Les métastases osseuses de l’adénocarcinome prostatique sont fré-
quentes, les localisations orbitaires sont exceptionnelles.
Le diagnostic de métastase orbitaire est facile lorsque le cancer pro-
statique est déjà connu. Dans le cas contraire, l’imagerie oriente le
diagnostic qui sera confirmé par la ponction aspiration cytologique
avec étude immunohistochimique. Une prise en charge urgente est
nécessaire, vu la mise en jeu du pronostic oculaire.
A travers notre cas et une revue de la littérature, nous étudierons les
particularités cliniques, radiologiques, thérapeutiques et évolutives
de l’extension exceptionnelle à l’orbite du cancer de la prostate.
OBSERVATION
Monsieur K.A., âgé de 71 ans, s’est présenté aux urgences pour une
protrusion oculaire avec une baisse de la vision à gauche et des
céphalées intenses d’apparition brutale.
L’examen clinique a retrouvé un patient en assez bon état général,
présentant une exophtalmie gauche, une diplopie avec une baisse de
l’acuité visuelle gauche à 2/10 alors qu’à droite elle est de 10/10 et
une tuméfaction temporo-pariétale dure à gauche (Figure 1).
Par ailleurs ce patient rapportait une symptomatologie urinaire faite
de dysurie et de pollakiurie évoluant depuis trois mois. Le toucher
rectal a retrouvé une prostate augmentée de taille et de consistance
dure.
L’IRM cranio-cérébrale a retrouvé un processus ostéolytique inté-
ressant la grande aile du sphénoïde gauche avec envahissement
intra-orbitaire responsable d’exophtalmie. Un autre foyer ostéoly-
tique intéressait la région temporo-pariétale gauche avec une com-
posante endo et exocrânienne. Ces aspects radiologiques associés
au contexte clinique sont compatibles avec une lésion secondaire
(Figure 2 a,b).
Le dosage de PSA était de 13327 ng/ml (normal : < 4 ng/ml). La
ponction biopsie prostatique a confirmé le diagnostic d'adénocarci-
nome prostatique avec un score de Gleason de 8 (5+3).
Le traitement en urgence a consisté en une radiothérapie Cranio-
cérébrale à la dose de 40 Gray en 20 séances avec un surdosage au
niveau de l’orbite et de l’os sphénoïdal gauche jusqu’à 60 Gray. Un
cache a permis de protéger le cristallin. Cette radiothérapie a été
délivrée par les photons gamma d’un cobalt 60 et associée à une
hormonothérapie à base des anti-androgènes et à une corticothéra-
pie.
L'évolution, après un mois et demi du traitement a été marquée par
l’amélioration de l’acuité visuelle et la régression de l'exophtalmie
et de la tuméfaction temporo-pariétale (Figure 3). Le contrôle sca-
nographique a révélé une disparition des lésions sphénoïdales avec
régression de la protrusion oculaire et de la tuméfaction temporo-
pariétale remplacée par une hypodensité temporale gauche non
rehaussée par l'injection du produit de contraste (Figure 4). Le PSA
de contrôle à sept mois était de 21,9 ng/ml.
CAS CLINIQUE Progrès en Urologie (2005), 15, 85-88
Métastase orbitaire d’un adénocarcinome prostatique
Amine EL MEJJAD (1),Hassan JOUHADI (2),Hamid FEKAK (1),Redouane RABII (1),Saad BENNANI (1),
Abdellatif BENIDER (2),Mohamed EL MRINI (1)
(1) Service d’Urologie A, (2) Service d’Oncologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc
RESUME
Le cancer de la prostate se complique volontiers de métastases osseuses, cependant certains sites métastatiques
restent rares et inhabituels. Nous rapportons un cas exceptionnel de métastase orbitaire ayant révélé un adéno-
carcinome prostatique. Un homme de 71 ans ayant été admis pour une protrusion oculaire avec une baisse de
l’acuité visuelle à gauche. L’examen clinique a retrouvé en plus des troubles ophtalmologiques une tuméfaction
temporo-pariétale gauche avec au toucher rectal une prostate suspecte. L’IRM cranio-cérébrale a retrouvé un
processus ostéolytique intéressant la grande aile du sphénoïde gauche avec envahissement intra-orbitaire. Un
autre foyer ostéolytique intéressait la région temporo-pariétale gauche avec une composante endo et exocrâ-
nienne. Le PSA était à 13327 ng/ml. La biopsie prostatique a confirmé l’adénocarcinome prostatique. Le traite-
ment a comporté une radiothérapie Cranio-cérébrale associée à une hormonothérapie à base d’anti-androgènes
et une corticothérapie. L’évolution s’est caractérisée après un mois et demi du traitement par une amélioration
de l’acuité visuelle et la régression de l’exophtalmie et de la tuméfaction temporo-pariétale.
La métastase orbitaire d’un adénocarcinome prostatique pose le problème de l’urgence ophtalmique. La radio-
thérapie cranio-cérébrale et l’hormonothérapie anti-androgénique permettent la régression de la symptomato-
logie sans pour autant modifier l’évolution défavorable de la maladie.
Mots clés : Métastase orbitaire, adénocarcinome prostatique, radiothérapie cranio-cérébrale.
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Manuscrit reçu : avril 2004, accepté : juin 2004
Adresse pour correspondance : Dr.A. El Mejjad, Service d’Urologie A, CHU Ibn Rochd,
Casablanca, Maroc.
Ref : EL MEJJAD A., JOUHADI H., FEKAK H., RABII R., BENNANI S., BENIDER A.,
EL MRINI M., Prog. Urol., 2005, 15, 85-88
DISCUSSION
Les métastases orbitaires sont rares, 2 à 10% de l'ensemble des
lésions malignes de l'orbite [4]. Elles sont le plus souvent secon-
daires au cancer du sein et du poumon, rarement au cancer de la
prostate [2]. FONT et PEREZ [5, 7] rapportent dans leur série respec-
tive de 28 et 23 cas de métastases orbitaires deux cas secondaires à
un cancer de prostate. Jusqu’à présent le nombre total de métasta-
ses orbitaires du cancer prostatique (MOCP) rapporté dans la litté-
rature est de 34 cas.
L’extension à l'orbite d’un adénocarcinome prostatique se fait par
deux voies; en cas de localisation pulmonaire secondaire, les embo-
lies tumorales passent à travers la circulation pulmonaire dans les
artères carotidiennes et de là vers les artères ophtalmiques [2]. En
l’absence de métastases pulmonaires, les cellules tumorales ense-
mencent le plexus de Batson et regagnent les sinus veineux crâniens
puis les veines ophtalmiques [2, 3].
Il est rare que le cancer prostatique soit déjà connu, faisant évoquer
d’emblée la localisation secondaire [1, 4]. Le plus souvent (58%
des cas), les MOCP comme les autres métastases orbitaires, sont
A. El Mejjad et coll., Progrès en Urologie (2005), 15, 85-88
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Figure 1. Aspect du patient avec exophtalmie gauche et tuméfaction
temporo-pariétale.
Figure 2 a. IRM cérébrale : deux foyers d'ostéolyse : la grande aile
du sphénoïde gauche avec envahissement intra-orbitaire.
Figure 2 b. IRM cérébrale : deux foyers d’ostéolyse : la région tem-
poro-pariétale gauche avec composante endo et exocrânienne.
Figure 3. Aspect du patient après traitement avec régression de
l'exophtalmie et de la tuméfaction temporo-pariétale.
détectées avant la découverte du néoplasme primitif [4]. Il s’agit,
souvent d’un patient de la septième décade présentant brutalement
une exophtalmie, une diplopie, une baisse de l'acuité visuelle et des
céphalées [1, 2, 4].
La tomodensitométrie et la résonance magnétique nucléaire
orientent vers le diagnostic de métastases [1, 2, 4]. Certains
caractères radiologiques orientent vers l’origine prostatique de
la métastase orbitaire [2, 4]. Ainsi l’aspect à l’échographie orbi-
taire est celui d’une lésion à centre hyperéchogène du fait de son
infiltration par les cellules tumorales et à périphérie mixte entre
le tissu orbitaire normal et la haute réflexibilité acoustique des
spicules tumoraux [2, 4]. La TDM retrouve une lésion hyper-
dense avec des spicules orbitaires dues à l'augmentation du volu-
me osseux en rapport avec l'activité ostéoblastique très évocatri-
ce de la MOCP (70% des cas) [2, 5, 9]. Les lésions ostéolytiques
sont plus rares et sont surtout rencontrées au stade terminal de la
maladie [5, 9]. Toutefois, malgré le développement de l'image-
rie, la nature histologique de la lésion ne peut être identifiée sur
la radiologie.
La certitude diagnostique de MOCP est obtenue par la ponction
aspiration cytologique de la lésion orbitaire à l’aide d’une aiguille
fine avec étude Immuno-Histo-Chimique utilisant l’Immunomar-
quage du PSA à la péroxydase [8, 10].
Le traitement doit être considéré comme une urgence, compte tenu
du retentissement sur l’œil. Il est palliatif et ne modifie pas l’évolu-
tion de la maladie [1, 4, 9]. Le traitement de choix pour la plupart
des auteurs est l’irradiation focalisée sur l'orbite associée aux anti-
androgénes et aux corticoïdes pour atténuer l'oedème péritumoral
[1, 4, 9, 10]. Ultérieurement on préconisera le traitement hormonal
classique du cancer prostatique métastatique [1, 4].
La radiothérapie locale est très efficace puisqu’elle permet la
régression de l’exophtalmie et la restauration de la vision. Dans
une série de 37 malades qui ont reçu la radiothérapie locale,
89,9% ont répondu à la dose de 30 à 56 Gray avec régression de
l’exophtalmie et amélioration des symptômes [4, 6].
Chez les malades avec métastases ostéo-condensantes, les
lésions sont hormonosensibles, et la rémission prolongée est
possible. Le changement ostéolytique reflète l'hormonorésistan-
ce et l’étape terminale de la maladie [4].
Le pronostic du cancer de la prostate va dépendre essentielle-
ment du degré de différenciation du cancer, de l'existence ou non
d'un traitement spécifique antérieur et de l’existence ou non
d’une autre localisation métastatique secondaire. Pour le premier
paramètre, il est maintenant établi qu'une tumeur bien différen-
ciée sera mieux contrôlée par le traitement hormonal qu'une
tumeur peu différencié voire indifférenciée. Pour le second, le
pronostic est plus sombre quand la métastase apparaît chez un
malade déjà traité puisque cela prouve l'échappement hormonal
[1, 4].
Le pronostic de MOCP est mauvais, la survie moyenne se situe
entre 7,4 et 26 mois et n’est pas statistiquement différent de la sur-
vie moyenne de tous les malades avec les métastases prostatiques à
distance [2, 4, 9].
CONCLUSION
La survenue de métastases orbitaires au cours de l’évolution du
cancer de la prostate est exceptionnelle. Le contexte clinique et l’i-
magerie permettent souvent d’évoquer le diagnostic de MOCP
,le
recours à la ponction cytologie n’est pas systématique. Le traite-
ment repose sur la radiothérapie locale et l’hormonothérapie à base
d’antiandrogène.
L’évolution souvent favorable des signes cliniques ne doit pas faire
oublier le mauvais pronostic du cancer de la prostate au stade
métastatique, d’où l’intérêt du dépistage.
REFERENCES
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A. El Mejjad et coll., Progrès en Urologie (2005), 15, 85-88
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Figure 4. Contrôle scanographique : Disparition des lésions sphénoï-
dales avec régression de la protrusion oculaire et temporo-pariétal
remplacé par une hypodensité temporale gauche non rehaussée par
l'injection du produit de contraste.
SUMMARY
Orbital metastasis of prostatic carcinoma.
Prostate cancer is frequently complicated by bone metastases. Howe-
ver, some metastatic sites remain rare and unusual. The authors report
anexceptional case of prostatic carcinoma presenting with orbital
metastasis. A 71-year-old man was admitted with ocular protrusion and
decreased visual acuity of the left eye. In addition to the ophthalmolo-
gical disorders, clinical examination revealed a left temporoparietal
swelling with a suspicious prostate on digital rectal examination. Brain
MRI revealed an osteolytic process involving the left sphenoid bone
with intra-orbital invasion. Another osteolytic site was observed in the
left temporoparietal region with intracranial and extracranial compo-
nents. PSA was 13,327 ng/ml. Prostatic biopsy confirmed the diagnosis
of prostatic carcinoma. Treatment comprised cranial radiotherapy
combined with anti-androgen endocrine therapy and corticosteroids.
Six weeks after treatment, the patient obtained an improvement of
visual acuity and regression of exophthalmos and the temporoparietal
swelling. Orbital metastasis of prostatic carcinoma raises the problem
of ophthalmic emergency. Cranial radiotherapy and anti-androgen
endocrine therapy allowed regression of the symptoms without modi-
fying the unfavourable course of the disease.
Key-Words: Orbital metastasis, Prostatic carcinoma, Cranial radiothe-
rapy.
A. El Mejjad et coll., Progrès en Urologie (2005), 15, 85-88
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