Fini le marketing de masse, l`heure est au ciblage et au

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LA PRESSE
MONTRÉAL
MARDI
14
JUIN
2005
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POINTS, MILLES ET PRIVILÈGES
Fini le marketing de masse, l’heure
est au ciblage et au profilage
FRANÇOIS BENOIT
COLLABORATION SPÉCIALE
La prolifération des cartes privilège et des programmes de fidélisation n’est pas une mode appelée à disparaître. C’est plutôt la
manifestation la plus visible d’un
changement profond du marketing. Les impératifs du marché
font en sorte que les entreprises
doivent désormais approfondir
leur connaissance des clients et
établir un dialogue continu avec
celui-ci afin de maximiser sa contribution à l’entreprise. Exit le
consommateur jetable! Maintenant, les entreprises cherchent
plutôt un consommateur durable.
Les entreprises ont longtemps
utilisé un marketing de masse.
On offrait à tous et à toutes des
services indifférenciés. Maintenant, l’heure est au ciblage et au
profilage. On parle aux clients
«un à un». Fini le marketing de
masse, les offres sont taillées sur
mesure pour l’individu, selon sa
situation et ses besoins, au moment où on communique avec
lui.
Pour comprendre ce phénomène, il faut rappeler la structure du
marché des entreprises qui ont
lancé les programmes de fidélisation, il y a 15 ans. «Pour les entreprises, notamment les compagnies aériennes, les marchés
étaient saturés», rappelle Jacques
Nantel, professeur titulaire au dé-
partement de marketing de l’École des Hautes études commerciales et titulaire de la chaire de
commerce électronique RBC
Groupe Financier. Pour croître,
une entreprise n’avait donc que
deux choix: aller chercher des
clients chez les concurrents ou
maximiser la valeur des achats de
ses clients actuels. Dans ce dernier cas, il fallait innover. Les
programmes de fidélisation
étaient nés.
Il existe plusieurs types de programmes de fidélisation, mais la
plupart poursuivent deux buts.
Le premier objectif est d’augmenter la fréquence des achats en y
associant une récompense. C’est
la
formule
«prenez10-cafés-et-obtenez-en-un-gratu
it». Ce type d’avantage est celui
que retiennent les entreprises. Ce
serait pourtant le moins important. Selon le directeur du département de marketing de la John
Molson School of Business de
l’Université Concordia, Michel
Bergier, «ce que la plupart des
compagnies ne comprennent pas,
c’est que ces programmes permettent d’acheter une information essentielle. Qui vient acheter
chez moi? Que cherche le client?
À quelle fréquence?»
À l’aide de ces informations, les
entreprises peuvent identifier
leurs clients les plus rentables,
mais aussi les clients dont le potentiel est inexploité et, finale-
ment, ceux qui ne sont pas rentables. Cette segmentation permet
des économies appréciables en
même temps qu’une plus grande
efficacité des promotions. Plutôt
que d’envoyer un catalogue gratuit à tous, les entreprises pourraient choisir de n’envoyer celuici qu’aux bons acheteurs, au bon
moment.
Par exemple, la firme Victoria’s
Secret a réalisé que les anniversaires étaient un déclencheur
d’achat pour ses produits de lingerie de luxe. Grâce à sa base de
données, elle envoie un couponrabais et des souhaits à ses clientes pour leur anniversaire, et augmente ainsi ses ventes en communiquant avec les bons
consommateurs, au bon moment.
Grâce à ce changement de pratique, le langage du marketing a
également évolué. On ne sait pas
si c’est à cause du marketing relationnel, mais le vocabulaire est
résolument passé de Mars à Vénus. On ne veut plus d’un marketing guerrier qui «conquiert» des
parts de marché et «occupe» des
niches. On parle plutôt d’un marketing qui établit des relations
avec les clients pour s’assurer de
leur fidélité. En somme, pour reprendre cette fois-ci un vocable
écologique, on ne veut plus gaspiller ses consommateurs, on
veut un client durable. Marketing relationnel et revendication
altermondialiste, même combat?
PHOTO CHRIS FARINA, GETTY IMAGES ©
La chaîne Victoria’s Secret a réalisé que les anniversaires étaient un
déclencheur d’achat pour ses produits de lingerie de luxe. Grâce à sa base
de données, elle envoie un coupon-rabais et des souhaits de à ses clientes
lors de leur anniversaire.
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Plus des trois-quarts des consommateurs possèdent au moins une carte de fidélité et un tiers d’entre eux en détiennent davantage.
PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE ©
FIDÉLISATION TOUS AZIMUTS
La dépendance est beaucoup plus envers
les cartes qu’envers les entreprises
GENEVIÈVE BERTRAND
COLLABORATION SPÉCIALE
Les entreprises tentent par tous
les moyens d’amadouer et d’enjôler leurs clients afin d’obtenir
leur loyauté. Les programmes de
fidélisation sont tellement répandus qu’il y a lieu de se demander
quelles en sont les limites.
« Environ 43 % des Américains
se sentent pris au piège dans leur
relation avec les commerces de
détail dont ils détiennent une
carte de fidélité », indique le professeur en marketing Jean-Charles Chebat, titulaire de la chaire
de commerce Omer DeSerres à
HEC Montréal, citant un article
de CIO Insight.
« La dépendance est beaucoup
plus envers les cartes qu’envers
les entreprises », affirme Jasmin
Bergeron, professeur de marketing à l’École des sciences de la
gestion de l’UQAM. Plus des
trois-quarts des consommateurs
possèdent au moins une carte de
fidélité et un tiers d’entre eux en
détiennent davantage, selon Jupiter Research. Ces cartes per-
mettent d’accumuler des points
échangeables contre une récompense.
« Il y a des gens qui trippent,
même si les points accumulés ne
vont leur donner qu’un paquet
de gomme au bout d’un an, poursuit M. Bergeron. Les gens ont
l’impression qu’ils font une aubaine avec les points, mais ce
n’est pas le cas. Faudrait savoir
quelle valeur monétaire est attachée à un point. Les entreprises
jouent avec les chiffres, par
exemple, 2000 points peut paraître considérable, mais ça ne peut
finalement valoir que 25 cents.
Selon moi, l’argent Canadian Tire
est l’un des systèmes de fidélisation les plus éthiques, car sa valeur monétaire est sans équivoque. »
« Les clients sont fidèles pour
un grille-pain, qu’est-ce que ça
veut dire, ça ? Si une autre entreprise offre de meilleurs cadeaux,
les clients partent ailleurs, indique M. Chebat. C’est une fidélité
bidon, car les entreprises se chamaillent pour attirer les consommateurs, au lieu d’offrir une qua-
lité de produits et de services. »
Les programmes de points pour
grands voyageurs, tels que Air
Miles ou Aéroplan, les PétroPoints amassés aux stations-service de Petro-Canada, la carte
Passion Beauté pour les produits
cosmétiques chez Jean Coutu, les
cartes affinités pour la location de
DVD ou pour le petit café du matin ne sont que quelques exemples de programmes de fidélisation.
Aéroplan, filiale de Gestion Ace
Aviation qui deviendra sous peu
une fiducie de revenu, était à
l’origine un programme d’incitation pour ses clients grands voyageurs. Mais Aéroplan s’est depuis diversifié et a élargi sa
gamme de primes avec des partenaires, tels que Banque Amex du
Canada, Bell Canada, la Banque
CIBC, Future Shop et Pétrolière
Impériale (Esso), ainsi que de
nombreuses chaînes hôtelières et
des locateurs de véhicules.
« On essaie toujours de trouver
de nouvelles possibilités d’accumuler des milles Aéroplan et de
nouvelles possibilités de les uti-
liser. Plus les membres sont actifs, plus les profits augmentent ;
c’est une roue qui tourne », dit
Michèle Meier, porte-parole
d’Aéroplan, qui compte 5 millions de membres.
La petite carte bleue de l’autre
grand programme de récompenses pour voyageurs, Air Miles,
est activement utilisée par plus
de 70 % des foyers canadiens et
compte 15,4 millions de membres au pays. En plus des voyages, Air Miles offre quelque 800
récompenses, dont des laissezpasser au cinéma, au théâtre, à
des événements sportifs, des attractions familiales, l’hébergement dans des hôtels, des services de location de voiture et
autres marchandises.
« Les programmes de fidélisation sont efficaces dans la mesure où ils génèrent des ventes répétitives. En fait, vous y
retournez non pas parce que
vous êtes favorable à l’entreprise, mais plutôt parce qu’il y a un
coût à assumer, c’est-à-dire la
perte des points, estime M. Chebat. Les clients sont fidèles pour
la qualité des cadeaux et l’entreprise devient profondément dépendante de cette stratégie. On
retient des clients comme des vaches dans un enclos et c’est contraire à la mission de l’entreprise. C’est efficace à court terme,
mais cela ne crée aucune fidélisation à long terme. »
« Afin d’avoir votre forfait voyage gratuit, vous restez fidèle au
transporteur aérien pour accumuler les points et ce, même si le
service est pourri, s’il n’y a pas
de plats végétariens à bord ou si
les avions de cette compagnie
sont toujours en retard », ironise
M. Chebat.
Les points accumulés ne permettent pas toujours l’obtention
rapide d’un cadeau concret. La
Compagnie de la Baie d’Hudson
— La Baie, Zellers ou Déco Découverte — offre pour 15 000
points un simple bulletin de participation à un tirage permettant
de gagner une voiture, un forfait
à Cancun, un barbecue ou un appareil photo numérique. Pour
chaque dollar dépensé, le client
obtient 50 points.
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