L’Encéphale
(2013)
39,
306—312
Disponible
en
ligne
sur
www.sciencedirect.com
journal
homepage:
www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MISE
AU
POINT
Ramadan
et
trouble
bipolaire
:
exemple
de
perturbation
du
rythme
circadien
et
son
impact
sur
la
maladie
Ramadan
and
bipolar
disorder:
Example
of
circadian
rhythm
disturbance
and
its
impact
on
patients
with
bipolar
disorders
S.
Eddahbyb,
N.
Kadrib,,
D.
Moussaouia
aCentre
psychiatrique
universitaire
Ibn
Rochd,
Casablanca,
Maroc
bLaboratoire
de
santé
mentale,
cognition
et
psychopathologie,
faculté
de
médecine
et
de
pharmacie,
université
Hassan
II,
centre
psychiatrique
universitaire
Ibn
Rochd,
Casablanca,
Maroc
Rec¸u
le
26
janvier
2012
;
accepté
le
26
novembre
2012
Disponible
sur
Internet
le
30
mars
2013
MOTS
CLÉS
Ramadan
;
Rythme
circadien
;
Troubles
de
l’humeur
;
Patients
bipolaires
;
Rythme
social
;
Horloge
biologique
Résumé
Objectif.
Le
but
de
cet
article
est
d’explorer
l’impact
du
jeûne
du
mois
de
Ramadan
sur
le
trouble
bipolaire,
à
travers
les
données
de
la
littérature.
Matériels
et
méthodes.
Une
revue
de
littérature
à
partir
des
mots
clés
Mesh
dans
la
banque
de
données
Medline
a
été
effectuée.
Une
sélection
de
66
articles
en
franc¸ais
et
en
anglais
de
1970
à
2011,
dont
quatre
abordent
spécifiquement
l’impact
du
jeûne
du
mois
de
Ramadan
sur
les
patients
bipolaires,
14
Ramadan-
santé
et
rythme
circadien
et
48
articles
le
rythme
circadien
et/ou
trouble
de
l’humeur
a
été
réalisée.
Résultats.
Plusieurs
auteurs
stipulent
que
le
cours
de
la
maladie
bipolaire
peut
être
perturbé
par
les
changements
du
rythme
social
qui
surviennent,
par
exemple,
pendant
le
Ramadan
(mois
de
jeûne).
Cependant
les
études
qui
y
ont
été
consacrées
sont
peu
nombreuses.
Kadri
et
al.
2000
ont
étudié
20
patients
bipolaires
jeûneurs
durant
le
mois
de
Ramadan
de
l’an
1417
de
l’hégire
(janvier
1997)
;
les
évaluations
ont
eu
lieu
une
semaine
avant
le
mois
de
jeûne,
les
deuxième
et
quatrième
semaines
du
mois
de
jeûne
et
la
première
semaine
après
la
fin
du
mois.
La
symptomatologie
dépressive
a
été
évaluée
par
l’échelle
de
Hamilton
et
celle
de
la
manie
par
l’échelle
de
Bech-Rafaelsen
;
la
lithiémie
a
également
été
mesurée.
Le
résultat
le
plus
important
était
que
45
%
des
patients
avaient
rechuté,
70
%
durant
la
deuxième
semaine,
et
le
reste
à
la
fin
du
mois.
Farooq
et
al.
en
2010,
ont
étudié
62
patients
bipolaires
jeûneurs
durant
le
mois
de
Ramadan
de
l’an
1427
de
l’hégire
(du
25
septembre
au
24
octobre
2006).
Les
évaluations
ont
eu
lieu
une
semaine
avant
le
mois
de
jeûne,
la
deuxième
semaine
du
mois
de
jeûne
et
la
première
semaine
après
la
fin
du
mois.
La
symptomatologie
dépressive
a
été
Auteur
correspondant.
Adresses
e-mail
:
(S.
Eddahby),
(N.
Kadri).
0013-7006/$
see
front
matter
©
L’Encéphale,
Paris,
2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.11.008
Ramadan
et
trouble
bipolaire
307
évaluée
par
l’échelle
d’Hamilton
et
celle
de
la
manie
par
l’échelle
de
Young
et
la
lithiémie
a
été
mesurée.
Aucun
des
patients
n’a
rechuté
au
cours
de
l’étude.
Conclusion.
Ces
deux
études
importantes
donnent
des
résultats
contradictoires.
Des
études
supplémentaires
de
contrôle
avec
au
moins
une
centaine
de
patients
et
stabilisés
depuis
au
moins
deux
ans.
©
L’Encéphale,
Paris,
2013.
KEYWORDS
Ramadan;
Circadian
rhythm
and
mood
disorder;
Bipolar
patients;
Social
rhythm;
Biological
clock
Summary
Introduction.
Fasting
during
the
Ramadan
month
is
a
cornerstone
of
Islam.
Several
disorders
of
the
chronobiological
rhythms
occur
during
this
month
and
impact
on
mood.
Through
this
paper
the
authors
provide
a
literature
review
of
the
impact
of
fasting
on
patients
with
bipolar
disorders.
Materials
and
subjects.
A
literature
review
using
Mesh
keywords
through
Medline
database.
From
1970
to
2011,
articles
in
French
and
English
were
selected.
Results.
Circadian
rhythm
refers
to
the
approximately
24-hour
cycles
that
are
generated
by
an
organism.
Most
physiological
systems
demonstrate
circadian
variations.
Many
hormones
and
other
metabolisms,
such
as
gastric
pH,
insulin,
glucose,
calcium
and
plasmatic
gastrine,
have
been
shown
to
exhibit
circadian
oscillation.
The
role
of
social
rhythm
in
behaviors
and
its
influence
on
circadian
rhythms
in
humans
is
now
obvious.
It
has
been
shown
that
the
lack
of
concentration
and
irritability
increased
continuously
during
Ramadan
month
and
reached
its
peak
at
the
end
of
the
month.
Mood
and
vigilance
are
significantly
decreased
during
the
fasting
month.
Several
authors
have
stated
that
the
course
of
bipolar
illness
may
be
affected
by
the
changes
in
social
rhythm
that
occur
during
Ramadan
(fasting
month).
Studies
which
have
been
devoted
to
this
topic
are
sparse.
Kadri
et
al.,
in
2000,
studied
20
bipolar
patients
during
the
fasting
month
of
Ramadan
of
1417
(Hegirian
calendar,
corresponding
to
January
1997).
Diagnosis
of
bipolar
disorder
was
made
according
to
ICD-10
criteria.
Patients
were
assessed
during
the
week
before
Ramadan,
the
second
and
the
fourth
weeks
of
the
fasting
month
and
the
first
week
after
its
end,
with
the
Hamilton
Depression
and
Bech-Rafaelsen
scales.
The
plasma
concentration
of
lithium
was
also
assessed.
The
main
finding
of
the
study
was
that
45%
of
the
patients
relapsed,
70%
during
the
second
week,
and
the
remaining
patients
at
the
end
of
Ramadan.
These
relapses
were
not
related
to
plasma
concentration
of
lithium.
Most
of
the
relapses
were
manic
(71,4%).
Patients
who
did
not
relapse
had
more
insomnia
and
anxiety
during
the
second
and
third
weeks
of
the
study.
The
side
effects
of
lithium
increased
and
were
seen
in
48%
of
the
sample,
mostly
dryness
of
the
mouth
with
thirst
and
tremor.
However,
Farooq
et
al.
in
2006
studied
62
bipolar
patients
during
the
fasting
month
of
Ramadan
1427
(from
25
September
to
24
October
2006).
Serum
lithium,
electrolytes,
Hamilton
Depression
Rating
Scale
(HDRS)
and
Young
Mania
Rating
Scale
(YMRS)
were
assessed,
one
week
before
Ramadan,
mid
Ramadan
and
one
week
after
Ramadan.
The
side
effects
and
toxicity
were
measured
by
symptoms
and
signs
checklist.
There
was
no
significant
difference
in
mean
serum
lithium
levels
at
three
time
points.
The
scores
on
HDRS
and
YMRS
showed
significant
decrease
during
Ramadan
(F
=
34,12,
P
=
0,00,
for
HDRS
and
F
=
15,6,
P
=
0,000
for
YMRS).
Also
the
side
effects
and
toxicity
did
not
differ
significantly
at
the
three
point’s
assessment.
Conclusion.
All
physiologic
parameters
are
influenced
by
the
circadian
rhythm,
which
is
influenced
in
its
turn
by
the
food
rhythm.
So
far,
the
results
of
these
two
main
studies,
with
opposite
results,
do
not
help
us
advise
bipolar
patients
to
fast
or
not
to
fast.
Other
studies
in
this
field
are
badly
needed.
©
L’Encéphale,
Paris,
2013.
Introduction
Pendant
le
mois
de
Ramadan,
l’un
des
cinq
piliers
de
l’Islam,
le
jeûne
est
un
devoir
pour
tous
les
Musulmans
adultes
et
sains.
Durant
ce
mois,
il
y
a
une
rupture
importante
et
brutale
des
rythmes
chronobiologiques
et
une
restriction
de
sommeil
avec
changement
de
l’horaire
des
repas,
de
la
durée
et
l’horaire
du
sommeil,
du
cycle
activité/repos.
Le
rythme
social
joue
un
rôle
important
dans
la
phase
de
remise
à
zéro
des
rythmes
circadiens
chez
des
sujets
humains
[1,2].
Plusieurs
études
[3—5]
ont
établi
un
lien
entre
les
perturba-
tions
de
ces
rythmes
et
les
troubles
de
l’humeur.
L’objectif
de
cet
article
est
d’explorer
l’impact
du
jeûne
sur
le
trouble
bipolaire
à
travers
les
données
scientifiques
existantes.
Nous
rappelons
dans
un
premier
temps
la
physiologie
du
rythme
circadien
et
l’impact
du
jeûne
du
mois
de
Ramadan
sur
celle-
ci,
puis
nous
analysons
les
études
qui
ont
exploré
l’impact
du
Ramadan
sur
le
trouble
bipolaire.
Rythme
circadien
Le
rythme
circadien
est
l’ensemble
des
processus
physio-
logiques
rythmiques
ayant
une
période
d’environ
24
heures
[6].
Son
rôle
principal,
chez
l’homme,
est
d’optimiser
le
308
S.
Eddahby
et
al.
métabolisme
et
l’utilisation
de
l’énergie
pour
soutenir
le
maintien
des
processus
vitaux
de
l’organisme
[7].
Il
per-
met
l’adaptation
d’un
organisme
vivant
aux
variations
des
facteurs
extérieurs,
en
particulier
la
photopériode.
Prati-
quement
toutes
les
variables
biologiques
et
les
fonctions
physiologiques
tels
la
température
corporelle,
le
cycle
activité—repos
et
la
sécrétion
de
nombreuses
hormones
(mélatonine,
cortisol,
hormone
de
croissance),
expriment
des
fluctuations
journalières
prévisibles
et
régulières
de
leur
rythme
[8].
Le
rythme
circadien
est
contrôlé
par
une
horloge
interne
principale
localisée
chez
l’homme
dans
les
noyaux
suprachiasmatiques.
Ainsi,
le
rythme
circadien
est
biologi-
quement
inscrit
dans
le
système
nerveux
central
tout
en
étant
modulé
par
des
facteurs
externes
appelés
synchroni-
seurs
(Zeitgebers)
[9].
Rythme
circadien
et
prise
alimentaire
Chez
l’homme
adulte,
l’un
des
mécanismes
par
lequel
la
prise
alimentaire
pourrait
constituer
un
synchroniseur
a
été
suggéré
par
la
balance
des
acides
aminés
plasmatiques
sui-
vant
un
repas
riche
en
glucides
ou
en
protides
[10].
L’heure
de
la
prise
alimentaire
entraîne
une
grande
variété
de
modi-
fications
des
rythmes
des
variables
biologiques
[11—13].
Une
étude
des
rythmes
biologiques
pendant
le
mois
du
Rama-
dan
[14],
portant
sur
le
pH
gastrique,
l’insuline,
le
glucose,
le
calcium
et
la
gastrine
plasmatique,
a
montré
une
modi-
fication
de
leur
profil
circadien.
Cette
dernière
persiste
pour
certaines
variables
un
mois
après
le
rétablissement
du
nombre
et
des
horaires
des
repas.
Une
autre
étude
[15],
menée
avant
et
pendant
le
mois
de
Ramadan
sur
les
taux
circulants
de
mélatonine,
d’hormones
stéroïdes
et
hypophy-
saires
a
montré
également
une
modification
de
leur
profil
circadien,
or
la
qualité
de
synchroniseur
de
la
prise
alimen-
taire.
Rythmes
circadiens
et
rythmes
sociaux
Les
synchroniseurs
prépondérants
chez
l’homme
sont
essentiellement
de
nature
socio-écologique,
comme
les
alternances
lumière—obscurité
et
veille—sommeil.
À
cet
égard,
il
faut
souligner
l’importance
du
sommeil
dans
la
structure
des
rythmes
circadiens
[16—18].
Ce
rôle
a
été
bien
mis
en
évidence
chez
l’homme
par
les
expériences
de
privation
de
sommeil
[19,20].
D’autres
études
ont
montré
l’importance
de
la
lumière
dans
l’entraînement
du
système
circadien
chez
l’homme
[21,22].
Dans
les
conditions
de
tra-
vail
s’accompagnant
d’une
inversion
ou
de
modifications
importantes
des
horaires
de
la
vie
sociale,
comme
le
travail
posté
ou
de
nuit,
l’horloge
biologique
n’est
plus
en
phase
avec
l’environnement.
Cela
entraîne
des
troubles
connus
sous
le
terme
d’intolérance
au
travail
posté
[23,24].
Les
fac-
teurs
exogènes
interviennent
de
fac¸on
sensible
sur
le
rythme
circadien
de
la
température,
de
la
pression
artérielle,
des
battements
cardiaques,
du
calibre
bronchique.
Ces
fonc-
tions
augmentent
avec
les
activités
physique
ou
mentale
et
diminuent
pendant
le
sommeil
[25].
De
même,
on
connaît
le
rôle
de
la
lumière
dans
la
suppression
de
la
sécrétion
de
la
mélatonine
[26,27]
ainsi
que
le
lien
entre
la
sécrétion
de
l’hormone
de
croissance,
de
la
prolactine
et
le
sommeil
[28].
Certains
facteurs
peuvent
conduire
à
la
désynchronisa-
tion
de
la
structure
circadienne
endogène.
Ils
peuvent
être
externes
concernant
des
modifications
de
l’environnement
(décalage
horaire,
travail
posté,
anesthésie...)
ou
interne
(vieillissement,
cancer.
.
.)
[29].
Cette
désynchronisation
entraîne
des
perturbations
des
rythmes
circadiens
provo-
quant
fatigue,
mauvaise
qualité
de
sommeil,
ainsi
que
troubles
de
la
mémoire,
de
l’appétit
et
de
l’humeur
[23].
Ramadan
et
rythme
circadien
Le
mois
du
Ramadan
est
considéré
dans
la
tradition
musul-
mane
comme
étant
le
meilleur
mois,
pendant
lequel
se
déroule
la
nuit
du
destin
(laylat
al-qadr).
Au
cours
de
cette
dernière,
le
Coran
fut
révélé
au
prophète
Mohammed.
Le
Ramadan
se
produit
au
neuvième
mois
du
calendrier
lunaire.
Il
dure
entre
29
et
30
jours
et
peut
débuter
à
n’importe
quelle
saison
de
l’année
grégorienne.
Ainsi,
la
durée
du
jeûne
varie
entre
11
heures
et
18
heures
par
jour
selon
la
saison.
Durant
cette
période
de
jeûne,
il
est
interdit
de
man-
ger,
de
fumer,
de
boire
et
d’avoir
des
relations
sexuelles
du
lever
jusqu’au
coucher
du
soleil.
Prise
alimentaire
Les
repas
sont
obligatoirement
pris
durant
la
nuit.
Leur
fréquence
varie
entre
deux
et
trois
principaux
selon
les
cultures.
Le
premier,
constant,
est
le
repas
de
la
rupture
du
jeûne.
Il
se
situe
immédiatement
après
le
coucher
du
soleil
;
le
second,
le
dîner,
se
prend
à
des
horaires
variables
selon
les
coutumes
de
la
région
concernée.
Il
est
servi
en
moyenne
trois
à
quatre
heures
après
le
premier
repas
mais
certaines
familles
le
prennent
une
heure
ou
deux
heures
après
le
pre-
mier
repas.
Vient
enfin
le
dernier
repas
qui
se
situe
entre
une
heure
et
une
demi-heure
avant
le
lever
du
jour.
La
qua-
lité
de
ces
repas
change
également
:
ils
sont
généralement
plus
riches
en
glucides
et
en
lipides
et
moins
riches
en
eau
et
en
crudités.
Rythmes
sociaux
La
nécessité
de
se
nourrir
pendant
la
nuit
influence
le
som-
meil
chez
les
pratiquants.
Ce
dernier
se
trouve
raccourci
de
deux
heures
environ,
décalé
de
trois
à
quatre
heures
et
sou-
vent
entrecoupé
par
le
dernier
repas
en
fin
de
nuit.
Aussi,
un
grand
nombre
de
Musulmans
jeûneurs
passent
une
grande
partie
de
leur
temps
à
prier
le
soir
à
la
mosquée
:
prière
«
tarawih
».
C’est
une
prière
qui
se
pratique
au-delà
des
cinq
prières
usuelles.
Par
ailleurs,
les
veillées
«
ramadanesques
»
sont
marquées
par
les
réunions
familiales
et
la
multiplication
des
invitations
à
domicile
le
soir
et
par
les
différentes
pra-
tiques
religieuses.
Les
horaires
de
travail
varient
d’un
pays
à
l’autre.
Généralement,
il
commence
plus
tard
le
matin
et
finit
quelques
heures
avant
le
Ftour,
il
est
raccourci
en
durée.
Irritabilité
Il
a
été
démontré,
dans
le
cadre
d’un
travail
effectué
par
Kadri
et
al.
sur
l’irritabilité
pendant
le
mois
de
Ramadan
Ramadan
et
trouble
bipolaire
309
[30],
que
celle-ci
augmente
régulièrement
pendant
la
jour-
née,
durant
le
mois
de
Ramadan
et
atteint
son
pic
à
la
fin
du
mois.
La
consommation
des
psychostimulants
(café
et
thé)
et
le
niveau
d’anxiété
suivent
la
même
évolution.
L’irritabilité
augmente
de
fac¸on
plus
importante
chez
les
fumeurs
par
rapport
aux
non-fumeurs.
La
concentration
Afifi
[31]
avait
trouvé,
durant
le
mois
de
Ramadan,
une
dimi-
nution
de
la
capacité
à
se
concentrer
et
une
diminution
de
l’activité
quotidienne
chez
50
%
d’une
population
étudiée
composée
de
265
étudiants
universitaires.
L’humeur
et
la
vigilance
D’autres
auteurs
ont
trouvé
que
l’humeur
et
la
vigilance
diminuent
significativement
à
9
h
du
matin
et
à
16
heures
durant
le
mois
de
Ramadan
[32,33].
Le
chronotype
et
la
somnolence
Taoudi-Benchekroun
M
et
al.
[34]
et
Bahammam
[35]
ont
exploré
le
chronotype
et
la
somnolence
diurne,
respective-
ment
avant
et
pendant
le
mois
du
Ramadan.
Ces
travaux
ont
montré
que
le
pourcentage
des
sujets
qui
dorment
entre
22
heures
et
minuit
diminue
avec
une
augmentation
du
nombre
de
personnes
qui
dorment
au-delà
de
minuit.
L’heure
du
réveil
est
aussi
retardée.
Le
chronotype
a
changé
significativement
pendant
le
mois
du
Ramadan
avec
une
aug-
mentation
du
pourcentage
du
chronotype
vespéral
et
une
diminution
du
pourcentage
du
chronotype
matinal.
La
som-
nolence
diurne
augmente
aussi
d’une
manière
significative.
Le
sommeil
nocturne
Roky
et
al.
[36]
ont
exploré
le
sommeil
nocturne
pendant
le
mois
de
Ramadan.
Ils
ont
montré
que
l’heure
du
sommeil
est
retardée
de
48
minutes
au
début
et
de
53
minutes
à
la
fin
du
Ramadan
en
comparaison
avec
les
horaires
d’avant
le
mois.
L’heure
du
lever
est
retardée
de
49
à
65
minutes
au
début
et
à
la
fin
du
Ramadan
respectivement.
Elle
est
restée
retardée
de
29
min
pendant
les
18
jours
de
récupération
après
le
mois
du
Ramadan.
Dans
ces
modifications
des
habitudes
de
vie
pendant
le
mois
Ramadan,
il
existe
indéniablement
un
changement
du
rythme
de
vie
impliquant
particulièrement
le
sommeil,
les
repas
et
à
moindre
échelle
l’alternance
repos-activité.
Il
y
a
une
rupture
importante
des
rythmes
chronobiologiques
avec
une
restriction
de
sommeil.
Ramadan
et
trouble
bipolaire
Plusieurs
travaux
ont
exploré
l’impact
du
jeûne
du
mois
de
Ramadan
sur
la
santé
du
jeûneur
[37—40].
Cependant,
les
études
sur
Ramadan
et
les
troubles
psychiatriques
sont
peu
nombreuses.
Sur
une
recherche
bibliographique
approfon-
die,
nous
n’avons
trouvé
que
deux
études
explorant
l’impact
du
jeûne
sur
l’humeur
chez
les
patients
suivis
pour
troubles
bipolaires.
Par
ailleurs,
d’autres
travaux
non
publiés
ont
exploré
l’effet
du
jeûne
du
mois
de
Ramadan
sur
l’usage
de
drogues
et
d’alcool
[41].
Cent
jeûneurs
consommateurs
d’au
moins
une
substance
ont
été
inclus
dans
l’étude
(92
%
étaient
consommateurs
de
cigarettes,
33
%
du
haschich,
6
%
du
kif,
11
%
de
psychotropes
et
39
%
d’alcool
avant
le
mois
de
jeûne).
La
majorité
(92
%)
était
de
sexe
masculin,
l’âge
moyen
était
de
31,38
années.
Les
évaluations
ont
eu
lieu
une
semaine
avant
et
les
deuxième
et
quatrième
semaines
du
mois
de
jeûne.
La
consommation
quotidienne
de
ciga-
rettes
est
passée
de
20
à
15
entre
avant
et
durant
le
mois
de
Ramadan,
celle
du
haschich
de
5,17
à
4,24
joints
par
jour
entre
avant
et
durant
le
mois
de
Ramadan.
En
revanche,
la
consommation
de
psychotropes
a
connu
une
augmentation
durant
le
mois.
En
moyenne,
la
consommation
d’alcool
a
été
arrêtée
24,5
jours
avant
le
début
du
mois.
Environ
la
moitié
des
personnes
(58,5
%)
ont
respecté
les
40
jours
d’abstinence
avant
le
démarrage
du
Ramadan.
À
noter
que
cette
période
d’abstinence
est
dictée
comme
nécessaire,
socialement.
Elle
n’a
aucune
base
religieuse,
puisque
la
consommation
d’alcool
est
interdite
à
tout
moment
de
l’année.
Aucun
patient
n’a
présenté
de
delirium
tremens.
Cependant
des
répercussions
négatives
sur
la
vie
sociale
des
participants
ont
été
importantes
:
augmentation
de
l’irritabilité,
de
l’insomnie,
du
retard
et
de
l’absentéisme
professionnels.
La
périodicité
de
certaines
maladies
mentales
et
l’altération
de
certains
rythmes
sont
décrites
depuis
la
fin
du
xixesiècle,
voire
le
début
du
xxeavec
Kraepelin
[42].
Les
premières
études
sur
les
rythmes
et
les
troubles
de
l’humeur
[13,43—45]
ont
mis
en
évidence
des
modifications
de
la
distribution
temporelle,
de
l’excrétion
urinaire
des
17
cétostéroïdes
chez
les
patients
cyclothymiques.
Dès
les
années
1960,
Lobban
et
al.
[46]
et
Moody
et
Alsopp
[47]
évoquent
une
avance
de
phase
du
rythme
biologique
dans
la
dépression.
De
ces
travaux
naîtra
en
1975
l’hypothèse
de
Papousek
[48]
sur
l’origine
chronobiologique
des
troubles
de
l’humeur.
Plusieurs
études
[3—5,49]
ont
établi
un
lien
entre
les
perturbations
des
rythmes
circadiens
et
les
troubles
de
l’humeur.
Le
rythme
social
joue
un
rôle
important
dans
la
phase
de
remise
à
zéro
des
rythmes
circadiens
chez
les
humains
[1,2].
Les
«
zeitstorers
»
peuvent
induire
des
épi-
sodes
maniaques.
Ces
derniers
englobent
la
privation
de
sommeil
[50,51],
les
voyages
transméridiens
[52],
la
per-
turbation
des
rythmes
sociaux
[53,54].
Il
a
été
montré
que
la
privation
de
sommeil
(patient
que
l’on
empêche
de
dormir,
en
situation
très
contrôlée)
peut
faire
passer
un
patient
bipolaire
déprimé
en
phase
hypomane
dans
6
%
des
cas,
voire
en
phase
maniaque
dans
5
%
des
cas
[55].
Par
ailleurs,
lorsque
le
sommeil
est
déplacé
de
fac¸on
bru-
tale,
la
relation
temporelle
entre
le
cycle
veille/sommeil
et
l’horloge
interne
est
perturbée.
Ce
changement
peut
altérer
l’humeur
pendant
la
période
d’éveil.
La
prévalence
élevée
des
troubles
de
l’humeur
chez
les
travailleurs
postés
va
dans
le
sens
de
cette
hypothèse
[56].
Il
semble
que
les
sujets
avec
trouble
bipolaire
présentent
au
cours
des
périodes
intercritiques
une
instabilité
émotionnelle
qui
les
rendrait
plus
vulnérables
au
stress
[57].
Les
épisodes
thymiques
des
troubles
bipolaires
peuvent
être
déclenchés
par
le
stress
et
les
événements
de
vie
[58].
Le
stress
quotidien
et
les
pertur-
bations
des
routines
peuvent
générer
des
troubles
du
spectre
bipolaire
[59].
Ainsi
des
thérapies
basées
sur
la
stabilisa-
tion
des
rythmes
sociaux
et
des
relations
interpersonnelles,
310
S.
Eddahby
et
al.
associées
au
maintien
du
traitement
pharmacologique
habi-
tuel,
réduisent
les
symptômes
dépressifs.
Ces
interventions
minimisent
aussi
le
risque
de
virage
de
l’humeur
maniaque
et
améliorent
la
qualité
de
rémission
des
patients
[60,61].
Le
modèle
de
compréhension
étiopathogénique
des
troubles
bipolaires
fait
référence
au
modèle
biopsychosocial.
Sur
un
plan
théorique,
on
peut
décrire
une
succession
causale
:
les
événements
de
vie
sont
à
l’origine
des
dérèglements
des
rythmes
sociaux,
générateurs
de
perturbation
des
rythmes
biologiques,
qui
entraînent
des
récurrences
dépressives
et
maniaques
[62].
Pendant
le
mois
de
Ramadan,
l’inversion
des
rythmes
alimentaires
et
sociaux
favorise
un
coucher
plus
tardif.
Associés
aux
modifications
du
sommeil,
on
observe
des
per-
turbations
du
rythme
circadien
et
de
température
[45].
Kadri
et
al.
[63]
ont
étudié
des
patients
bipolaires
jeû-
neurs
qui
étaient
euthymiques
sous
lithiothérapie
pendant
au
moins
trois
mois
avant
le
démarrage
de
l’étude,
et
avant
l’inclusion.
Vingt
patients
bipolaires
ont
été
inclus
durant
le
mois
de
Ramadan
(1417,
année
hégirienne)
correspondant
à
janvier
1997.
Les
évaluations
ont
eu
lieu
une
semaine
avant
le
mois
de
jeûne
et
les
deuxième
et
quatrième
semaines
du
mois
de
jeûne
ainsi
que
la
première
semaine
après
la
fin
du
mois
de
Ramadan.
La
symptomatologie
dépressive
a
été
évaluée
par
l’échelle
d’Hamilton
et
celle
de
la
manie
par
l’échelle
de
Bech-Rafaelsen.
L’évaluation
du
taux
plasmatique
du
lithium
a
suivi
le
même
schéma.
Le
résultat
le
plus
important
était
que
45
%
des
patients
avaient
rechuté
;
70
%
durant
la
deuxième
semaine
et
le
reste
à
la
fin
du
mois.
Ces
rechutes
n’étaient
pas
corré-
lées
aux
variations
des
taux
plasmatiques
du
lithium.
La
plupart
des
rechutes
étaient
de
type
maniaque
(71,4
%).
Ceux
qui
n’ont
pas
rechuté
se
sont
plaints
d’insomnie
et
d’anxiété
durant
les
deuxième
et
troisième
semaines
du
mois.
Les
effets
secondaires
du
lithium
avaient
augmenté
et
ont
été
observés
dans
48
%
de
l’échantillon.
Ils
étaient
à
type
de
sécheresse
de
la
bouche,
soif
et
tremblement.
Les
résultats
de
cette
étude
pilote
indiquent
que
le
mois
de
Ramadan
peut
perturber
l’état
de
l’humeur
des
patients
bipolaires.
Farooq
et
al.
en
2006
[64]
ont
étudié
des
patients
bipo-
laires
jeûneurs
qui
étaient
euthymiques
sous
lithiothérapie
pendant
au
moins
trois
mois
avant
le
démarrage
de
l’étude,
et
avant
l’inclusion.
Soixante-deux
patients
bipolaires
ont
été
inclus
durant
le
mois
de
Ramadan
de
l’an
1427
de
l’hégire
(du
25
septembre
au
24
octobre
2006).
Les
évalua-
tions
ont
eu
lieu
une
semaine
avant
le
mois
de
jeûne,
la
deuxième
semaine
du
mois
de
jeûne
et
la
première
semaine
après
la
fin
du
mois
de
jeûne.
La
symptomatologie
dépres-
sive
a
été
évaluée
par
l’échelle
d’Hamilton
et
celle
de
la
manie
par
l’échelle
de
Young.
L’évaluation
du
taux
plasma-
tique
du
lithium
et
des
électrolytes
(sodium,
potassium
et
chlore)
a
suivi
le
même
schéma.
Cette
étude
n’a
pas
relevé
de
différence
significative
pour
la
lithiémie
ni
pour
le
taux
plasmatique
des
électrolytes
aux
trois
points
d’évaluation.
Aucun
patient
n’a
rechuté
au
cours
de
l’étude.
Il
y
avait
des
différences
statistiquement
significatives
sur
les
deux
scores
HDRS
et
YMRS
montrant
une
amélioration
dans
la
dépression
et
la
manie,
pendant
et
après
le
Ramadan.
Il
n’y
avait
pas
de
différence
significative
pour
les
effets
secon-
daires
du
lithium
entre
les
trois
points
d’évaluation
sauf
pour
trois
paramètres
:
réduction
de
la
prise
du
poids
et
de
l’œdème
pendant
et
après
Ramadan
et
une
augmentation
de
l’agitation
au
cours
du
Ramadan.
Il
est
difficile
d’expliquer
ces
résultats
;
Kadri
et
al.
[63]
avaient
un
petit
échantillon
de
19
patients
(un
patient
ayant
abandonné
l’étude
pour
une
raison
sociale
avant
la
deuxième
évaluation).
Ils
ont
préconisé
deux
évaluations
durant
le
mois
de
Ramadan.
Farooq
et
al.
[64]
ont
évalué
les
patients
une
seule
fois
durant
le
mois
de
Ramadan
à
la
deuxième
semaine
et
n’attribuent
donc
pas
l’absence
de
rechute
dans
leur
étude
à
un
manque
d’observation
ou
de
déclaration.
Farooq
et
al.
ont
observé
une
baisse
continue
des
scores
HDRS
et
YMRS
même
après
le
Ramadan,
ce
changement
dans
les
scores
est
probablement
aux
effets
physiolo-
giques
du
jeûne
sur
les
symptômes
somatiques
de
troubles
de
l’humeur
d’où
l’intérêt
d’évaluer
la
spiritualité
sur
un
plus
grand
nombre
de
patients.
Bien
que
dans
ces
deux
études
le
taux
moyen
de
lithium
soit
resté
dans
la
four-
chette
thérapeutique,
il
faut
souligner
que
la
dose
moyenne
de
lithium
a
été
relativement
faible.
Les
patients
avec
des
doses
plus
élevées
auraient
peut-être
plus
d’effets
secon-
daires.
De
plus,
la
température
moyenne
pendant
la
période
de
l’étude
pakistanaise
était
autour
de
30 C.
Dans
beaucoup
de
pays
tropicaux
avec
une
grande
population
musulmane,
les
températures
pendant
l’été
peuvent
être
beaucoup
plus
hautes.
Il
est
donc
important
d’étudier
l’effet
de
jeûne
dans
des
conditions
climatiques
différentes
et
d’évaluer
aussi
les
rythmes
sociaux
par
des
mesures
spécifiques.
Hosseini
et
al.
en
2010
[65]
ont
évalué
la
prévalence
du
trouble
bipolaire
(phase
maniaque)
chez
les
patients
hospitalisés
au
service
psychiatrique
de
l’hôpital
de
Zare
(Iran)
durant
le
mois
de
Ramadan
en
comparaison
avec
les
autres
mois
du
calendrier
lunaire
pendant
quatre
années
successives
de
2003
à
2006.
L’étude
n’a
pas
trouvé
de
différence
significative
pour
le
nombre
de
patients
hospitalisés
pendant
le
mois
de
Rama-
dan
par
rapport
aux
autres
mois
lunaires.
Cependant,
le
taux
d’hospitalisation
avait
particulièrement
augmenté
au
mois
de
Chawal
(le
premier
mois
suivant
le
Ramadan).
Le
changement
du
rythme
du
sommeil
(réduction
de
sommeil)
pendant
le
mois
de
Ramadan
est
fortement
suspecté
dans
la
rechute
maniaque
des
patients
bipolaires.
L’impossibilité
de
prise
médicamenteuse
au
cours
de
la
journée,
la
déshy-
dratation
et
les
autres
changements
des
rythmes
sociaux
influent
le
métabolisme
des
médicaments
et
les
symptômes
d’exacerbation
du
trouble
bipolaire
[66].
La
validité
du
Ramadan
comme
modèle
pour
étudier
l’impact
des
rythmes
sociaux
sur
les
patients
bipolaires
demande
encore
à
être
confirmée
sur
des
effectifs
plus
importants
mais
elle
apparaît
dès
à
présent
comme
un
para-
digme
de
recherche
intéressant.
Conclusion
et
recommandations
Pratiquement
tous
les
paramètres
physiologiques
humains
sont
soumis
à
un
rythme
circadien
quotidien,
qui
est
lui-
même
influencé
par
le
rythme
alimentaire.
Ces
rythmes
se
trouvent
altérés
lors
du
mois
de
Ramadan
et
peuvent
affecter
le
cours
de
la
maladie
bipolaire.
À
ce
jour,
les
données
de
la
littérature
ne
permettent
pas
d’aboutir
à
un
consensus
sur
l’impact
du
mois
de
Ramadan
sur
les
patients
bipolaires.
Conseiller
les
patients
bipolaires
sur
le
jeûne
de
1 / 7 100%