur majeur de risque opératoire, quelle
que soit la chirurgie. En chirurgie générale, la présence d’une anémie modérée ou d’une anémie sévère
avant l’intervention multiplie la mortalité hospitalière par un facteur de 2 (OR 1.99) et de presque 3 (OR
2.82), respectivement [2]. En chirurgie cardiaque, le risque de mortalité postopératoire est multiplié par
4 et par 10 lorsque le taux d'Hb préopératoire est respectivement de 90 et de 70 g/L chez des malades en
insuffisance cardiaque [5]. D’autre part, les patients de > 65 ans ont tendance à être surtransfusés de
60% par rapport à ceux de < 65 ans (OR 1.62) ; plus ils sont vieux, plus cette différence s’accroît, et
plus ils cumulent les risques liés à la transfusion [4]. L’anémie préopératoire est donc doublement
pénalisante : elle augmente la morbi-mortalité proportionnellement à son importance, et elle augmente
les risques d’être transfusé, avec toutes les complications que cela comporte. Il est donc totalement
illogique que des patients âgés se présentent en salle d'opération pour une intervention élective avec une
Hb inférieure à la norme, alors que la correction de leur anémie en préopératoire aurait amélioré leur
pronostic et prévenu l'administration de sang.
Pharmacocinétique et pharmacodynamique
Le modèle pharmacocinétique le plus simple est un modèle à deux compartiments, qui est utilisable
pour la majeure partie des médicaments d'anesthésie. Après une injection intraveineuse, l'équilibre de la
substance entre le compartiment central (1) et le compartiment périphérique (2) commence
immédiatement; sa rapidité est fonction des constantes de diffusion K 1→2 et K 2→1. La substance est
éliminée depuis le compartiment central (Ke) [13,17,22]. Le volume de distribution (Vd) est un volume
virtuel sans corrélation avec les volumes anatomiques de l'organisme; il représente le volume apparent
nécessaire pour expliquer la concentration plasmatique d'une substance. Un produit très liposoluble aura
une faible concentration plasmatique et un très grand volume de distribution; ce grand Vd est le reflet
d'une importante absorption tissulaire, qui laisse peu de produit en circulation à disposition des
mécanismes d'élimination. Un produit maintenu dans le liquide extracellulaire par une forte liaison
protéique ou une ionisation importante aura un faible Vd (Figure 21.10).
Les modifications de la fonction et de la composition des structures corporelles liées à l’âge altèrent la
cinétique et les effets des médicaments et obligent à ajuster leurs dosages [13,17,22].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
17
 Diminution de 35% de la masse musculaire :
o Diminution du volume de distribution des substances lipophiles ;
o Effet des curares accentué, retard de décurarisation.
 Diminution de 15% de l’eau totale (plasma et liquide extracellulaire) :
o Diminution du volume de distribution des substances hydrophiles et ionisées ;
o Effets accentués de celles-ci (curares, catécholamines).
 Hypoprotéinémie et hypoalbuminémie (-20%) :
o Augmentation de la fraction libre des substances transportées par les protéines
(propofol) ;
o Accentuation de l’effet clinique (dépendant de la fraction libre).
 Augmentation de la part graisseuse de 20-45% :
o Accumulation des substances lipophiles (diazépines, thiopental, etomidate, etc) ;
o Retard d’élimination à cause de leur stockage dans la masse graisseuse.
 Diminution de 35% du métabolisme hépatique :
o Retard d’élimination des substances à haute extraction hépatique (fentanils, morphine).
 Diminution de 35% de l’excrétion rénale :
o Retard d’élimination des métabolites et des substances excrétées par les reins.
 Sensibilité exacerbée du système nerveux central à l’effet des psychotropes :
o Diminution de la MAC des halogénés ;
o Augmentation de l’effet des diazépines.
 Sensibilité augmentée du système cardiovasculaire aux effets cardio-dépresseurs :
o Effets hémodynamiques exagérés des agents d’anesthésie.
Figure 21.10: Eléments de
pharmacocinétique appliqués à
l’âge avancé. Modèle à deux
compartiments, où K12 et K21
sont les constantes de diffusion
entre le compartiment central
(essentiellement
plasma
et
liquide extra-cellulaire) et le
compartiment périphérique, et
Ke la constante d'élimination
(clairance).
L’injection,
la
résorbtion et l’élimination des
agents a lieu depuis ce
compartiment
central.
Le
compartiment
périphérique
comprend ici 3 composantes: le
compartiment
richement
vascularisé
(coeur,
foie,
poumons, reins), les muscles (35% chez le vieillard) et la
graisse (+ 20-45% à cause de la
perte en masse cellulaire active).
Substance
K1
2
Compartiment
périphérique
Compart
central
Ke
K2
1
Coeur
Cerveau
Foie
Graisse
+ 30%
Muscles
- 35%
© Chassot 2016
Par rapport au jeune adulte, le résultat global est une augmentation de la concentration des agents pour
la même dose injectée, une accentuation des effets cliniques et une prolongation de la durée d’action des
médicaments (voir Anesthésie). Le pic d’action du propofol, par exemple, survient après 10.2 minutes
chez la personne âgée au lieu de 5.68 chez le jeune adulte [11]. Ces données doivent être prises en
compte à l’induction de l’anesthésie :
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
18
 Réduction de moitié de la dose des agents d’induction ;
 Doublement de la durée d’induction ;
 Titration progressive.
Impact clinique
Physiologiquement, l’âge se définit comme une incapacité progressive à assumer des conditions
inhabituelles [14]. Alors qu’elle présente des performances normales au repos, la personne âgée a perdu
sa réserve fonctionnelle pour assurer un effort soutenu et répondre à un stress externe. Avec une perte
fonctionnelle de 1%/an dès 35 ans pour la plupart de ses organes, elle n’a plus de réserve si la demande
augmente ; aucune compensation n’est possible au-delà des conditions de base (Figure 21.11) [6,10].
%
Figure 21.11 : Evolution de la
réserve fonctionnelle en rapport
avec l'âge. La capacité basale est
peu altérée, mais la capacité
fonctionnelle
maximale
est
dramatiquement
réduite;
les
patients ont perdu toute faculté
d'adaptation aux variations des
conditions de charge ou à l'effet
cardiodépresseur des substances
[d'après référence 6].
100
80
60
Réserve
fonctionnelle
40
20
Capacité basale
Age (années)
10
20
30
40
50
60
70
80
Cette perte d’adaptabilité a trois conséquences cliniques.
 L’état clinique au repos ne prédit pas le comportement sous stress ; un patient bien équilibré
dans le quotidien décompensera rapidement à la moindre complication ;
 Aucune compensation majeure n'est possible au-delà des conditions de base;
 Une chirurgie majeure est parfaitement possible pour autant que l’homéostase soit
rigoureusement maintenue et qu’aucune complication ne survienne.
La chirurgie du vieillard demande donc de l'anesthésiste une attitude proactive et un fort investissement.
Il doit veiller à ne laisser s'installer aucune déviation prolongée, comme l'hypotension, l'hypertension, la
tachycardie, l'acidose, l'hyperglycémie, l'hypoxémie ou l'anémie. Toute modification doit être corrigée
dès qu'elle apparaît, car ce qui est tolérable chez le jeune ne l'est plus chez le vieux. Le patient âgé
n'ayant plus la réserve fonctionnelle nécessaire pour compenser des déviations majeures, l'anesthésiste
doit se substituer à lui pour corriger aussi rapidement que possible toute altération significative qui
éloigne le malade de son équilibre de base.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
19
Modifications dues à la vieillesse
Les organes principaux (poumons, reins foie) perdent environ 1% de leur capacité fonctionnelle par an
au-delà de 40 ans. A partir de 70 ans, l'individu a donc perdu le tiers de sa capacité fonctionnelle. Ceci
permet une existence normale au repos, mais abolit la réserve fonctionnelle en cas d’effort ou de
stress. En conséquence, une chirurgie majeure n’est possible que pour autant que l’homéostase soit
rigoureusement maintenue et qu’aucune complication ne survienne.
Les altérations pharmacocinétiques rendent les personnes âgées extrêmement sensibles aux agents
d’anesthésie. En conséquence, leur dosage doit être réduit en moyenne de moitié et leur durée
d’administration doublée. L’anémie touche plus du tiers des personnes âgées et doit être corrigée avant
toue intervention élective.
Références
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Chirurgie cardiaque et non-cardiaque chez la personne âgée
Chirurgie cardiaque
Toute marge de sécurité physiologique a disparu chez la personne âgée. Dès lors, les interventions
majeures comme celles de la chirurgie cardiaque ne sont possibles que si elles se déroulent sans aucun
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
20
incident. La moindre complication entraîne la catastrophe. Cela se traduit cliniquement par une
mortalité opératoire et postopératoire immédiate (< 30 jours) élevée, mais par une excellente survie à 5
ans lorsque l’intervention est réussie. La mortalité globale des octogénaires est plus que doublée par
rapport à celle des sexagénaires (Figure 21.12) [2,11,13,19].
 Pontage aorto-coronariens
 Remplacement valvulaire aortique (sténose)
 Remplacement valvulaire mitral
4-8% (< 60 ans : 0.5-2%) ;
6% (< 60 ans : 1-3%) ;
18% (< 60 ans : 4.1%).
Chez les nonagénaires, la mortalité moyenne est de 13% [15]. Le calcul de l’EuroSCORE prédit une
mortalité de 15-25% chez les malades de > 75 ans. Le taux de complications postopératoires est de 2035% chez les octogénaires et de 42% chez les nonagénaires [2,11,15,19]. Ces complications sont
essentiellement des pneumopathies (25%), une insuffisance rénale (18%), un ictus (9%), un infarctus
(8%) ou une hémorragie (8%) (Figure 21.13) [7].
Mortalité (%)
Complications (%)
Complications totales
40
20
PAC
RVA
RVM
15
IPPV prolongée
Insuff rénale
30
10
20
5
10
AVC
0
0
< 50
50-59
60-69
< 50
70-79 > 80
60-69
70-79 > 80
Age (années)
Age (années)
Figure 21.12: Mortalité de la chirurgie cardiaque
en fonction de l’âge des patients. PAC: pontages
aorto-coronariens. RVA: remplacement valvulaire
aortique. RVM: remplacement valvulaire mitral
[d’après références 2,11,13].
50-59
Figure 21.13: Complications de la chirurgie
cardiaque en fonction de l’âge des patients. On
voit que le taux d’insuffisance rénale est celui qui
augmente le plus rapidement avec l’âge. AVC:
accident vasculaire cérébral [2,11,15,19].
L’AVC postopératoire est directement lié aux manipulations de l’aorte ascendante et à son degré
d’athéromatose. Des incidents moins graves sont très fréquents, comme la FA (35-50%) et le délire
(34%). Les facteurs de risque sont nombreux (par ordre d’importance) [2,7,11].




Angor instable, dysfonction ventriculaire
Insuffisance rénale (créat > 200 µmol/L)
Durée de CEC > 120 minutes
Artériopathie périphérique
OR 4.8
OR 4.7
OR 4.2
OR 2.1
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
21
 BPCO
 Diabète
 Infarctus
OR 1.6
OR 1.5
OR 1.3
Malgré une mortalité opératoire plus que doublée par rapport aux sujets plus jeunes, la survie à 5 ans
des octogénaires est excellente puisqu’elle est identique à l’espérance de vie de la population normale
appariée (Figure 21.14) [6]. Pour les pontages aorto-coronariens (PAC), la survie à 5 ans est de 64% >
80 ans et 89% < 70 ans [5] ; pour les remplacements valvulaires aortiques, elle est respectivement de
66% et 86% [6]. L’opération est donc curative, même si elle est risquée, puisque ces survies sont
équivalentes à celles des individus du même âge ne souffrant pas de pathologie cardiaque.
Survie (%)
100
Figure 21.14: Survie à long
terme
des
patients
octogénaires (courbe rouge)
opérés de remplacement
valvulaire
aortique
pour
sténose serrée [6]. Bien que
la survie à 5 ans soit plus
faible que celle des malades
de moins de 70 ans (courbe
bleue), elle est superposable à
l’espérance de vie d’individus
sains du même âge (ligne
blanche).
< 70
ans
80
> 80
ans
60
Population
normale
appariée
40
p < 0.001
20
0
0
1
2
3
4
5
6
Suivi (années)
7
Lors de PAC au-delà de 70 ans, la mortalité peut être abaissée de 4.6% à 1.9% en respectant un
protocole très rigoureux et un strict contrôle peropératoire des variables hémodynamiques,
métaboliques, respiratoires et hématologiques [5]. Cela s'obtient avec une attitude proactive marquée,
fondée sur un monitorage invasif (échocardiographie transoesophagienne, cathéter de Swan-Ganz,
SvO2 , ScO2, etc) et une correction immédiate des déviations repérées. De nouvelles stratégies
opératoires moins invasives que les interventions en CEC semblent particulièrement bien adaptées à la
population âgée à haut risque. Les pontages aorto-coronariens à cœur battant (OPCAB : Off-pump
coronary artery bypass) diminuent le taux de complications opératoires (10% au lieu de 28%) et
améliorent les résultats à court terme au-delà de 70 ans, mais ne font pas de différence dans les résultats
à long terme [3,4,8]. Le taux d’AVC est diminué (1% versus 8%) particulièrement dans les pontages
tout artériels sans manipulation de l’aorte (voir Chapitre 10, Résultats chirurgicaux). Dans les sténoses
aortiques, l’implantation percutanée ou transapicale d’une prothèse valvulaire biologique de manière
minimalement invasive (TAVI : transcatheter aortic valve implantation) (voir Chapitre 10, Implantation
valvulaire aortique) diminue de moitié (HR 0.55) la mortalité postopératoire et de 60% (HR 0.39) la
mortalité cardiovasculaire chez les malades âgés en moyenne de 83 ans [10]. Une comparaison récente
entre TAVI et RVA en CEC chez des patients âgés à haut risque montre que la mortalité à 1 an est
diminuée avec le TAVI (14.2% vs 19.1%); le taux de complications est également plus faible (20% vs
27%), et celui d’AVC n’est pas augmenté (4%) [1].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
22
Chirurgie cardiaque chez la personne âgée
Le succès de la chirurgie cardiaque chez la personne âgée tient à un maintien rigoureux de
l’homéostase et à l’absence de complications opératoires. Vu la perte de réserve fonctionnelle, tout
incident entraîne la catastrophe. L'anesthésiste doit donc veiller à corriger immédiatement toute
déviation significative des variables hémodynamiques, respiratoires, métaboliques ou hématologiques.
La mortalité opératoire > 75 ans est 2 à 4 fois plus élevée que < 60 ans. Une fois passée la période
périopératoire à risque, l’espérance de vie à long terme du RVA et des PAC est la même que celle des
personnes saines de même âge. Les interventions minimalement invasives et/ou sans CEC sont
particulièrement adaptées à la sénescence (OPCAB, TAVI, MitraClip™).
Chirurgie générale et orthopédie
Après chirurgie générale chez les personnes âgées, toutes opérations confondues, la mortalité moyenne
à 30 jours est de 5% et le taux de complications de 20%. Par rapport aux patients de < 65 ans, la
mortalité opératoire est doublée au-delà de 70 ans et quadruplée au-delà de 90 ans. Par rapport aux
risques ASA I et II, les stades III et IV augmentent la mortalité par un facteur de 3 et de 12,
respectivement (OR 3.1 et 12.4) [12]. Les complications sont lourdes de conséquences : leur présence
élève la mortalité postopératoire de 13 fois [9]. Les facteurs qui pèsent le plus gravement sur la
mortalité sont la présence de complications, le status ASA, l’urgence de la chirurgie, le taux d’albumine
préopératoire et le nombre de transfusions sanguines [17].
L’urgence est un facteur qui augmente considérablement la mortalité. Pour la cure d’anévrysme de
l’aorte abdominale, la laparotomie et la fixation de la fracture du col fémoral, celle-ci passe
respectivement de 5%, 6% et 1% en situation élective à 38%, 15% et 8% en urgence [16]. Bien que ces
résultats soient perturbants, un délai pour stabiliser le patient médicalement n’améliore pas la situation.
Au contraire, il tend à aggraver la mortalité périopératoire de 3 à 5 fois s'il se prolonge au-delà de 24-36
heures [14,18].
Chirurgie générale chez la personne âgée
La mortalité moyenne est de 5% et le taux de complications de 20%. La mortalité double > 70 ans et
quadruple > 90 ans. Bien que l'urgence augmente le risque, la temporisation préopératoire tend à
aggraver le pronostic.
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Anesthésie du vieillard
Concept de prise en charge
Chez la personne âgée, beaucoup d’interventions majeures sont réalisables avec de grandes chances de
succès à la condition que tout se déroule à la perfection. Comme il n’y a plus de réserve fonctionnelle
(voir Figure 21.11), le moindre écart physiologique conduit à l’insuffisance et la moindre complication
entraîne une cascade de défaillances comme un jeu de domino ; les thérapeutiques agressives ne font
plus alors que retarder l’échéance fatale. Cette perte d’adaptabilité a trois conséquences cliniques.
 L’état clinique au repos ne prédit pas le comportement sous stress ; un patient bien équilibré
dans le quotidien décompensera rapidement à la moindre complication ;
 Aucune compensation majeure n'est possible au-delà des conditions de base;
 Une chirurgie majeure est parfaitement possible pour autant que l’homéostase soit
rigoureusement maintenue et qu’aucune complication ne survienne.
La mortalité postopératoire est 13 fois plus élevée chez les patients qui ont souffert d’un incident par
rapport à ceux chez qui l’intervention s’est déroulée sans anicroche [8]. Il s’agit donc de se placer dans
les conditions optimales de réussite, d’avoir une tolérance zéro face aux modifications hémodynamiques
ou métaboliques, et de maintenir rigoureusement la stabilité autour du point d’équilibre. La survie
postopératoire se joue en salle d’opération: la mortalité au cours de la première semaine postopératoire
est jusqu’à 10 fois plus élevée qu’en cours d’intervention à cause de l'enchaînement des complications
[3].
Vu la hausse rédhibitoire de morbi-mortalité liée à l’anémie et aux transfusions (voir Autres
modifications), l’hémoglobine doit être normalisée en préopératoire pour toute opération élective
(prescription de Fe2+, vitamine B12, acide folique). Lorsque la situation le permet, on opte de préférence
pour des interventions peu délabrantes : prothèse aortique endovasculaire plutôt que pontage aortique
par laparotomie, OPCAB (pontages à cœur battant) au lieu de revascularisation en CEC, TAVI
(implantation de valve aortique par cathétérisme) plutôt que RVA (remplacement à ciel ouvert). La
rapidité et la délicatesse chirurgicales sont primordiales. Dans le cas des interventions non-électives, il
existe une fenêtre optimale pour intervenir chirurgicalement : la mortalité augmente aussi bien pour les
opérations en urgence (délai < 12 heures) que pour les opérations différées (délai > 3 jours) [10,21]. Endehors d’une ré-équilibration impérative (déshydratation, sepsis, anticoagulation, etc) qui prend en
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
24
général moins de 24 heures, il n’y a pas lieu de renvoyer un cas dans l’espoir de voir la situation
s’améliorer ; elle a, au contraire, toutes les chances d’empirer.
L’âge avancé du patient oblige l’anesthésiste à adopter une attitude plus invasive que pour la même
intervention chez un adulte. La chirurgie gériatrique n’est pas synonyme de médecine sans espoir. Son
but est au contraire de redonner au malade une espérance de vie normale pour son âge (voir Figure
21.14). Ceci implique un monitorage important (cathéter artériel, voie centrale, débit cardiaque, SO2
cérébrale, test neuro-musculaire, BIS™) et une prise en charge proactive analogue à celle d’un cas
lourd. Une fois l’équipe d’accord sur l’indication opératoire, un rationnement n’est pas de mise, car le
minimalisme augmenterait la mortalité et annihilerait le bénéfice de l’intervention, qui deviendrait de ce
fait un pur gaspillage [7]. Ce n'est pas un cathéter artériel ou une voie centrale de plus qui coûtent cher,
ce sont les complications qui surviennent quand on n'en a pas bénéficié qui ruinent la santé publique.
Ces remarques valent aussi bien pour la chirurgie cardiaque que pour la chirurgie générale ou
l’orthopédie.
Anesthésie générale versus loco-régionale
En chirurgie non-cardiaque, l’anesthésie loco-régionale (ALR) rachidienne apparaît à première vue
moins invasive que l’anesthésie générale (AG). L’ALR présente trois avantages : elle est le moyen le
plus efficace pour assurer l’antalgie postopératoire, elle diminue les complications pulmonaires, et elle
est associée à une baisse des thromboses veineuses profondes. Pourtant, les résultats globaux de la
masse de travaux comparant l’AG et l’ALR chez le patient âgé sont clairs : il n’y a aucune différence
significative ni dans la mortalité, ni dans la morbidité, ni dans les troubles neuro-psychiques, ni même
dans le coût hospitalier [1,3,5,10,11,14,17,20,22]. D’autre part, l’ALR est souvent contre-indiquée parce
que la consommation d’anticoagulants et d’antiplaquettaires est fréquente chez le malade âgé ; le
bénéfice de ces médicaments étant largement supérieur à celui de l’ALR, il ne convient pas de les
interrompre au seul titre de pratiquer cette dernière. Par contre, les blocs périphériques sont une option
simple, peu invasive et très efficace ; ils sont particulièrement utiles pour l’antalgie postopératoire.
Lorsqu’ils sont pratiqués dans le cadre d’une analgésie peropératoire accompagnée de sédation,
l’incidence de dysfonction cognitive n’est toutefois pas modifiée [1].
Induction de l’anesthésie
Souvent, les vieux arrivent en salle d’opération en hypovolémie relative par sommation de plusieurs
phénomènes : baisse du sentiment de soif, jeûne, diurétiques, régime pauvre en sel, baisse de la capacité
rénale à conserver l’eau et le sodium due à l’âge [15]. Mais leur faible compliance vasculaire les rend
très sensibles au remplissage. Les à-coups tensionnels sont donc amples et fréquents. La chute de
pression à l’induction est souvent très prononcée. Elle est le fruit de plusieurs éléments [4].
 Baisse du tonus sympathique central avec le sommeil ; or les personnes âgées ont un tonus
sympathique de base élevé.
 Baisse des résistances périphériques ; ceci ralentit l’onde de pression, qui se décale dans le
temps et ne s’additionne plus avec le pic systolique ; la PA systolique mesurée baisse d’autant,
sans que cela corresponde à une baisse de la pression de perfusion tissulaire (voir Figure 21.9).
 Baisse du retour veineux avec la curarisation et la ventilation en pression positive ; or la
dysfonction diastolique chronique fait que le volume systolique dépend très étroitement de la
précharge.
 La chute du débit cardiaque est d’autant plus grande qu’il n’y a pas ou trop peu de
compensation par une tachycardie.
 Interférence directe des agents d’anesthésie : vasodilatation artérielle (isoflurane, midazolam),
baisse de précharge (propofol), effet inotrope négatif (thiopental).
 Effet propre des substances accentué : baisse de la masse cellulaire et du volume de distribution,
hypoprotéinémie, baisse des clearances hépatique et rénale.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
25
Pour assurer une induction aussi stable que possible, l’administration médicamenteuse doit respecter la
sensibilité, la lenteur de circulation et le retard métabolique du vieillard (voir Autres modifications,
Pharmacocinétique). Pour la même dose administrée, le taux sérique et la durée d’action sont plus
élevés que chez l’adulte. La terminaison de l’effet des agents d’induction est liée davantage à la
redistribution qu’au métabolisme hépatique et à l’élimination rénale. Bien qu’arbitraires et
approximatives, trois recommandations sont fondamentales à cet effet :
 Diminuer la dose administrée de 50% par rapport à celle prescrite pour le jeune adulte ;
 Ralentir l’induction (≥ 30 secondes pour chaque dose) ;
 Titrer la dose selon l’effet.
Malgré son blocage momentané de la synthèse du cortisol, l’étomidate assure la meilleure stabilité
hémodynamique ; il est précieux chez les malades fragiles. Le propofol est deux fois plus puissant et a
des effets hypotenseurs accentués chez le vieillard ; son dosage doit être réduit de moitié. Le thiopental
est contre-indiqué lors de dysfonction ventriculaire. Comme toutes les benzodiazépines, le midazolam
augmente le risque de délire postopératoire ; son dosage doit être réduit de 50-75% par rapport à l’adulte
[4]. Le fentanyl et le sufentanil sont bien tolérés, mais en respectant une réduction de moitié du dosage.
Le remifentanil se révèle deux fois plus puissant ; comme sa clairance est diminuée de 30%, la
récupération après une perfusion est prolongée de manière variable [18]. Les dosages conseillés des
principaux agents d’anesthésie chez le patient âgé sont mentionnés dans le Tableau 21.2 (voir aussi
Chapitre 4, Agents intraveineux) [16]. Ils traduisent les données de pharmacologie propres à la
vieillesse.
Tableau 21.2
Dosages recommandés des agents à l’induction d’anesthésie chez le patient âgé
Substance
Midazolam
Propofol
Etomidate
Thiopental
Fentanyl
Sufentanil
Remifentanil
Morphine
Suxamethonium
Rocuronium
Vecuronium
Pancuronium
Cistracurium
Atracurium
Dosage chez le sujet jeune
0.05 mg/kg
2-2.5 mg/kg
0.3 mg/kg
5 mg/kg
2-5 mcg/kg
10 mcg/kg
0.1 mcg/kg
0.06 mcg/kg
1.0 mg/kg
0.6 mg/kg
0.1 mg/kg
0.1 mg/kg
0.2 mg/kg
0.5 mg/kg
Dosage chez le sujet âgé
0.02 mg/kg
1-2 mg/kg
0.2 mg/kg
1.5-3 mg/kg
1-2 mcg/kg
5 mcg/kg
0.05 mcg/kg
0.03 mcg/kg
1.0 mg/kg
0.4 mg/kg
0.05 mg/kg
0.05 mg/kg
0.2 mg/kg
0.5 mg/kg
[D’après: Rivera R, Antognini JF. Perioperative drug therapy in elderly patients.
Anesthesiology 2009; 110:1176-81]
Les personnes âges souffrent de fonte musculaire, de déformations osseuses et de rigidité articulaire.
Leur installation sur la table d’opération doit leur être confortable. Les points d’appui doivent être
soigneusement rembourrés. Comme leur thermorégulation est défaillante, il est important de couvrir
autant que faire se peut les zones qui sont en-dehors du champ opératoire, et de prévoir un matelas
chauffant et/ou un système d’air pulsé permettant leur réchauffement continu.
Les substances dont la prescription est inappropriée au cours de la vieillesse figurent dans la référence 6.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
26
Maintien de l’anesthésie
La MAC des halogénés diminue de 0.6% par an ; à 75 ans, elle a baissé de 30% par rapport à celle du
sujet jeune :
 Isoflurane :
 Sevoflurane :
 Desflurane :
0.9% au lieu de 1.2%
1.5% au lieu de 1.9%
5.1% au lieu de 6.5%
Parmi les curares, le pancuronium est déconseillé > 70 ans car son effet est très prolongé. L’âge n’a que
peu d’effet sur la succinylcholine, l’atracurium et le cisatracurium, qui sont métabolisés par les estérases
sériques et par la voie d’Hofmann. Le sugammadex est mieux toléré que la néostigmine pour renverser
les effets du rocuronium et du vecuronium chez le malade âgé [9,16].
Les substances d’anesthésie ont des effets variables selon la fonction diastolique préalable et selon le
modèle étudié (animal, homme normal, insuffisant cardiaque, patient âgé). Les halogénés semblent
diminuer la relaxation active lorsqu’elle est normale, mais l’améliorer en cas de dysfonction
protodiastolique (fréquent dans la vieillesse) [19] ; ils abaissent la fonction systolique de l’OG (FE <
25%), donc le remplissage télédiastolique du VG [12]. Certains agents intraveineux altèrent
significativement la relaxation active (barbiturés, kétamine), le propofol ne fait que prolonger la phase
de relaxation isovolumétrique, et l’étomidate semble sans effet [12].
L’équilibre hémodynamique est optimal lorsque la pression pulsée est inférieure à la pression
diastolique et lorsque la fréquence cardiaque est de 60-70 batt/min. Ceci peut se résumer dans la règle
des soixante-dix : chez les patients > 70 ans, maintenir la PAdiast > 70 mmHg, la pression pulsée < 70
mmHg, et la fréquence à 70 min-1. La PAsyst est alors idéalement à 140 mmHg (2 x 70).
Antalgie
La sensibilité à la douleur est exacerbée au cours de la sénescence. Elle est une composante importante
du delire postopératoire. Or les troubles neuro-psychiques en altèrent l’expression et laissent croire à
tort que les patients sont plus déments qu’algiques. De plus, la douleur bloque la mobilité et compromet
la réhabilitation, qui est capitale pour que le malade retrouve son indépendance.
Dans le postopératoire, l’ALR est très efficace, en particulier la péridurale et les blocs périphériques
continus. L’anesthésie par infiltration (LIA : local infiltrative anaesthesia) à laquelle procède l’opérateur
au cours de la fermeture est un appoint majeur dans la chirurgie de paroi et en orthopédie. Lors
d’anesthésie rachidienne continue, la diffusion des agents dans l’espace intradural ou extradural est
accélérée chez la personne âgée, et le bloc moteur plus prononcé que chez l’adulte [2,3].
La sensibilité aux effets des antalgiques est augmentée chez le vieillard [13]. Le risque de dépression
respiratoire est accentué (40% des patients de > 80 ans souffrent d’apnée du sommeil), l’iléus sur
opiacés est plus fréquent, la rétention urinaire est courante, et le danger de chute est aggravé. Certaines
substances sont préférentiellement recommandées dans le cadre de la vieillesse : oxycodone,
buprénorphine, paracétamol, kétorolac, acetaminophen. Les AINS sont déconseillés à long terme, mais
utilisables à faibles dosages pendant moins d’une semaine si la fonction rénale est normale ; l’agent le
plus souvent prescrit est l’ibuprofène. Les remarques pharmacocinétiques faites à propose de
l’anesthésie s’appliquent évidemment à l’antalgie (voir Autres modifications).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
27
Anesthésie de la personne âgée
A l’induction de l’anesthésie, la chute de la pression artérielle est 25-50% plus importante que chez le
sujet jeune (baisse du tonus sympathique, baisse des RAS, baisse de la précharge, absence de
tachycardie compensatrice, dysfonction diastolique). L’effet pharmacologique et la durée d’action des
agents d’anesthésie sont augmentés, mais l’installation de l’effet clinique est ralentie. A 75 ans, la
MAC des halogénés est diminuée de 30%.
Règle d’or pour l’induction :
- Diminuer la dose administrée de 50%
- Ralentir la cadence d’administration (30 secondes/dose)
- Titrer le dosage en fonction de l’effet
Substances recommandées pour l’antalgie postopératoires : oxycodone, buprénorphine, paracétamol,
kétorolac, acetaminophen. Comme les personnes âgées sont hypersensibles aux effets secondaires des
antalgiques, la loco-régionale et l’anesthésie par infiltration locale sont particulièrement efficaces.
Références
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Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
28
Hypertension artérielle
Mesure de la pression artérielle
La mesure invasive de la pression artérielle est sujette à deux modulations physiologiques qui
deviennent très significatives chez les gens âgés ou chez les hypertendus.
 La mise sous tension du volume systolique par le VG induit une brusque onde de pression dans
la masse sanguine et l’arbre artériel, qui se propage dans les gros vaisseaux sous forme d'une
onde pariétale; celle-ci précède normalement le flux sanguin pulsatile, car elle se déplace à une
vélocité de 5.0 m/seconde alors que la masse sanguine avance plus lentement (0.4-1 m/s)
(Figure 21.6) [1].
 Une élévation soudaine des résistances survient lorsque l'on passe des grandes artères aux
artérioles; cet endroit, anatomiquement réparti dans l'organisme, induit une réflexion de l'onde
de pression pariétale, comme si elle butait contre un mur. Lorsqu'elle revient en direction du
coeur, cette onde de pression réfléchie croise et se superpose à l'onde de flux sanguin
(déplacement du volume systolique) avec un délai par rapport à la systole qui varie selon sa
vitesse de propagation et selon le lieu de mesure de la pression dans l'arbre vasculaire.
Ces phénomènes font que la pression artérielle n'est pas identique dans toutes les artères, mais augmente
d'amplitude au fur et à mesure que l'on s'éloigne du coeur: la distensibilité diminue, les résistances
augmentent, et le délai de la rencontre entre l'onde de pression réfléchie et la pression générée par
l'avancement du volume systolique se raccourcit (Figure 21.15).
ascend
Aorte
thorac
abdominale
Artère
fémorale
tibiale
Figure 21.15 : Evolution de la pression (en mm Hg) et du flux (vélocité en cm/s) tout au long de l'arbre vasculaire
[Extrait de: Yin FCP. Ventricular/vascular coupling. Clinical, physiological and engineering aspects. NewYork:Springer Verlag, 1987, Figure 1.1. Réf 4].
Le flux sanguin, exprimé par sa vélocité en m/s, se modifie également. Dans l'aorte ascendante, il n'est
que systolique, la colonne de sang étant immobile ou légèrement rétrograde en diastole, alors qu’il
devient progressivement systolo-diastolique et de plus en plus "dépulsé" en périphérie (Figure 21.15).
Tout se passe comme si la fonction des grandes artères était d’amortir la pulsatilité imposée par la
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
29
systole ventriculaire et de délivrer en périphérie un flux continu à une pression moyenne voisine de celle
de l'aorte ascendante [4].
Dans l'aorte ascendante, la pression est en général de basse amplitude grâce à l'élasticité des parois;
l'onde de pression réfléchie en périphérie y revient après la fermeture de la valve aortique et amplifie la
pression protodiastolique. Avec l'âge, cette élasticité des vaisseaux diminue, et l'onde de pression se
propage plus vite. La forme de la courbe aortique se modifie: le retour de l'onde réfléchie survient plus
tôt et vient amplifier la pression en télésystole (Figure 21.7). L'hypertendu présente une courbe
analogue, mais à des valeurs particulièrement élevées.
On peut ainsi décrire deux types de contours de pression artérielle dans l'aorte ascendante (Figure 21.16)
[3]:
Aorte ascendante
Figure 21.16 : Courbes de flux et
de pression artérielle enregistrées
dans l'aorte ascendante chez deux
patients de type C (jeune adulte)
et de type A (personne âgée)
[Extrait
de:
Yin
FCP.
Ventricular/vascular
coupling.
Clinical,
physiological
and
engineering
aspects.
NewYork:Springer Verlag, 1987,
Figure 4.13. Réf 3].
Flux
Pression
Jeune (Type C)
Agé (Type A)
 Le type A: le retour précoce de l'onde réfléchie détermine le pic systolique qui survient en
télésystole et représente 10-15% de la valeur totale de la pression systolique; c'est la
configuration de la personne âgée et de l'hypertendu; il augmente la postcharge du VG; il
apparaît de façon marquée et précoce lors de clampage aortique.
 Le type C: chez l'individu jeune, le retour de l'onde réfléchie est plus tardif et moins marqué; il
survient en protodiastole ; le pic systolique, plus bas, n'est pas influencé par le retour de l'onde
de pression; c'est la pression protodiastolique qui est amplifiée. Une vasodilatation artérielle
pharmacologique induit ce même type de courbe.
Il est rare que l'on mesure la pression dans l'aorte ascendante ! Or, plus le cathéter de mesure est
périphérique, plus il enregistre une pression élevée et plus le pic de pression réfléchie s'imbrique dans la
pression du flux systolique pulsatile (Figure 21.17) [2]. D'un point de vue pratique, l'artère radiale est
plus distale que l'artère fémorale; on y lit une pression systolique normalement plus haute que la
pression centrale aortique, alors que la pression fémorale est plus basse parce que plus voisine de la
pression aortique. Après la CEC, ce phénomène s'inverse: la pression radiale est plus basse que la
pression fémorale à cause de la vasoconstriction catécholaminergique et hypothermique intense. L'ordre
de grandeur de cette différence est de 20-50 mmHg [6]. En effet, l’extrémité du cathéter fémoral est
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
30
dans l’artère iliaque externe, qui est une artère élastique non sujette à la vasoconstriction, contrairement
à l’artère radiale qui est une artère musculaire. Le cathéter fémoral transmet la pression de perfusion
réelle du cerveau et des coronaires, ce que n'assure pas le cathéter radial (Figure 21.18).
Figure 21.17 : Variations de la
forme analogique de la courbe de
pression artérielle selon la
localisation de l’analyse.
A : Image de la courbe de
pression normale depuis la racine
de l’aorte ascendante jusqu’à
l’artère fémorale [2].
B : Image schématique d’une
courbe artérielle dans l’aorte
ascendante
(ponction
peropératoire directe) et dans l’artère
radiale (cathéter). La pression
systolique enregistrée dans la
radiale est plus élevée, mais la
diastolique est plus basse ; la
pression différentielle (Psyst –
Pdiast) est agrandie.
A
Aorte ascend
Crosse
Ao descendante
Ao diaphragm
Ao abdominale
Artère iliaque
Artère fémorale
B
Aorte ascendante
Artère fémorale
Artère radiale
Artère radiale
120
80
40
© Chassot 2012
Figure 21.18 : Après une CEC hypothermique, l'intense vasoconstriction périphérique peut induire une différence
de valeur considérable dans la pression lue dans une artère fémorale, équivalente à celle l'aorte ascendante, ou
dans une artère radiale, beaucoup plus basse à cause de la vasoconstriction artérielle (chiffres en mmHg).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
31
Les organes complexes bénéficient d’un système d’autorégulation qui maintient le flux sanguin constant
sur une vaste plage de valeurs de pression artérielle. En deçà et au-delà de ces valeurs, le flux devient
pression-dépendant. Pour le cerveau, la zone d’autorégulation s’étend normalement de 60 à 130 mmHg
de pression moyenne (PAM) [5]. Dans les reins, l’autorégulation maintient le flux plasmatique rénal
(FPR) sur une plage de PAM allant de 80 à 180 mmHg. Une PAM de 60-70 mmHg est donc en dessous
de la zone d’autorégulation, et le FPR y devient dépendant de la pression; la régulation s’étend plus loin
vers les hautes que vers les basses pressions. Une PAM de 80 mmHg est le minimum vital pour le rein
adulte. Chez le malade hypertendu, ces plages d’autorégulation sont déplacées vers le haut, ce qui sousentend que le flux devient pression-dépendant déjà à des valeurs de PAM normales pour un individu
sain.
Mesure de la pression artérielle
Les parois des grandes artères sont élastiques et amortissent les variations de pression systolodiastoliques. Les artères périphériques sont musculaires et représentent la composante majeure des
RAS. Dans l’aorte, la pression différentielle (PAsyst – PAdiast) est plus basse qu’en périphérie ; la
PAsyst est inférieure et la PAdiast supérieure à celles de l’artère radiale. La pression la plus proche de
celle de l’aorte (pression de perfusion cérébrale et coronarienne) est transmise par un cathéter fémoral.
La vasoconstriction artérielle (hypothermie, noradrénaline) affecte la lecture de la PA dans les artères
musculaires (artère radiale) mais non dans les artères élastiques (artère fémorale).
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Risque cardiovasculaire
Incidence de l’hypertension artérielle
L'hypertension artérielle (HTA) est probablement la maladie la plus fréquente de l’humanité, puisqu’on
estime qu’elle touche un milliard d’individus et cause la mort de 7 millions de personnes par année [9].
C’est une affection dont l’incidence augmente avec l’âge ; du fait du vieillissement de la population, on
la rencontre donc de plus en plus fréquemment en salle d’opération. Comme la pression artérielle
s’élève avec les années à cause de la perte de souplesse de l’arbre vasculaire, on peut se demander à
quel moment elle devient pathologique, puisque les accidents vasculaires auxquels elle est associée
deviennent de plus en plus fréquents au fur et à mesure que l’on vieillit. Cela revient à dire que l’âge est
une maladie ! C’est en tout cas un gigantesque marché pour l’industrie pharmaceutique, qui ne voit pas
d’un mauvais œil la baisse du seuil de pression servant à définir la limite de l’hypertension.
L'hypertension est une affection multisystémique touchant principalement le coeur, l'arbre vasculaire,
les reins et le cerveau. Le risque cardiovasculaire est d'autant plus grand que la pression est plus élevée,
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
32
et pendant une plus longue durée. Entre 40 et 70 ans, chaque augmentation de 20 mmHg de la pression
systolique double le risque de développer une maladie vasculaire, particulièrement une ischémie
coronarienne ou un accident vasculaire cérébral. Ce risque s’élève dès que la pression systolique
dépasse 120 mmHg et la diastolique 75 mmHg [16]. Chez un adulte, les valeurs normales de la pression
artérielle (PA) sont 120-129 mmHg de PAsyst et 80-84 mmHg de PAdiast. Une PA de 130-139 / 85-89
mmHg est considérée comme normale-supérieure (high normal) ou pré-hypertensive [17]. Les
principaux facteurs de risque associés à l’HTA sont l’âge, l’hypertrophie ventriculaire gauche, le
syndrome métabolique, le tabagisme, la dyslipidémie et le diabète. Le risque de l’HTA est
essentiellement lié aux lésions des organes-cibles : maladie cérébrovasculaire, coronaropathie,
insuffisance ventriculaire, insuffisance rénale, polyartériopathie périphérique.
L'hypertension se définissait auparavant par l'augmentation de la pression diastolique. Cependant,
l'analyse de grandes enquêtes épidémiologiques comme la Framingham Study ont révélé une association
hautement significative entre le risque cardiovasculaire et la valeur de la pression systolique. Elle a
aussi démontré une association très marquée entre le risque cardiovasculaire et la pression différentielle
ou pression pulsée (PAsyst – PAdiast), mais une association négative avec la valeur de la pression
diastolique [5,6]. Ceci est logique, puisque l'HTA est liée à la fois aux résistances artérielles et à la
rigidité des gros vaisseaux. Dès la quarantaine, la pression systolique est une bonne représentation des
résistances vasculaires, mais elle sous-estime la rigidité des vaisseaux; la pression pulsée est au
contraire une bonne image de cette dernière. Le manque de distensibilité des artères donne lieu à deux
phénomènes :
 L’aorte et les grandes artères élastiques ont normalement la capacité de se distendre en systole,
ce qui amortit la pression systolique, et de restituer le volume en diastole, ce qui augmente le
flux, donc la pression diastolique (voir Figure 21.5) ; nous sommes en quelque sorte
physiologiquement contre-pulsés. Chez l’hypertendu, la rigidité des gros vaisseaux supprime
cet effet d’amortissement systolique et de renforcement diastolique, ce qui augmente la PAsyst
et baisse la PAdiast ; la différentielle augmente.
 La rigidité des parois artérielles fait que l'onde de pression réfléchie en périphérie (voir Figure
21.6) se propage plus rapidement (10-12 m/s) et revient au niveau des grandes artères pendant
la systole déjà, et non pendant la diastole (voir Figure 21.7) ; la PAsyst augmente, alors que la
PAdiast baisse [20].
Simultanément, la pression de perfusion coronarienne est diminuée du fait de la diastolique abaissée,
mais la charge ventriculaire augmentée à cause de l'élévation de la pression systolique (Figure 21.8).
Les évènements cardiovasculaires sont davantage liés au stress pulsatile des gros vaisseaux pendant la
systole qu'au stress stable lié aux résistances des petites artères en diastole [5]. Ainsi, une augmentation
de la systolique est associée à un risque cardiovasculaire accru, quelle que soit la diastolique, mais pour
une même valeur systolique, les patients qui ont une diastolique basse sont plus à risque que ceux qui
ont une diastolique haute, car leur différentielle est plus grande (Figure 21.19) [7,20].
La situation dans laquelle est mesurée la pression a son influence sur le résultat. L'"effet blouse blanche"
élève la systolique d'au moins 10 mmHg. Des stresseurs chroniques (soucis professionnels, problèmes
affectifs) peuvent obliger à augmenter les doses d'hypotenseurs, car ils sont susceptibles d'accroître la
pression de 40-50 mmHg, alors que la vasodilatation induite par la chaleur estivale contraint à diminuer
les dosages sous peine d'épisodes hypotensifs sévères. La mesure la plus fiable est obtenue le matin à la
maison par un sphygmomanomètre automatique, lorsque l'effet des substances hypotensives est
minimal; si elle est bien contrôlée (130/80 mmHg), le risque d'accident cardiovasculaire est bas, même
si la pression mesurée en cabinet médical est de l'ordre de 150 mmHg [14].
Définition de l’hypertension artérielle
L'hypertension est classifiée en quatre stades [11,17] :
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
33




HTA stade I:
HTA stade II:
HTA stade III:
HTA stade IV:
PAsyst 140-159 mmHg
PAsyst 160-179 mmHg
PAsyst 180-209 mmHg
PAsyst ≥ 210 mmHg
PAdiast 90-99 mmHg
PAdiast 100-109 mmHg
PAdiast 110-119 mmHg
PAdiast ≥ 120 mmHg
Cette définition fait que le 40% de la population occidentale adulte peut être considéré comme
hypertendu, et, de ce fait, doit être traité comme tel pour contrôler le risque cardiovasculaire [18]. Les
qualificatifs de légère, modérée ou sévère ne s’utilisent plus guère pour l’hypertension, car ils n’ont pas
de corrélation avec le risque cardiovasculaire. Ce dernier est lié à l’atteinte des organes-cibles ; il reste
très faible même au stade II-III en l’absence de facteurs de risque ou de lésions organiques, alors qu’il
est modéré à sévère au stade I en présence de diabète, d’ischémie myocardique, d’insuffisance rénale ou
d’AVC [17]. L’évidence en faveur d’un traitement au stade I est très faible, et aucune donnée ne permet
de justifier un traitement en dessous de 150 mmHg chez la personne âgée de > 70 ans [13,17]. La
courbe du risque en fonction de la valeur de PA a une forme en "J" : le gain est minime à abaisser la PA
jusqu’à sa valeur normale (120-130/80-85 mmHg), sauf peut-être pour le risque d’AVC. Deux grandes
études randomisées ont démontré que la protection maximale contre les complications cardiovasculaires
était obtenue avec une pression de 130-140 / 80-85 mmHg [3,10]. La récente étude SPRINT a
cependant jeté un pavé dans la mare en révélant une baisse de 25% du risque cardiovasculaire et de 27%
de la mortalité dans le groupe sous contrôle strict (PAsyst moyenne 121 mmHg) par rapport au groupe
standard (PAsyst moy 136 mmHg) [1]. Les effets secondaires importants (hypotension, chute,
dysfonction rénale) tempèrent toutefois le bénéfice. Pour intéressants qu'ils soient, ces résultats ne
modifient pas pour l'instant les recommandations habituelles de viser une pression de 130-140 / 80-90
mmHg, et de 140-150 / 80-90 mmHg au-delà de 75 ans [11,13,17].
Pression
diastolique
Haute
Risque
augmenté
+
Risque
faible
Basse
Basse
Risque
élevé
++
Risque
très élevé
+++
Haute
Pression
systolique
Figure 21.19 : Représentation schématique du risque cardiovasculaire en fonction de la pression systolique et de
la pression diastolique [20].
Risque périopératoire
L'HTA représente-t-elle un risque périopératoire significatif ? En d'autres termes, est-il justifié de
renvoyer une intervention pour se donner le temps de contrôler l'hypertension ? D'une méta-analyse de
126 études, il ressort que l'hypertension est un facteur de risque mineur, qui a très peu d'influence sur le
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
34
devenir périopératoire des patients [12]. Ce sont les dommages causés aux organes-cibles (hypertrophie
et insuffisance ventriculaire gauche, coronaropathie, maladie cérébrovasculaire, néphropathie
hypertensive) qui ont un impact définitif sur l'augmentation du risque opératoire, mais la maladie
hypertensive en soi n'en n'a pas, sauf en cas de poussée maligne [15]. En l'absence de lésion organique,
il n'existe pas d'évidence qu'une HTA stade I ou II ait un effet sur le devenir des patients [9,11]. En
préopératoire, il est important de rechercher scrupuleusement l’atteinte des organes-cibles.
 Cardiopathie hypertensive (HVG) :
o ECG (QRS de haut voltage et de durée > 100 msec, déviation axiale gauche à > – 30°,
S en V1 + R en V5, S en V3 + R en aVL) ;
o Echocardiographie (hypertrophie concentrique du VG, dilatation de l’OG, insuffisance
diastolique) ;
 Ischémie myocardique ;
 Anamnèse d’AIT ou d’AVC ;
 Dysfonction rénale : créatininémie > 150 µmol/L, clairance abaissée.
En chirurgie cardiaque, toutefois, une hypertension systolique isolée sans élévation de la diastole, donc
avec une pression différentielle élevée, cause une augmentation faible mais significative (odds ratio 1.3)
de la morbidité cardiovasculaire périopératoire [2]. La corrélation avec l’AVC, l’insuffisance rénale et
la mortalité est claire lorsque la pression pulsée (PAs – PAd) est > 80 mmHg [4].
D'une manière générale, seules la crise hypertensive maligne et l'HTA fixée à plus de 180/110 mmHg
sont des indications au renvoi d'une opération élective [11].
Instabilité hémodynamique
Les patients hypertendus sont connus pour être instables en anesthésie ; les fluctuations autour de la
pression de base dépassent 20%. La baisse de pression qui a lieu à l'induction est importante surtout
parce que la pression à l'état de veille est haute, mais le nadir atteint est le même que chez les patients
normotendus [8]. La réactivité vasculaire périphérique aux stimuli sympathiques est exagérée. La
vasoconstriction chronique conduit à un rétrécissement du volume circulant, qui devient faible, donc
très influencé par les interactions cardio-respiratoires. De plus, les médicaments antihypertenseurs
interfèrent avec les régulations hémodynamiques lors de l'anesthésie et rendent le contrôle de la pression
plus difficile.
Le coeur est l'organe-cible le plus touché. L'augmentation chronique de la postcharge du VG a plusieurs
conséquences [19].
 Hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) concentrique (réplication en parallèle des
sarcomères); la vélocité de contraction est basse; le volume intraventriculaire est petit; la
fraction d'éjection est normale ou élevée.
 Dysfonction ventriculaire diastolique: le myocarde épais est rigide, la vitesse de relaxation est
abaissée, la compliance est faible (apparition d'un B4 à l'auscultation) et la précharge optimale
est élevée; 30-50% du remplissage diastolique est assuré par la contraction auriculaire (le
passage en FA peut être catastrophique) (voir Figure 21.4). Le remodelage anatomique donne
la silhouette d’un petit VG épais et d’une dilatation de l’oreillette gauche. Une stase en amont et
une dyspnée peuvent survenir par dysfonction diastolique, alors que la fonction systolique est
encore dans les limites de la norme (FE > 0.5); comme le septum est une paroi commune aux
deux ventricules, le VD développe également une insuffisance diastolique progressive.
 Demande en O2 augmentée: la tension de paroi et la force de compression intra-myocardique
sont élevées. Simultanément, l'épaisseur du muscle et la compression des couches profondes de
la paroi ventriculaire compromettent la perfusion coronarienne sous-endocardique. D’autre part,
la baisse de la pression diastolique diminue l’apport. Le risque ischémique est élevé.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
35
 La dépendance extrême des conditions de remplissage et le petit volume circulant rendent ces
patients très sensibles aux variations de la précharge: agents anesthésiants (midazolam,
propofol), curares (pooling veineux intramusculaire), ventilation en pression positive (baisse du
retour veineux au coeur droit), position sur table.
Hypertension aiguë postopératoire
Une poussée hypertensive passagère se développe environ 2 heures après l’intervention chez 0.6-2.0%
des patients [4]. La pression systolique augmente de 20% et la pression diastolique dépasse 100 mmHg,
à cause de l’activation du système sympathique et du système rénine-angiotensine. Cette poussée est
liée au réveil, à la douleur, aux frissons, à l’hypovolémie, à la rétention urinaire, à l’hypoventilation et la
présence d’une HTA sous-jacente. Elle est la plus fréquente après chirurgie carotidienne ou
intracrânienne et après chirurgie de l’aorte abdominale. L’interruption préopératoire du traitement antihypertenseur est fréquemment en cause.
Risques cardiovasculaires de l’HTA
Les risques cardiovasculaires de l’HTA sont liés à la PA différentielle (PAsyst – PAdiast). Ils sont
significatifs lorsque la PAdiff est > 80 mmHg. Hormis la poussée hypertensive maligne et la PA >
180/100 mmHg de manière fixée, l'HTA n'est pas une indication au renvoi d'une opération.
Le risque opératoire en cas d’hypertension artérielle (HTA) est déterminé par les lésions sur les
organes-cibles (cerveau, cœur, reins), mais non par la valeur de la pression artérielle. Répercussions
cardiaques de l’HTA : hypertrophie ventriculaire gauche concentrique, dysfonction diastolique, risque
ischémique sous-endocardique.
Références
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Traitement antihypertenseur
Les patients hypertendus sont très généralement sous une thérapie chronique préopératoire multimédicamenteuse. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les antagonistes du récepteur de
l’angiotensine II (ARA), les β-bloqueurs, les bloqueurs calciques et les diurétiques sont tous adéquats,
et sont prescrits en monothérapie ou dans diverses combinaisons entre eux [25]. La thérapeutique
initiale consiste généralement en un IEC ou un ARA, selon tolérance; les bloqueurs calciques et les βbloqueurs sont plutôt une deuxième étape; les diurétiques font essentiellement partie de la trithérapie
[19]. Ceci pose deux problèmes à l'anesthésiste: quelles en sont les implications physiopathologiques du
médicament et quelle attitude adopter face à l'interruption du traitement ?
Les bloqueurs de l'angiotensine
Les inhibiteurs de l'enzyme de conversion, et les antagonistes du récepteur de l’angiotensine II pour les
malades qui ne supportent pas les premiers, sont les antihypertenseurs de premier choix car ils baissent
les résistances périphériques (vaisseaux résistifs) et le retour veineux (vaisseaux capacitifs) sans
provoquer de tachycardie. Ils améliorent la survie des patients en insuffisance cardiaque congestive [5]
et freinent le développement de l'hypertrophie et du remodelage ventriculaires [8]. Ils diminuent la
mortalité lors d'infarctus avec dysfonction ventriculaire [34] et présentent un effet anti-ischémique lors
d'angor silencieux [20]. Les antagonistes du récepteur à l’angiotensine II (sartans) ont les mêmes
propriétés. Le système rénine-angiotensine est impliqué dans la régulation du volume circulant, de la
pression sanguine et des circulations régionales; il est activé par la baisse du volume sanguin effectif.
Alors que l'on en dépend peu en normovolémie, sa contribution au maintien de la pression artérielle
devient cruciale en hypovolémie [12]. Lorsque le système rénine-angiotensine est bloqué, la pression
artérielle dépend des deux autres régulations physiologiques: le tonus sympathique, système à
régulation rapide, et la vasopressine endogène, système compensatoire lent qui agit sur les vaisseaux
résistifs et non capacitifs [9,26].
L'anesthésie générale ou rachidienne inhibe l'activité sympathique. Si le patient est sous IEC/ARA, le
débit cardiaque ne s'adapte plus aux variations de charge que par la vasopressine (régulation lente), et la
pression devient dépendante de la précharge [6,26]. Il existe donc un risque majeur d'hypotension sévère
à l'induction et d'amplification des oscillations de pression lors des variations de volume ou de
stimulation centrale, particulièrement chez les malades hypovolémiques ou souffrant de dysfonction
diastolique; cet effet est potentialisé par les diurétiques [11,22]. Si l'indication aux IEC est une
insuffisance ventriculaire gauche congestive, l'incidence d'hypotension à l'induction est moins sévère
parce que les variations de précharge modifient peu le débit d’un VG défaillant dont la courbe de
Starling est aplatie (Figure 21.20) [7,15,24].
Par ailleurs, les IEC/ARA inhibent la vasoconstriction artériolaire efférente du glomérule, ce qui
diminue la filtration glomérulaire en cas d'hypotension ou lors d’utilisation de substances qui inhibent la
vasodilatation de l’artériole afférente comme l’aprotinine. Une étude clinique a démontré une
association significative entre la combinaison d’aprotinine - IEC et l’insuffisance rénale postopératoire
[23]. Cette crainte a disparu avec le retrait commercial de l’aprotinine.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
37
La littérature est assez contradictoire au sujet de l'interruption ou de la continuation des IEC/AA-II en
périopératoire chez les hypertendus [14]. Le débat porte surtout sur l'incidence d'insuffisance rénale
postopératoire. En effet, cette dernière peut être augmentée de manière marginale (OR 1.18) par le
maintien des IEC [3], ou au contraire diminuée de 45% [4]. C'est probablement la gestion de
l'hémodynamique peropératoire ou les combinaisons médicamenteuses qui font la différence. Comme il
n'existe pas d'effet rebond à l'arrêt du traitement chez les hypertendus, il est recommandé de stopper les
IEC/ARA 24 heures avant l'intervention pour diminuer le risque d’hypotension à l’induction [10]. Le
risque de poussée hypertensive peropératoire n'est pas aggravé; d'ailleurs, les IEC n'en protègent pas le
malade [12]. Traiter l'hypotension survenue au cours de l'anesthésie peut être ardu car la réponse
adrénergique est atténuée et la nor-adrénaline peut manquer d’efficacité; dans les cas sévères, seule la
vasopressine (Pitressine®) a un effet significatif. Ces remarques s'appliquent aussi aux ARA et aux
inhibiteurs directs de la rénine (aliskiren). Les recommandations pour le délai depuis la dernière prise,
formulées en fonction des demi-vies d'élimination, sont indiquées dans le Tableau 21.3.
Pression
B
A
C
Hypovolémie
Normovolémie
Figure 21.20 : Relation schématique entre la volémie et la pression artérielle. L'individu normal (A) maintient sa
pression sur une large plage de volémie par l'action de l'angiotensine II: vasoconstriction des vaisseaux de
résistance et de capacitance; la pression ne chute qu'en hypovolémie extrême. Chez le malade traité avec des IEC
(B), la pression devient dépendante de la volémie et varie linéairement avec elle, parce que le mécanisme
compensatoire de l'angiotensine II est bloqué. Le malade en insuffisance cardiaque traité avec des IEC (C)
présente une dépendance identique mais sa courbe est plus plate à cause du couplage ventriculo-artériel: les
variations de volémie modifient peu le débit du VG [d'après Coriat P. Renin angiotensin aldosterone systems
blockade and perioperative left ventricular function. Semin Cardiothorac Vasc Anesth 2003; 7:55-8].
Si l'indication aux IEC/AA-II est une insuffisance ventriculaire gauche congestive, l'incidence
d'hypotension à l'induction est moins sévère parce que la courbe de Frank-Starling de ces patients est
beaucoup moins inclinée : les variations de précharge modifient peu le volume systolique du cœur
défaillant. Lorsqu’ils sont prescrits dans le cadre de l'insuffisance congestive chronique, il est donc plus
prudent de maintenir les IEC puisqu'ils améliorent la fonction ventriculaire gauche, même si la tolérance
à l'hypovolémie peut en être réduite [15,24].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Tableau 21.3
Médicaments antihypertenseurs préopératoires

Inhibiteur de l'enzyme de conversion (IEC): en cas d’hypertension artérielle, arrêter avant
l'anesthésie selon délais correspondant à la demi-vie:
Accupro (quinapril):
Cibacen (bénazépril):
Triatec (ramipril):
Fositen (fosinopril):
Lopirin (captopril):
Tensobon (captopril):
Vesdil (ramipril):
12 heures
24 heures
24-36 heures
24 heures
12 heures
12 heures
24-36 heures
Reniten (énalapril):
Vasocor (énalapril)
Coversum (périndopril):
Inhibace (cilazopril):
Prinil (lisinopril):
Zestril (lisinopril):
24 heures
24 heures
24-36 heures
24-48 heures
24 heures
24 heures
Antagonistes du récepteur de l'angiotensine II (ARA): stop avant l'anesthésie selon délais
correspondant à la demi-vie:
Cosaar (losartan)
Diovan (valsartan)
24 heures
12 heures
Lorsque les IEC et les sartans sont prescrits dans le cadre d’une insuffisance ventriculaire gauche, on
ne les interrompt pas en préopératoire.

Bloqueurs calciques: maintenir jusqu'à l'opération, y compris à la prémédication.

β-bloqueurs: maintenir jusqu'à l'opération, y compris à la prémédication; adapter la dose pour une
fréquence cardiaque de 60-65 battements / minute.

α2-agonistes: maintenir jusqu'à l'opération, y compris à la prémédication.

Nitrés: maintenir jusqu'à l'opération, y compris à la prémédication.

Diurétiques: ne pas administrer le jour opératoire.
Les anti-calciques
Les bloqueurs calciques inhibent l'entrée du calcium dans les cellules musculaires lisses et induisent une
vasodilatation artériolaire systémique et pulmonaire sans toucher les vaisseaux de capacitance [35]. Ils
ne sont pas recommandés pendant la phase aiguë de l'infarctus. A part leur action anti-angineuse, leurs
effets hémodynamiques sont variables selon les préparations. Il est recommandé de poursuivre les
bloqueurs calciques jusqu'à l'intervention, bien que leur interruption ne paraisse pas occasionner
d'ischémie aiguë et que leur maintien puisse augmenter le besoin en catécholamines et en volume, et
prolonger l'effet des curares. Leurs effets inotropes et chronotropes potentialisent ceux des halogénés
(risque de bradycardie et de dépression myocardique). Vasodilatateurs des vaisseaux de résistance mais
non de capacitance, ils provoquent une hypotension qui est fonction du niveau des RAS. La nifédipine
(Adalat®) et l'isradipine (Lomir®) induisent une tachycardie réflexe, alors que le diltiazem (Dilzem®) et
le vérapamil (Isoptin®) ont des effets inotrope et chronotrope négatifs susceptibles d’induire une
bradycardie sévère en cas d’administration simultanée de β-bloqueur ou d’amiodarone (Tableau 4.20)
[37].
L’association d’un IEC (bénazépril, Lotensil®) et d’un anticalcique de type dihydropyridine
(amlodipine, Alzar®, Lotrel® en combinaison avec bénazépril) s’est révélée être la meilleure
combinaison pour diminuer le risque cardiovasculaire et l’infarctus myocardique chez des hypertendus à
haut risque [21]. L’association de l’IEC avec un diurétique est moins efficace.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Tableau 4.20
Comparaison des différents bloqueurs calciques intraveineux
Substances
Isradipine, nifédipine,
nicardipine, nimodipine
Clevidipine
Verapamil
Diltiazem
Précharge
-
RAS
Fréquence
Contractilité
↓↓
↓↓↓
↓↓
↑↑
↓↓
↓
±↓
↓↓
±↓
Conduction
(demi-vie : 1 min)
↓↓
↓
Les β-bloqueurs
Dans le cadre d’une HTA, les β-bloqueurs freinent la sécrétion de rénine, diminuent la performance
cardiaque systolique (sauf en administration chronique dans l'insuffisance cardiaque) et présentent un
effet hypotenseur central [35]. Les β1-bloqueurs sont les seuls médicaments associés à une baisse de
l'incidence d'événements ischémiques peropératoires en chirurgie coronarienne et non-cardiaque,
probablement grâce à la baisse de la fréquence cardiaque qu’ils entraînent [13]. Il y a donc largement
plus d'intérêt à les continuer jusqu'à l'opération qu'à les interrompre en préopératoire. De plus,
l’interruption du β-blocage provoque un effet rebond et un risque ischémique accru dans les 48 heures.
Il était de routine de remplacer, à dose équipotente, les β-bloqueurs de longue durée d'action par des
substances d'activité courte et cardio-sélective comme le metoprolol (Loprésor® 50-100 mg).
Actuellement, la tendance est de ne plus modifier le traitement en cours, et de le maintenir inchangé en
préopératoire. L’effet pourra être prolongé à la demande par des doses répétées ou une perfusion
d'esmolol (Brévibloc®, bolus de 10 mg répétés). Le but est d'obtenir une fréquence de 60-65
battements/minute. Le maintien des β-bloqueurs en périopératoire est également avantageux chez les
patients en insuffisance cardiaque [2]. Alors qu'ils sont bénéfiques chez les malades déjà sous
traitement, les β-bloqueurs n'ont aucun intérêt lorsqu'ils sont prescrits de manière indiscriminée ou aiguë
en préopératoire chez des patients qui ne présentent pas d'autre risque qu'une hypertension bénigne;
dans ces conditions, ils augmentent même la mortalité et le taux d'AVC [13,39]. Les différents βbloqueurs ont des effets β1, β1 et α variables selon les substances (Tableau 4.21).
Tableau 4.21
Comparaison des différents β-bloqueurs intraveineux
Substances
Nom commercial
Antagonisme
Aténolol
Bisoprolol
Carvédilol
Esmolol
Labétalol
Métoprolol
Propanolol
Sotalol
Tenormin
Concor, Cardiocor
Dilatrend, Kredex
Brévibloc
Trandate
Lopresor, Béloc
Indéral
Sotalex
β1
β1
β1, β2, α
β1
β1, β2, α
β1, β2
β1, β2
β1, β2
Demi-vie
Dosage (bolus iv)
6 heures
10 heures
8 heures
9 minutes
4 heures
3-4 heures
2-6 heures
> 10 heures
10 mg (0.5 mg/kg)
20 mg
1-5 mg/2 min
0.5-1.0 mg
1 mg/kg
Les β-bloqueurs ne sont efficaces que pour autant que la fréquence cardiaque soit très strictement
contrôlée. Même lorsque les patients sont au bénéfice d'un traitement chronique à long terme,
l'incidence d'ischémie périopératoire n'est pas modifiée si la fréquence est identique à celle des malades
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
40
non β-bloqués [30,33]. En effet, les malades β-bloqués depuis longtemps présentent une régulation à la
hausse de leurs récepteurs β-adrénergiques (up-regulation), qui les rend hypersensibles à la stimulation
catécholaminergique aiguë survenant au cours de la chirurgie ; l’effet inotrope et chronotrope est alors
excessif, d’où un risque ischémique aggravé [18], que l'on retrouve dans certaines études de chirurgie
vasculaire [30,33]. D’autre part, le remplacement d’un agent à longue durée d’action par un agent plus
court augmente le risque d’un effet rebond qui survient dans la période postopératoire immédiate
lorsque les prises d’entretien sont omises à cause de l’instabilité hémodynamique ou de l’impossibilité
de la voie digestive [29] ; or c’est précisément la période la plus dangereuse. Le problème de la prise en
charge des malades sous β-bloqueurs est la fixité de leur fréquence cardiaque, qui limite
significativement l'adaptabilité du débit cardiaque aux variations de la demande métabolique et de la
volémie peropératoire, même si la réponse neuro-humorale au stress n'est pas modifiée [40]. C'est ainsi
que l'incidence d'hypotension et de bradycardie est très augmentée chez les patients β-bloqués,
respectivement de 1.6 et 2.7 fois [13].
Les diurétiques
Les diurétiques entraînent un risque d'hypotension par hypovolémie et baisse de précharge [22]. Ils
favorisent l'hypokaliémie, l'hyponatrémie, l’hypomagnésémie et l'alcalose métabolique. Il est préférable
de ne pas les administrer le jour de l'intervention, de manière à conserver un volume circulant élevé;
cette précharge haute facilite l'équilibre lors de l'induction et de la ventilation mécanique. Vu la haute
teneur en K+ des solutions de cardioplégie, l’hypokaliémie n’est pas un risque significatif en chirurgie
cardiaque, mais l’hypomagnésémie augmente le risque d’arythmies, particulièrement celui de
fibrillation auriculaire.
Les β1-activateurs
Le fenoldopam induit une vasodilatation périphérique en stimulant les récepteur béta-dopaminergiques,
notamment au niveau rénal où il provoque une augmentation du flux et une diurèse accrue. Il
s’administre en perfusion à 0.03 – 0.3 mcg/kg/min après une dose de charge de 0.1 mcg/kg/min [16]. Il
est indiqué essentiellement chez les patients souffrant de dysfonction rénale.
Les α-bloqueurs
Les α1-bloqueurs sont peu utilisés en-dehors du traitement de la poussée hypertensive aiguë à cause de
la tachycardie réflexe et de l'hypotension orthostatique qu'ils occasionnent (phentolamine, prazocine).
L'urapidil (Ebrantil®) est un antagoniste α1 sélectif; comme il possède en outre un effet α-2 stimulant et
un effet sympathicolytique central de type sérotoninergique, il ne provoque pas de tachycardie.
L’α-blocage est pratique en association avec un β-blocage ; malheureusement, les deux effets ont des
pharmacocinétiques différentes dans les substances qui les combinent ; c'est le cas du carvédilol
(Dilatrend®, 12.5 mg per os) et du labétalol (Trandate®, 100-200 mg per os, 1-2 mg/min iv). Chez ce
dernier, la puissance de l'effet β-bloqueur est 7 fois plus importante que celle de l'effet α par voie intraveineuse et 3 fois par voie orale ; la durée d'action de l’effet α est plus courte que celle de l’effet β (2-4
heures) [32].
Les α2-agonistes
Les α2-agonistes centraux (clonidine, dexmédétomidine) limitent la tachycardie et l'hypertension, et
induisent de plus une sédation et une analgésie; ces effets sont tout bénéfice en peropératoire, et
diminuent l'incidence de complications cardiaques postopératoires [28]. Toutefois, ils inhibent la
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
41
libération de nor-adrénaline aux terminaisons sympathiques, et interfèrent de ce fait avec l'activité de la
dopamine, qui est atténuée, et celle de la dobutamine, qui est accentuée [27]. Les α2-agonistes ne
doivent pas être arrêtés en préopératoire pour quatre raisons [38]:




Leur omission entraîne un effet rebond ;
Ils sont sédatifs ;
Ils assurent une stabilisation hémodynamique relative pendant l'intervention ;
Ils diminuent le risque ischémique (mais non celui d'infarctus ni de mortalité).
Autres substances
L'α-méthyl-dopa (Aldomet®) est un précurseur de l'α-méthyl-noradrénaline, qui stimule les récepteurs
α2 centraux. Cet antihypertenseur n'est plus guère utilisé que pendant la grossesse vu sa sécurité dans
cette situation.
Les dérivés nitrés doivent être maintenus aux dosages habituels jusqu'à l'intervention; ils sont
administrés le matin du jour opératoire, car leur arrêt brusque peut induire une ischémie. La baisse de la
précharge qu'ils occasionnent s'associe à la chute du tonus sympathique lors de l'induction de
l'anesthésie; elle provoque une baisse souvent importante de la pression artérielle, qu'il faut compenser
par du volume (cristalloïde, colloïde) ou de faibles doses d'éphédrine (2-5 mg iv: effet α veineux central
prédominant). Quelle que soit l'instabilité hémodynamique qu'elle occasionne, une perfusion de dérivé
nitré en cours doit être impérativement poursuivie jusqu'à la CEC.
Il existe encore une série de vasodilatateurs à action vasculaire directe. Ils sont passés de mode en
traitement chronique à cause de la tachycardie qu'ils provoquent: hydralazine (Néprésol®), minoxidil
(Loniten®), réserpine (Serpasil®), etc. La kétansérine (Sufrexal®) est un antagoniste des récepteurs HT2
de la sérotonine et un faible α1-bloqueur; il ne provoque pas de tachycardie ni d'effet shunt
intrapulmonaire.
Traitement de la crise hypertensive
Le nitroprussiate de Na (Nipruss®) donne directement naissance à du NO•, contrairement aux dérivés de
la nitroglycérine qui agissent par le biais de composés sulfydryls spécifiques. Le NO• formé active la
guanylate cyclase (formation de GMPc) et freine l'augmentation de Ca2+ dans la cellule musculaire lisse
vasculaire. La libération de NO• s'accompagne de celle de CN-; cet anion réagit avec la méthémoglobine
(0.5% de l'Hb totale) pour former de la cyanméthémoglobine non-toxique, puis est converti en
thiocyanate par transsulfuration par les rhodanases hépatiques. La capacité totale de ce système permet
de détoxifier 50 mg de nitroprussiate [17]. Le risque d'accumulation de CN- débute pour une perfusion
continue supérieure à 4-5 mcg/kg/min pendant 24 heures [36]; il se caractérise par un blocage progressif
de la phosphorylation oxydative avec anoxie tissulaire et acidose lactique (lactate > 10 mM/L). Un signe
caractéristique est le développement soudain d'une tachyphylaxie. Le traitement de l'intoxication est le
suivant:







Arrêt immédait de la perfusion de nitroprussiate;
Ventilation à 100% O2, même en cas de saturation normale;
Correction de l'acidose métabolique par du bicarbonate de Na;
Bleu de méthylène, 1-2 mg/kg (amp. 10 mg/ml);
Nitrite de Na 3%, 5 mg/kg iv;
Thiosulfate de Na, 200 mg/kg iv (15 min);
Hydroxycobalamine (vitamine B12) en perfusion (25 mg/h).
Le Nipruss® est un vasodilatateur artériolaire systémique et pulmonaire puissant, rapide, et efficace
quelle que soit l'étiologie de l'hypertension. Il inhibe la vasoconstriction pulmonaire hypoxique et
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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augmente la pression intracrânienne. La vitesse de démarrage de la perfusion est de 0.3 mcg/kg/min; la
vitesse maximale de sécurité est de 10 mcg/kg/min pendant 10 minutes et 5 mcg/kg/min pendant 24
heures. Pendant la CEC, le Nipruss® garde son efficacité en hypothermie, mais les rhodanases
hépatiques sont inhibées par le froid; le métabolisme est ralenti et les risques toxiques augmentés. Sa
très large utilisation dans cette situation montre que ce risque est faible; cependant, la prudence réclame
de mesurer fréquemment l'équilibre acido-basique en hypothermie et de traiter agressivement toute
acidose métabolique suspecte (voir Chapitre 4 Vasodilatateurs).
Les dérivés nitrés libèrent du NO• par l'intermédiaire des groupes sulfhydryls de la cystéine présente
dans la cellule musculaire lisse. Il n'y a aucune toxicité significative connue. Une veinodilatation des
vaisseaux de capacitance s'installe dès les faibles doses et n'augmente pratiquement pas avec les
concentrations croissantes de produit; cet effet diminue la précharge, la tension de paroi et le débit
cardiaque; la mVO2 baisse essentiellement par ce biais. A doses élevées, une vasodilatation artériolaire
dose-dépendante apparaît, qui est responsable d'une tachycardie réflexe lorsque l'hémodynamique de
base est normale, mais non en cas d'insuffisance cardiaque. Alors qu'elle abaisse le débit cardiaque de
l'individu normal, la nitroglycérine améliore la performance ventriculaire lors d'insuffisance cardiaque
congestive. Son excellent effet vasodilatateur pulmonaire peut induire un effet shunt et une baisse de la
PaO2. En administration continue, une tolérance se développe rapidement.
Au niveau du lit coronaire, les nitrés ont une action complexe [1] :
 Dilatation des petits vaisseaux proportionnellement plus importante que celles des vaisseaux
épicardiques;
 Dilatation des collatérales;
 Renversement des spasmes coronariens;
 Amélioration du flux à travers les sténoses par relâchement de la vasoconstriction locale,
indépendamment de l'intégrité endothéliale;
 Amélioration du rapport de flux sous-endocardique / sous-épicardique.
Comme hypotenseur, la nitroglycérine est indiquée s'il existe une composante de surcharge volumique
ou d'ischémie coronarienne. A une vitesse de 1-2 mcg/kg/min, seule la précharge diminue; la
vasodilatation artérielle apparaît à des dosages supérieurs à 3 mcg/kg/min.
Parmi les anticalciques, les dérivés dihydropyridines sont les plus utilisés comme anti-hypertenseurs sur
les vaisseaux de résistance; les plus récents, tels la nicardipine et l'isradipine, sont dépourvus d'effets
tachycardisant et cardiodépresseur; ce dernier devient cependant significatif en cas de β-blocage
associé. Bien qu'ils aient moins d'effet anti-angineux que le diltiazem, ils sont préférables au
nitroprussiate chez le patient coronarien, parce qu'ils ne provoquent pas de "vol" intramyocardique ni de
tachycardie. A l'exception de la nicardipine dont la durée d'action en bolus i.v. est de 10-15 minutes,
l'effet des dihydropyridines est plus lent et plus prolongé, donc moins aisément manipulable, que celui
des nitrés. Le diltiazem (Dilzem®) est fréquemment utilisé en cas de tachycardie associée, vu son effet
chronotrope négatif. La nicardipine (Loxen®) est un puissant vasodilatateur cérébral et coronarien qui
ne provoque pas de syndrome de vol. Le vérapamil (Isoptin®) n'est pas recommandé dans le cadre de
l'hypertension en chirurgie cardiaque à cause de son effet inotrope négatif marqué et du risque élevé de
bloc atrio-ventriculaire complet (augmenté après CEC). La clevidipine (Cleviprex®) est un
vasodilatateur artériel sélectif du réseau systémique et coronarien sans effet sur les vaisseaux de
capacitance ni sur la précharge ; il ne provoque pas de tachycardie. Par voie iv, il a une demi-vie de 10
min (métabolisation par les estérases plasmatiques). Le dosage est 1-2 mg/h en perfusion, que l’on peut
doubler toutes les 3-5 minutes jusqu’à l’effet désiré (dose maximale : 32 mg/h). Aussi efficace que le
nitroprussiate sur la pression systémique sans en avoir le risque de toxicité, la clevidipine dilate les
coronaires sans occasionner de vol [16].
Lorsqu'une poussée hypertensive survient dans le cadre d'une ischémie coronarienne aiguë, un dérivé à
effet chronotrope et inotrope négatif est préférable aux dihydropiridines essentiellement vasodilatatrices
et spasmolytiques: diltiazem (effets marqués) ou nifédipine (effets plus faibles). Dans le cadre d'une
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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défaillance ventriculaire, le choix se porte sur un agent sans effet myocardique: isradipine ou
nicardipine. Sur le réseau coronarien, les anticalciques ont un effet complexe [31]:
 Augmentation de l'apport en O2: augmentation du flux coronaire, vasodilatation, levée de
spasme coronarien, amélioration de la perfusion sous-endocardique;
 Diminution de la demande en O2: diminution de la postcharge, diminution de la contractilité et
baisse de la fréquence (vérapamil, diltiazem), modification du couplage électro-mécanique.
L’esmolol (Brevibloc®) est un β1-bloqueur sélectif, sans acivité sympathico-mimétique intrinsèque; sa
courte durée d'action (10 minutes) est due à sa biotransformation rapide par les estérases des
érythrocytes. Comme antihypertenseur, il se justifie chez le patient coronarien pour baisser la
consommation d'oxygène dans le cadre d'une hyperactivité sympathique accompagnée d'une tachycardie
et d'une fonction systolique normale. N'ayant pas d'effet vasodilatateur propre, il n'altère pas la
vasoconstriction pulmonaire hypoxique.
L'urapidil (Ebrantil®) combine une activité d'α1-blocage périphérique, de stimulation α2 et de
stimulation sérotoninergique centrale; il ne déclenche pas de tachycardie, ni d'effet shunt
intrapulmonaire, ni d'augmentation de la pression intracrânienne. En bolus iv, son action s'installe en 5
minutes.
Les effets pharmacologiques et les dosages recommandés de ces différentes substances sont décrits dans
les Tableaux 21.4 et 21.5.
Tableau 21.4
Dosage des anti-hypertenseurs
Substances
Bolus iv
®
Nitroprussiate (Nipruss )
Nitroglycérine
Isosorbide dinitrate (Isoket®)
Hydralazine (Néprésol®)
Phentolamine (Régitine®)
Diltiazem (Dilzem®)
Nifédipine (Adalat®)
Nicardipine (Loxen®)
Isradipine (Lomir®)
Clévidipine (Cleviprex®)
Urapidil (Ebrantil®)
Esmolol (Brevibloc®)
20 mcg
5-10 mg
1-2 mg
0.2 mg/kg
10 mg/h
0.6 mcg/kg
10-50 mg
1 mg/kg
Perfusion
Dose maximale
0.1-8 mcg/kg/min
5 mcg/kg/min
pendant 24 heures
1-10 mcg/kg/min
3-12 mg/heure
100 mg/24 heures
0.1 mg/min
0.1-0.3 mg/kg/heure
0.5-2 mg/heure
4 mg/heure
0.15 mcg/kg/min
1-2 → 4-6 mg/h
10 mg/heure
0.1-0.3 mg/kg/min
pdt 10 min (max 15 mg/h)
10 mg/24 heures
dose max: 32 mg/h
Sous anesthésie, on est tenté de régler une poussée hypertensive par un simple approfondissement du
sommeil et de l'analgésie. Cette technique est parfaitement adaptée à une légère hausse de pression chez
les patients souffrant d'HTA modérée, mais elle est inadéquate dès qu'il s'agit de contrôler une
hypertension majeure. Dans ce cas, le traitement doit reposer sur des agents vasodilatateurs spécifiques.
Chez les malades dont l'hémodynamique est fragile, d'autre part, il est risqué d'utiliser les agents
d'anesthésie pour baisser la pression, car cette manœuvre s'accompagne d'effets hémodynamiques
délétères, comme une chute du débit cardiaque, un effet inotrope négatif ou une insuffisance de
précharge.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Tableau 21.5
Effets comparatifs des agents vaso-dilatateurs
Substances
Phentolamine
Nitroglycérine
Nitroprussiate
NO •
Tolazoline
Clonidine
Dexmédétomidine
Fenoldopam
Anticalciques
Précharge
↓↓↓
↓↓
RAS
RAP
↓↓↓
↓↓
↓↓↓
↓
↓
↓
↓↓↓
↓↓
↓↓
↓↓
↓↓
↓↓↓
↓↓
Fréquence
Contractilité
Conduction
↑↑
(↑)
(↑)
(↑)
↓↓
↓
↓
↑-↓
↓ - ↓↓
↓
RAS : résistance artérielle systémique. RAP : résistance artérielle pulmonaire.
Les parenthèses indiquent une activité réflexe non liée à l’action de la substance.
- : selon les substances.
Traitement anti-hypertenseur
Traitement préopératoire :
- β-bloqueurs : poursuivre en continu et maintenir la FC à 60-65 batt/min
- IEC/ARA : stop 12-24 heures en préopératoire si prescrits pour l’HTA ; maintenir en
continu si prescrits pour insuffisance cardiaque
- α2-agonistes : maintenir le traitement
- Anticalciques : maintenir en périopératoire
- Dérivées nitrés : maintenir en périopératoire
- Diurétiques : pas d’administration le jour opératoire
Traitement de la crise hypertensive peropératoire :
- Phentolamine, bolus répétés 1 mg
- Nitroglycérine, bolus 20 mcg
- Nitroprussiate de Na, 0.3-3 mcg/kg/min
- Approfondissement de l’anesthésie/analgésie
- Isoflurane 5%
En cas d’ischémie myocardique associée:
- Nitroglycérine, perfusion 1-10 mcg/kg/min
- Esmolol, bolus répétés 10 mg
- Si spasmes coronariens : diltiazem 0.1-0.1 mg/kg/h
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Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
46
Anesthésie en cas d’HTA
Renvoi de l’opération
Le risque cardiaque peropératoire n’est augmenté que de 1.3 fois chez l’hypertendu sévère non équilibré
[3]. La présence d'une hypertension de stade I ou II (< 180/110 mmHg), même découverte la veille de
l'intervention, n'est donc pas une raison suffisante pour renvoyer l'opération, bien qu’il faille s'attendre à
davantage d'instabilité hémodynamique [5,8]. Une étude contrôlée sur des hypertendus sévères n’a pas
pu mettre en évidence de bénéfice à renvoyer l’intervention pour régulariser la pression artérielle avant
la chirurgie [9]. L'HTA préopératoire en soi n'est pas associée à une augmentation du taux d'évènements
cardiaques ; c'est l'hypotension peropératoire (baisse > 33% de la valeur de base pendant > 10 min) qui
est un prédicteur indépendant de complications postopératoires [6]. On sait aussi que les risques
opératoires sont liés aux lésions des organes-cibles comme le cœur (HVG, coronaropathie), le cerveau
(AVC) ou les reins (néphropathie hypertensive), mais non à l’HTA elle-même [4,5]. Une hypertension
de stade III (PAsyst > 180 mmHg, PAdiast > 110 mmHg) augmente le risque d'ischémie myocardique et
d'arythmies, mais n'est pas un obstacle à une intervention chirurgicale nécessaire ou vitale ; seule une
intervention majeure élective chez un malade souffrant de lésion des organes-cibles peut justifier un
délai pour investiguer une cardiopathie associée et instaurer un traitement anti-hypertenseur. Un certain
nombre de facteurs aggravent le devenir de l’hypertendu : l’âge, le diabète, les lésions cardio- ou
cérébrovasculaires, et l’anamnèse d’accident cardiovasculaire (Tableau 21.6) [2].
Tableau 21.6
Facteurs aggravants de l’hypertension artérielle
Facteurs de risque
o Age > 55 ans (homme), > 65 ans (femme)
o Tabagisme
o Hypercholestérolémie
o Diabète
o Anamnèse familiale cardiovasculaire
Lésions des organes-cibles
o Hypertrophie ventriculaire gauche
o Protéinurie, créatinine > 100 µmol/L
o Athéromatose carotidienne, aortique, périph
o Artériopathie rétinienne
Evénements cardiovasculaires
o Amaurose fugace, AIT
o Angor, infarctus
o Insuffisance cardiaque
o Néphropathie diabétique
o Rétinopathie hypertensive majeure
[D’après Foëx P, Sear JW. The surgical hypertensive patient.
Contin Educ Anaesth Crit Care Pain 2004; 4:139-43]
La seule contre-indication opératoire formelle est une poussée d’hypertension maligne symptomatique
(PA > 220/120 mmHg).
Il existe essentiellement deux motifs pour justifier le renvoi d’une intervention chirurgicale [4,5,8]:
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
47
 Améliorer l’état pathologique lié à des lésions d’un organe-cible si cela peut diminuer le risque
opératoire (exemples : ischémie coronarienne, sténose carotidienne)
 Investiguer une lésion organique suspectée si les résultats peuvent modifier la prise en charge
du patient (exemple : phéochromocytome).
Contrôle peropératoire de la pression
Le but est de maintenir une pression stable et d’éviter les épisodes d’hypotension puisque leur
importance est un prédicteur indépendant de complications cardio- et cérébro-vasculaires [6]. Une
fluctuation de plus de 20% de la PAM chez les hypertendus sévères prédit une augmentation des
complications postopératoires [1]. Malheureusement, l'hypertendu, traité ou non, est sujet à des
variations tensionnelles peropératoires plus amples et plus rapides (sur 5-10 battements) que le sujet
normal pour plusieurs raisons :





Dysrégulation idiopathique de la pression artérielle ;
Arbre vasculaire peu compliant ;
Insuffisance diastolique ;
Volume circulant contracté (diurétique) ;
Traitement chronique bloquant les régulations autonomes.
Plus le système sympathique est bloqué par le traitement, plus la pression devient dépendante du
volume circulant. Chez l'hypertendu, les épisodes de stimulation sympathique peropératoire sont
souvent la cause d'un échappement vers le haut qui peut conduire à une hémorragie intracrânienne, une
décompensation gauche ou des arythmies graves. Il faut éviter un dépassement de plus de 20% de la
pression moyenne de base et corriger immédiatement toute variation significative. En chirurgie
cardiaque, les moments critiques à cet égard sont l'intubation, l'incision, l'ouverture du sternum, la
péricardiotomie, la manipulation de la racine aortique, l'hypothermie de CEC et la fermeture du
sternum. Une anesthésie locale sous forme de spray laryngé (xylocaïne 4%) facilite le contrôle lors de
l’intubation. Il est capital que la pression artérielle soit basse au moment de la canulation et de la
décanulation aortiques, car la paroi du vaisseau peut se déchirer en étoile au point de ponction ou se
laisser cisailler par la bourse de fermeture. Non seulement l'anesthésie doit être profonde à ces
moments-là (isoflurane → 5% pendant 1-2 minutes), mais il faut souvent administrer en appoint un
hypotenseur à effet rapide et de courte durée d'action (phentolamine, nitroglycérine) ou un β-bloqueur
(esmolol) si le patient est simultanément tachycarde.
L'hypertendu avec bonne fonction ventriculaire est souvent hyperkinétique: sa fréquence et sa
contractilité sont élevées. Dans ce cas, le β-blocage avec un agent de courte durée d'action (esmolol) est
indiqué avant la CEC, car il diminue la fréquence cardiaque et la consommation d'oxygène. Après la
mise en charge, la stimulation sympathique par les amines endogènes est intense, mais la fonction
cardiaque est toujours amoindrie par l'hypothermie, la cardioplégie et l'ischémie. Le β-blocage n'est
envisageable qu'avec infiniment de circonspection, et seulement après un contrôle rigoureux de la
performance myocardique (échocardiographie, cathéter pulmonaire de Swan-Ganz). Le choix de
l'hypotenseur se porte primairement sur un vasodilatateur artériel (isoflurane, phentolamine,
nitroprussiate, anticalcique) et sur l'approfondissement de l'anesthésie. Les anticalciques dérivés de la
dihydropyridine (nifédipine, nicardipine, isradipine) sont peu ou pas tachycardisants et ne dépriment pas
la fonction ventriculaire, mais leur durée d'action est longue. Leur indication préférentielle est la
prévention ou le traitement du spasme artériel mammaire ou coronarien.
Il n'y a pas de technique d'anesthésie propre à l'hypertension artérielle en chirurgie cardiaque, alors que
l'anesthésie loco-régionale ou combinée présente probablement un certain avantage en chirurgie non
cardiaque. Pour l’anesthésie générale, l'isoflurane est particulièrement indiqué parce qu’il a un effet
vasodilatateur artériel significatif mais pas d’effet veinodilatateur. Les diazépines et le propofol, au
contraire, abaissent la précharge et causent d'amples variations de la pression artérielle chez ces patients
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
48
dont le volume systolique dépend du remplissage de manière critique. Les fentanils ont très peu d’effet
vasodilatateur direct.
Chez l’hypertendu, la pression de perfusion normale des organes est déplacée vers le haut ; la courbe
d'autorégulation cérébrale et rénale est translatée vers la droite; une pression moyenne dite "normale"
peut être insuffisante pour assurer la perfusion du rein ou du cerveau. La PA ne doit pas s’abaisser à
moins de 20% de sa valeur de base au repos. En CEC, la PAM doit être maintenue à au moins 80
mmHg. Une poussée hypertensive contraint le perfusionniste à baisser le débit de la machine, ce qui
diminue la perfusion tissulaire. Bien qu'elle soit maintenue en hypothermie modérée (28°C),
l'autorégulation cérébrale peut être dépassée par l'hypertension. La perfusion devient pressiondépendante et excessive (perfusion luxuriante) ; elle engendre alors un risque élevé d'oedème cérébral et
d'hémorragie intracrânienne à cause de l’anticoagulation complète.
Traitement de l'hypertension peropératoire
En phase peropératoire, la poussée hypertensive peut se présenter sous des aspects variables, mais la
première mesure est de s'assurer que la profondeur de l'anesthésie est adéquate et que l'analgésie est
suffisante. Ensuite, une palette de substances est à disposition (Tableau 21.7).
Tableau 21.7
Traitement de l’hypertension peropératoire
1 - Approfondir l’anesthésie et l’analgésie
2 - Régler la PAM en fonction des conditions opératoires
Exemples : PAM < 60 mmHg pour le clampage aortique, ≥ 100 mmHg pour le clampage carotidien
3 - Substances hypotensives
Phentolamine (Régitine®)
Nitroglycérine
Nitroprussiate (Nipruss®)
1-2 mg
20 mcg
0.1 mg/min
0.1-8 mcg/kg/min
4 - En cas d’ischémie coronarienne
Nitroglycérine
Esmolol (Brevibloc®)
20 mcg
1 mg/kg
1-10 mcg/kg/min
0.1-0.3 mg/kg/min
Le choix entre ces différentes possibilités est motivé par un certain nombre de critères cliniques:





Danger de la tachycardie pour le patient coronarien ;
Action inotrope négative ;
Action préférentielle sur la postcharge ou la précharge ;
Effet sur les coronaires: augmentation du flux distal, risque de vol, durée d'action ;
Simplicité d'administration et coût.
Les modifications du débit cardiaque dépendent de la fonction myocardique. La baisse des conditions de
charge par la nitroglycérine entraîne une tachycardie réflexe chez le coeur normal mais non en cas
d’insuffisance congestive; dans cette situation, la baisse de précharge soulage le ventricule. D’une
manière générale, l'augmentation du débit par la baisse de la postcharge n'est significative que pour le
coeur en insuffisance systolique, mais non pour le patient normal ni pour celui qui est en hypovolémie.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
49
En cours de CEC, la situation est un peu particulière, puisque l'hypertension est exclusivement liée à
une augmentation des résistances périphériques (hypothermie, dépulsation du flux, etc). Le coeur est
hors-circuit et le débit est réglé par la pompe, dont la précharge dépend du retour veineux central. Il est
aisé de calculer les résistances artérielles systémiques (RAS) à partir de l'équation standard : RAS =
(PAM – PVC) x 80 / DC. En effet, on peut considérer que la PVC est nulle en CEC, et que le débit
cardiaque est celui de la pompe (Dp), qui est connu. L'équation devient donc: RAS = (PAM x 80) / Dp.
Le choix de l'hypotenseur se porte sur un médicament vasodilatateur artériel pur de courte durée
d'action, par ordre de préférence:
 1 - isoflurane, jusqu'à 5% ;
 2 - phentolamine, jusqu'à 20 mg en doses fractionnées de 1 mg ;
 3 - nitroprussiate en perfusion sur la voie centrale (risque toxique augmenté en hypothermie).
La nitroglycérine n'est efficace qu'à hautes doses et gêne le retour veineux vers la pompe, contraignant
le perfusionniste à augmenter le volume circulant. Les β-bloqueurs n'ont pas de sens puisque le coeur
est arrêté. Lorsqu’elle est indiquée pour une insuffisance ventriculaire réfractaire ou une hypertension
pulmonaire, la dose de charge d’anti-phosphodiestérase-3 (milrinone 50 mg) administrée en CEC a un
effet vasodilatateur puissant.
Anesthésie et HTA
Le risque opératoire est lié aux lésions des organes-cibles (cerveau, cœur, reins) mais non à la valeur
de la pression artérielle. L’HTA n’est pas une raison de renvoi de l’opération, sauf en cas
d’hypertension maligne (PA ≥ 220/120 mmHg) symptomatique ou d’investigations nécessaires sur des
lésions organiques pouvant modifier la prise en charge.
Les fluctuations peropératoires de la PA sont importantes, mais le risque est surtout associé à
l’hypotension : ne pas laisser la PAM descendre à < 20% de sa valeur de base chez le patient.
Traitement de la crise hypertensive peropératoire :
- Phentolamine, bolus répétés 1 mg
- Nitroglycérine, bolus 20 mcg
- Nitroprussiate de Na, 0.3-3 mcg/kg/min
- Approfondissement de l’anesthésie/analgésie
- Isoflurane 5%
En cas d’ischémie myocardique associée:
- Nitroglycérine, perfusion 1-10 mcg/kg/min
- Esmolol, bolus répétés 10 mg
- Si spasmes coronariens : diltiazem 0.1-0.1 mg/kg/h
Même s'il peut être momentanément efficace, l'approfondissement de l'anesthésie n'est pas un
traitement de l'HTA. La poussée hypertensive doit être gérée par des médicaments hypotenseurs
spécifiques pour éviter les conséquences néfastes d'une anesthésie trop profonde.
Sous anesthésie, on est tenté de régler une poussée hypertensive par un simple approfondissement du
sommeil et de l'analgésie. Rappelons que cette technique est parfaitement adaptée à une légère hausse
de pression chez les patients souffrant d'HTA modérée, mais qu'elle est inadéquate dès qu'il s'agit de
contrôler une hypertension majeure. Dans ce cas, le traitement doit reposer sur des agents
vasodilatateurs spécifiques. Chez les malades dont l'hémodynamique est fragile, d'autre part, il est
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
50
risqué d'utiliser les agents d'anesthésie pour baisser la pression, car cette manœuvre s'accompagne
d'effets hémodynamiques délétères, comme une chute du débit cardiaque, un effet inotrope négatif ou
une insuffisance de précharge. Il est préférable de maintenir le sommeil et l'analgésie à un niveau
adéquat en "autopilote" et de gérer séparément les problèmes tensionnels par des agents adaptés.
Cas particulier: le phéochromocytome
Le phéochromocytome est une tumeur du tissu chromaffine sécrétant des catécholamines, située
habituellement dans la médullo-surrénale mais pouvant se localiser ailleurs dans la chaîne sympathique,
ou rarement dans une paroi cardiaque. Selon la prédominance de l’hormone sécrétée, les malades
présentent une hypertension artérielle (sécrétion de nor-adrénaline), ou des arythmies, des sudations et
des accès de panique (sécrétion d’adrénaline et de dopamine). La sécrétion étant variable au cours du
temps, la symptomatologie évolue en dent de scie. L’augmentation de postcharge induit une
hypertrophie concentrique du VG, mais peut conduire à un épuisement du ventricule et à une
cardiomyopathie dialtée.
L’excès de stimulation sympathique et l’intense sécrétion d’amines α et β s’accompagnent d’une
hypovolémie chronique. La préparation préopératoire est essentielle [7].
 α-blocage: la phénoxybenzamine et la prazocine ne sont plus guère utilisées. Elles tendent à être
remplacées par des anticalciques (nifédipine, nicardipine, diltiazem) qui inhibent les
mouvements du calcium suscités par la nor-adrénaline dans la cellule musculaire lisse.
 β-blocage: indiqué en cas de palpitations, d’arythmies et d’hyperglycémie; en général combiné
au blocage α.
 Blocage mixte α et β : labétalol (Trandate® per os et iv), carvédilol (Dilatrend® per os); très
pratiques pour le traitement oral préopératoire, ces agents sont peu adaptés à la thérapeutique
aiguë peropératoire, car on ne peut pas dissocier les effets α des effets β; de plus la durée
d’action des deux effets n’est pas identique.
 Expansion du volume circulant par administration liquidienne sur une dizaine de jours.
 La préparation est adéquate lorsque la pression est stabilisée à < 160/90 mmHg sans
hypotension orthostatique et que les extrasystoles sont < 1 par 5 minutes.
La phase peropératoire est caractérisée par trois éléments.
 Poussées massives de sécrétion catécholaminergique lors des manipulations chirurgicales de la
tumeur;
 Hypertension, arythmies et hyperglycémie avant le clampage des veines qui drainent la tumeur;
 Hypotension et hypoglycémie dès que la veine est clampée, à cause de la chute brutale des
catécholamines endogènes.
La prise en charge peropératoire est axée sur la gestion de l’hypertension très instable qui précède la
résection tumorale et de l’hypotension qui peut s’en suivre [7].
 Perfusion continue de nitroprussiate; nitroglycérine en cas d’insuffisance congestive;
 Administration de phentolamine en bolus lors des poussées hypertensives;
 Administration d’esmolol en bolus ou en perfusion en cas d’arythmies, de tachycardie ou
d’ischémie myocardique;
 Magnésium iv: hypotenseur et anti-arythmique d’appoint;
 Clévidipine: nouvel anti-calcique intra-veineux de très courte durée d’action (pic d’action en 24 minutes, demi-vie d’élimination de 15 minutes); perfusion de 1-2 mg/h augmentée
progressivement jusqu’à 4-6 mg/h;
 Administration liquidienne généreuse.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
51
Après la résection, il s’installe en général une période d’hypotension qui peut être assez réfractaire au
traitement habituel (arrêt des hypotenseurs, administration liquidienne, néosynéphrine, nor-adrénaline)
et réclamer un traitement plus agressif.
 Vasopressine: agit par une voie indépendante des récepteurs alpha; à pression artérielle égale,
elle produit moins de vasoconstriction rénale, pulmonaire et coronaire que les autres
vasopresseurs;
 Bleu de méthylène: agent de sauvetage dans les cas de vasoplégie intense.
Anesthésie et HTA
Phéochromocytome : tumeur sécrétant majoritairement de la nor-adrénaline mais aussi de l’adrénaline
et de la dopamine. Préparation préopératoire : labétalol, carvédilol, anti-calcique, expansion
liquidienne.
En peropératoire :
- Avant la résection, hypotenseurs (nitroprussiate, phentolamine, clevidipine), β-bloqueur ;
- Poussées hypertensives lors des manipulations chirurgicales de la tumeur ;
- Après la résection : hypertenseurs, expansion liquidienne.
Références
1
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Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
52
Le diabète
Environ 6-9% de la population occidentale actuelle (12% > 40 ans) et 10-30% des patients hospitalisés
en chirurgie cardio-vasculaire sont diabétiques, pour la moitié insulino-dépendants [1,2]. Cette
incidence augmentera de 50% dans la prochaine décade avec la progression de l'obésité, de la
sédentarité et de la malbouffe. De plus, les diabétiques sont plus fréquemment opérés que la moyenne et
ont davantage de complications postopératoires: infection de plaie, insuffisance rénale, pneumonie,
sepsis [3]. Le risque opératoire des diabétiques tient à leurs nombreuses comorbidités (lésions cardio- et
cérébro-vasculaires, néphropathie, neuropathie, etc), au déséquilibre métabolique induit par le stress
opératoire, aux difficultés à régler la glycémie en périopératoire, et aux dangers des perfusions
d'insuline ou de l'hypoglycémie.
Références
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DHATARIYA K, LEVY N, FLANAGAN D, et al. Management of adults with diabetes undegoing surgery and elective
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follow-up study. Acta Anaesthesiol Scand 2009; 53:749-58
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management of patients with type 2 diabetes undergoing general surgery (RABBITT 2 Surgery). Diabetes Care 2011; 34:25661
Endocrinologie du diabète
Les critères retenus pour la définition du diabète sont une glycémie ≥ 7.0 mmol/L (125 mg/dL) à jeun,
ou de ≥ 11 mmol/L (200 mg/dL) si le patient n'est pas à jeun (facteur de conversion de mmol/L en g/L :
x 18) [1]. Il existe deux types principaux de diabète.
 Type I: diabète insulino-dépendant dû à une dysfonction des cellules β des îlots de Langerhans
du pancréas; il existe un déficit total ou partiel en insuline. Les patients sont sujets à deux
complications graves: la céto-acidose et le coma hyperosmolaire.
 Type II: diabète apparaissant à l'âge adulte, lié à une résistance cellulaire à l'insuline et à une
sécrétion défectueuse; son incidence dépasse 6% de la population. La complication aiguë
majeure est le coma hyperosmolaire.
A ces deux catégories s'ajoutent le diabète accompagnant les maladies exocrines du pancréas
(pancréatite, hémochromatose) et le diabète gestationnel, apparaissant entre la 20ème et 34ème semaine de
grossesse.
L'hémoglobine glyquée (HbA1c), ou gylcosylée, est de l'Hb liée à du glucose. Sa valeur renseigne sur la
moyenne des glycémies des 2-3 derniers mois; elle est normalement < 6% (42 mmol/mol), ce qui
correspond à une glycémie de 7 mmol/L. Des valeurs de 8%, 10% et 13% correspondent respectivement
à des glycémies moyennes de 10.2, 13.4 et 18.1 mmol/L. Comme l'hyperglycémie, l'excès de HbA1c (>
8%) entraîne un mauvais pronostic [39]; la survie à 5 ans après des PAC diminue progressivement pour
chaque unité > 7% (HR 1.15 par unité de pourcent) [16]. Mais il n'est pas prouvé que sa normalisation
en préopératoire favorise le devenir des patients. Il n'y a pas lieu de renvoyer une intervention en
attendant que le taux d'HbA1c soit ≤ 8.5% [8,9].
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53
Insulines
La sécrétion d'insuline est stimulée par le glucose, le fructose et le glucagon. Elle a lieu dans le système
porte et de manière pulsée, avec des écarts de concentration de l’ordre de 25 fois sur 20 minutes ; en
circulation systémique, les écarts ne sont plus que de 5 fois [35]. L’insuline facilite le transport du
glucose et du potassium à l'intérieur des cellules (à l'exception des érythrocytes et des neurones),
augmente le glycogène dans le foie et les muscles, augmente les triglycérides, et inhibe la
néoglucogenèse et la lipolyse. Elle a également des propriétés anti-inflammatoire, antioxydante et
inotrope positive. Une unité d'insuline métabolise environ 8 g de glucose. L’administration parentérale
d’insuline doit fournir une concentration de base régulière et assurer des pics postprandiaux. Il existe
environ 60 préparations différentes d'insuline, que l'on peut classer en trois types selon leur durée
d'action [8].
 Forme hydrosoluble d'action rapide (Actrapid®, Apidra®, Humalog®, Humulin S®, Novorapid®)
par voie iv, la demi-vie est de 5 min; par voie sous-cutanée, l'activité commence après 30 min et
dure jusqu'à 4-8 heures.
 Formes lentes: effet sur 12-24 heures (Humulin M3®, Insulatard®, Insuman®, Lantus®,
Levemir®, Novomix®).
 Formes ultralentes: effet sur > 24 heures (Humulin I®, Lantus U300®, Tresiba®).
 Il existe des préparations mixtes incluant deux insulines différentes (Novomix®, Humalog
Mix®, Insuman Comb®); elles ont l'intérêt d'un pic d'activité très précoce comme une forme
rapide doublé d'un effet prolongé comme une forme lente.
 Certaines insulines sont maintenues en suspension avec de la protamine (Humalog®, Novolog®).
Les patients traités par une insuline contenant de la protamine peuvent développer des réactions
allergiques extrêmement violentes lors de l'administration de protamine après la CEC.
L'incidence de choc anaphylactique est de 2% dans cette population, alors qu'elle est
normalement de 0.06% [22].
L'insuline est une des cinq substances le plus souvent associées à une issue fatale en milieu hospitalier.
Sa marge thérapeutique est extrêmement ténue, particulièrement sous forme de perfusion continue. Les
erreurs de prescription ou de manipulation se soldent le plus souvent par des arrêts cardiaques car la
marge de sécurité est minuscule et les connaissances du staff hospitalier souvent insuffisantes. De ce
fait, un protocole institutionnel sur ses modalités d'administration est de la plus haute importance [8].
Antidiabétiques oraux
Le diabète de type II est en général contrôlé par des antidiabétiques oraux, que l'on peut séparer en deux
groupes selon qu'ils abaissent la glycémie comme l'insuline (sulfonylurées, méglitinides) ou qu'ils
empêchent son élévation (metformine, acarbose, thiazolidinédiones, inhibiteurs SGLT-2, gliptines, etc).
Les premiers présentent évidemment davantage de risque d'hypoglycémie que les seconds. Il en existe
plusieurs catégories [8,32].
 Sulfonylurées: elles augmentent la sécrétion d'insuline et améliorent la sensibilité des cellules
périphériques à l'insuline; glibenclamide (Daonil®), gliclazide (Diamicron®), glyburide
(Diabeta®), glimepiride (Amaryl®), etc. Elles peuvent causer une hyponatrémie et une
hypoglycémie [30]. Ces substances bloquent les canaux KATP dont l'ouverture est le principal
responsable du préconditionnement ischémique (voir Chapitre 5, Préconditionnement) [6,26].
En effet, les diabétiques sous sulfonylurées ont une mortalité et une morbidité plus grandes que
ceux sous insuline lors d'angioplastie coronarienne [13]. Dans l'état actuel de nos connaissances,
il est recommandé de passer sous insuline les patients coronariens qui prennent des
sulfonylurées quelques jours avant l'intervention.
 Metformine (Metfin®, Glumeza®, Glucovance®, Glucophage®): elle améliore l'utilisation du
glucose et réduit la formation de glucose par le foie; elle peut induire une acidose lactique chez
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





les insuffisants hépatiques et rénaux; contre-indiquée en cas d'insuffisance rénale, elle est à
utiliser avec précaution en cas d'insuffisance ventriculaire [24].
Méglitinides: ils augmentent la production endogène d'insuline; repaglinide (NovoNorm®),
nateglinide (Starlix®)
Thiazolidinédiones: ils abaissent la résistance à l'insuline dans les muscles et la graisse, et
baissent la production de glucose dans le foie; contre-indiqués en cas d'insuffisance
ventriculaire [24]; rosiglitazone (Avandia®), pioglitazone (Actos®, Pioglitazon®).
Inhibiteurs de l'α-glucosidase: ils diminuent l'absorption intestinale de glucose; acarbose
(Glucobay®).
Inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase (DDP-4): ils augmentent la libération d'insuline et freinent
celle de glucagon; sistagliptine (Januvia®, Xelevia®), saxagliptine (Onglyza®), alogliptine
(Vipidia®), et autres -gliptines.
Analogues du glucagon-like petptide (GLP-1): ils augmentent la libération d'insuline, freinent
celle de glucagon et retardent la vidange gastrique; liraglutide (Victoza®), exenatide (Byetta®),
et autres -natides.
Inhibiteurs du sodium-glucose co-transporteur (SGLT-2): ils freinent la résorbtion rénale de
glucose et augmentent son excrétion urinaire; dapagliflozine (Forxiga®), canaglifozine
(Invokana®), impaglifozine (Jardiance®).
Le patient diabétique
La prévalence du diabète est en augmentation dans les pays industrialisés. Le diabète est défini par une
glycémie ≥ 7.0 mmol/L (125 mg/dL) à jeun. Il en existe deux types:
- Type I insulino-requérant
- Type II adulte, sensible aux antidiabétiques oraux
Les patients dont le diabète est équilibré ont une Hb glyquée (HbA1c) < 6%
Les insulines existent sous forme rapide (3-5 injections/j), semi-lente (2 inj/j) ou ultralente (1 inj/j).
Les antidiabétiques oraux sont multiples.
Complications du diabète
Les cellules diabétiques produisent un excès de superoxydes dans leurs chaînes d’oxydo-réduction
mitochondriales et un excès de cytokines inflammatoires déversées dans la circulation ; ces phénomènes
entraînent des lésions cellulaires multiples et une accélération de l’apoptose [17]. D’autre part, le
diabète de type I s’accompagne d’une hyperactivité plaquettaire dont le turnover est accéléré, et d’une
potentialisation des estérases plasmatiques qui transforment le clopidogrel en un métabolite inactif, d’où
la faible efficacité de cette substance chez les diabétiques [2]. La fonction endothéliale est anormale, et
la production de NO est abaissée [4].
Chez les diabétiques, les complications cardiovasculaires sont 2 à 5 fois plus importantes que dans la
population moyenne, notamment l'hypertension, l'ischémie myocardique et l'AVC. La combinaison
d’une hyperglycémie, d’une résistance à l’insuline, d’un excès d’acides gras libres et d’une dysfonction
endothéliale conduit à une artériopathie athéromateuse généralisée. La coronaropathie est 4 fois plus
fréquente chez les hommes diabétiques et 5 fois plus chez les femmes que dans la moyenne de la
population [7]. Dans cette cohorte, la principale cause de décès est d'origine cardiovasculaire [24]. En
fait, le diagnostic de diabète type I (diabetes mellitus) est l'équivalent d'un diagnostic de maladie
coronarienne, puisque les diabétiques sans anamnèse coronarienne souffrent de la même mortalité
cardiovasculaire à 5 ans que les patients non-diabétiques qui ont fait un infarctus [3,4]. Les diabétiques
insulino-requérants doivent donc être considérés de facto comme des coronariens. Comme ils souffrent
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le plus souvent d’une maladie tri-tronculaire, ils ont un meilleur pronostic avec une revascularisation
chirurgicale qu'avec une angioplastie et pose de stent [5,28,31,43]. A 5 ans, l’incidence d’infarctus est
diminuée de moitié (6% versus 14%) et la mortalité abaissée d’un tiers (11% versus 16%) après des
pontages aorto-coronariens par rapport à une PCI avec stents actifs [10]. Même avec les stents de
nouvelles générations, les patients insulino-requérants ont un taux de complications après angioplastie
qui est doublé par rapport à celui des coronariens non-diabétiques [34]. Le prasugrel et le ticagrelor sont
les antiplaquettaires de choix chez les diabétiques, puisqu’ils sont presque 2 fois plus efficaces que le
clopidogrel [42,44].
La première cause de mortalité des diabétiques est cardiovasculaire: elle représente 40-55% des décès
[21,27]. La glycémie à jeun a une valeur pronostique pour le risque cardiovasculaire : le risque
augmente de 1.5 à 3.4 et à 6.0 fois pour des glycémies respectivement de 5.0, 6.1 et ≥ 7.0 mmol/L [14].
La macro- et la micro-angiopathie diabétique sont à l'origine d'une série de dysfonctions organiques qui
contribuent à la morbidité et à la mortalité.
 Hypertension artérielle: incidence 30% des patients de type I et jusqu'à 70% des patients de type
II. La pression idéale recherchée est plus basse que pour les non-diabétiques (≤ 130/80 mmHg)
[25]. Le traitement de premier choix est un inhibiteur de l'enzyme de conversion (IEC) ou un
antagoniste du récepteur à l'angiotensine (ARA); les β-bloqueurs β1-sélectifs n'affectent pas la
régulation de la glycémie.
 Néphropathie: due à la micro-angiopathie comme la rétinopathie, elle atteint 40% des
diabétiques de type I. Les IEC ont un effet protecteur sur l'évolution de la maladie [23].
 Coronaropathie: l'ischémie est souvent silencieuse à cause de la neuropathie autonome. La
mortalité de l'infarctus est doublée chez les diabétiques. L’hyperglycémie abolit la protection
anti-ischémique offerte par le préconditionnement avec les halogénés [19]. Le taux de
complications cardio-vasculaires postopératoires après PAC (insuffisance rénale, AVC,
infection de plaie) est plus important que celui de la population non-diabétique [12,33,36,45].
 Cardiomyopathie: secondaire aux désordres métaboliques, elle se caractérise par une atteinte
diastolique de type restrictif, le VG devenant rigide et peu compliant. Elle évolue vers une
diminution de la fonction systolique et l'installation d'une tachycardie permanente. Il est
possible que l'insuffisance systolique puisse apparaître isolément [24].
 Polyneuropathie: des troubles sensitifs et moteurs sont présents chez 50% des diabétiques. La
dysautonomie en est un cas particulier.
 Neuropathie autonome: elle frappe 40% des patients de type I et 15% des patients de type II
[11]. Elle se caractérise cliniquement par une hypotension orthostatique, une tachycardie de
repos et une absence de variation du rythme cardiaque sinusal lors d'inspirium profond ou de
Valsalva (variation < 15 batt/min). La fréquence cardiaque peut même perdre toute variabilité
physiologique, ce qui est fréquemment associé à des arythmies et à une mort subite [20]. Un QT court sur l'ECG est souvent associé à des arythmies graves. Il existe une dénervation
cardiaque vagale (faible réponse à l'atropine) et un défaut de vasoconstriction périphérique: la
sécrétion de noradrénaline est en dessous de la norme [37]. La dysautonomie altère
l’autorégulation cérébrale et rend le flux sanguin cérébral dépendant de la pression artérielle ; il
est donc important que la PAM soit maintenue à ≥ 75 mmHg chez les diabétiques.
 Une des manifestations de la dysautonomie est une gastroparésie: un retard de vidange gastrique
est présent chez 20-30% des diabétiques; ce phénomène engendre des risques de bronchoaspiration à l'induction. Ces patients bénéficient d'une administration de métoclopramide
(Primpéran®) à la prémédication.
 Complications respiratoires: la neuropathie autonome diminue la réactivité à l'hypoxie et à
l'hypercapnie. La ventilation expiratoire forcée (FEV1) est diminuée, de même que le volume
courant.
 Dysfonction leucocytaire : l’hyperglycémie est associée à une baisse de l’activité immunitaire et
à une augmentation du risque infectieux ; ce dernier est d’autant plus élevé que la glycémie est
plus mal contrôlée [15,41].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Un diabète mal réglé ou une infection intercurrente peuvent conduire à une acido-cétose (plus fréquente
dans le Type I) ou à un état hyperglycémique hyperosmolaire (osmolarité > 330 mosm/L) pouvant
aboutir au coma (plus fréquent dans le Type II). La mortalité est de 4-10% pour la première et de 15%
pour le second. Il peut également entraîner une hyperkaliémie, une hyponatrémie et une hypocalcémie
[30].
Un contrôle strict de la glycémie a une influence favorable sur le pronostic des lésions neuropathiques et
microvasculaires (rétinopathie et néphropathie), mais guère sur les lésions macro-angiopathiques
(artériosclérose) qui, par contre, bénéficient d'un contrôle serré de l'hypertension artérielle [24,38]. Ces
dernières semblent être liées à une dérégulation du système rénine-angiotensine [18]. La cicatrisation
des plaies et le taux d'infection sont également dépendants de la rigueur avec laquelle est contrôlée la
glycémie avant, pendant et après l'intervention [40,41]. En chirurgie non-cardiaque, la mortalité
opératoire est nettement plus élevée chez les diabétiques que dans la population générale, à court terme
(3.5% versus < 1%) comme à long terme (37% versus 15%) [21]. En chirurgie cardiaque, la mortalité à
30 jours est 2.4 fois plus importante chez les diabétiques insulino-requérants [29].
Risque cardiovasculaire du patient diabétique
Les diabétiques, dont la mortalité et la morbidité sont plus élevées que la celles de la population
générale, souffrent de nombreuses comorbidités:
- Hypertension artérielle
- Coronaropathie (souvent silencieuse)
- Néphropathie
- Cardiomyopathie
- Dysautonomie
- Neuropathie périphérique
- Risque infectieux élevé
La chirurgie représente un stress métabolique difficile à juguler pour le diabétique. Le risque
opératoire est plus élevé de 1.5 à 6 fois par rapport aux patients appariés non-diabétiques; le manque
de contrôle périopératoire de la glycémie est un des éléments responsables de cette différence.
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Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Effets de la chirurgie, de la CEC et de l'hypothermie
Toute intervention chirurgicale a des effets métaboliques et endocriniens liés au stress. Ceux-ci
interfèrent avec la régulation de la glycémie et induisent une hyperglycémie de l’ordre de 7-10 mmol/L
pour des interventions abdominales, par exemple [5,6].
 Augmentation des hormones contre-régulatrices (anabolisantes et hyperglycémiantes):
catécholamines, cortisol, hormone de croissance;
 Baisse de la sécrétion d'insuline;
 Augmentation de la résistance périphérique à l'insuline;
 Augmentation du catabolisme protéique, de la glycolyse hépatique et de la lipolyse;
 En peropératoire, les diabétiques type II se comportent comme des diabétiques type I, parce que
les hormones de stress induisent une baisse de sécrétion d'insuline et une résistance cellulaire à
celle-ci.
Au cours d'une intervention cardiaque, la régulation de la glycémie suit une évolution particulière en
relation avec la CEC [1,9].
 Hyperglycémie marquée (10-12 mmol/L) pendant la CEC normothermique (> 35°C); la
glycémie augmente de manière quasi linéaire avec la durée de la CEC [2]. Plusieurs
phénomènes sont en jeu, en plus des éléments déjà décrits pour la chirurgie générale:
hypersécrétion des hormones de stress, libération d'activateurs inflammatoires, épargne
glucidique créée par l'élévation des acides gras libres liée à l'administration d'héparine; en effet,
celle-ci active les lipoprotéine-lipases et augmente le taux d'acides gras libres en occupant leur
place sur les protéines circulantes [3].
 En hypothermie (28-32°C), l'hyperglycémie s'aggrave et l'insulinémie s'abaisse
comparativement à la période normothermique, mais le métabolisme cellulaire est inhibé, donc
la consommation des éléments est diminuée, les besoins en insuline sont moindres et la
résistance à cette dernière est augmentée.
 Lors du réchauffement, la glycémie s'élève significativement et le métabolisme se réactive; bien
qu'elle augmente aussi, la sécrétion d'insuline reste cependant inadéquate pour ramener le
glucose à des valeurs normales; le besoin est augmenté jusqu'à six fois pendant cette période.
 L'inhibition de la sécrétion spontanée d'insuline pendant la CEC, en normothermie comme en
hypothermie est plus marquée lors de flux non-pulsatile que lors de flux pulsé; il s'atténue
progressivement après la CEC, mais se prolonge pendant 48 heures. A la sécrétion inadéquate
d'insuline face à l'hyperglycémie s'ajoute une résistance périphérique accrue.
 L'utilisation de catécholamines exogènes potentialise l'hyperglycémie.
 Ces phénomènes sont d'autant plus prononcés que les perfusats et les solutions d'amorçage
contiennent du glucose ou du lactate.
Chez les patients diabétiques, la glycémie peut s'élever jusqu'à jusqu’à 20 mmol/L en chirurgie
cardiaque en l'absence de traitement. Mais elle peut aussi s'élever chez les non-diabétiques; cette
hyperglycémie transitoire de stress (glycémie > 12 mmol/L), si elle n'est pas traitée, affecte la mortalité
plus brutalement que lorsqu'elle survient chez un diabétique (HR 18.3 versus 2.7) [6]. Dès que la
glycémie dépasse 14 mmol/L, il existe un risque de voir se développer une acido-cétose, caractérisée par
une hyperglycémie (≥ 14 mmol/L), une acidose (pH < 7.2), une baisse du bicarbonate (< 15 mmol/L) et
un trou anionique > 12; les corps cétoniques sont présents dans le sang et dans l'urine [7]. Le traitement
consiste à rééquilibrer la glycémie, l'hypovolémie et les perturbations électrolytiques [8].
 Bolus iv d'insuline rapide (0.1 UI/kg, max 7 UI), puis perfusion d'Actrapid (0.1 UI/kg/heure,
maximum 7 U/h) accompagnée d'un apport de glucose (G10 ou G20).
 Perfusion de NaCl 0.9% ou 0.45% (100-500 mL/h) selon la natrémie et le degré d'hypovolémie.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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 Perfusion de KCl selon le degré d'hypokaliémie; pendant et après la CEC, la cardioplégie
représente un apport important de K+; il faut donc rester prudent pour éviter toute augmentation
excessive de la kaliémie.
 Le bicarbonate est controversé, car l'acidose se corrige avec la glycémie; il est en général
indiqué si le pH est < 7.0.
Pour éviter l'hypoglycémie, certains centres accompagnent la perfusion d'insuline d'une perfusion
parallèle et indépendante de glucose 10% ou 20%. Toutefois, le schéma de Portland, qui est le plus
utilisé, ne comprend aucun apport glucidique (voir Tableau 21.11). La glycémie est mesurée toutes les
30 à 60 minutes (voir Anesthésie du patient diabétique). Afin de ne pas perturber ce réglage, les autres
perfusions, le liquide d'amorçage de la CEC et la cardioplégie sont dénués de sucre.
Par ailleurs, les quantités d'insuline nécessaires à maintenir la normoglycémie sont plus importantes
chez les diabétiques souffrant de cardiopathie (1.0 U/g glucose) que chez les diabétiques sans affection
cardiovasculaire (0.3 U/g glucose). L'effet le plus néfaste de la dysautonomie diabétique lors de la CEC
est lié à sa profonde altération de l'autorégulation cérébrale; celle-ci est telle qu'elle rend le flux sanguin
cérébral directement dépendant de la pression de perfusion systémique [4]. Il est donc capital de
maintenir cette dernière dans les valeurs de pression moyenne habituelles du patient ou entre 70 et 75
mmHg.
Effets de la chirurgie cardiaque et de la CEC
Hyperglycémie peropératoire marquée:
- ↑ hormones de stress
- ↓ sécrétion d’insuline en CEC
- en hypothermie, ↑ résistance périphérique à l’insuline, ↓ des besoins métaboliques
- ↑ glycémie par les catécholamines
La glycémie augmente proportionnellement à la durée de la CEC. Les besoins en insuline augmentent
2-3 fois en chirurgie cardiaque par rapport aux besoins normaux du patient. La glycémie est maintenue
< 10 mmol/L avec une perfusion continue d'insuline rapide accompagnée d'une perfusion
indépendante de glucose pour éviter l'hypoglycémie.
En CEC, maintenir la PAM à 70-75 mmHg à cause de la perte d’autorégulation cérébrale
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Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Impact du contrôle peropératoire de la glycémie
Depuis quelques années, le poids de l’évidence incline vers un contrôle strict de la glycémie chez les
diabétiques comme chez les non-diabétiques. Même si les preuves du bienfait de cette attitude sont
encore partielles en peropératoire, de nombreuses études contrôlées et randomisées démontrent une
baisse de morbidité et de mortalité en soins intensifs.
 L’étude de Louvain portant sur 1'548 patients de soins intensifs, dont 60% de cas après
chirurgie cardiaque, a été la première à démontrer que le contrôle strict de la glycémie (4.4 – 6.1
mmol/L) diminuait la mortalité de 20% à 11% par rapport au groupe contrôle dans lequel
l’insuline n’était administrée qu’au dessus de 11.1 mmol/L de glycémie [30]. Cette étude
démontrait une relation linéaire entre la glycémie et les complications chez les patients qui
passent plus de 5 jours en soins intensifs. Le bénéfice se rencontrait aussi bien chez les patients
diabétiques que chez les non-diabétiques.
 Répétée avec les mêmes cibles sur 1'200 patients de soins intensifs médicaux et non mixtes,
l’étude a de nouveau démontré une baisse de morbidité (insuffisance rénale, durée de
ventilation) mais non plus de mortalité [31]. Une des raisons en est probablement la survenue
d’hypoglycémies (18%). Les résultats sont identiques chez les diabétiques et chez les nondiabétiques.
 Après infarctus chez le diabétique, la mortalité à 1 an est abaissée de 28% lorsque la glycémie
est correctement contrôlée par insulinothérapie pendant l’événement aigu [27]. Ici aussi, il
existe une relation linéaire entre la valeur de la glycémie au moment du syndrome coronarien
aigu et la mortalité.
 Alors qu’elle n’a aucune influence dans l’accident cérébral hémorragique aigu, l’hyperglycémie
(> 8 mmol/L) augmente de trois fois (RR 3.28) la mortalité à 30 jours dans l’infarcissement
ischémique [2]. Le cerveau dépendant étroitement d’un apport glucidique constant, toute
neuroglucopénie est associée à une aggravation des lésions cérébrales. La cible recommandée
en neuroréanimation est 6-8 mmol/L.
 Le degré de variabilité de la glycémie est encore plus important que sa valeur absolue. La
mortalité est 3 à 5 fois plus élevée lorsque la variation des glycémies horaires est > 5 mmol/L
[14].
Il semble donc que le contrôle agressif de la glycémie (5-6 mmol/L) en soins intensifs soit bénéfique
surtout pour les patients de chirurgie cardiaque. Dans les autres cas, les meilleurs résultats sont obtenus
avec des glycémies maintenues entre 6 et 8 mmol/L [7]. Les études réalisées en peropératoire,
essentiellement en chirurgie cardiaque, tendent vers un contrôle plus flexible, parce que la stimulation
sympathique est très fluctuante en cours d’intervention et parce que la crainte d’une hypoglycémie est
toujours présente chez les patients endormis. Mais les données confirment la nécessité d’une gestion
adéquate de la glycémie, que les patients soient diabétiques ou non.
 Le risque de complications cardiaques après CEC augmente de 17% pour chaque unité au
dessus de 6.1 mmol/L de glycémie dans une série de patients diabétiques [21].
 Le risque de complication cardiaque est sept fois plus important (adjusted odds ratio 7.2) chez
les patients dont le contrôle peropératoire de la glycémie est inadéquat (glycémie > 11 mmol/L)
[23].
 Chez les patients diabétiques comme chez les non-diabétiques, des glycémies persistant à > 14
mmol/L (250 mg/dL) quadruplent la mortalité (OR 3.9), triplent l’incidence d’infarctus (OR
2.7) et doublent les complications pulmonaires et rénales (OR 2.3) par rapport au maintien de la
glycémie < 11 mmol/L (200 mg/dL) [1].
 La mortalité de 3'554 patients diabétiques subissant des PAC est directement proportionnelle à
la glycémie des 48 heures périopératoires [11].
 Le contrôle de la glycémie diminue le besoin en agents inotropes, la durée de ventilation
postopératoire, la mortalité, les récidives ischémiques et le risque de FA et d’infection sternale
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




[17]. Il réduit la mortalité (OR 0.24) chez les malades à haut risque, mais non dans les cas
simples (EuroSCORE < 4) [5].
Une administration préemptive d’insuline (0.005 UI/kg/min) commencée au début de
l’intervention et une perfusion de glucose à vitesse variable constamment adaptée à la glycémie
permettent un contrôle adéquat de la glycémie entre 4 et 6 mmol/L pendant des interventions en
CEC chez les diabétique aussi bien que chez les non-diabétiques [3].
Par rapport aux injections intermittentes, la perfusion continue d’insuline pour maintenir la
glycémie entre 5.5 et 8.5 mmol/L diminue de 3 fois l’incidence d’infarctus, d’insuffisance
cardiaque et de mortalité en chirurgie vasculaire majeure (risque relatif : 0.29), mais le taux
d’hypoglycémie est plus élevé (8.8% versus 4.1%) [26].
Une étude observationnelle penche pour un bénéfice maximal lorsque la glycémie peropératoire
est de 8-10 mmol/L [10].
Un contrôle insuffisant de la glycémie au cours de l'intervention augmente significativement les
risques infectieux postopératoires (OR 2.0 à 5.1), alors qu'un contrôle efficace les diminue
[12,16,32]; ceci s'avère vrai y compris chez les non-diabétiques [16]. L'effet immunodépresseur
de l'hyperglycémie se manifeste dès 10 mmol/L.
Si elle n'est pas traitée, l'hyperglycémie transitoire de stress (glycémie > 12 mmol/L) péjore 3 à
6 fois plus la mortalité lorsqu'elle survient chez un non-diabétique que chez un diabétique [29].
Il est donc capital de contrôler avec une insuline rapide toute déviation majeure de la glycémie,
quel que soit le contexte.
Plusieurs études randomisées récentes ont montré qu’un contrôle trop serré de la glycémie (4.5-5.6
mmol/L) aboutissait à davantage d’épisodes d’hypoglycémie et à un taux d’ictus plus élevé qu’un
contrôle standard (6-10 mmol/L) [8,13]; même la mortalité peut doubler [13].
 L’hypoglycémie (< 4 mmol/L) survient entre 5 et 10% des cas. Elle est liée à la variabilité du
stress et de la réponse à l’insuline, et présente un réel danger chez les malades endormis [4].
Elle est probablement en rapport avec l’incidence plus élevée d’AVC rencontrée dans certains
groupes au bénéfice d'un contrôle strict de la glycémie (4 à 6 mmol/L) [19].
 Dans une étude de soins intensifs portant sur 6'026 patients et comparant un contrôle strict de la
glycémie à un régime standard, 82% des malades ayant subi une hypoglycémie modérée (2.33.9 mmol/L) et 93% de ceux avec une hypoglycémie sévère (≤ 2.2 mmol/L) sont dans le groupe
à contrôle strict. Leur mortalité est respectivement 1.4 et 2.1 fois plus élevée que dans le groupe
standard [9].
Sous anesthésie générale, l’hypoglycémie est clairement un danger plus grave que l’hyperglycémie, car
elle passe inaperçue entre deux échantillonnages de sang. Seules des glycémies fréquentes (toutes les
30-60 minutes) permettent de s’en prémunir. Basées sur l’expérience de ces dix dernières années, les
recommandations actuelles pour la chirurgie cardiaque sont donc les suivantes [18,22].
 Les patients diabétiques doivent bénéficier d’une perfusion continue d’insuline pour maintenir
leur glycémie en permanence < 10 mmol/L.
 Chez les patients non-diabétiques, on peut tolérer une glycémie jusqu’à 12 mmol/L (215
mg/dL) ; un traitement par insuline ne devient nécessaire que lorsque la glycémie se maintient
en peropératoire > 12 mmol/L.
 En salle d’opération, une glycémie maintenue entre 6.0 et 10 mmol/L (110-180 mg/dL) est
probablement la plus sûre.
 En soins intensifs, la glycémie recherchée est < 8.5 mmol/L (150 mg/dL).
 Un contrôle strict de la glycémie (5-6 mmol/L, 90-110 mg/dL) n’est pas bénéfique en
peropératoire car il fait courir davantage de risque d’hypoglycémie.
 Un malade incapable de signaler son malaise courre un risque élevé d'hypoglycémie dangereuse
dès que sa glycémie voisine 4 mmol/L [6,20]. Chez un patient endormi, toute administration
d’insuline s’accompagne donc systématiquement d’une administration simultanée de glucose.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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On peut aussi se demander si l’insuline à hautes doses n’est pas bénéfique en elle-même,
indépendamment du contrôle de la glycémie ; elle présente des effets cardioprotecteurs sans
administration concommittante de sucre au moment de la reperfusion après ischémie myocardique [15].
En effet, elle exerce des effets vasodilatateurs, anti-inflammatoires, anti-oxydants, antiplaquettaires et
fibrinolytiques, notamment par la médiation du système L-arginine-monoxyde d’azote [25]. Un défaut
génétique et/ou acquis de la synthèse du NO• pourrait représenter le défaut commun reliant la résistance
à l’insuline, l’hyperactivité sympathique et les maladies cardio-vasculaires [24]. Un défaut de
production endothéliale de NO• induit une résistance à l’insuline, une hypertension artérielle et un
syndrome métabolique, mais une hyperproduction de NO• induit également une résistance à l’insuline
[28].
Contrôle de la glycémie
La morbidité (infection de plaie, sepsis, insuffisance rénale) et la mortalité augmentent
significativement en cas d’hyperglycémie peropératoire > 10 mmol/L.
Il est recommandé de maintenir la glycémie peropératoire entre 6.0 et 10 mmol/L chez les
diabétiques, et < 12 mmol/L chez les non-diabétiques, au besoin avec une perfusion d'insuline/
glucose. Un contrôle plus serré (5-7 mmol/L) n'améliore pas le pronostic mais fait courir un risque
accru d'hypoglycémie. Chez un malade inconscient, le risque d’hypoglycémie est plus dangereux que
celui d’hyperglycémie tant que la valeur ne dépasse pas 10 mmol/L.
En soins intensifs, le maintien de la glycémie est plus rigoureux: < 8 mmol/L.
Chez un patient endormi, toute administration d’insuline s’accompagne d’une perfusion de glucose.
Références
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Anesthésie du patient diabétique
Données générales
La chirurgie instaure un état d'insuffisance fonctionnelle en insuline endogène. Les besoins en sont
augmentés par les hormones de stress, par l'infection et par l'excès métabolique que représente une
intervention majeure, alors que sa concentration baisse dès l'induction de l'anesthésie [4]. La
concentration en glucose s'élève dès le début de la chirurgie parallèlement à l'augmentation du cortisol
et des catécholamines endogènes; simultanément, l'utilisation périphérique de l'insuline diminue
("résistance" à l'insuline).
En préopératoire, les données essentielles dont il faut disposer pour évaluer un diabétique sont la
glycémie, l'hémoglobine glycosylée (HbA1c), la clairance de la créatinine, le BMI et la pression
artérielle. Avant l'induction, il est de routine de contrôler la glycémie (capillaire, intraveineuse ou par la
gazométrie artérielle) afin d'avoir une valeur de base sur laquelle établir le dosage des injections ou la
vitesse de la perfusion d'insuline. Cette dernière doit être administrée par une voie veineuse
indépendante (cathéter central multi-lumière) pour éviter les à-coups occasionnés par la variation des
autres fluides. Elle est souvent accompagnée d'une perfusion simultanée et indépendante de glucose.
L'administration d'insuline est scrupuleusement consignée sur la feuille d'anesthésie. La glycémie est
contrôlée au minimum chaque heure. Si l'opération impose de ne sauter qu'un seul repas (same day
surgery), la régulation de la glycémie peut se faire par des agents oraux ou par la couverture de
l'insuline lente prise par le patient, mais ce dernier doit pouvoir s'alimenter dans les heures qui suivent
l'opération. Il faut donc prévoir une reprise rapide du transit (prescription d'antiémétiques, pas d'opiacés
postopératoires). L'anesthésie loco-régionale diminue le risque de nausée et de douleur, mais les
complications neurologiques sont plus fréquentes chez les diabétiques à cause de leur neuropathie [24].
Dès que le jeûne imposé par l'opération s'étend au-delà de 24 heures, une perfusion d'insuline et de
glucose doit être prévue [6].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
64
Le but poursuivi pendant l'anesthésie du patient diabétique s'est longtemps contenté de limiter les
risques d'hypoglycémie. Le jeûne, l'augmentation des besoins peropératoires en insuline et
l'inconscience d'une anesthésie générale contribuent en effet à accroître les risques d'une hypoglycémie
sévère, qui passe inaperçue si l'on ne dose pas le glucose circulant. Mais il est apparu que même dans
les situations aiguës (salle d'opération, soins intensifs), le contrôle strict de la glycémie améliorait le
pronostic des patients et diminuait leur taux de complications à long terme [2,11,35]. La normoglycémie
est bénéfique sur le court-terme également, car elle diminue le risque de catabolisme protéique, de
décompensation hyperosmolaire, d'acidocétose, de retard de cicatrisation et d'infection de plaie
[12,17,21,22,36]. La glycémie visée en peropératoire est située entre 6 et 10 mmol/L; une ascension
jusqu'à 11 mmol/l peut être momentanément acceptable chez les non-diabétiques, mais au-delà de cette
valeur, l'hyperglycémie de stress est associée à une péjoration plus importante de la mortalité chez les
non-diabétiques que chez les diabétiques [34]. Elle doit donc être contrôlée avec la même rigueur dans
les deux cas. Une valeur inférieure à 5 mmol/L n'est pas tolérable chez un malade endormi. Par contre,
chez un patient éveillé sous un antidiabétique oral qui ne provoque pas d'hypoglycémie comme la
metformine, l'acarbose ou les thiazolidinédiones, on peut accepter que la glycémie descende jusqu'à 3.5
mmol/L si le malade est asymptomatique [6,7].
Il est certain que la variation constante dans l'intensité des stimulations sympathiques et du stress rend la
stabilité plus aléatoire en salle d'opération qu'en soins intensifs, mais la fourchette dans laquelle la
glycémie est tolérée reste de 6 à 10 mmol/L; le maximum tolérable est 11 mmol/L, car le pronostic se
modifie au-delà de cette valeur [22]. Lorsqu'il existe un risque d'ischémie cérébrale, comme lors d'arrêt
circulatoire en chirurgie cardiaque ou de clampage artériel en chirurgie de l'aorte, on a démontré qu'une
augmentation de la glycémie au-delà de 12 mmol/L péjore les conséquences de l'ischémie cérébrale
[13,33]. En effet, l'hyperglycémie, lors d'une diminution de l'apport d'oxygène, amène la cellule à
fabriquer du lactate, et crée une acidose cellulaire grave accompagnée d'hyperosmolarité et d'œdème
particulièrement délétères pour les neurones [3,29]. Toutefois, les résultats cliniques à long terme du
contrôle strict de la glycémie sont obérés par la dangerosité extrême de l'hypoglycémie sur les neurones
en souffrance et par l'absence de gain en terme de récupération neurologique. Comme pour la situation
peropératoire, l'idéal semble se situer à une valeur de glycémie entre 6 et 10 mmol/L [16,33].
Anesthésie
Il n'y a pas de technique d'anesthésie particulière pour le diabétique. Toutefois, il est certain que la
diminution des réactions au stress obtenue avec de hautes doses d'opiacés et avec l'anesthésie péridurale
thoracique ou combinée facilite le contrôle de la glycémie. En chirurgie abdominale, il n'existe
cependant aucune évidence que l'anesthésie loco-régionale soit supérieure à l'anesthésie générale chez le
diabétique en terme de mortalité et de complications postopératoires [20]. En cas de neuropathie, il est
préférable d'éviter les blocs périphériques ou centraux. La neuropathie et la microangiopathie rendent
les points d'appui très sensibles à l'ischémie et à la nécrose, particulièrement les talons. Il est donc
important d'être très soigneux avec l'installation de ces malades sur la table d'opération, notamment en
protégeant les zones d'appui et de compression avec beaucoup d'ouate et de rembourrage [6].
L’inhibition de la 11-β-hydroxylase par l’etomidate freine la synthèse de cortisol et décroît la réponse
hyperglycémiante d’environ 1 mmol/L chez le non-diabétique [10]. Les benzodiazépines à doses
élevées freinent la sécrétion d’ACTH et la synthèse de cortisol, ce qui diminue aussi la réponse
hyperglycémiante [5]. Les hautes doses de fentanyl bloquent toute la réponse sympathique par une
action hypothalamique (bloc de l’axe hypothalamo-hypophysaire) [14].
La glycolysation articulaire propre au diabète de longue durée diminue l’amplitude des mouvements
(stiff-joint syndrome) et peut bloquer l’articulation temporo-maxillaire, rendant l’intubation difficile
[28]. Le meilleur test préopératoire est la difficulté à opposer les doigts et les paumes des mains (signe
de la prière). A cela s’ajoute le retard de vidange gastrique et le risque de régurgitation. Plus d’un tiers
des diabétiques souffre de dysautonomie, comme le prouve la perte de la variabilité de la fréquence
cardiaque, qui est un marqueur de risque élevé pour des arythmies malignes et des morts subites [32].
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La dysautonomie altère l’autorégulation cérébrale, ce qui rend la perfusion cérébrale dépendante de la
pression systémique [9]. Ce phénomène est particulièrement important en CEC, pendant laquelle il est
capital de maintenir une PAM suffisante (70-75 mmHg) chez les diabétiques pour garantir une
oxygénation cérébrale satisfaisante. L’utilisation de la saturométrie cérébrale (ScO2) permet d’ajuster
plus finement le débit et la pression de la CEC.
Diabète et anesthésie
Le stress chirurgical représente un état de besoin accru et de résistance à l'insuline. La glycémie visée
en peropératoire est située entre 6 et 10 mmol/L chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques;
une ascension jusqu'à 11 mmol/l peut être momentanément acceptable. Une valeur inférieure à 5
mmol/L n'est pas tolérable chez un malade endormi à cause du risque d'hypoglycémie grave. La
technique d'anesthésie n'a pas d'influence significative, mais la neuropathie diabétique peut être une
contre-indication à la loco-régionale. La dysautonomie diabétique cause une labilité tensionnelle et
altère l'autorégulation cérébrale (maintenir PAM ≥ 75 mmHg).
Contrôle de la glycémie en chirurgie générale (mineure ou intermédiaire)
La veille de l'opération, les malades sous antidiabétiques oraux interrompent leur traitement ou prennent
leur dose normale selon la durée de vie des substances (voir Tableau 21.8). Ceux qui sont insulinodépendants s'injectent le 80% de la dose d'insuline habituelle du soir s'ils sont sous deux doses par jour,
ou le 80% de la dose d'insuline habituelle du matin, s'ils sont sous une seule dose quotidienne [6].
La dose d'hypoglycémiant oral est supprimée le matin de l'intervention si le patient doit rester à jeun et
sauter un repas. Le médicament est repris dès que l'alimentation est possible: le soir de l'intervention en
cas de 2 prises quotidiennes, ou le lendemain en cas d'une seul prise le matin. En cas d'intervention
simple qui ne supprime qu'un repas, le régime d'insuline recommandé pour le jour opératoire dépend du
type de substance que le patient s'injecte.




Insuline lente ou ultralente: pas d'injection, ou 25% de la dose habituelle selon la glycémie;
Insuline semilente ou mixte: 25-50% de la dose matinale sous forme d'insuline lente;
Ajouts d'insuline rapide: stop.
Reprise des injections dès que l'alimentation du soir est possible.
Dans tous les cas, la glycémie est mesurée à l'arrivée en salle d'opération. Deux tableaux indiquent la
gestion des antidiabétiques oraux (Tableau 21.8) et des insulines (Tableau 21.9) dans les cas standards
de chirurgie non-cardiaque, telles la chirurgie vasculaire périphérique ou la pose de défibrillateur [6,7].
Dans la chirurgie peu invasive, le diabétique bénéficie d'interventions en ambulatoire et d'une reprise
rapide de l'alimentation qui lui laissent la possibilité de régler lui-même son régime hypoglycémiant
[7,19]. En attendant la possibilité de s'alimenter, le patient peut recevoir de l'insuline rapide par voie
sous-cutanée pour régulariser la glycémie lorsque celle-ci dépasse 10 mmol/L (Tableau 21.10).
La perfusion d'insuline est réservée aux opérations qui entraînent un jeûne prolongé; elle peut être
administrée en complément d'une insuline ultralente maintenue à 80% de sa dose habituelle [6]. Le
système de pompe administrant l'insuline sous-cutanée de manière programmée et continue peut
convenir à de la chirurgie mineure qui nécessite de ne sauter qu'un seul repas, et qui ne s'accompagne
pas de variations hémodynamiques modifiant considérablement la perfusion hypodermique. Un
diabétologue doit être consulté afin de reprogrammer la pompe si nécessaire pour le jour de
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l'intervention. Comme il n'est pas adapté à une intervention chirurgicale importante, ce système doit être
interrompu et remplacé par une perfusion intraveineuse d'insuline lors de chirurgie majeure ou
cardiaque [25].
Tableau 21.8
Schéma de gestion périopératoire des antidiabétiques oraux



Veille de l'opération: prise normale si l'intervention chirurgicale permet une reprise de l'alimentation dans
les 8 heures postopératoires, sinon selon schéma ci-dessous
L'antidiabétique oral est maintenu le matin opératoire si l'intervention ne nécessite pas d'être à jeûn
Contrôle de la glycémie le matin de l'opération
Substance
Sulfonylurée
Glicazide
Metformine
Préopératoire
Stop 24 heures
Stop 12 heures
Stop 48 heures
Matin opératoire
Stop
Méglitinide
Thiazolidinédione
Acarbose
Gliptines
Natides
Gliflozines
Stop 12 heures
Maintien
Stop 24 heures
Maintien
Maintien
Stop 48 heures
Stop
Maintien*
Stop
Maintien*
Maintien*
Stop jour opératoire
Stop
Suite postopératoire
Reprise dès alimentation: le soir si 2 prises/j,
à J+1 si 1 prise/j
Ccréat > 60 mL/': reprise normale
Ccréat < 60 mL/': stop 48 heures
Reprise à J+1 ou dès alimentation
Prise normale
Reprise à J+1 ou dès alimentation
Prise normale
Prise normale
Reprise J+1 ou dès alimentation
*: L'administration de ces antidiabétique oraux est également interrompue lorsque l'opération implique un jeûne de > 24 heures
ou si une perfusion d'insuline est indiquée à cause d'une hyperglycémie réfractaire (> 11 mmol/L). La reprise a lieu lorsque
l'alimentation et la boisson sont rétablies.
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Tableau 21.9
Schéma de gestion périopératoire des différentes insulines



Opération programmée en début de matinée
Contrôle de la glycémie le matin de l'opération ou avant l'induction de l'anesthésie
Les doses proposées sont administrées par voie sous-cutanée
Substance
Insuline lente/ultralente
1 injection/jour le soir
Insuline lente/ultralente
1 injection/j le matin
Insuline semilente
2 injections / jour
Insuline semilente +
insuline rapide
2 injections/jour
Insuline mixte 1-3
injections/j + insuline
rapide 1-2 injections/j
Veille opératoire
Réduire la dose de
20%
Réduire la dose de
20%
Réduire la dose
du soir de 20%
Réduire la dose
du soir de 20%
Réduire la dose
du soir de 20%
Matin opératoire*
Pas d'injection d'insuline
Stop ou 25% de la dose
habituelle (selon glycémie)
Réduire la dose matinale à
25-50% (selon glycémie)
Injecter 25% de dose totale
semilente + rapide (matin)
avec insuline lente
Insuline mixte: dose sp
Insuline rapide: stop
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
Soir de l'opération**
Reprise avec 50-80% de la dose
habituelle (selon glycémie)
Reprise avec 80% de la dose
habituelle
Reprise avec 80% de la dose
habituelle
25% de dose totale semilente +
rapide (soir) avec insuline
ultralente
Insuline mixte: 80% de la dose
du soir
67
*: Recommandations pour la chirurgie non-cardiaque mineure ou intermédiaire; pour la chirurgie majeure ou la chirurgie
cardiaque, voir Tableau 21.11.
**: Si reprise de l'alimentation et après contrôle de la glycémie. En cas de jeûne de > 24 heures, la normoglycémie est assurée
par une perfusion de glucose et d'insuline rapide (voir: Contrôle de la glycémie en chirurgie majeure et cardiaque).




En sous-cutané, 1 UI d'insuline rapide diminue en principe la glycémie de 3 mmol/L, mais il est judicieux de se
renseigner auprès du patient sur la manière dont il gère ses hyperglycémies. Contrôler la glycémie 1 heure après
l'injection.
La persistance d'une glycémie ≥ 12 mmol/L ou de corps cétoniques ≥ 3 mmol/L commande la mise en route d'une
perfusion d'insuline rapide à vitesse variable.
En cas d'hypoglycémie légère (4-6 mmol/L), administrer 50-100 mL Glucose 10%; contrôle de la glycémie après 10
minutes.
En cas d'hypoglycémie sévère (< 4 mmol/L), administrer 50-100 mL Glucose 20%; contrôle de la glycémie après 10
minutes.
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Tableau 21.10
Schéma pour la correction de la glycémie par injections itératives d'insuline
 Administration d'insuline rapide (Actrapid®, Novorapid®, Apidra®)
Glycémie (mmol/L)
4.5 - 6.5
6.6 - 10.0
10.1 - 12.0
12.1 - 14.0
14.1 - 16.5
16.6 - 20.0
> 20.0**
Bolus s-cut (UI)
0
0-2*
4
6
8
10
12
Bolus iv (UI)
0
0-1*
2
3
4
8
12
*: Selon la tendance dans l'évolution des glycémies
**: S'assurer qu'il ne s'agit pas d'un artéfact ou d'une erreur de mesure



Contrôle de la glycémie
o Toutes les 30 minutes si < 4.5 mmol/L ou > 11.0 mmol/L
o Toutes les heures si > 4.5 et < 11 mmol/L
Par voie intraveineuse, 1 UI abaisse la glycémie d'un adulte de 70 kg de 1.5-1.7 mmol/L; à cause de la métabolisation
lors du premier passage hépatique, il est prudent de ne pas donner de bolus iv sans perfusion continue simultanée.
Contrôler la glycémie 30 minutes après l'injection intraveineuse (pic d'activité après 5-10 minutes) ou 1 heure après
l'injection sous-cutanée (pic d'activité après 20-30 minutes)
Contrôle de la glycémie en chirurgie majeure et en chirurgie cardiaque
Les recommandations pour la veille de l'opération sont les mêmes que précédemment. Par contre, quatre
éléments modifient la prise en charge lors de chirurgie lourde.
 Le jeûne du jour opératoire se prolonge bien au-delà de 24 heures;
 Le stress métabolique considérable de l'intervention bouleverse complètement les besoins en
insuline et les rend très variables;
 Certaines situations augmentent la résistance à l'insuline et réclament une augmentation des
doses: sepsis, état inflammatoire (CRP > 100 mg/L), BMI > 30, stéroïdes concommittants;
 L’instabilité hémodynamique peropératoire et les variations de la perfusion tissulaire rendent
aléatoire la résorption des médicaments administrés par voie intra-musculaire ou sous-cutanée.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
68
La perfusion intraveineuse continue d'une insuline rapide (Actrapid®, Novorapid®, Apidra®) à vitesse
variable (VRIII: variable rate intravenous insulin infusion) est donc la technique de choix pour contrôler
la glycémie dans la situation instable d'une intervention chirurgicale associée à un jeûne prolongé. Une
perfusion d'insuline chez un malade endormi présente toutefois certaines contraintes [7,19].
 Le contrôle de la glycémie doit avoir lieu au minimum toutes les heures (maintien à 6-10
mmol/L); les larges oscillations dans les valeurs doivent être évitées à tout prix.
 Le malade étant inconscient, toute hypoglycémie passe inaperçue.
 L'administration d'insuline et de glucose entraîne un apport important d'eau libre et peut
conduire à une hyponatrémie.
 La combinaison d'insuline et de glucose force le transport intracellulaire du K+ et peut aboutir à
une hypokaliémie.
 La perfusion d'insuline fait partie des manœuvres médicales les plus souvent associées à des
accidents iatrogènes.
 L'arrêt d'une perfusion d'insuline rapide supprime toute substance circulante en 5 minutes et
provoque une flambée d'hyperglycémie; elle ne doit jamais être interrompue sans que le relai ne
soit pris par une forme lente.
 Certains centres recommandent un apport de glucose sous la forme d'une perfusion continue
parallèle et indépendante de glucose (10%, 20% ou 50% selon le degré de restriction hydrique
nécessaire) pour éviter le risque d'hypoglycémie; le schéma de Portland, qui est le plus
largement utilisé, ne contient pas d'apport glucidique (voir Tableau 21.11).
Chez le patient insulino-dépendant (type I), le réglage de départ de la perfusion correspond au besoin
horaire basé sur la dose quotidienne d'insuline divisée par 24 (total journalier en UI/24 heures); les
besoins sont multipliés par 1.2-1.5 en cas de sepsis, de consommation de stéroïdes ou de CEC [26].
Toutefois, il faut se souvenir que les besoins peropératoires en insuline sont largement imprévisibles.
Une alimentation parentérale totale induit un besoin insulinique de 4 U/heure.
Deux régimes possibles sont proposés ici pour la chirurgie majeure et la chirurgie cardiaque. Le premier
est une modification du schéma de Portland, qui ne comporte pas d'apport glucidique; il est exposé dans
le Tableau 21.11. Le deuxième comprend une perfusion d'insuline rapide comme le premier, avec en
plus une perfusion simultanée et permanente de glucose pour parer au risque d'hypoglycémie. Il se
déroule comme suit.
 Pas d'injection d'insuline le matin opératoire (opération programmée en début de matinée).
 Glycémie et gazométrie artérielle à l'arrivée en salle d'opération.
 Perfusion continue d'insuline (Actrapid®); deux préparations possibles dans pousse-seringue de
50 mL: 1 UI/mL (50 UI dans 49.5 mL glucose 5%), ou 2 UI/mL (100 UI dans 49 mL glucose
5%).
o Débit horaire: dose quotidienne totale / 24 et multipliée par 1.2-1.5;
o Dans le doute : 0.05-0.1 UI/kg/h, puis selon glycémies itératives au minimum aux 60
minutes (prélèvements par la CEC ou par voie centrale/artérielle, mais non par voie
capillaire);
o 1 U iv abaisse la glycémie d'un adulte de 70 kg de 1.4-1.7 mmol/L.
 Perfusion indépendante de glucose 10%, 20% ou 50% (pompe-seringue) ; la solution de glucose
est concentrée pour diminuer l’apport hydrique à cause de la CEC.
 Points de repère :
o 2 g glucose / UI insuline pour abaisser la glycémie,
o 3 g glucose /UI pour maintenir la glycémie stable ;
o En cas de simple hyperkaliémie : 5 g glucose / 1 UI insuline.
 Lorsque les variations de la glycémie sont faibles, il est plus simple de maintenir stable la
perfusion d’insuline et de modifier le débit de celle de glucose, qui est plus rapide.
 Glycémie toutes 30-60 minutes; contrôle fréquent de l'équilibre acido-basique.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
69
 Arrêt des perfusions d’insuline et de glucose pendant le temps hypothermique de la CEC
(sécurité à cause de la baisse du métabolisme < 32°C).
 Reprise des perfusions dès le réchauffement (après glycémie de contrôle).
 Administration de potassium selon la kaliémie; se souvenir que la cardioplégie est déjà
responsable d'une hyperkaliémie pendant et après la CEC.
 Le régime de perfusion insuline-glucose est continué pendant au moins trois jours dans le
postopératoire.
Tableau 21.11
Schéma de contrôle de la glycémie en chirurgie majeure et en chirurgie cardiaque
Schéma de Portland modifié d’après Schéma-CHUV (Lausanne) et USZ-Schema (Zürich)



Population concernée
o Patients diabétiques insulino-requérants
o Patients sous antidiabétiques oraux si la glycémie est > 10 mmol/L ou le diabète mal contrôlé
o Patients non-diabétiques dès que la glycémie est > 11 mmol/L
Perfusion d'insuline : 100 UI Actrapid® + 49 mL NaCl 0.9% dans pousse-seringue de 50 ml (2 UI/mL)
L'insuline est stoppée pendant la phase hypothermique de la CEC (glycémies aux 60 minutes)
A: Schéma de départ
Glycémie (mmol/L)
4.5 – 6.5
6.6 – 10.0
10.1 – 13.0
13.1 – 16.5
16.6 – 20.0
> 20.0*
Bolus iv (UI)
0
0
2
4
8
12
Perfusion (UI/h)
0.6
1.0
2.0
3.6
5.0
6.6
Perfusion (mL/h)
0.3
0.5
1.0
1.8
2.5
3.3
*: S'assurer qu'il ne s'agit pas d'un artéfact ni d'une erreur de mesure


Contrôle de la glycémie
o Toutes les 30 minutes si < 4.5 mmol/L ou > 11.0 mmol/L ou si adrénaline > 10 mcg/min
o Toutes les heures si > 4.5 et < 11 mmol/L
Contrôle de la kaliémie
B: Schéma décisionnel
Glycémie (mmol/L)
< 3.0
3.0 – 4.0
4.1 – 5.5
5.5 – 8.5
8.6 – 11.0
> 11.0
Action
Stop insuline + bolus 20 mL Glucose 40%
Glycémie à 30 minutes :
- si > 4.0 mmol/L : continuer la perfusion d’insuline à demi-dose
- si ≤ 4.0 mmol/L : continuer selon le schéma décisionnel
Stop insuline
Bolus 20 mL Glucose 40% seulement si glycémie précédente > 5.5 mmol/L
- si > 4.0 mmol/L : continuer la perfusion d’insuline à demi-dose
- si ≤ 4.0 mmol/L : continuer selon le schéma décisionnel
Réduire la perfusion d’insuline :
- de 0.5 UI/h si baisse de < 0.5 mmol/L
- à demi-dose si baisse de > 0.5 mmol/L
- si glycémie identique ou plus élevée : maintenir la perfusion d’insuline idem
Continuer les perfusions aux mêmes dosages
Accélérer la perfusion d’insuline :
- de 0.5 UI/h si augmentation de > 1.0 mmol/L ou baisse < 1.0 mmol/L
- maintenir la perfusion si baisse de > 1.0 mmol/L
Accélérer la perfusion d’insuline :
- de 1.0 UI/h si augmentation de > 1.5 mmol/L ou baisse < 1.5 mmol/L
- maintenir la perfusion si baisse de > 1.5 mmol/L
- si glycémie > 13 mmol/L : bolus d’insuline selon le schéma A
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
70
Une solution de Hartmann ou de Ringer-lactate complète l'arsenal pour assurer les besoins hydroélectrolytiques périopératoires; la faible quantité de lactate administrée de cette manière ne provoque
pas de glucogenèse significative [31]. Afin d'éviter une hyponatrémie et une hypokaliémie, la perfusion
d'insuline rapide doit s'accompagner d'un apport continu de Na+ et de K+. Une alternative plus
sophistiquée à la méthode décrite ci-dessus consiste à diluer l'insuline dans du NaCl (50 UI Actrapid
dans 49.5 mL NaCl 0.9%) et à administrer en parallèle une solution de 0.45% NaCl + 5% glucose + 20
mmol/L de K+. En cas d'hyponatrémie, le NaCl est augmenté à 0.9% (normal saline) [6,7]. Plus
physiologique et plus équilibrée, cette solution n'est cependant pas disponible dans tous les pays. En
remplacement, le Plasmalyte 148/dextrose contient 5% de glucose, 140 mmol/L de Na+ et 5 mmol/L de
K+, mais il est hypertonique par rapport au plasma car il contient encore du Mg+, du Cl-, de l'acétate et
du gluconate. Le Polionique B66 est une solution de Ringer avec seulement 1% de glucose [19].
Une variante mieux adaptée à la chirurgie majeure non-cardiaque consiste à maintenir l'administration
d'insuline à longue durée d'action selon le schéma habituel du patient mais réduit de 20%, et d'assurer en
parallèle la stabilisation des variations périopératoires par une perfusion d'insuline rapide à bas débit.
Cette technique évite un rebond dans l'hyperglycémie lorsque l'insuline est interrompue et facilite la
transition avec le régime pratiqué en-dehors de la salle d'opération et des soins intensifs [7,15,27].
L'addition d'une perfusion d'insuline n'est pas requise si le patient ne doit sauter qu'un seul repas.
L'ancienne technique proposée par Alberti & Thomas sous forme d'une perfusion unique InsulineGlucose-K+ (GIK) contenant une combinaison de 250 UI Actrapid ad 50 ml Glucose 50% + 50 mmoles
KCl dans 50 ml et administrée à raison de 10-20 ml/h [1,18] n'est actuellement plus recommandée, car
elle ne permet pas de dissocier les quantités perfusées de chaque élément [6,7]. Alors qu'elle n'est plus
de mise dans le traitement du diabète, la solution GIK reste utilisée dans certains cas d'insuffisance
ventriculaire aiguë, sans pour autant que son efficacité soit vraiment prouvée [8,18].
Pour les patients non-insulino-dépendants (diabète type II), la perfusion d'insuline ne s'impose pas
nécessairement. Toutefois, on a démontré une baisse de la mortalité de 28% après infarctus du
myocarde lorsque ces patients sont mis au bénéfice d'une perfusion de glucose-insuline-potassium [8].
De même, une perfusion d'insuline à faible dose (1 U/h) peut améliorer la fonction myocardique après
des pontages aorto-coronariens [18]. La normoglycémie diminue également le taux d'infections
sternales [2]. Il paraît donc justifié de recommander l'administration d'insuline en continu pour les
diabétiques de type II lorsqu'ils subissent des interventions en CEC dès que la glycémie s'élève au
dessus de 11 mmol/L en peropératoire [21]. Le coma hyperosmolaire non-cétosique associé à une
hyperglycémie est un mode de décompensation possible de ce type de diabète en cas de résistance à
l'insuline pendant la CEC; la mortalité de cette complication peropératoire est de 42% [30]; le traitement
est une réhydratation et une perfusion d'insuline. La phentolamine (Régitine©) inhibe la suppression de
la sécrétion d’insuline due au stress et peut contribuer à une hypoglycémie [23]. Dans le postopératoire,
la stimulation du stress diminue progressivement en fonction de l'évolution clinique; la glycémie fait de
même. Il faut prendre soin d'adapter la perfusion d'insuline aux besoins nouveaux.
En résumé, il convient de traiter agressivement la glycémie des patients non-diabétiques et des patients
diabétiques, qu’ils soient de type I ou de type II. La cible est 6-10 mmol/L en peropératoire et 5-8
mmol/L en postopératoire, en évitant toute hypoglycémie. Les perfusions d’insuline et de glucose
doivent être réglées séparément et ne sont en aucun cas interrompues avant que le patient puisse
reprendre une alimentation orale et avant que le régime antidiabétique sous-cutané/oral soit rééquilibré.
Les schémas décrits ici sont essentiellement pragmatiques. Ils sont le fruit de consensus d'experts et de
routines institutionnelles, car on ne dispose pas de suffisamment de données issues d'études contrôlées
pour les fonder sur un haut degré d'évidence. Néanmoins, ils sont importants car ils évitent de
dangereuses improvisations en salle d'opération. Il est capital que chaque institution dispose d'un
algorithme écrit qui soit à la portée de tous les soignants.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
71
Contrôle peropératoire de la glycémie (chirurgie majeure et chirurgie cardiaque)
Pas d'insuline préopératoire le matin, glycémie à l'arrivée en salle d'opération (début de matinée)
Perfusion continue d’insuline (100 UI dans 50 mL glucose 5% en pousse-seringue) : débit horaire de
base = dose quotidienne totale / 24 multipliée par 1.2-1.5
Perfusion indépendante de glucose 10%, 20% ou 50% (selon restriction hydrique) à vitesse variable
Arrêt pendant la phase hypothermique de la CEC (< 32°C)
Glycémies de contrôle toutes les 30-60 minutes. Cible: 6-10 mmol/L
1 UI insuline iv abaisse la glycémie de 1.5-2.0 mmol/L
Rapport glucose / insuline :
- 1-2 g glucose / UI insuline pour abaisser la glycémie
- 3 g glucose / UI insuline pour maintenir la glycémie stable
- 5 g glucose / UI insuline chez les non-diabétiques (hyperkaliémie)
Alternative: schéma de Portland modifié (Tableau 21.11), sans apport de glucose
En chirurgie cardiaque, ce régime insuline-glucose iv est prescrit chez tous les diabétiques insulinorequérants et chez tous les patients dont la glycémie persiste à plus de 11 mmol/l.
Maintenir la PAM à 80 mmHg en peropératoire et à 70 mmHg en CEC à cause de la perte de
l’autorégulation cérébrale (dysautonomie).
Références
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73
Insuffisance rénale
Dans le cadre de l'insuffisance rénale et de la chirurgie, on peut rencontrer trois situations différentes.
 Le malade présente une dysfonction rénale significative, mais il peut encore mener une
existence normale moyennant quelques ajustements;
 Le patient opéré est un insuffisant rénal terminal dialysé;
 L'insuffisance rénale se développe dans le postopératoire chez un malade avec ou sans
pathologie clinique préexistante.
Le pronostic de ces trois conditions est assez dissemblable. La première demande des précautions mais
son pronostic est satisfaisant s'il ne survient aucune complication. La deuxième offre de bons résultats
avec les technique actuelles. La troisième conserve un avenir très sombre, essentiellement parce que
l'insuffisance rénale se développe secondairement à une dépression hémodynamique grave
accompagnée d'une insuffisance multiorganique.
La dysfonction rénale se définit par une créatininémie > 130 µmol/L ou > 1.5 mg/L (1 mg/dL = 88
µmol/L). La clairance de la créatinine est une estimation plus fine de la fonction rénale, car elle
correspond à la réserve fonctionnelle des reins. La limite inférieure de la normalité est 60 mL/min [1].
On identifie progressivement de nouveaux biomarqueurs plus performants, tels la cystatine C,
l’interleukine 18, ou la KIM-I (kidney injury molecule).
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Fonction rénale périopératoire
Les glomérules filtrent passivement le plasma; ils reçoivent la majorité du flux plasmatique rénal (FPR),
mais consomment très peu d'O2. La médullaire, au contraire, a un débit sanguin 5-10 fois plus faible,
mais sa VO2 est élevée car elle opère tout le travail de concentration active de l'urine; elle est donc
beaucoup plus sensible à l'ischémie et à l'hypovolémie [4]. La filtration glomérulaire (FG) diminue avec
l'âge; de 125 mL/min chez le jeune adulte, elle passe à 80 mL/min à 60 ans et à 60 mL/min à 80 ans
[23]. Lorsque la perfusion rénale diminue de plus de 50% pendant 1 heure, la FG baisse
proportionnellement beaucoup plus que le FPR; le FPR est alors réparti préférentiellement vers la zone
corticale profonde et vers la médullaire. La baisse du débit cardiaque et de la pression de perfusion
entraînent une stimulation sympathique, une sécrétion de vasopressine et d'ADH, et l'activation du
système rénine-angiotensine; tous ces phénomènes concourent à une rétention d'eau et de sodium par le
rein [1].
Normalement, les fonctions rénales ne sont pas significativement modifiées, ni par l'anesthésie, ni par
l'opération, ni par la CEC: les tests habituels (taux ou clearance de la créatinine, par exemple) restent
inchangés dans la grande majorité des cas. Des altérations subtiles et réversibles sont cependant
décelables par des mesures plus fines: par exemple, la variation de la clearance à la créatinine lors d'une
surcharge protéique, qui mesure la réserve fonctionnelle rénale, diminue de manière réversible pendant
plusieurs semaines après une CEC [17]. Cette dysfonction minime peut venir amplifier les retombées
d'une altération fonctionnelle préexistante mais infraclinique (artériopathie, âge, etc) ou être
potentialisée par des évènements peropératoires: hypotension, médicaments néphrotoxiques, etc. Bien
que les altérations, lorsqu'elles existent, soient la plupart du temps attribuées à la CEC, certaines études
démontrent que la période précédant celle-ci est l'objet de modifications décelables des fonctions
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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rénales: baisse de la fraction de filtration et du flux plasmatique rénal, augmentation des résistances
vasculaires intrarénales [16]. L'état hémodynamique du patient durant la phase de l'anesthésie et de la
chirurgie précédant la pompe est un facteur déterminant des fonctions post-CEC et post-opératoires
[24]. L'hémodilution de la CEC augmente le flux plasmatique rénal et baisse les résistances vasculaires
intraparenchymateuses, mais l'hypothermie induit une vasoconstriction préférentiellement corticale.
Les études comparant la manière de règler le pH, l'hypothermie versus la normothermie, le flux pulsatile
versus le flux non-pulsatile, n'ont pas pu mettre en évidence un avantage significatif d'une technique de
CEC sur une autre dans la préservation de la fonction rénale [9]. Cependant, la pression de perfusion est
certainement un facteur-clef; dans un tiers des cas, la variation de la créatinine postopératoire est
dépendante de la PAM pendant la CEC [30]. Mais ceci n'est vrai que pour autant que le débit de la
pompe et le volume circulant soient normaux [20]. D’autre part, la fonction rénale s’aggrave
linéairement avec la baisse de l’hémoglobine lorsque l’hématocrite est inférieur à 30% [27]. Mais, à
valeur similaire d'Ht, les patients transfusés présentent systématiquement une péjoration de leur fonction
rénale par rapport à ceux qui ne sont pas transfusés; leur mortalité est plus élevée (3.8% versus 1.4%) et
leur incidence d'insuffisance rénale plus importante (12% versus 3.4%) [10]. On est donc placé devant
un dilemme troublant: l'anémie aggrave la situation, mais la transfusion, au lieu de la corriger, ajoute un
facteur délétère supplémentaire [22].
Comme on le voit, l'origine de l'insuffisance rénale qui survient après CEC est multifactorielle. Parmi
les éléments en cause, on peut citer par ordre probable d'importance [7,13,14,28,32,34]:
 Etat clinique préopératoire :
o Néphropathie préopératoire (créatinine ≥ 200 mcmol/L); maladie rénale primaire, ou
secondaire au diabète, à l’hypertension artérielle ou à une polyvasculopathie ;
o Dysfonction ventriculaire gauche (FE < 0.35), contrepulsion intra-aortique ;
o Age du patient (> 65 ans) ;
o Comorbidités : diabète, hypertension, artériopathie, BPCO.
 Baisse du flux plasmatique rénal entraînant une hypoxie tissulaire :
o Hypovolémie et hypotension systémique (PAM < 30% de la norme pendant plus de 10
minutes) ;
o Bas débit en CEC (< 1.8 L/min/m2) et en postopératoire (IC < 2 L/min/m2) ;
o Congestion veineuse systémique (PVC > 12 mmHg) ;
o Congestion rénale sur hypervolémie (syndrome du compartiment rénal) ;
o Utilisation de vasoconstricteurs artériels alpha ;
o Etat septique ;
o Dans 75% des cas, la néphropathie aiguë est liée à une sepsis et/ou un collapsus
circulatoire.
 Effets de la chirurgie :
o Opération complexe, reprise ;
o Clampage aortique versus opération à cœur battant ou endoprothèse ;
o Clampage de l’aorte descendante ;
o Embolisation d’athéromes ou de particules ;
o Opération en urgence ou réopération.
 Effets de la CEC :
o Durée de la CEC et du clampage aortique, profondeur de l’hypothermie ;
o Réponse inflammatoire systémique (radicaux libres, cytokines, etc) et endotoxines ;
o Anémie (hémodilution à Ht ≤ 24%) ;
o Transfusions érythrocytaires ;
o Hémolyse (hémoglobinurie) et rhabdomyolyse (myoglobinurie) ;
 Utilisation de substances néphrotoxiques :
o Produits de contraste radiologique (coronarographie, angio-CT) ;
o Anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) ;
o Inhibiteurs de l’enzyme de conversion et du récepteur de l’angiotensine, metformine ;
o Antibiotiques aminoglycosides ;
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o Inhibiteurs de la calcineurine (tacrolimus, ciclosporine) ;
o Colloïdes dérivés d’amidon (HES) et aprotinine: substances abandonnées.
 Polymorphisme génétique identifiant le risque individuel d'insuffisance rénale postopératoire
[26].
La dysfonction rénale préopératoire, même mineure, est le prédicteur le plus important de la
néphropathie aiguë postopératoire [19,33].
 Clairance créatinine 30-59 mL/min: mortalité 4.3%, risque de dialyse 1.8%;
 Clairance créatinine < 30 mL/min: mortalité 9.3%, risque de dialyse 11%.
Face au nombre étendu de causes possibles, plusieurs scores cliniques tentent de faire ressortir les
éléments majeurs et de fournir une certaine prévisiblité de la néphropathie aiguë postopératoire, qui est
d'autant plus probable que le nombre de points est élevé [5,21]. Le score de Cleveland Clinic, par
exemple, sert à prévoir le risque de dialyse et de mortalité postopératoires [29].













Sexe féminin
Insuffisance cardiaque congestive
FE du VG < 35%
BPCO
Diabète insulino-requérant
Réopération
Chirurgie valvulaire
Chirurgie combinée (valve + PAC)
Chirurgie en urgence
Chirurgie de l'aorte thoracique
CPIA préopératoire
Créatinine préopératoire 110-200 µmol/L
Créatinine préopératoire > 200 µmol/L
1
1
1
1
1
1
1
2
2
2
2
2
5
Le besoin de dialyse est de 2.5% 9% et 21% lorsque le score est respectivement de 3-5, 6-8 ou 9-13
points.
Physiopathologie rénale
La stimulation sympatho-adrénergique détourne le flux plasmatique rénal (FPR) vers la medulla, qui
consomme beaucoup d’O2 ; la filtration glomérulaire (GFR) diminue alors davantage que le FPR. La
GFR et le FPR sont maintenus quasi constants par un système d’autorégulation basé sur trois
déterminants : le débit cardiaque, la pression de perfusion et les facteurs vasculaires glomérulaires.
La meilleure protection rénale est le maintien dans la normalité de la PAM (≥ 75 mmHg), du volume
systolique et de l’Hb.
Les prédicteurs les plus importants de la néphropathie aiguë postopératoire sont la dysfonction rénale
préopératoire (créatinine > 200 µmol/L), les agents néphrotoxiques, la chirurgie cardiaque complexe,
l'insuffisance ventriculaire, l'anémie, l'hémolyse, l'hypotension et le bas débit peropératoires.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Insuffisance rénale postopératoire
L'incidence de la défaillance rénale après chirurgie cardiaque est globalement de 3-5% [3,12], mais elle
peut s'élever jusqu'à 22% selon les critères utilisés pour sa définition [11]. Elle est directement liée à la
fonction rénale préopératoire. Elle est aussi fonction du type d'opération: 7.7% après chirurgie du VG,
3.9% après chirurgie valvulaire, et 0.5% après PAC ; elle est particulièrement élevée après la chirurgie
des anévrysmes thoraco-abdominaux : 11.5% [25]. La dysfonction postopératoire transitoire (créatinine
150-250 µmol/L, augmentation de 20-25%) est plus fréquente: elle survient chez 10-15% des patients et
se résout en quelques jours ou semaines; une diminution de 25-50% de la filtration glomérulaire est
présente chez 15-36% des patients après chirurgie cardiaque [8].
L’insuffisance rénale postopératoire est subdivisée en quatre degrés de gravité [7,18].
 Stade I : augmentation du taux de créatinine de 25 µmol/L ou de 50%, débit urinaire < 0.5
mL/kg/h pendant au moins 6 heures ;
 Stade II : augmentation du taux de créatinine de 2 fois la valeur de départ, débit urinaire < 0.5
mL/kg/h pendant > 12 heures ;
 Stade III : augmentation du taux de créatinine à > 350 µmol /L ou > 3 fois la valeur de départ,
débit urinaire < 0.3 mL/kg/h pendant > 24 heures ou anurie pendant > 12 heures ;
 Stade IV : anurie de longue durée (> 4 semaines).
Toute péjoration de la fonction rénale aggrave la morbi-mortalité postopératoire. Une simple
augmentation de 50% de la créatininémie après PAC en CEC élève la mortalité hospitalière à 10% (714%), alors que celle-ci est de 1% lorsque la fonction rénale reste normale [15]. Lorsque la dialyse
devient nécessaire, la mortalité devient catastrophique [14]. Alors qu’elle est en moyenne de 12% avec
une dysfonction rénale, la mortalité s’élève à 45% chez les adultes et 50% chez les enfants lorsque la
dialyse devient nécessaire (1-5% des patients) [35]. Il en est de même du coût hospitalier et de la durée
de séjour en soins intensifs [6]. La mortalité opératoire des insuffisants rénaux bien équilibrés en dialyse
chronique est plus basse: elle est en moyenne de 10-15% [2]. En postopératoire, les techniques
d'épuration continue (hémodiafiltration) sont hémodynamiquement mieux tolérées que les techniques
discontinues (dialyse) [31]. La néphropathie aiguë postopératoire, quelle que soit son importance,
augmente le risque de développer d’autres complications graves (sepsis, coagulopathie, pneumonie,
etc). Les patients meurent rarement de leur insuffisance rénale ; c’est plutôt la cascade des
complications associées qui est responsable des décès. La péjoration de la fonction rénale est donc un
prédicteur indépendant majeur de complications postopératoires potentiellement mortelles.
Vu la mortalité élevée de la néphropathie postopératoire, il est essentiel de traiter préventivement toute
cause susceptible d'en être une étiologie possible. Si la créatinine s'est élevée après une coronarographie,
il faut attendre qu'elle redescende à des valeurs normales avant de procéder à une intervention élective,
avec ou sans CEC. Un insuffisant rénal terminal en épuration chronique doit être dialysé dans les 24
heures qui précèdent l'opération et dans les 24 heures qui la suivent. Pour minimiser les risques
d’insuffisance rénale après chirurgie cardiaque, il faut impérativement prévenir ou réduire cinq facteurs
en peropératoire :





L’anémie ;
L'hypovolémie ;
L’hypotension artérielle (PAM < 75 mmHg, y compris en CEC) ;
Le bas débit cardiaque;
La durée de la CEC.
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Insuffisance rénale postopératoire
L'insuffisance rénale après chirurgie cardiaque est une complication fréquente qui s'accompagne d'une
très forte augmentation de la mortalité postopératoire. Celle-ci s'accroît davantage lorsqu'une épuration
extra-rénale est nécessaire; dans ce cas, elle est plus élevée chez les patients non-dialysés auparavant
que chez les dialysés chroniques.
Facteurs étiologiques multiples :
- Néphropathie préopératoire (créatininémie > 200 µmol/L)
- Hypovolémie et hypotension (PAM < 70% de sa valeur habituelle pendant > 20 minutes)
- Bas débit de CEC (< 1.8 L/min/m2)
- Longue CEC, hypothermie
- Chirurgie cardiaque complexe
- Age > 65 ans
- Substances néphrotoxiques
- SIRS, hémolyse, rhabdomyolyse
Références
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Protection rénale
La protection rénale est un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Depuis plus de vingt ans, on a
exploré d’innombrables possibilités de protection pharmacologique sans trouver de parade efficace.
Pourtant, certaines substances entretiennent chez les anesthésistes une croyance dans leurs capacités
"protectrices" sur la fonction rénale. Mais rien n'a pu être clairement démontré à ce sujet chez les
patients dont la fonction préopératoire est normale [11]. Comme ce sujet est traité dans le Chapitre 24
(Protection rénale), nous ne rappelerons ici que les points essentiels [22].
 Mannitol: à raison de 0.5 g/kg (dose maximale: 1.5 g/kg/24 heures) dans le liquide d'amorçage
de la CEC, il augmente la volémie, la pression capillaire glomérulaire, la pression tubulaire
proximale et la diurèse, mais aucun effet bénéfique sur la fonction rénale périopératoire n'a pu
être démontré. Il n’est probablement efficace qu’en cas d’hémolyse ou de rhabdomyolyse
[14,24].
 Furosémide (10-20 mg iv): il n'a sa place que pour diminuer l'excès de liquide interstitiel après
la CEC lorsque le bilan est trop positif, comme le prouve la présence d'une hypoxémie ne
réagissant pas à la ventilation à 100% O2 avec PEEP, ou pour contrôler la reprise de la fonction
rénale après une reconstruction réno-vasculaire ou une ischémie et reperfusion [3,16].
 Dopamine: bien qu'elle ait un effet favorable sur la diurèse, aucune étude clinique concluante
n'a démontré un quelconque bénéfice à l'utilisation prophylactique de la dopamine dans le cadre
de l'insuffisance rénale postopératoire, que la fonction préopératoire soit normale ou altérée
[4,7,10]. Il en est de même de la dopexamine.
 Fenoldopam: cet agoniste du récepteur δ de la dopamine est un vasodilatateur qui augmente le
FPR sans tachycardie; son activité néphro-protectrice en perfusion continue a été démontrée
dans certaines études, mais n'est pas confirmée par tous les travaux [15,23,26].
 Facteur natriurétique auriculaire : le nesiritide pourrait avoir un effet bénéfique sur la fonction
rénale, mais cet effet est mal dissociable de ceux liés à l’augmentation du débit cardiaque [19].
 Anti-oxydants: la N-acétylcystéine (Salmucol®) ou l’allopurinol (Xyloric®) diminuent les
marqueurs inflammatoires et bloquent l’effet toxique des radicaux libres, mais leur utilisation
clinique s’avère décevante et n’apporte pas de bénéfice en terme de mortalité ni de morbidité en
chirurgie aortique ou en chirurgie cardiaque avec CEC [6,20,25].
 Nésiritide: ce vasodilatateur baisse la résistance dans l'artériole afférente du glomérule et à un
moinde titre dans l'artériole efférente; la filtration glomérulaire augmente. Toutefois, les
résultats comme protection rénale ne sont pas à la hauteur de l'attente [1,5].
 Alcalinisation des urines: le bicarbonate semble pouvoir atténuer la néphropathie postopératoire,
notamment par la solubilisation de l’Hb libre liée à l’hémolyse de la CEC [8].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Alors que la prophylaxie pharmacologique a un impact aussi variable que contesté, il existe toute une
série de mesures techniques dans la prise en charge du malade qui peuvent diminuer l’incidence et la
gravité de la néphropathie aiguë [2,11].







Délai d’au moins 5 jours entre les examens avec produit de contraste et l’opération.
Utillisation d’aspirine et de statines en périopératoire.
Arrêt des AINS 3 jours avant l’opération, et des IEC pour une durée de 24-48 heures.
Eviter certains antibiotiques (céphalosporines, aminoglycosides, vancomycine).
Eviter l’anémie préopératoire (préparation avec du fer et/ou de l’EPO) [13].
Préférence pour les cristalloïdes plutôt que les HES.
Préférence pour des techniques moins invasives comme l’endoprothèse ou la chirurgie à cœur
battant ; les pontages aorto-coronariens à cœur battant (OPCAB) réduisent l’incidence de NPA
chez les malades à haut risque (OR 0.6) mais probablement pas chez ceux qui ont une fonction
rénale normale [21].
 Limiter la durée de la CEC.
 Limiter l’hémorragie peropératoire, éviter l’hémodilution excessive (Ht minimum : 24%) et
restreindre le nombre de poches de sang.
 Administration de bicarbonate de Na+ et éventuellement du mannitol en cas d'hémolyse.
La meilleure manière de protéger les reins au cours d’une intervention est de veiller à maintenir
normales la volémie et la perfusion rénale.
 Volémie : pour autant que la normovolémie soit assurée, le type de perfusat ne modifie guère le
pronostic, que ce soit du NaCl 0.9% ou des solutions balancées (Ringer-lactate, Plasmalyte)
[11,18] ; le Ringer-lactate produit moins d’acidose que le NaCl. Les solutions colloïdes,
particulièrement les HES maintenant condamnées, tendent à augmenter le risque d’insuffisance
rénale chez les patients de soins intensifs, particulièrement les cas septiques ou souffrant de
dysfonction rénale. Toutefois, les preuves du risque d'insufisance rénale aiguë sur HES en
chirurgie cardiaque sont assez minces; une étude récente n'a pas montré d'aggravation du risque
de néphropathie aiguë postopératoire avec les nouveaux HES (6% HES 130/04) (OR 1.01)
[27].
 Hémoglobine : si le transport d’O2 est insuffisant, la médullaire devient hypoxique et
susceptible de nécrose tubulaire aiguë ; l’anémie pendant la CEC double le risque d’insuffisance
rénale [12] ; le taux de celle-ci augmente significativement lorsque l’Ht le plus bas pendant la
CEC est < 23% [9].
 L’administration liquidienne est titrée de manière à maintenir le débit urinaire > 0.5 mL/kg/h et
la PAPO à 12-15 mmHg.
 La PAM est maintenue à 70-80 mmHg y compris en CEC. Les vasopresseurs sont indiqués si
les RAS sont basses ; si la PAM est insuffisante malgré des RAS normales, le débit cardiaque
ou le débit de CEC doivent être augmentés.
 Le DC est maintenu à 2.4 L/min/m2 en normothermie.
Si une volémie adéquate est une protection, l'hypervolémie est au contraire un danger. Le rein ayant une
capsule fibreuse, l'hyperhydratation y conduit à une élévation de la pression interstitielle. Cet œdème
restreint la pression de perfusion et altère l'oxygénation tissulaire; il constitue un syndrome du
compartiment rénal (renal compartment syndrome) qui est une des étiologies de la néphropathie aiguë
postopératoire. Il en est de même de la congestion veineuse causée par une PVC > 12 mmHg [18]. Pour
maintenir la pression oncotique du plasma, l'albumine est la seule substance sans risque. Chez les
patients hypo-albuminémiques (< 40 g/L), l'administration d'albumine avant une intervention cardiaque
réduit même de moitié le risque d'insuffisance rénale postopératoire (17.6% vs 31%) [17].
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Protection rénale
Facteurs primordiaux :
- Normovolémie
- Normotension (PAM 80 mmHg, minimum 70 mmHg en CEC)
- DC ≥ 2.4 L/min/m2 en normothermie, 1.8 L/min/m2 en hypothermie (CEC)
- DO2 normal : Ht > 24%
- Absence d’agents néphrotoxiques
La protection pharmacologique est douteuse. Dopamine, mannitol et diurétiques de l’anse sont sans
effet. Fenoldopam, acétylcystéine, allopurinol et neseritide présentent un certain effet, mais les
preuves sont ténues. La correction préopératoire de l’anémie (fer, EPO) diminue le risque rénal et le
risque de transfusion. La meilleure protection est le maintien dans la normalité de la PAM (≥ 75
mmHg), du volume systolique et de l’Hb, tout en évitant l’excès de vasoconstricteurs alpha et de
transfusions.
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Anesthésie en cas d'insuffisance rénale
De manière simplifiée, l’insuffisance
physiopathologiques particulières [1,4].
rénale
terminale
présente
quelques
caractéristiques
 La capacité d’excrétion du sodium diminue avec la filtration glomérulaire (FG) ; le patient est
incapable d’éliminer la moindre charge sodique, d’où risque d’hypervolémie. A l’inverse, il ne
peut pas conserver adéquatement le sodium (lésions tubulaires) en cas de perte excessive par
des fuites anormales (diarrhées, iléus).
 La clairance de l’eau libre diminue proportionnellement à la FG ; l’administration de perfusats
riches en eau (solutions glucosées) conduit à une surcharge et à une hémodilution.
 L’excrétion de potassium est gérée au niveau des tubes collecteurs ; lorsqu’elle devient
déficiente, une hyperkaliémie s’installe et les malades sont incapables d’excréter une surcharge
potassique (Ringer-lactate, transfusions, cardioplégie). Le risque d’arythmie est insignifiant tant
que la kaliémie est < 6.5 mmol/L. Le traitement de l’hyperkaliémie est l’administration de bolus
de Ca2+ (10 mL gluconate Ca2+ 10%) et d’une perfusion d’insuline/glucose (200 mL glucose
20% + 20 UI insuline rapide, ou 10 UI dans 50 mL glucose 50%).
 Les malades souffrent en général d’une acidose hyperchlorémique, d’une hypocalcémie et
d’une hypermagnésémie.
 L’anémie chronique correspond à une Hb de 60 à 80 g/L ; une préparation préopératoire avec de
l’EPO (3 doses en 3 semaines) permet une amélioration de 10 g/L par dose.
 Une diathèse hémorragique est fréquente ; elle est associée à une dysfonction plaquettaire
(fixation anormale du facteur von Willebrand, métabolisme anormal de l’acide arachidonique,
excès de prostacycline et de NO).
 Le débit urinaire peut être nul (anurie) ou conservé ; dans ce dernier cas, le débit quotidien est
variable, mais l’urine n’est qu’un ultrafiltrat du plasma (isosténurie). La présence d’un certain
débit urinaire donne toutefois une marge de manœuvre dans la gestion des perfusions
liquidiennes.
En préopératoire, il importe de s'enquérir du degré de dyspnée, de la diurèse résiduelle, de la volémie
apparente, de la date de la dernière dialyse, et des résultats de laboratoire: créatininémie, kaliémie,
hémoglobine, équilibre acido-basique, temps de saignement. A l'ECG, on recherche les signes
d'hyperkaliémie, un bloc de branche, un QT long ou les signes d'une péricardite. La radiographie du
thorax peut révéler une silhouette cardiaque modifiée (insuffisance congestive, épanchement
péricardique), une surcharge pulmonaire ou un épanchement pleural. L'échocardigraphie permet
d'évaluer la fonction ventriculaire et la présence d'un épanchement péricardique.
Pour autant qu'on n'utilise pas de substances néphrotoxiques ni de médicaments à élimination rénale, la
technique d'anesthésie a moins d'importance que le maintien d'une volémie et d'une pression de
perfusion normales pendant toute l'intervention, y compris pendant la CEC. Tous les agents
d'anesthésie, intraveineux ou volatils, peuvent modifier la répartition du FPR intrarénal lorsqu'ils
altèrent le débit cardiaque et baissent la pression artérielle. Parmi les halogénés néphrotoxiques, le
methoxyflurane et l'enflurane ont été abandonnés, mais le sevoflurane est largement utilisé. Or ce
dernier est métabolisé pour 5%, ce qui produit des dérivés fluorés en quantité dosable, mais dont la
concentration n'atteint probablement jamais le seuil de toxicité. La proportion de l'isoflurane métabolisé
est moindre. Utilisé à bas débit de gaz frais, le sevoflurane interagit avec la chaux sodée pour former le
composé A qui est néphrotoxique; il est toutefois peu probable que ceci soit responsable d'une
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
82
insuffisance rénale significative chez l'homme [3]. Il est donc recommandé de ne pas dépasser 2 MAC /
heure à un débit de gaz frais < 1 L/min [2]. Pour rappel, le Tableau 21.12 énumère les agents
d'anesthésie recommandés ou contre-indiqués en cas d'insuffisance rénale.
Tableau 21-12
Agents d'anesthésie et insuffisance rénale
Substances dont la pharmacocinétique n'est pas modifiée
 Etomidate, propofol, kétamine
 Alfentanil, rémifentanil
 Isoflurane, sevoflurane < 2 MAC
 Atracurium, cis-atracurium, mivacurium
 Anesthésiques locaux
 Atropine, glycopyrrolate
Substances dont l'effet est prolongé et le dosage réduit
 Thiopental, midazolam
 Morphine, sufentanil, fentanyl > 25 mcg/kg
 Dexmédétomidine
 Vécuronium, rocuronium
Substances contre-indiquées
 Suxamethonium si K+ > 5.0 mmol/L
 Pancuronium
 Mépéridine, kétorolac
En chirurgie générale, la péridurale thoracique ou l'anesthésie combinée semblent offrir un certain degré
de protection rénale: la sympathicolyse de la péridurale (D4-D10) freine la vasoconstriction rénale, pour
autant que la pression de perfusion et le débit cardiaque soient maintenus. D'une manière générale, on
n’a pas démontré de clair avantage de l’anesthésie combinée sur la fonction rénale ou l’incidence de
néphropathie postopératoire [6]. Une seule étude a mentionné un effet néphroprotecteur lors de pontages
aorto-coronariens [5].
Caractéristiques du patient en insuffisance rénale
Restriction dans le métabolisme des solutions hydro-électrolytiques
- Perte de la capacité de concentrer l’urine (isosténurie)
- Excrétion de Na+ et de K+ diminuée
- Diminution de la clairance de l’eau libre
- Débit urinaire variable
Acidose hyperchlorémique, hypocalcémie, hypermagnésémie
Anémie (Hb 60-80 g/L)
Dysfonction plaquettaire
Retard d'élimination et prolongation de la demi-vie de nombreuses substances
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Anesthésie pour la chirurgie cardiaque chez l'insuffisant rénal terminal
En Occident, les deux premières causes d'insuffisance rénale terminale sont l'hypertension artérielle
(28% des malades dialysés) et le diabète ; la prévalence de la coronaropathie est de 40% chez les
malades en dialyse chronique [2]. L'insuffisance rénale terminale n'est pas considérée comme une
contre-indication à la chirurgie cardiaque, bien que les risques en soient augmentés de 5 à 10 fois: dans
ce groupe de patients, la mortalité globale est de 8-15% [1]. Ces malades présentent un certain nombre
de particularités.
 Hypertension artérielle fréquente: jusqu'à 80% des cas;
 Restriction liquidienne: lorsqu'il subsiste, le débit urinaire résiduel assure une certaine souplesse
pour l'élimination d'eau (mais pas de sel);
 Intolérance au glucose et réponse anormale à l'insuline;
 Anémie chronique normocytaire et normochromique: l'Ht habituel est aux alentours de 30%; un
traitement préopératoire à l'érythropoïétine autorise la prédonation de sang; les transfusions
doivent être assurées avec du sang le plus frais possible;
 Volume de distribution médicamenteux augmenté;
 Demi-vie d'élimination des substances à excrétion rénale prolongée; ceci concerne surtout les
antibiotiques, les antiarythmiques et les curares (70% du pancuronium, 30% du rocuronium et
20% du vécuronium sont éliminés par voie rénale);
 Hypoprotéinémie: taux de substances libres plus élevés;
 Troubles de la coagulation.
Avec ou sans CEC, il est impératif de prendre un certain nombre de précautions [4,5].
 Hémodialyse la veille de l'intervention; si la dialyse a lieu le jour même, un délai de 4 heures est
recommandé pour l’opération. L’utilisation d’une hémofiltration en CEC permet de minimiser
l’apport liquidien, mais une dialyse doit être prévue à 24 heures.
 Opérations à cœur battant (OPCAB, TAVI): elles éliminent le problème de la cardioplégie
hyperkaliémique.
 Restreindre l'hémodilution: si Ht calculé après dilution par la CEC < 22%, ajouter une poche de
sang au liquide d'amorçage de la CEC.
 Circuits héparinés et mini-CEC; ils diminuent la réponse inflammatoire.
 Double canulation veineuse auriculaire et récupération de la cardioplégie ([K+] de la
cardioplégie: 20-30 mmoles/L) en-dehors du circuit de CEC.
 Hémofiltration continue en CEC: élimination de K+ et de volume liquidien excessif.
 Maintien d'une pression élevée en CEC (75 mmHg).
 Réchauffement très lent en cas d'hypothermie: richement vascularisés, les reins se réchauffent
rapidement et subissent un overshoot thermique (T° > 38°C) en cas de réchauffement standard;
cette hyperthermie leur est très néfaste et cause une hypoxie de la médullaire.
 Perfusion d'insuline en cas d'hyperglycémie (> 10 mmol/L).
 En cas d'hyperkaliémie (en-dehors de la cardioplégie): calcium (gluconate Ca2+ 10% 10 mL),
insuline-glucose (perfusion Actrapid 10 UI in 50 mL glucose 50% en 15 minutes), bicarbonate
Na+ (44 mEq) [3].
La technique d'anesthésie comporte les points suivants:
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
84
 Monitorage invasif: le cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est nécessaire pour régler
l'administration liquidienne en fonction de la Pcap pulmonaire chez ces malades chroniquement
surchargés.
 Eviter à tout prix les ponctions veineuses entre le poignet et le coude et préférer le dos de la
main et la jugulaire externe; cathéter artériel de préférence fémoral (préserver les radiales pour
les fistules artério-veineuses); voie veineuse centrale de préférence en jugulaire interne plutôt
qu’en sous-clavière à cause du risque de frein au débit de la fistule du bras correspondant.
 Installation "bras écarté" du côté de la fistule artério-veineuse; surveillance pointilleuse de la
fistule; pas de ponction, ni de voies veineuses, ni de manchette à pression de ce côté.
 Agents d’anesthésie possibles: étomidate, propofol, midazolam (dose réduite), isoflurane,
fentanyl, sufenanil, remifentanil.
 Curares : l’utilisation du suxaméthonium en cas d’intubation urgente est possible en dose
unique s’il n’y pas d’hyperkaliémie. Les curares recommandés sont ceux qui ne dépendent pas
d’une excrétion rénale : mivacurium (métabolisé par les pseudocholinestérases), atracurium et
cisatracurium (métabolisés par hydrolyse de Hofmann) ; le vécuronium et le rocuronium sont
des seconds choix, le pancuronium est contre-indiqué.
 Antibiotique: Augmentin®.
 Perfusions: NaCl 0.9%.
 Restriction liquidienne: pas de perfusion d'entretien (total pour l'opération: maximum 500 mL
NaCl 0.9%), éphédrine ou néosynéphrine en cas d'hypotension.
 Transfusions pour Ht 28% et Hb 90 g/L.
 Coagulation : antifibrinolytique (acide tranexamique), desmopressine (0.3 mcg/kg), facteurs
isolés selon les besoins déterminés par un test avant et après la CEC (dosage,
thromboélastogramme). Pas d’aprotinine ni de HES.
Anesthésie pour la chirurgie cardiaque chez l’insuffisant rénal
Mortalité de la chirurgie cardiaque chez l’insuffisant rénal : 8-15%
Hémodialyse la veille de l’opération
Maintenir Ht > 20% en CEC et ≥ 28% en postopératoire
Hémofiltration continue en CEC, éventuelle double canulation veineuse
Monitorage invasif (cathéter pulmonaire de Swan-Ganz), voie centrale en jugulaire interne
Pas de cathéter veineux ni artériel du côté de la fistule artério-veineuse ; éviter la canulation radiale
Restriction hydro-électrolytique (perfusion totale : 500 mL NaCl 0.9%)
Curares : atracurium, cisatracurium ou mivacurium
Hémodialyse ou hémofiltration dans les 24 heures postopératoires
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Pneumopathies
Effets pulmonaires de la chirurgie et de la CEC
Il est courant de constater une péjoration des échanges gazeux dès la fin de la CEC; ceux-ci sont
perturbés pour une durée de quelques heures à quelques jours. Plusieurs phénomènes entrent en jeu [8].
 Atélectasies sur le collapsus alvéolaire lié à la période de non-ventilation pendant la pompe; les
manœuvres de recrutement (insufflations manuelles répétées à 20-30 cm H2O pendant 20
secondes) sont indispensables avant la mise en charge.
 Oedème pulmonaire cardiogénique; la défaillance ventriculaire gauche passagère (insuffisance
systolique) et la baisse de compliance cardiaque (insuffisance diastolique) augmentent les
pressions de remplissage; cette dysfonction postopératoire du VG est un élément majeur de la
dysfonction pulmonaire; elle est le déterminant principal de la morbidité et de la mortalité
postopératoires [9].
 Oedème pulmonaire non-cardiogénique ("poumon de CEC" ou pump-lung); il relève de
plusieurs origines [6].
o Infiltration intersticielle liée au syndrome inflammatoire systémique;
o Libération de cytokines (interleukines, TNF), de kinines (kallikréine,
bradykinine) et d'histamine;
o Activation du complément par les surfaces étrangères;
o Séquestration de neutrophiles dans les poumons, qui y relâchent leur enzymes
protéolytiques comme l'élastase;
o Augmentation de la perméabilité capillaire (capillary leak syndrome);
o Hyperoxie iatrogène (FiO2 1.0 de longue durée);
o Hypothermie.
 Réaction à la protamine: augmentation des RAP et bronchospasme.
 Ces mécanismes entraînent une vasodilatation systémique, une vasoconstriction pulmonaire
(HTAP), un bronchospasme et une réaction inflammatoire systémique (SIRS).
 Suite à ces phénomènes, un SDRA survient dans 1.3 - 1.7% des CEC; lorsqu'il est associé à une
insuffisance hémodynamique, ce facteur est grevé d'une mortalité de 20-50% [6,7].
 Accumulation liquidienne interstitielle: la CEC et les perfusions apportent un excédent de
cristalloïdes qui se solde par une prise de poids de 3 à 5 kg; cependant, l'effet de cette
accumulation est faible en l'absence de dysfonction gauche et de stase veineuse pulmonaire [4].
 Les transfusions introduisent des micro-embols et des médiateurs inflammatoires; elles
provoquent aussi une réaction immunologique se traduisant par un œdème aigu apparaissant
dans les premières heures post-transfusionnelles (transfusion related acute lung injury ou
TRALI) [11].
 Diminution des volumes pulmonaires: l'altération est la plus frappante pendant les premières 24
heures, mais elle reste mesurable jusqu'à 2-3 semaines [1]; les raisons majeures en sont des
atélectasies, une diminution de 15-50% de la CRF, et une diminution de 50% du VEMS.
 Diminution de la compliance pulmonaire et augmentation des résistances aériennes: associés à
la tachypnée, ces éléments augmentent le coût de la ventilation; jusqu'à 20% de la
consommation d'O2 globale sont dévolus à cet effet.
 Lésion du nerf phrénique: le traumatisme direct ou le froid de la cardioplégie endommagent le
nerf phrénique gauche et sont responsables d'une hémiparésie diaphragmatique gauche dans
15% des cas [3].
 La sternotomie, la douleur (drains) et la faiblesse musculaire postopératoire détériorent la
performance respiratoire mécanique de la cage thoracique.
Ces altérations, dont la traduction clinique est faible chez les individus normaux, prennent toute leur
importance chez les patients qui souffrent de pathologies pulmonaires préexistantes: BPCO, syndrome
restrictif, asthme, etc. Elles suffisent alors à précipiter une insuffisance ventilatoire grave nécessitant
une thérapie respiratoire prolongée en soins intensifs. Dans ce cas, le mode ventilatoire influence le
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
86
devenir des patients. La ventilation protectrice avec un bas volume courant et une PEEP continue, telle
que la réalise la ventilation en pression contrôlée (PCV), donne de meilleurs résultats que la ventilation
classique en volume contrôlé avec un volume courant de 10 mL/kg. Elle améliore les échanges gazeux
et diminue la pression intrathoracique ainsi que les RAP, donc les interférences hémodynamiques et la
postcharge du VD [5].
Après ces remarques, il se pose une nouvelle question: existe-t-il une relation entre le mode de
ventilation pendant la CEC et les fonctions pulmonaires postopératoires ? Jusqu'ici, aucune étude n'a pu
démontrer que la ventilation mécanique per-CEC était en quoi que ce soit supérieure à la simple
inflation passive par bas débit continu d'air/O2. Au contraire, elle a tendance à aggraver la mécanique
pulmonaire et les échanges gazeux pendant plusieurs heures [10]. Il est possible qu'une CPAP de 5 cm
H2 O ajoutée à l'insufflation passive d'O2 (FiO2 = 0.5) et d'air soit bénéfique, mais elle n'est qu'un facteur
mineur, lui-même controversé depuis longtemps, dans l'évolution des échanges gazeux postopératoires
[2].
Effets pulmonaires de la CEC
La CEC a un retentissement multiple sur les poumons:
- Atélectasies, diminution de la compliance
- Œdème pulmonaire cardiogénique
- SDRA non-cardiogénique
- Réaction à la protamine
- Lésions de transfusion ou de surperfusion
- Lésion du nerf phrénique
- Restriction d'amplitude de la cage thoracique
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Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO)
La BPCO se caractérise essentiellement par une obstruction progressive des voies aériennes, qui
apparaît sous forme d'une baisse du VEMS (volume expiré maximum pendant la première seconde,
normalement > 75% de la capacité vitale). Il évolue vers l'hypoxémie, la polyglobulie, l'infection
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
87
chronique, l'hypertension et le coeur pulmonaires. Les bronchodilatateurs ne permettent en général pas
de gagner plus de 10% sur le VEMS. Sauf indications particulières, la chirurgie cardiaque élective est
contre-indiquée lorsque:




La capacité vitale forcée (CVF) est inférieure à 12 ml/kg;
Le rapport VEMS/CVF est inférieur à 0.3 et le VEMS inférieur à 1 litre;
L'hypoxémie et l'hypercapnie sont sévères: PaO2 < 50 mmHg, PaCO2 > 50 mmHg;
La CVF, le FEV1 et le rapport VEMS/CVF sont tous trois inférieurs aux 50% de la valeur
prédite.
Le test le plus fiable et le premier altéré dans l'évolution des bronchopathies obstructives est le FEV2575% (débit expiratoire maximum de 25% à 75% de la CVF); sa valeur normale est 4.7 ± 1.1 L/sec. Il
signe une obstruction des petites bronches et reste normal dans les maladies restrictives.
La plupart des fumeurs de cigarettes manifeste une diminution du flux expiratoire, et 10% d'entre eux
ont un VEMS inférieur au 65% de la valeur prédite [2]. Comme la fumée est un facteur anamnestique
fréquent chez les vasculaires, on rencontre souvent des malades de ce type en chirurgie coronarienne. La
préparation préopératoire est d'autant meilleure que l'arrêt de la fumée est plus long.
 La tβ1/2 du CO est de 4-6 heures; 12 heures après la dernière cigarette, le taux de carboxyHb
baisse de 6.5% à 1.1% [1]; la carboxyHb n'est pas différenciée de l'Hb native pas les
saturomètres; les effets sympathicomimétiques de la nicotine ne durent que 20-30 minutes.
 L'hypersécrétion bronchique, la baisse du transport ciliaire, la broncho-constriction et
l'immunodépression ne sont réversibles qu'à plus long terme: le taux de complications
postopératoires ne baisse que si l'arrêt de la cigarette est d'au moins 8 semaines [3].
Anesthésie lors de BPCO
La ventilation en anesthésie doit tenir compte de la pathologie pulmonaire. Le mode ventilatoire
préférentiel est le mode en pression contrôlée. Il faut rechercher:




Volume courant élevé: 12-15 ml/kg;
Flux inspiratoire bas;
Pression de crête basse (risque de barotraumatisme);
Fréquence basse (6-8/min) pour permettre un retour veineux adéquat au coeur droit et un temps
expiratoire suffisant;
 Humidification et réchauffement des gaz inspirés.
Ces contraintes sont parfois incompatibles. S'il faut choisir, il est plus sûr de diminuer le volume courant
que d'augmenter la p ession de ventilation. La technique d'anesthésie cardiaque elle-même n'a pas lieu
d'être modifiée. Cependant, le risque de rigidité musculaire lors de l'induction au fentanyl est grave
parce que la réserve ventilatoire est très faible; les patients désaturent très rapidement. Par sécurité, une
curarisation prompte au vécuronium ou au rocuronium est recommandée. La plupart de ces malades a
besoin d'une assistance ventilatoire prolongée dans le postopératoire et doit être très profondément
endormie pour minimiser la stimulation de l'arbre bronchique et de la vasoconstriction pulmonaire. Les
agents vasodilatateurs artériels (isoflurane, nitroprussiate, etc) peuvent atténuer la vasoconstriction
pulmonaire hypoxique et de ce fait augmenter l'effet shunt intrapulmonaire (hypoxémie). L’anesthésie
combinée avec une péridurale cervicale ou thoracique haute peut être une solution chez les malades
emphysémateux qui n’ont pas de réserve ventilatoire, mais la situation est plus difficile chez les ceux
qui produisent beaucoup de sécrétion et qui s’encombrent facilement dans le postopératoire après
extubation.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
88
Bronchopneumopathie obstructive (BPCO)
Sont considérés comme une contre-indication à la chirurgie cardiaque élective en CEC :
- Capacité vitale forcée (CVF) < 12 mL/kg
- VEMS < 1 L, VEMS/CVF < 0.3
- PaO2 < 50 mmHg, PaCO2 > 50 mmHg
- FEV1 < 50% de valeur prédite
Références
1
KAMBAM JR, CHEN HL, HYMAN SA. Effect of short-term smoking halt on carboxyhemoglobin levels and P50 values. Anesth
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WARNER MA, DIVERTIE MB, TINKER JH. Preoperative cessation of smoking and pulmonary complications in coronary artery
bypass patients. Anesthesiology 1984; 60:380-3
2
3
Asthme
On définit sous ce terme un état d'hyperréactivité bronchique caractérisé par une réponse
bronchoconstrictrice massive à divers stimuli (allergènes, polluants, exercice, infection, stress, etc) qui
touche 3-6% de la population [7]. La réponse se développe en deux temps [5].
 Bronchoconstriction aiguë rapide, induite par la libération de médiateurs par les mastocytes
et/ou par réflexe autonome; contrairement au BPCO, la baisse du VEMS est largement
réversible sous bronchodilatateur;
 Réponse tardive: survient 3-6 heures après le stimulus, caractérisée par un bronchospasme et
une inflammation muqueuse massive; chez les asthmatique graves, ces deux phases sont
confondues et permanentes.
En anesthésie générale, la survenue d'un bronchospasme (Pinsp élevée, phase expiratoire prolongée,
sibilances, désaturation artérielle) doit immédiatement déclencher un diagnostic différentiel et des
mesures thérapeutiques appropriées.





Intubation endobronchique: correction de la position du tube;
Obstruction mécanique (coudure du tube, sécrétions): aspiration;
Pneumothorax: drainage;
Douleur, réveil: approfondissement de l'anesthésie (fentanyl, halogéné, propofol);
Contractions musculaires désynchronisées: curarisation.
Une fibroscopie à travers le tube peut être indiquée pour contrôler la position endotrachéale ou la
présence d'une obstruction.
Traitement du bronchospasme
Le traitement habituel de la crise bronchospastique consiste en une série de mesures [3,5].
 β2-stimulant: salbutamol (Ventolin®) en nébulisation (3 fois) ou en perfusion (5-20 mcg/min),
terbutaline (Bricanyl®) i.v. et/ou s-cut. (0.5 mg en 5 min); la durée d'action est de 4-6 heures; les
effets sympathicomimétiques cardiaques ne sont pas négligeables (augmentation de la mVO2).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
89
 Anticholinergique: ipratropium (Atrovent®) en nébulisation, 0.5 mg dans 3 mL toutes les 6
heures.
 Stéroïdes: en spray (béclométazone, triamcinolone, budésonide) ou i.v. (méthylprednisolone,
250 mg); de nombreux auteurs les considèrent comme la première mesure d'urgence dans
l'exacerbation d'un asthme chronique [1].
 Méthylxanthines: aminophylline, 5 mg/kg en 15 minutes, puis 0.5 mg/kg/h en perfusion) est en
deuxième ligne; la marge thérapeutique est étroite; la clearance dépend du flux hépatique,
abaissé en anesthésie; la tachycardie et les arythmies peuvent être importantes.
 Adrénaline et/ou isoprénaline en perfusion ou en aérosols.
 Agents d'anesthésie: halogéné, fentanyl à haute dose.
 Anticholinergiques iv: atropine, glycopyrrolate; effet adjuvant par blocage des récepteurs
parasympathiques M1 et M3; effet délétère sur les sécrétions.
Anesthésie de l'asthmatique
Les risques que les médiateurs libérés lors de la CEC déclenchent une crise bronchospastique
sévèrissime au moment de la reventilation sont très élevés. Il faut donc prendre toutes les précautions
possibles et envisager un traitement médical agressif. Lorsque la pathologie cardiaque contribue à la
maladie asthmatique par la stase capillaire (maladie mitrale, par exemple), l'opération peut conduire à
une amélioration de la symptomatologie respiratoire. Celle-ci n'est cependant pas immédiate.
Le traitement préopératoire doit être maximalisé et continué jusqu'à l'intervention. Le patient ne peut
subir une intervention élective que lorsqu'il est au mieux de sa forme. Les β2-stimulants, les stéroïdes et
les anti-inflammatoires doivent être administrés à la prémédication. La résorption systémique des
stéroïdes inhalés est en général trop faible pour induire une suppression cortico-surrénalienne; par
contre, les patients sous stéroïdes per os doivent être substitués par de l'hydrocortisone (Solucortef®, 4 x
100 mg par 24 heures). Il est prudent de disposer d'un dosage sérique de théophylline en cas
d'administration chronique. L'augmentation de viscosité des sécrétions bronchiques et les risques
accentués de bouchons muqueux que causent les anticholinergiques sont des désavantages supérieurs au
faible gain sur la bronchodilatation qu'ils procurent. Il est plus prudent de s'en passer dans la
prémédication. Celle-ci consistera en une dose fortement sédative de benzodiazépine, sans opiacé [4].
Le bloc sympathique de l'anesthésie péridurale haute laisse la stimulation para-sympathique sans contrepoids et peut prédisposer au bronchospasme [6]. Selon l'étendue du bloc, l'affaiblissement de la fonction
musculaire thoracique compromet la capacité ventilatoire et la possibilité d'expectorer. L'induction,
précédée d'un spray de Ventolin®, se déroule dans le calme, sous hautes doses de fentanyl. L'étomidate
est le seul hypno-inducteur qui ne provoque pas de bronchospasme et ne libère pas d’histamine. Lorsque
le sommeil est suffisamment profond, on procède à une anesthésie topique de la trachée par un spray de
lidocaïne 4% (Laryngojet™). Le curare de préférence est le vécuronium, le moins libérateur d'histamine.
Le sommeil est maintenu par l'isoflurane (1-2 MAC) [2]. Une dose de stéroides est administrée avant la
CEC: SoluMédrol®, 500-1000 mg i.v. Si l'on utilise de l'aminophylline, il est prudent de renoncer aux
perfusions continues, vu la baisse du débit sanguin hépatique en anesthésie et en CEC (clearance
fortement diminuée). L'administration de cristalloïdes doit être suffisante pour maintenir une
hydratation adéquate de la muqueuse et diminuer la viscosité des sécrétions.
La ventilation doit être adaptée aux circonstances:
 Flux inspiratoire bas;
 Pression de crête la moins élevée possible;
 Fréquence basse (6-8/min) pour permettre un temps expiratoire suffisant et une limitation de
l’air-trapping;
 Humidification et réchauffement des gaz inspirés.
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
90
Le moment critique est la sortie de CEC. Il est essentiel de reventiler le patient dès le réchauffement,
pendant que les échanges gazeux peuvent encore être assurés par la machine coeur-poumon, parce que
la reprise de la ventilation peut être excessivement difficile. Un spray de Ventolin® dans le tube est une
bonne prophylaxie, mais la bronchoconstriction peut être très réfractaire aux thérapeutiques et obliger à
prolonger la CEC jusqu'à ce que la ventilation devienne efficace. L'administration de protamine doit être
très lente; parfois, il faut y renoncer et la remplacer par du PFC et des plaquettes. Si le Ventolin® reste
sans effet, on passera à une perfusion d'isoprénaline ou d'adrénaline; cette denière peut également
s'administrer en spray dans le tube (par doses allant jusqu'à 5 mg).
Asthme bronchique
Traitement : β2-stimulant, méthylxanthine, stéroïde ; + adrénaline ou isoprénaline en cas de crise
Risque de bronchospasme sévère en sortant de CEC (reventilation précoce) et à l’administration de
protamine
Références
1
2
3
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Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
Hypertension pulmonaire et ventricule droit
Les pathologies pulmonaires induisent fréquemment une augmentation chronique des résistances
artérielles pulmonaires (RAP > 240 dynes•s•cm-5 ou > 3 U Wood) et une hypertension artérielle
pulmonaire (PAPmoy > 25 mmHg au repos) [7]. Cette HTAP fait partie de l'ensemble assez vaste de
l'hypertension pulmonaire (HTP) qui comprend cinq groupes d'étiologies (voir Chapitre 12
Hypertension pulmonaire) [12].
 1 - Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP): idiopathique, cardiopathies congénitales,
toxicité médicamenteuse, HTAP persistante du nouveau-né;
 2 - HTP liée à une cardiopathie gauche (postcapillaire): insuffisance ventriculaire gauche,
pathologie mitrale;
 3 - HTAP liée à une pneumopathie: BPCO, hypoventilation, haute altitude;
 4 - HTAP après thrombo-embolie;
 5 - Hypertension pulmonaire non-classée: sarcoïdose, anémie hémolytique, obstruction.
Dans les groupes 1, 3, 4 et 5, l'hypertension est précapillaire; la POG et la PAPO sont normales et le
gradient transpulmonaire est > 12 mmHg. Dans le groupe 2, l'hypertension est postcapillaire: la POG et
la PAPO sont élevées et le gradient transpulmonaire est bas. Le pronostic de l’HTAP est très réservé.
Dans toutes les affections auxquelles elle est associée, l’hypertension pulmonaire est un facteur
aggravant majeur. En chirurgie, elle augmente de 2 à 5 fois la mortalité opératoire [8]. D’une manière
générale, la survie est la plus faible dans l’HTAP de la maladie thromboembolique (survie à 5 ans sans
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
91
chirurgie : 55%). Elle est meilleure dans l’HTAP primaire et l'HTAP des pneumopathies (survie à 5
ans : 66%), et la plus élevée dans les cardiopathies congénitales (survie à 5 ans : > 90%) [8]. La
mortalité n’est pas associée à la valeur de la PAP en elle-même, mais à l’étiologie, à la défaillance du
VD et à la valeur des RAP (> 10 unités Wood). L'élément capital dans l'appréciatoin de l'HTP est la
fonction du VD. La présence d'une hypertension pulmonaire est liée à la capacité du VD à générer
chroniquement des pressions élevées. Une PAP de 80/40 mmHg signifie que le VD est capable de
soutenir ce régime de pression. La défaillance droite se traduit au contraire par l’impossibilité de
travailler contre une telle postcharge : la PAP tend à redescendre, alors que la situation hémodynamique
empire (Figure 21.21) [6]. La gravité et le pronostic de la maladie tiennent donc davantage à l'altération
de la fonction ventriculaire droite qu’à la valeur de la PAP en elle-même.
Résistances
Débit
Pression
RAP
PAP
Débit VD
RAP
PAP
A
Temps
Figure 21.21: Schématisation de la relation entre les résistances artérielles pulmonaires (RAP), le débit du VD et
la pression artérielle pulmonaire (PAP). L’HTAP est fonction de la capacité du VD à générer chroniquement des
pressions pulmonaires élevées. Dès que le VD défaille, la PAP tend à redescendre, alors que la situation
hémodynamique empire et que les RAS continuent à augmenter. Dans le laps de temps A (en jaune), la PAP
mesurée est plus basse que précédemment, non par amélioration de la situation mais pas baisse de fonction du VD.
La gravité clinique et le pronostic de la maladie tiennent donc davantage à la fonction ventriculaire droite qu’à la
valeur de la PAP en elle-même [5].
L'hypertrophie et la dilatation du VD font basculer le septum interventriculaire dans la cavité gauche.
Cette modification de l'interdépendance ventriculaire par le déplacement du septum a deux
conséquences: elle restreint le remplissage diastolique du VG et fait perdre au VD l'importante
assistance que lui procure le VG par la contraction septale. Celle-ci est au moins aussi importante que la
faible éjection du VD dans la genèse du bas débit systémique [16]. L’augmentation de la postcharge
gauche par un vasoconstricteur tend à repousser le septum dans sa position normale convexe dans le
VD, donc à retrouver l’appui du VG dans l’éjection droite. La physiopathologie de l’insuffisance
ventriculaire droite est traitée dans le Chapitre 5 (Insuffisance ventriculaire droite) et son traitement
dans le chapitre 12 (Traitement de l’insuffisance droite).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
92
L'importance de l'HTAP est évaluée par trois examens: l'échocardiographie, l'IRM et le cathétérisme
droit. Les critères cliniques de sévérité de l’HTAP sont [10] :





PAPm > 35 mmHg (PAPsyst > 50 mmHg), RAP > 380 dynes•s•cm-5 ;
Rapport RAP/RAS > 0.6;
SaO2 < 90%, Hb > 150 gm/L ;
Test de marche de 6 min < 300 m ;
Dysfonction du VD : dilatation du VD et de l’OD, PVC > 12 mmHg, FEVD < 0.3, index
systolique < 25 mL/m2.
Hypertension artérielle pulmonaire
Définition de l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP): PAP moy > 25 mmHg au repos et RAP >
240 dynes•s•cm-5 (valeur normale : 60-120 dynes•s•cm-5, < 2 U Wood).
Le pronostic de l’HTP tient davantage à l’état fonctionnel du VD qu’à la valeur de la PAP.
Critères de risque périopératoire en cas d'HTAP:
- PAPmoy > 35 mmHg, RAP > 380 dynes•s•cm-5
- SaO2 < 90%, SvO2 < 65%, Hb > 150 gm/L
- Test de marche de 6 min < 300 m
- Dysfonction ventriculaire droite
Facteurs aggravants: hypoxie, hypercarbie, atélectasie, acidose, hypothermie, stress, douleur.
Bien que l’HTAP multiplie 2-5 fois le risque cardiaque périopératoire, le facteur pronostique le plus
important est la fonctioin du VD: lorsqu’il défaille, le VD ne peut plus générer une PAP élevée.
Traitement de l'hypertension pulmonaire
En anesthésie et en réanimation, la première étape du traitement aigu de l’HTAP est ventilatoire, parce
que l’alcalose respiratoire, l’inhalation de gaz et la nébulisation de substances sont les seules techniques
qui permettent de baisser la pression artérielle pulmonaire sans hypotension systémique (voir Chapitre
12 Traitement de l'HTAP) [2,18]. L’inhalation présente le double avantage de ne pas causer
d’hypotension et de ne pas freiner la vasoconstriction pulmonaire hypoxique des zones non-ventilées,
puisque les substances ne sont distribuées que dans les alvéoles ventilées ; de ce fait, l’hypoxémie ne
s’aggrave pas (Tableau 21.13).
 Hyperventilation : l'hypocapnie (PaCO2: 30-35 mm Hg) et l'alcalose (pH = 7.45) ont des effets
vasodilatateurs pulmonaires sans vasodilatation du lit systémique ; c'est le pH ([H+]) et non la
PaCO2 qui règle le tonus vasculaire pulmonaire ; la FiO2 doit être élevée (> 0.5) pour une PaO2
> 100 mmHg, les pressions de ventilations basses et le volume courant proche de la CRF (6-8
mL/kg).
 NO• : à raison de 10 – 30 ppm dans le circuit inspiratoire du ventilateur, le NO• inspiré est sans
effet systémique car il est immédiatement inactivé par sa liaison avec l’hémoglobine. Il diminue
la PAP et les RAP de manière aiguë lorsqu’elles sont élevées, soulage la postcharge du VD et
améliore sa fonction.
 Prostacyclines : par stimulation de l'adénylate-cyclase, elles accroissent le taux d’AMPc et
provoquent une vasodilatation artérielle pulmonaire : iloprost en spray nasal (10-20 mcg en 20
min) à répéter toutes les 3-4 heures (demi-vie 30 minutes), ou en nébulisation continue (0.2-0.3
mL/min d’une solution de 10-20 mcg/mL).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
93
 Inhibiteurs des phosphodiestérases-3 : nébulisée au lieu d’être administrée en perfusion, la
milrinone a moins d’effet hypotenseurs systémiques et davantage d’efficacité pulmonaire ;
nébulisation d’une solution de 1 mg/mL à 0.2-0.3 mL/min pendant 10-20 minutes.
Tableau 21.13
Traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire
Approfondissement de l'anesthésie (fentanyl, sufentanil, rémifentanil), réchauffement du patient,
sédation si anxiété (benzodiazépine), correction de l’acidose.
Hyperventilation: PaCO2 30-35 mmHg, pH > 7.45
Hyperoxie: FiO2 > 0.7
IPPV avec basse P intrathoracique (Pmoy: 6-10 mmHg)
NO• : 10-30 ppm dans le circuit inspiratoire +
perfusion iv d’arginine (15 mg/kg/min)
Aérosol de prostanoïde (iloprost 10-20 mcg en 15 min) et/ou
de milrinone (sol 1 mg/mL à 0.2-0.3 mL/’ pdt 10-20 min)
Sildénafil (10 mg/20 mL en inhalation)
Epoprostenol en perfusion (2-5 ng/kg/min)
Teprostinil en perf (1.25-2.5 ng/kg/min), oral ou scut
Sildénafil (10 mg 3x/j per os ou iv)
Sulfate de magnesium (5-10 mmol)
Catécholamines β: dobutamine
Anti-phosphodiesterases-3: milrinone (0.5 mcg/kg/min)
Levosimendan (0.1-0.2 mcg/kg/min)
Noradrénaline, vasopressine (repositionnement/soutien
du septum à l’éjection du VD, ↑ perfusion coronarienne)
Adaptation de la précharge du VD (PVC)
Ouverture/non-fermeture du péricarde et du sternum
CPIA (↑ P perfusion coronarienne), ECMO, RVAD
Anti-phosphodiesterases-5: sildénafil, tadalafil, vardenafil
Anti-endothéline: bosentan (125-250 mg/j per os)
Activateur du cGMP: riociguat
Bloqueurs calciques: nifedipine, mais 15% de répondeurs
Traitement aigu
vasodilatateur des
RAP sans effet
sur les RAS
Traitement aigu par
voie systémique
Traitement de
l'insuffisance du
VD
Traitement
chronique de
l’HTAP
Sont à éviter: dopamine, digitale, kétamine, desflurane, N2O.
CPIA: contre-pulsion intra-aortique. ECMO: extracorporeal membrane oxygenation.
RAS: résistance artérielle systémique. RAP: résistance artérielle pulmonaire.
RVAD: right ventricular assist device.
Le deuxième volet thérapeutique est constitué d'agents vasodilatateurs pulmonaires administrés par voie
systémique, mais qui présentent tous un certain effet hypotenseur artériel [1,2].
 Prostacyclines: époprosténol (perfusion par voie centrale 2-5 ng/kg/min, demi-vie 4-6 min),
treprostinil oral, sous-cut ou iv (1.25-2.5 ng/kg/min, demi-vie 3 heures), iloprost oral, iv ou
inhalé (2.5-5 mcg/dose en inhalation, perf 10-20 mcg en 20 min).
 Inhibiteurs des phosphodiestérases-5 (IPDE-5): sildénafil (per os et iv), tadalafil, vardenafil (per
os).
 Anti-endothélines : bosentan (inhibiteur non spécifique anti ETA et ETB ), sitaxsentan et
ambrisentan (inhibiteurs spécifiques du récepteur ETA), (per os).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
94
 Arginine : par sa transformation en citrulline, le chlorure d’arginine (perfusion 15 mg/kg/min)
fournit le substrat nécessaire à la production de NO.
 Bloqueurs calciques : utiles à haute dose chez le 15% des malades qui y sont répondeurs, ils
sont inutiles chez les autres et peuvent causer une hypotension systémique; nifédipine (15
mcg/kg/heure), amlodipine (2.5-20 mg/j).
 Magnésium : le Mg2+ (5-10 mmol) a un certain effet dilatateur pulmonaire de type anticalcique.
La vasodilatation artérielle pulmonaire n’a de sens que si les RAP et le gradient transpulmonaire sont
élevés : RAP > 250 dynes•s•cm-5, GTP > 12 mmHg. Elle est essentielle dans l’hypertension pulmonaire
du Groupe 1 et utile dans celle des groupes 3, 4 et 5, mais elle est inappropriée dans l’HTP du groupe 2,
qui comprend l’HTP postcapillaire liée à la dysfonction du VG et aux valvulopathies mitrales (gradient
transpulmonaire < 12 mmHg) ; dans cette situation, qui est souvent associée à la pneumopathie en
chirurgie cardiaque, les vasodilatateurs pulmonaires comme les prostaglandines ou les anti-endothélines
tendent à augmenter la congestion pulmonaire (risque d’OAP), et aggravent la mortalité. Les vaisseaux
pulmonaires étant quasi dépourvus de récepteurs α1, les vasodilatateurs artériolaires (nitroprussiate,
phentolamine) ont essentiellement un effet systémique et ne sont pas utiles dans le traitement sélectif de
l'HTAP [9].
Le troisième volet est comprend des substances avec activité vasodilatatrice pulmonaire dont l’effet
inotrope positif améliore la fonction du VD.
 Inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (augmentation de cAMP) : les IPDE-3 sont inodilatateurs
systémiques mais ne modifient pas les RAP ; ils augmentent la FE par effet inotrope positif;
amrinone, milrinone (bolus 50 mcg/kg, perfusion 0.5 mcg/kg/min).
 Catécholamines β1 : outre son effet inotrope positif, la dobutamine induit une vasodilatation
pulmonaire significative ; l'isoprénaline est beaucoup plus efficace (bolus 10 mg, perfusion
0.01-0.05 mcg/kg/min) mais provoque une tachycardie importante.
 Levosimendan (dose de charge 6 mcg/kg, perfusion 0.05-0.2 mcg/kg/min): il diminue la PAP et
augmente la contractilité ventriculaire par sensibilisation de la troponine au Ca2+ ; il est le seul
agent inotrope qui baisse la mortalité.
 Nitroglycérine (0.5-5 mcg/kg/min) : diminution du volume télédiastolique du VD et
amélioration de l'insuffisance droite congestive à PVC haute ; léger effet vasodilatateur
pulmonaire.
Traitement de l’hypertension pulmonaire
Correction de l’acidose, de l’hypothermie, du stress et de la douleur
1 - Ventilation et inhalation (pas d’effet systémique): hyperventilation normobarique, NO• (10-30 ppm),
nébulisation de prostacycline (iloprost), de milrinone ou de nitroglycérine
2 - Vasodilatateurs pulmonaires (risque d’hypotension systémique): prostacyclines (epoprostenol,
treprostinil), inhibiteurs des phosphodiestérases-5 (sildenafil), inhibiteurs du récepteur de l’endothéline
(bosentan), anticalciques (15% des cas sont répondeurs), éventuellement nitroglycérine, nesiritide,
riociguat, Mg2+
3 - Inodilatateurs: inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (milrinone), catécholamines β, levosimendan
4 - Vasoconstricteurs systémiques: noradrénaline, vasopressine
La clef de l’amélioration hémodynamique n’est pas seulement une baisse de la PAP, mais une baisse de
la PVC et une augmentation du volume systolique, traduisant l’amélioration de la fonction du VD
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Le quatrième volet, qui doit être utilisé en première intention et en parallèle aux traitement précédents,
est le maintien de la PAM systémique au-dessus de la PAP (PAM/PAPm > 3) avec un vasoconstricteur
artériel (noradrénaline ou vasopressine). Il est essentiel pour deux raisons [14].
 Rétablir la position du septum interventriculaire (convexe dans le VD) et l’aide à l’éjection
droite réalisée par la contraction du VG ; un augmentation de postcharge gauche est nécessaire
pour faire bomber le septum dans le VD en systole.
 Maintenir la perfusion coronarienne du VD, car celui-ci ne peut plus compter que sur la
composante systolique du flux coronaire si la PAP se rapproche de la PAM.
La clef de l’amélioration hémodynamique n’est pas une baisse de la PAP, mais une baisse de la PVC et
une augmentation du volume systolique.
Ventilation en cas d'hypertension pulmonaire
Même lorsqu'elle est chroniquement élevée, la pression artérielle pulmonaire réagit encore à l'hypoxie et
à l'hypercapnie. Lors de la prise en charge de ces malades en salle d'opération ou aux soins intensifs, il
est capital d'éviter toutes les situations qui peuvent aggraver les RAP [2]:
 Hypoventilation (hypercarbie, hypoxémie, atélectasies) ;
 Surpression intrathoracique (variable selon la fonction du VD, respecter une hyperventilation
normobarique) ;
 Acidose ;
 Hypothermie ;
 Stimulation sympathique (stress, douleur, anxiété) ;
 Anémie aiguë (seuil de transfusion Hb > 90 gm/L) ; la baisse du transport d’O2 est compensée
par une augmentation du débit pulmonaire, qui élève considérablement la PAP.
Pour l’anesthésiste et l’intensiviste, ventiler les patients souffrant de pneumopathie et d’hypertension
pulmonaire est souvent un défi clinique. La ventilation mécanique de ces malades est un compromis
entre une hyperventilation active pour baisser les RAP et le maintien d'une pression intrathoracique
moyenne (Pit) basse pour éviter une augmentation de postcharge droite. Si le volume courant est faible,
on risque des atélectasies, une hypercarbie, et une augmentation des RAP dans les petits vaisseaux périalvéolaires; s'il est élevé, l'hyperinflation augmente la Pit et comprime les gros vaisseaux extraalvéolaires par la distension des alvéoles pulmonaires [4]. Le volume courant idéal correspond à celui
de la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) (Figure 21.22).
Il faut jouer sur le volume courant, la fréquence et le mode ventilatoire pour obtenir la PaCO2 et la Pit
moy les plus basses possible. De ce point de vue, la durée de l'inspirium augmente davantage la Pit moy
que la valeur du pic inspiratoire de pression. Toutefois, trois phénomènes importants viennent faciliter
la tâche du clinicien.

La compression des gros vaisseaux extra-alvéolaires, dans la partie droite du graphique de la
Figure 21.22, ne s’applique pas réellement au patient souffrant d’HTAP, parce que la paroi
épaissie et rigide de ses vaisseaux pulmonaires empêche toute compression par une ventilation à
haut volume courant. Il n’y a donc pas lieu de craindre une augmentation significative de la
PAP lors d’une hyperventilation mécanique.
 L'accroissement de postcharge pour le VD que représente l'IPPV est très faible par rapport à sa
postcharge habituelle: ajouter une Pit moy de 10 mmHg à une PAPmoy de 50 mmHg modifie
moins les conditions hémodynamiques que lorsque la PAPmoy est normale (20 mmHg). Le
risque de décompensation du VD est donc très faible lorsque les pressions ventilatoires restent
dans les limites habituelles [3].
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
Le parenchyme pulmonaire des patients souffrant de broncho-pneumopathie est épaissi et
transmet mal les pressions de ventilation; cet amortissement limite l'effet sur la postcharge
droite.
RAP
RAP
CRF
A
Petits vaisseaux
Volume courant
pulmonaire
B
Gros vaisseaux
Volume courant
pulmonaire
RAP totales
Figure 21.22: Evolution des résistances vasculaires pulmonaires (RAP) avec la ventilation. A : Situation normale.
A bas volume courant, les RAP s'élèvent dans les petits vaisseaux par vasoconstriction périphérique sur
hypoventilation et hypercapnie. A haut volume courant, elles s'élèvent dans les gros vaisseaux périalvéolaires qui
sont étirés et comprimés mécaniquement. La résultante (courbe rouge) montre que le meilleur compromis est
obtenu au volume de la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF). Ceci correspond à une ventilation à 6-8 ml/kg
(d’après réf 4). B : En cas d’hypertension pulmonaire chronique, les parois artérielles sont épaissies, avec une
média muscularisée, une prolifération sous-endothéliale et une fibrose de l’externa (coupe d’une artère pulmonaire
en cartouche). Ces vaiseaux ne sont plus compressibles par la pression intrathoracique. La courbe corrrespondant
aux gros vaisseaux est donc aplatie, et les RAP totales n’ont plus une forme en « U » ; elles n’augmentent plus à
haut volume courant. Ces patients tolèrent donc très bien l’hyperventilation en IPPV.
De plus, l'IPPV offre la possibilité d'hyperventiler le patient et, ce faisant, de diminuer ses RAP par
alcalose respiratoire. Seule une dysfonction droite isolée sans élévation chronique de la pression
pulmonaire présente un risque de décompensation majeure lors d’IPPV, mais non la situation d’une
HTP chronique accompagnée d’une hypertrophie ventriculaire droite [4]. La réaction hémodynamique
du patient à l'IPPV peut être testée en préopératoire en lui faisant réaliser une manoeuvre de Valsalva
une fois le cathéter artériel en place et en observant l'évolution de la pression artérielle. Le plus souvent,
les variations respiratoires sont atténuées et la pression moyenne (PAM) est stabilisée à une valeur très
légèrement inférieure (< 15%) à sa valeur en spontanée. Ceci laisse présager une bonne tolérance à
l’IPPV.
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Anesthésie en cas d'hypertension pulmonaire
Les patients souffrant d’hypertension pulmonaire se caractérisent par une perte complète de la
compliance hémodynamique dans la circulation droite. Ils présentent une physiopathologie particulière
[2,3,4].






Le débit pulmonaire est abaissé et relativement fixe ; il ne peut pas augmenter
proportionnellement à la demande en O2, d’où cyanose à l’effort. Toute élévation du débit
cardiaque se traduit par une élévation importante de la PAP, pour autant que le VD ne soit pas
dysfonctionnel.
Face à l’augmentation chronique de sa postcharge, le VD se dilate et s’hypertrophie (HVD).
Plus il est hypertrophié, plus le VD se comporte comme le VG ; il tolère l’augmentation de
postcharge mais son débit devient dépendant de la précharge ; il ne peut plus amortir les
variations du retour veineux en maintenant le débit pulmonaire constant ; l’hypovolémie
conduit à une baisse du débit pulmonaire et à une hypoxémie.
En diastole, la pression du VD hypertrophié et surchargé est supérieure à celle du VG ; le
septum interventriculaire bombe dans le VG et réduit le remplissage diastolique gauche;
l’élévation de la postcharge gauche (vasoconstriction artérielle systémique) tend à replacer le
septum dans sa position physiologique.
Une hypotension systémique peut compromettre la perfusion coronarienne droite en réduisant la
composante diastolique du flux coronaire vers le VD ; d'autre part, la postcharge du VG doit
rester importante pour maintenir le septum interventriculaire en position neutre et assurer son
aide contractile au VD. Un vasoconstricteur systémique est requis pour réaliser ces deux effets.
Si le foramen ovale est perméable, un shunt droite → gauche cyanogène peut s’installer à la
faveur d’une augmentation excessive de la POD.
Malgré l’épaississement des parois artérielles pulmonaires, les petits vaisseaux artériolaires
périphériques conservent une réactivité vasculaire ; les RAP peuvent encore augmenter par
hypoxémie, hypercarbie, acidose, hypothermie ou stress sympathique.
Endormir un patient en dysfonction droite ou souffrant d'hypertension pulmonaire (HTAP) est toujours
complexe. La stratégie est basée sur les sept points suivants.







Adapter la précharge à la fonction du VD (PVC 10-12 mmHg) ;
Maintenir les résistances artérielles systémiques ;
Baisser les résistances vasculaires pulmonaires ; le rapport PAM/PAPm est maintenu à sa valeur
d’équilibre préopératoire ;
Maintenir le rythme sinusal (70-90 batt/min) ;
Choisir un support inotrope spécifique ;
Choisir entre respiration spontanée (ALR) et ventilation mécanique (AG) ;
Eviter l’acidose, l’hypothermie, le stress, la douleur et les frissons.
L'anesthésie loco-régionale (ALR) sous forme de blocs périphériques ou de peridurale/rachi est en
général très avantageuse dans les pathologies respiratoires, aussi bien en salle d'opération que pour
l'analgésie postopératoire. En présence d'hypertension pulmonaire, toutefois, certains points sont à
prende en considération dans les retombées physiologiques de l'ALR rachidienne.
 Veinodilatation avec baisse de la précharge du VD, d’où baisse du débit pulmonaire car le débit
du VD est dépendant de sa précharge en cas d’hypertrophie sur HTAP ; ceci ne s’applique pas
aux cas d’HTAP aiguë avec VD normal.
 Vasodilatation artérielle avec baisse des résistances systémiques, d’où risque d’hypotension
artérielle, d’aggravation des interactions entre les ventricules, d’ischémie coronarienne droite et
d’aggravation de shunt D-G.
 L’ALR ne permet pas d'hyperventiler le patient ; au contraire, la sédation fait courir un risque
d'hypoventilation et d'hypoxie.
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 L'arbre vasculaire pulmonaire étant peu doté en récepteurs α et β [9], l'anesthésie péridurale
thoracique n'a pas d'influence significative sur les résistances pulmonaires lorsqu’elles sont
élevées, mais elle diminue la stimulation sympathique nécessaire à maintenir la performance
ventriculaire systolique [2].
 Les prostaglandines ayant un effet anti-agrégant, il est recommandé d’attendre 30 minutes après
l’administration d’époprosténol, 2-4 heures après celle d’iloprost et 9 heures après celle de
treprostinil pour procéder à une anesthésie loco-régionale rachidienne [17].
Concernant la dysfonction du VD, il existe trois cas de figure qui imposent des contraintes et des
stratégies différentes.

Dysfonction primaire du VD avec PAP normale ; en cas d’infarctus, la priorité est au maintien
d’une pression de perfusion coronarienne suffisante (vasoconstricteur systémique) ; en cas de
cardiomyopathie, la priorité est au maintien de la contractilité (catécholamines, milrinone) ; la
précharge est optimalisée (PVC 10-12 mmHg) pour obtenir le meilleur débit.
o La ventilation spontanée est le meilleur choix ;
o L’ALR est une solution logique.
 Défaillance aiguë entraînant une insuffisance congestive du VD sur excès de postcharge
(embolie pulmonaire, BPCO, PEEP élevée, etc) ; la priorité est de baisser la précharge droite
(nitroglycérine, diurétiques, position en contre-Trendelenburg), de soutenir l’hémodynamique
droite (dobutamine, milrinone + adrénaline, nor-adrénaline), et de baisser la postcharge si cela
est possible.
o L’effet d’une augmentation de Pit est mal prévisible ;
o Choisir le mode ventilatoire en fonction de la tolérance à une manoeuvre de
Valsalva ou à la CPAP au masque ;
o Si la curarisation et l’IPPV sont nécessaires, hyperventiler en maintenant la Pit
moy la plus basse possible (petit volume courant, haute fréquence).
 Hypertension pulmonaire chronique avec hypertrophie ventriculaire droite ; la priorité est de
baisser les RAP (hyperventilation, NO•, prostacyclines, etc) ; la précharge doit rester élevée car
le VD hypertrophié fonctionne sur une courbe de Starling analogue à celle du VG.
o L’IPPV est le meilleur choix ;
o L’ALR n’est indiquée que pour l’analgésie postopératoire.
A part la kétamine, le thiopental, le desflurane et le N2O, qui augmentent les RAP, aucun agent habituel
n’est contre-indiqué en cas d’HTAP chez l’adulte. D'une manière générale, l'anesthésie doit être assez
profonde pour bloquer la stimulation sympathique, ce que font les fentanils à dose élevée. La péridurale
thoracique basse ou lombaire avec installation très lente du bloc, sans dose de charge, est une alternative
cohérente en cas de pneumopathie et d’insuffisance droite, si l’HVD et l’HTAP ne sont pas massives ;
la postcharge du VD n’est pas modifiée ; l’apport liquidien est réglé en fonction de la précharge (PVC)
et de l’installation du bloc sympathique. La rachianesthésie est contre-indiquée parce que la chute de la
précharge droite et des RAS est trop brutale, particulièrment lorsqu’il existe un FOP [13].
En présence d’HTAP (PAPm > 25 mmHg), un cathéter artériel systémique est mandatoire. L’amplitude
des variations de la pression artérielle en IPPV (ΔPA) est normalement proportionnelle au degré
d’hypovolémie du patient ; malheureusement, ce n’est plus le cas en présence d’une défaillance droite
et/ou d’une hypertension pulmonaire. Dans cette situation, le ΔPA n’est plus un indice de réponse au
remplissage, mais peut au contraire conduire à une surcharge de volume très délétère dans la cadre
d’une défaillance droite congestive [19]. L’évaluation du volume à l’échocardiographie est largement
préférable pour diagnostiquer une hypovolémie [15]. Le cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est
recommendé en cas de chirurgie majeure, aortique ou cardiaque. Dans les autres cas, une voie centrale
est suffisante pour évaluer la PVC, qui indique la précharge du VD et son degré de congestion. Les
mesures à surveiller en permanence sont la PVC, la PAP, les RAP et le VS ; la PAPO n’est
déterminante qu’en cas de dysfonction du VG ou de pathologie mitrale. Le cathéter pulmonaire
s'impose-t-il dans tous les cas ? La réponse la plus différenciée est de poser l'indication par
l'échocardiographie transoesophagienne; une fois le patient endormi et intubé, l'ETO permet d'examiner
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les cavités droites et leur fonction (contractilité, flux pulmonaires). Si elles sont normales, une voie
veineuse centrale peut suffire; en cas de dilatation, de dysfonction ou d'insuffisance tricuspidienne (IT),
un cathéter pulmonaire s'impose. Lors des mesures, il faut se souvenir que la présence d'une IT induit
une surestimation du débit cardiaque par la technique de thermodilution.
L'échocardiographie transoesophagienne (ETO) est capitale, car elle permet de suivre la fonction et la
taille du VD, ainsi que la position du septum interventriculaire [15]. En cas d’augmentation brusque de
postcharge ou de dysfonction aiguë, le VD se dilate immédiatement. La stase qui s’ensuit se manifeste
par une dilatation de l’OD et un bascule du septum interauriculaire dans l’OG. La dysfonction du VD se
caractérise par (voir Chapitre 25, Fonction VD, Indices échocardiographiques) :







Augmentation de taille de l’OD et du VD ;
Hypokinésie/akinésie de la paroi libre du VD ;
Bombement du septum interauriculaire dans l’OG ;
Bombement du septum interventriculaire dans le VG, dont la taille diminue en diastole ;
Apparition ou aggravation d'une insuffisance tricuspidienne ;
Dilatation des veines caves, disparition des variations respiratoires de leur taille ;
Shunt D-G par le foramen ovale, s’il est perméable.
L’ETO permet en outre de suivre l’évolution de la volémie, de la fonction du VG et des valvulopathies.
En chirurgie cardiaque par sternotomie, l’observation du champ opératoire permet de voir la fonction et
la dimension du VD, puisque celui-ci est positionné antérieurement. Il est dilaté lorsque sa taille dépasse
en hauteur la ligne d’ouverture du péricarde au niveau du diaphragme. Dans ces conditions, il est
prudent de ne pas refermer le pericarde ni le sternum pour éviter la compression droite.
Hypertension pulmonaire et chirurgie cardiaque
En chirurgie cardiaque, il est recommandé d’administrer la substance nébulisée chez le patient avant la
CEC (iloprost, milrinone) [14]. En cas d’insuffisance droite congestive, il peut être utile de débuter le
levosimendan (0.05-0.2 mcg/kg/min) dès l’induction. A cause de l’effet rebond à l’arrêt du NO, il est
préférable de continuer administration de celui-ci en ventilant pendant la CEC [14]. Les substances
administrées en perfusion sont maintenues jusqu’à la CEC.
Chez les patients souffrant d'une pneumopathie, le moment critique est la sortie de CEC: les multiples
facteurs potentiellement responsables d'une augmentation des RAP conjuguent leurs effets avec ceux de
la maladie pulmonaire. La probabilité d'une poussée hypertensive est très élevée, et la dysfonction
ventriculaire droite est fréquente. Après une CEC, les RAP tendent à augmenter à cause de plusieurs
phénomènes : lésions cellulaires d’ischémie-reperfusion, dysfonction endothéliale sur la réaction
inflammatoire à la CEC avec baisse de production de NO et sécrétion accrue d’endothéline, diminution
du taux de L-arginine précurseur de la L-citrulline donneuse de NO. A cela s’ajoutent les problèmes
hémodynamiques (stase gauche), ventilatoires (vasoconstriction hypoxique, œdème, atélectasies) et
pharmacologiques (protamine). Un traitement spécifique de l’HTAP doit démarrer dès que la PAPsyst
est supérieure au tiers de la pression systolique systémique [11]. Le rapport entre les pressions
moyennes systémique et pulmonaire (PAM/PAPm) est significativement plus bas (3.3 au lieu de ≥ 4.0)
chez les patients qui présentent des complications cardiovasculaires après chirurgie cardiaque ; comme
il n’est pas modifié par l’anesthésie, ce rapport est plus pertinent que la valeur absolue de la PAP [11].
L’augmentation du gradient entre la PaCO2 artérielle et la PetCO2 expirée signe une baisse du débit
pulmonaire. Tant que le péricarde est ouvert, le VD peut s’expandre vers l’extérieur et le VG est peu
gêné, mais dès la fermeture du péricarde et du sternum, le coeur est comprimé comme lors d’une
tamponnade et l’interférence est maximale. Il est donc souvent nécessaire de fermer le péricarde avec un
patch d’élargissement et de laisser le sternum ouvert pour 48-72 heures.
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100
Anesthésie et HTAP
Impact clinique de l'HTP:
- Débit pulmonaire fixe, hypoxémie à l'effort ou lors d’hypovolémie
- Maintien de la réactivité des petits vaisseaux (vasoconstriction pulmonaire hypoxique)
- Hypertrophie du VD: débit droit dépendant de la précharge, intolérance à l'hypovolémie
- Risque ischémique du VD élevé en cas d'hypotension systémique
- Insuffisance diastolique du VG (effet Bernheim)
- Dilatation et décompensation du VD
- Shunt D → G si foramen ovale perméable
Agents d’anesthésie et HTAP:
- Kétamine et thiopental augmentent les RAP; propofol: sensibilisation aux hypertenseurs
pulmonaires
- Etomidate, midazolam: sans effet
- Fentanils: freinent la vasoconstriction pulmonaire sympathique (douleur, stress, froid)
- Sevoflurane, isoflurane: freinent la vasoconstriction pulmonaire hypoxique
- Desflurane: augmente les RAP
Monitorage: cathéter artériel, PVC, si possible ETO; dans les cas de chirurgie majeure, cathéter
pulmonaire de Swan-Ganz
Technique d’anesthésie recommandée en cas d’HTAP:
- Maintien strict de la normothermie
- Maintien strict de la pression systémique (RAP élevées par nor-adrénaline ou vasopressine)
- Alcalose respiratoire (hyperventilation à basse pression), FiO2 élevée; correction de l’acidose
- Anesthésie et analgésie profondes
- Sédation: midazolam
- Induction: étomidate
- Maintien: halogéné (sevoflurane) + fentanil (fentanyl, sufentanil, remifentanil)
- Agents inotropes (dobutamine, milrinone) et vasodilatateurs pulmonaires (NO, iloprost,
époprosténol) selon besoin.
Les RAP augmentent en cas d'hypoventilation (vasoconstriction pulmonaire hypoxique) et en cas de
ventilation à haut volume courant (VC) (distension et occlusion des vaisseaux par la distension
alvéolaire). Mais en cas d'HTAP avec HVD, quatre éléments favorisent l'IPPV:
- La paroi épaisse et rigide des vaisseaux pulmonaires empêche leur compression à haut VC
- L'IPPV représente un faible accroissement de postcharge pour le VD en cas d'HVD
- Le parenchyme pulmonaire pathologique transmet mal les pressions ventilatoires
- L'hyperventilation permet une certaine vasodilatation artériolaire pulmonaire
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Affections thyroïdiennes
Les activités de l'hormone thyroïdienne ayant trait à l'hémodynamique sont nombreuses [5].
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


Augmentation de la sensibilité et du nombre des récepteurs β-adrénergiques myocardiques ;
Augmentation de la consommation globale de l'oxygène;
Augmentation du débit et de la fréquence cardiaques;
Augmentation de la contractilité myocardique;
Diminution des résistances périphériques;
Augmentation du débit splanchnique et rénal;
Tachycardie et tachyarythmies (FA).
En début de CEC, le taux de T3 (triiodothyronine) tombe brusquement; il remonte à 60% de sa valeur
normale après la pompe, mais reste inférieur à son taux normal pendant les premières 24 heures
postopératoires. Les taux de T4 (thyroxine) et de TSH varient dans le même sens, mais très faiblement
et restent en général dans les limites de la norme. C'est le tableau du euthyroid sick syndrome que l'on
retrouve dans les insuffisances multi-organiques: les taux de T4 et de TSH ne se modifient pas
proportionnellement à la chute importante de la T3 [2]. Ce syndrome est fréquent dans le postopératoire
des patients thyroïdiens; il n'est pas immédiat et peut survenir jusqu'au 10ème jour; il est associé à une
baisse importante des performances hémodynamiques et respiratoires.
Lorsqu'on administre de la triiodothyronine à des patients dont la fonction systolique est mauvaise (FE
< 30%), on remarque une baisse des besoins en amines sympathicomimétiques et en diurétiques,
accompagnée d'une diminution des résistances systémiques et pulmonaires [4]. Par contre, la T3
n'améliore pas une fonction cardiaque normale. La place réelle de cette thérapeutique est encore
débattue.
Hyperthyroidisme
L'hyperdynamisme hémodynamique est apparent sous forme de tachycardie, de tachydysrythmies (FA),
de haut débit cardiaque et d'augmentation de la mVO2. Le risque ischémique est très élevé. La
sensibilité des récepteurs béta étant augmentée, la réponse aux catécholamines endogènes et exogènes
est très vive et peut être excessive. Sauf en cas d'urgence, le patient doit absolument être équilibré en
préopératoire et arriver à l'intervention dans un état euthyroïdien [6]. Sinon, il court le risque de
développer une crise thyréotoxique, le plus probablement dans la période postopératoire immédiate (618 heures après l'intervention).
La crise thyréotoxique mime l'hyperthermie maligne: poussée thermique aiguë, tachycardie,
déshydratation, insuffisance cardiaque à haut débit, métabolisme catastrophiquement élevé (↑↑ VO2 et
↑↑ PaCO2). Le traitement est symptomatique (perfusions froides, perfusion d'esmolol) et causal:
propylthiouracil (Propyl-Thiouracil®), carbamizole (Neo-Mercazol®), méthimazole (Tapazole®).
Hypothyroïdisme
Le tableau de l'hypothyroïsme est l'image en miroir de la précédente: baisse de la VO2, bradycardie,
augmentation des résistances périphériques, baisse du volume circulant et du débit cardiaque (jusqu'à
40%), hypocoagulabilité, asthénie, insuffisance respiratoire et enfin insuffisance cardiaque congestive
(cardiomégalie, ascite, oedèmes, épanchements pleuraux). La substitution thyroïdienne chez le
coronarien peut induire un angor, précipiter un infarctus, ou causer une mort subite [1].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
103
Le risque opératoire n'est pas significativement augmenté chez les patients non substitués, pour autant
que ceux-ci n'aient pas développé d'insuffisance congestive [3]. Cependant, tous les médicaments à
action hémodynamique dépressive auront un effet exagéré. Chez l'hypothyroïdien coronarien, il faut
donc bien peser les risques chirurgicaux des pontages aorto-coronariens par rapport à ceux de
l’angioplastie, et équilibrer le traitement hormonal en préopératoire.
Références
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Maladies hématologiques
Les maladies hématologiques ne sont pas des raretés puisqu’elles ont une prévalence moyenne de 1%
dans la population occidentale. La plus fréquente est la maladie de von Willebrand (1:200), suivie par
l’hémophilie A (1:10’000) et l’hémophilie B (1:50’000). Les autres coagulopathies congénitales sont
très rares et ont une fréquence approximative de 1:1 million [14]. Parmi les coagulopathies acquises, on
mentionnera la thrombocytopénie, la déficience en vitamine K, le syndrome de von Willebrand acquis et
la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). Pour davantage de détails sur la coagulation et
l’anticoagulation, on se référera au Chapitre 8 (Coagulation). Les données pharmacologiques concernant
les facteurs de coagulation figurent dans le Tableau 8.10.
Pour toutes les hémopathies, la prise en charge doit suivre certaines règles [15].
 Les tests de coagulation standards (TP, aPTT, TT, etc) ont une très faible valeur prédictive
pour le risque hémorragique chirurgical; l’anamnèse personnelle et familiale (saignements
excessifs lors de soins dentaires ou de contusions, métrorragies, hémarthroses) a davantage
d’impact. Seul le taux des facteurs individuels est corrélé au risque hémorragique.
 A l’exception des formes bénignes, il est impératif de remplacer le(s) facteur(s) déficient(s)
en périopératoire et d’opérer les patients dans un hôpital qui dispose d’un service
d’hématologie compétent.
 Il est préférable d’opérer les malades en début de journée et en début de semaine, afin de
disposer de tout l’appui nécessaire de la part du laboratoire d’hématologie. Les échantillons
de sang doivent être testés dans l’heure qui suit leur prélèvement et doivent être transportés
sans secousses excessives (éviter les circuits pneumatiques).
 Comme tous les facteurs s’administrent par voie intraveineuse, une voie centrale est souvent
requise.
 L’administration d’acide tranexamique (1 g) à l’induction est un appoint utile. L’aspirine et
les AINS sont à éviter dans le postopératoire; on préférera le paracétamol et les opioïdes.
Hémophilie
Maladie congénitale affectant uniquement les hommes, l'hémophilie est subdivisée en trois entités qui
peuvent chacune se présenter sous forme sévère ou bénigne. La gravité des symptômes est
proportionnelle à la baisse du taux des facteurs. L’aPTT est prolongé.
 Hémophilie A: déficit en Facteur VIII.
o Forme sévère : taux < 1% ; forme bénigne : taux 5-10% ;
o Hémostase normale si taux ≥ 50% ;
o Demi-vie du facteur VIII: 8-12 heures ;
o Jusqu’à 25% des patients traités avec du FVIII développent des allo-anticorps antiFVIII qui rendent son remplacement inefficace ;
o Le FVIII est un élément de la réaction de stress (acute phase reaction) et augmente
physiologiquement en postopératoire.
 Hémophilie B (Christmas disease): déficit en Facteur IX.
o Demi-vie du facteur IX : 24 heures ;
o Le FIX n’est pas un élément de la réaction de stress et n’augmente pas en
postopératoire.
 Hémophilie C (maladie de Rosenthal) : déficience en facteur XI.
Il est recommandé de perfuser 50 U/kg du facteur déficitaire 20-60 minutes avant l'opération (Facteur
VIII : Factane®, Facteur IX : Betafact®), et de déterminer le taux circulant avant la CEC afin de
compléter les besoins par addition au liquide d'amorçage. Les Facteurs VIII et IX doivent être
maintenus à un taux de 80-100% pendant l’opération et pendant les trois premiers jours, puis à un taux
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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de 60-80% pendant les jours 4 à 6, et à > 50% au-delà [15]. Un taux de ≥ 75% de FVIII et de ≥ 50% de
FIX assure une hémostase satisfaisante à long terme. On dispose maintenant de produits recombinants
(Advate®, Benefix ®) ayant éliminé les dérivés sanguins.
Dans les formes bénignes d’hémophilie A, la vasopressine (DDAVP 0.3 mcg/kg iv en 30 minutes)
augmente le taux de FVIII 2 à 3 fois ; elle est sans effet sur le FIX [15,20]. Il est en général plus délicat
de compenser l'hémophilie B, parce que le Facteur IX a une distribution à la fois intra- et extravasculaire (le Facteur VIII reste strictement intravasculaire) et parce qu'il n'en existe pas de préparation
issue d'un seul donneur; la valeur plasmatique du Facteur IX ne varie pas proportionnellement avec les
perfusions.
Chez les patients qui souffrent de la présence d’inhibiteurs des facteurs VIII et IX, la perfusion de
facteurs est inefficace et doit être remplacée par d’autres techniques.
 Le Facteur rVIIa (NovoSeven®) agit en court-circuitant les facteurs VIII et IX : il stimule
directement l’activation du facteur X en facteur X activé (Xa) et provoque une production
massive de thrombine ; le dosage recommandé est de 90 mcg/kg en préopératoire, à répéter
toutes les 2 heures si nécessaire.
 Le FEIBA® (factor eight inhibitor bypassing agent) contient les facteurs II, VII, IX et X en
partie sous forme activée ; dosage : 70 UI/kg toutes les 8 heures.
 L'administration de desmopressine (1-desamino-8-D-arginine-vasopressine) à raison de 0.3
mcg/kg [20].
 La plasmaphérèse: échange transfusionnel du plama du patient contre du PFC; on peut
administrer jusqu'à 15 unités de PFC sans risque de surcharge [17] ; utile seulement si l’on ne
dispose pas des autres possibilités.
Ces techniques ne peuvent être efficace que si quatre éléments sont contrôlés.




Taux de plaquettes > 70’000/mcL ;
Calcémie > 1 µmol/L ;
Fibrinogénémie ≥ 2 g/L ;
Hémoglobine ≥ 80 g/L.
Maladie de von Willebrand
La maladie de von Willebrand, caractérisée par une anomalie du facteur du même nom, se révèle par un
allongement du temps de coagulation et du TPT (aPTT). Le facteur von Willebrand (FvW) est produit
par les cellules endothéliales et les mégakaryocytes, puis stocké dans l’endothélium, les plaquettes et le
tissu conjonctif sous-endothélial. Associé au Facteur VIII, il lie la plaquette au sous-endothélium
lorsqu’il y a rupture de la couche cellulaire endothéliale (voir Figure 8.5). Cliniquement, les patients
présentent une tendance avérée aux hémorragies : ecchymoses, hématomes excessifs, métrorragies, etc.
Il existe plusieurs formes de la maladie.
 Type I : déficit quantitatif partiel, le plus fréquent (75% des cas) ; le taux de FvW est 10-40% ;
 Type II : déficit qualitatif, défaut fonctionnel de la molécule ;
o 2A : défaut de FvW lié aux plaquettes ;
o 2B : affinité exagérée du FvW pour les récepteur GP Ib plaquettaires ;
o 2N : affinité réduite du FvW pour le FVIII ;
 Type III : absence totale du facteur, très rare ; le taux est < 10% ; le FVIII est également abaissé
(< 20%).
A la forme congénitale s’ajoute une forme acquise apparaissant dans certaines affections produisant un
inhibiteur du FvW (maladies auto-immunes, certaines néoplasies notamment lymphoprolifératives),
occasionnant une consommation du facteur dans certaines localisations de stress hémodynamique
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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(sténose aortique sévère), ou allant avec certaines perfusions (hydroxyéthyl amidons, HES). Le
diagnostic différentiel se fait par un test aPTT-Mix : le plasma du patient est mélangé à parts égales
avec du plasma normal ; le test se normalise si le malade est déficient en FvW alors qu’il reste prolongé
en présence d’un inhibiteur.
Le traitement consiste en plusieurs points [5,15].
 Concentré de FvW avec Facteur VIII (Haemate®, Wilate®, Wilfact®) ; dosage périopératoire en
cas de maladie de types II et III : 30 UI/kg préop, 20-30 UI/kg en cours de chirurgie, 20-30
UI/kg 3 x/j pendant 5 jours ; la demi-vie du produit est de 14-17 heures ; contrôler les taux
circulants. Le taux peropératoire requis est de 100% pour les opérations majeures et
l’obstétrique, et de 60% pour les interventions mineures et la dentisterie. En-dehors de la
chirurgie, un taux de 50% assure une hémostase normale.
 Desmopressine (Octostim®, Minirin®, 0.3 mcg/kg en 30 min) ; elle stimule la production de
FvW par l’endothélium ; elle est le traitement de choix dans la maladie de type I ; le type III ne
répond pas à la desmopressine. L’administration simultanée d’acide tranexamique est
recommandée parce que la desmopressine stimule la fibrinolyse.
 Plasma frais congelé : inutile car cette source est insuffisante.
 Traitement supplémentaire dans la maladie de von Willebrand acquise :
o Traitement étiologique de la maladie de base (néoplasie, sténose aortique) ;
o Immunoglobuline 2g/kg (effet après 12-72 heures).
Dans le cas particulier de la sténose valvulaire, la maladie de von Willebrand acquise est de type 2A et
touche plus de 25% des patients avec une sténose aortique serrée de type rhumatismal. Ces malades ne
présentent pas de risque hémorragique accru lors du remplacement valvulaire en CEC. D’autre part, le
RVA rétablit l’intégralité fonctionnelle du FvW et supprime les symptômes hémorragiques spontanés
[9].
Hypofibrinogénémie
L’hypofibrinogénémie congénitale est rare, mais le fibrinogène est le premier facteur dont le taux chute
en cas d’hémorragie massive. L’hypofibrinogénémie est caractérisée par un prolongement de l’aPTT, du
TP et du temps de thrombine. La demi-vie du fibrinogène est de 90 heures. Le taux requis en
peropératoire pour assurer une hémostase satisfaisante est de 2.0 g/L. La fermeté optimale du caillot est
obtenue avec des taux de 3-4 g/L.
Déficiences acquises en facteurs de coagulation
Des auto-anticorps contre les facteurs de coagulation peuvent se développer dans de nombreuses
circonstances, telles le péripartum ou les néoplasme lymphoprolifératifs. L’inhibition du Facteur VIII
induit une hémophilie acquise, traitée par immunosuppression (rituximab, cyclophosphamide), rFVIIa
ou FEIBA (voir Chapitre 8). On rencontre aussi des inhibitions du facteur V ou du facteur XIII.
Facteurs de coagulation
Thrombocytopénie
D’innombrables causes peuvent engendrer une thrombocytopénie : néoplasie médullaire, alcoolisme
aigu, hépatopathie chronique, infections, médicaments (IMAO), chimiothérapie, HIV. La
thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT) est un cas particulier traité au Chapitre 8 (voir HIT). Les
hémorragies spontanées surviennent lorsque le taux plaquettaire est < 10-20 G/L [5]. Le taux requis
pour la chirurgie est > 50 G/L. Le traitement consiste en transfusion de plaquettes, glucocorticoïde (1
mg/kg/j), immunogloguline (2 g/kg pendant 2 à 5 jours) et desmopressine (0.3 mcg/kg en 30 min).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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La thrombasthénie de Glanzmann est une déficience congénitale en récepteur GP IIb/IIIa sur les
plaquettes entraînant un défaut d’agrégation par le fibrinogène. La maladie de Bernard Soulier est un
défaut du récepteur GP Ib/V/IX sur lequel se fixe le FvW pour immobiliser la plaquette sur la paroi
vasculaire lésée. Le traitement le plus efficace est la transfusion plaquettaire HLA-compatible ; le
rFVIIa peut être indiqué.
Déficience en Antithrombine III
L'Antithrombine III (AT III) est une α2- globuline qui se lie de manière irréversible à la thrombine et en
neutralise l'effet. L'héparine agit comme un catalyseur de cette réaction (voir Chapitre 8, Anti-thrombine
indirects). Si le taux d'AT III est trop bas, l'anticoagulation de l'héparine est peu efficace: après
héparinisation complète (400 U/kg), le temps de coagulation mesuré par l'ACT reste inférieur à 400 sec.
C'est une situation de résistance à l'héparine, dont les étiologies sont nombreuses (endocardite,
contraceptifs oraux, CIVD, streptokinase, héparino-thérapie, déficience en AT III, grossesse). La cause
la plus fréquente est un épuisement des réserves par une anticoagulation en cours (perfusion de
Liquémine® de plusieurs jours) : la chute de l’AT III est de 5-10% par jour de traitement.
La prise en charge est basée sur trois éléments [12].
 Augmentation des doses d’héparine. Toutefois, il existe un effet-plafond : l’anticoagulation ne
s’approfondit plus lorsque l’héparinémie est > 4 U/mL.
 Plasma frais décongelé. Le PFC contient environ 1 U d’AT III par mL. Deux poches de PFC
suffisent rarement à compenser le manque en AT III. D’autre part, le PFC présente tous les
risques liés aux transfusions d’éléments sanguins et fait souvent courir le danger d’une
hypervolémie.
 Concentré d’antithrombine, sous forme humaine purifiée ou recombinante (synthétisée dans du
lait de chèvre génétiquement modifiée). La demi-vie du produit est respectivement de 12 heures
et de 3.8 jours. La dose recommandée est 500-1'000 UI pour un adulte, ce qui est relativement
modeste, car il faut jusqu’à 45 U/kg pour maintenir un taux d’ATIII normal. Le coût de ce
traitement est de CHF 1’200-2’500.-, mais il est efficace, alors que le PFC ne l’est pas.
L’attitude la plus logique est de doser l’AT III et de ne donner du concentré d’antithrombine que lorsque
le taux est bas ; s’il est normal, une augmentation du dosage d’héparine suffit le plus souvent [12].
Hémoglobinopathies
Les hémoglobinopathies sont des affections rencontrées de moins en moins rarement chez l'adulte, vu
les progrès établis dans la prise en charge des enfants atteints des formes graves [10]. Ce sont des
maladies autosomales récessives caractérisées par des défauts dans la structure moléculaire de
l'hémoglobine [11].
 Anémie falciforme :
o Forme hétérozygote (< 50% d'Hb S);
o Forme homozygote (70-90% d'Hb S).
 Thalassémie
o Alpha: 1-2 allèles non-fonctionnels (paucisymptomatique) ou 3 allèles non-fonctionnels
(maladie de l'Hb H);
o Béta: production de chaîne béta diminuée (thalassémie mineure) ou absente
(thalassémie majeure).
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016, version 5 – 21 Affections médicales
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Les Hb anormales ont une plus faible capacité à libérer l'O2 en périphérie. Ces affections ont une
certaine valeur adaptative puisqu'elles apportent une résistance accrue à l'infection par le Plasmodium
falciparum de la malaria.
Drépanocytose (anémie falciforme, sickle cell disease)
C'est une anémie hémolytique qui touche 5% de la population mondiale, survenant presque
exclusivement chez les Noirs, et caractérisée par des hématies en forme de faucille. Elle est due à
l'expression du gène de l'HbS hérité à l'état homozygote. La falciformation est un changement de forme
réversible des globules rouges (GR), qui survient lorsque la PO2 baisse (saturation < 85%) ou que le pH
diminue: hypovolémie, déshydratation, hypothermie, bas débit, stase, hypoxie, acidose, infection, stress.
Mais les déformations répétées fragilisent les érythrocytes, provoquant une hémolyse. D'autre part, les
GR falciformés tendent à adhérer à l'endothélium vasculaire, conduisant à des occlusions
microvasculaires [18]. L'hémolyse met l'Hb en contact avec le NO dans les poumons; celle-ci en
provoque la déplétion, ce qui entraîne une tendance à l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP),
présente dans 20-30% des cas [19]. La maladie se manifeste cliniquement par des occlusions vasculaires
multiorganiques, une hypertension pulmonaire, une insuffisance ventriculaire secondaire aux
thromboses coronaires et un risque accru d'endocardite et d'AVC. Lors d'une CEC, le principal danger
est des occlusions vasculaires disséminées.
La transfusion d'échange est un élément important dans la prise en charge de ces patients, bien que le
degré d'évidence de la technique soit faible. Elle a pour but de diminuer le taux d'Hb S, d'augmenter
celui d'Hb A normale, et d'améliorer le transport d'O2. Un taux d'Hb S < 10% et un taux d'Hb A de 100
g/L sont acceptables pour une CEC [2].
La technique d'anesthésie est dominée par les contraintes hématologiques [11].







Maintenir une PO2 et une saturation élevées (SvO2 > 80% en CEC), éviter l'hypoxie;
Maintenir un transport d'O2 satisfaisant et réduire l'Hb S (transfusion);
Maintenir un débit cardiaque élevé; éviter les bas débits locaux (hypotension);
Maintenir ou induire une vasodilatation, éviter toute vasoconstriction;
Maintenir le volume intravasculaire (hydratation) et une faible viscosité (cristalloïdes);
Maintenir la normothermie;
Eviter l'acidose.
Comme la solubilité de l'HbS désaturée augmente lorsque la température baisse, le risque de
falciformation est faible en CEC, pour autant que la viscosité reste normale, que la perfusion
périphérique et l'oxygénation soient adéquates, et que l'acidose soit absente.
Thalassémie
Dans la thalassémie majeure et mineure, les chaînes alpha sont produites en surnombre, alors que dans
la thalassémie alpha, ce sont les chaîne béta qui sont en excès. Dans les deux cas, l'Hb tend à précipiter
à l'intérieur des érythrocytes [11]. Les formes majeures de thalassémie sont caractérisées par une
insuffisance cardiaque à haut débit, une augmentation du volume circulant et une anémie hémolytique
sévère, requerrant en général des transfusions. L'intoxication au fer (hémochromatose) est classique à
cause des transfusions répétées, et contribue à la défaillance ventriculaire [1]. L'hyperplasie de la moëlle
osseuse donne lieu à des déformations du squelette facial et vertébral pouvant rendre l'intubation
difficile. Dans les formes sévères, le patient se présente avec le tableau clinique d'une anémie, d'une
cardiomyopathie et d'une dysfonction hépatique. Ces patients sont extrêmement sensibles à la digitale.
Lors d'une CEC, le principal danger est une hémolyse aiguë et massive. D'autre part, l'Hb H de la
thalassémie alpha est une molécule instable qui précipite à une température de 4°C.
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Hémoglobinopathies et chirurgie cardiaque
Anémie falciforme et thalassémie présentent pratiquement les mêmes contraintes pour la chirurgie
cardiaque. La mortalité opératoire se situe à 10-13% des cas. Bien qu'il n'existe par de recommandations
officielles, on peut exprimer un certain nombre de suggestions pour minimiser les risques lors d'une
CEC [11].
 Amorçage du circuit de CEC avec du sang;
 Utiliser le circuit de CEC pour une transfusion d'échange avant de partir en pompe dans les cas
d'anémie falciforme grave;
 Utiliser de préférence des pompes centrifuges, moins hémolysantes que les pompes à galet;
 Limiter la force des aspirations et éviter l'utilisation de Cellsaver™;
 Faire précéder la cardioplégie froide d'une cardioplégie cristalloïde chaude pour évacuer le sang
du malade des coronaires;
 Maintenir l'hémodynamique: PAM ≥ 70 mmHg, débit de pompe environ 3.0-3.5 L/min/m2;
 Maintenir une excellente oxygénation (SvO2 ≥ 80%) et un pH de 7.35-7.44;
 Eviter l'hypothermie (T° > 34°C en CEC);
 Seuil de transfusion à 100 g/L.
Un des problèmes majeurs des hémoglobinopathies est leur tendance à une hypercoagulabilité, qui
impose une surveillance continue de l'anticoagulation (ACT > 450 sec, INR 3.0-3.5), voir l'addition
d'antiplaquettaires; en chirurgie valvulaire, on préfère en général les bioprothèses aux valves
mécaniques [1,3]. Dans la mesure du possible, des opérations à cœur battant (OPCAB, TAVI) sont
probablement préférables car elles évitent de multiples problèmes liés à la CEC, mais le maintien de
l'hyperdynamisme peut être ardu lorsqu'on ne dispose pas du soutien d'une pompe externe [13].
Agglutinines froides
Les agglutinines froides sont des anticorps IgM dirigés contre des antigènes anti-I présents sur la
membranne des globules rouges. Très fréquentes, elles causent une agglutination de ces derniers
seulement à basse température (0-4°C). A côté de cette variante bénigne existe une maladie cryohémagglutininémique dans laquelle ces agglutinines sont actives à des températures que l'on rencontre
dans la circulation périphérique; cette maladie est caractérisée cliniquement par des thromboses dans les
extrémités au froid [6]. Cette affection est une maladie idiopathique autoimmune, parfois la séquelle
d'un processus infectieux ou lymphoprolifératif; sa prévalence est faible dans la population générale
(1:20'000-1:50'000) [7]. La présence d'un taux significatif d'agglutinines froides, asymptomatique dans
la vie quotidienne, peut se manifester par une hémolyse et des occlusions vasculaires périphériques,
myocardiques, hépatiques et rénales lors de l'hypothermie d'une CEC (< 32°C). Au réchauffement, ces
aggrégats provoquent des thrombi microvasculaires et sont hémolysés, ce qui dégage une grande
quantité d'hémoglobine libre [6].
Les agglutinines froides sont détectées au test de Coomb direct (présence de complément sur les GR du
patient) et indirect (présence d’anticorps sériques). Leur signification clinique tient à leur taux sérique et
à la valeur de la température à laquelle elles sont activées. Les valeurs considérées comme sûres pour la
CEC sont un titre inférieur à 1:32 à une température de 4°C, sans agglutination détectable à 28°C ou audessus [4]. Les probabilités de complications peropératoires deviennent significatives pour des taux
supérieurs à 1:512 à 4°C, ou à 1:128 à 25°C [8].
En salle d'opération, on prend une série de précautions en présence d'agglutinines froides à taux élevé
[6,16].
 Réduction des taux circulants par plasmaphérèse préopératoire si nécessaire ;
 Chirurgie en normothermie (CEC > 34°C) ou à cœur battant ;
 Réchauffement de la salle d’opération et des perfusions ;
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 Cardioplégie chaude (> 34°C) cristalloïde ou au sang ;
 Réchauffer les poches de sang en cas de transfusion ;
 En cas de crise avec hémolyse :
o Réchauffer à 37°C ;
o Améliorer la perfusion périphérique avec un vasodilatateur (nitroprussiate) ;
o Alcaliniser les urines (50-100 mmoles bicarbonate de Na+) ;
o Méthylprednisolone (500 mg) : efficacité discutée.
Moyennant ces précautions, les malades porteurs d'agglutinines froides peuvent être opérés en CEC sans
agravation de la morbi-mortalité.
Maladies hématologiques
Les hémopathies congénitales sont rares, à l’exception de la maladie de von Willebrand et de
l’hémophilie. Le risque hémorragique est lié au taux de facteur insuffisant, mais non aux examens de
laboratoire standards (TT, TP, aPTT). A l’exception des formes bénignes, les facteurs déficients doivent
être remplacés individuellement en périopératoire. La substitution n’est efficace que si quatre conditions
sont remplies: plaquettes > 70’000/mcL, calcémie > 1 mmol/L, fibrinogénémie ≥ 2 g/L, hémoglobine ≥
80 g/L. L’administration d’acide tranexamique (1 g) à l’induction est un appoint utile. L’aspirine et les
AINS sont à éviter dans le postopératoire; prévoir paracétamol ou opioïdes.
Hémoglobinopathies: drépanocytose (anémie falciforme) et thalassémie. Précautions opératoires:
- Amorçage de la CEC avec du sang
- Pompes centrifuges, faible puissance dans les aspirations, pas de Cellsaver
- Maintenir PAM ≥ 70 mmHg, débit de pompe environ 3.0-3.5 L/min/m2
- Maintenir excellente oxygénation (SvO2 ≥ 80%) et pH de 7.35-7.44
- Eviter l'hypothermie
- Seuil de transfusion à 100 g/L
Agglutinines froides:
- Forme bénigne précipitant à basse température (0-4°C)
- Forme clinique: taux élevé d'agglutinines précipitant à la température de la circulation
périphérique
Précautions: pas d'hypothermie, réchauffement des perfusats, cardioplégie chaude
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