Marqueurs des pathologies hépatiques Classification des ictères Pr. JP Brouillet 2016 1 1. Les fonctions hépatiques 1.1. Fonction biliaire canaux hépatiques et vésicule biliaire : - sécrétion de la bile 2 rôles essentiels : • émulsification et digestion des lipides • élimination de certains produits du métabolisme : - bilirubine conjuguée (pigments biliaires) - cholestérol synthétisé en excès (sels biliaires) - xénobiotiques (cf. détoxication) 2 1. Les fonctions hépatiques 1.2. Fonctions métaboliques métabolisme glucidique (maintien de la glycémie) - glycogénogenèse - glycogénolyse - néoglucogenèse métabolisme lipidique - oxydation des acides gras - synthèse des lipoprotéines - synthèse du cholestérol - lipogenèse métabolisme protidique : - désamination et transamination - synthèse protéique [sériques +++ (albumine,...), facteurs de coagulation [vitamine K dépendants (II, VII, IX, X) et vitamine K indépendants ( V ), α, β , γ globulines (sauf Ig) ] métabolisme vitaminique - stockage de vitamines (A, D, B12), métabolisme du fer 3 1. Les fonctions hépatiques 1.3. Fonction d’épuration/détoxication catabolisme azoté (uréogenèse) captation, conjugaison et excrétion de la bilirubine métabolisation des xénobiotiques (enzymes de phase I , II, III) 1.4. Rôle immunitaire vaisseaux lymphatiques macrophages hépatiques (cellules de Kupffer) 1.5. Réservoir de sang 1500 ml/min (VP = 1100 ml/min et AH = 400 ml/min) 450 ml en (1,5 l en cas d'insuffisance cardiaque ) 4 2. Les grands syndromes biologiques hépatiques -la cytolyse - la cholestase - l’insuffisance hépatocellulaire - le syndrome mésenchymateux - le syndrome ictérique complètent et précisent les syndromes cliniques hépatiques sont diversement associés au cours d’une maladie hépatique la prédominance d’un syndrome sur l’autre permet d’orienter le diagnostic 5 2.1. Les ictères Coloration jaune des téguments = ictère ou jaunisse, accompagné de prurit, due à l’accumulation de bilirubine dans le sang > 45 µmol/L 2.1.1. Origine de la bilirubine La bilirubine est le produit final de la dégradation de l’hème de l’hémoglobine SRE + albumine FOIE In New Human Physiology, Paulev-Zubieta, 2nd Edition 6 2.1.2. Devenir de la bilirubine conjuguée transporteur actif saturable inductible passage dans l’intestin hydrolysée en bilirubine libre par les β-glucuronidases bactériennes réduction des ponts méthényles et des groupement vinyles : urobilinogène puis stercobilinogène (incolores) oxydation en urobiline et stercobiline (pigments bruns) foie Cycle entérohépatique sécrétée dans la bile par le pôle canaliculaire de l'hépatocyte 5% réabsorption intestinale 15% 10-20% rein élimination dans les fèces urobiline 7 2.1.3. Bilirubine et ictère en conditions physiologiques la bilirubine non conjuguée (ou bilirubine libre) liée à l’albumine est la seule détectée dans le sang si immaturité hépatique ou anomalies des mécanismes de conjugaison : - bilirubine non conjuguée circulante. si hémolyse > capacité de métabolisation du foie : de bilirubine libre, et +/- saturation de liaison à l’albumine. bilirubine libre non liée à l’albumine toxique grande affinité pour les phospholipides membranaires traverse la barrière hémato encéphalique. encéphalopathie hyperbilirubinémique ou ictère nucléaire lésions irréversibles des noyaux gris centraux et des noyaux de certaines paires crâniennes. une obstruction des canaux biliaires ou une altération de la structure hépatocellulaire peut entrainer une augmentation des taux de bilirubine conjuguée éventuellement associée à de la bilirubine non conjuguée dans la circulation. 8 2.1. Syndrome de cytolyse Atteinte de la membrane hépatocytaire - destruction de la membrane ( nécrose hépatocytaire) - augmentation de la perméabilité membranaire relargage du contenu des hépatocytes dans les sinusoïdes leur concentration sérique va Atteinte commune à toute hépatite de toute origine : - virale (VHB, VHA, EBV, …) - toxique (alcool, médicaments…) - ischémique (cardiogénique, choc…) - auto-immune… En clinique l’existence et l’intensité de la cytolyse hépatique sont appréciées par le dosage des transaminases 9 2.2. Syndrome de cholestase Atteinte des mécanismes d’excrétion biliaire. - Quel que soit le niveau d’atteinte biliaire les conséquences biologiques sont les mêmes que ce soit une cholestase d’origine : - obstructive (obstacle sur les voies biliaires ) - non obstructive (atteinte fonctionnelle des cellules épithéliales des voies biliaires interlobulaires ou du pôle biliaire des hépatocytes : tumeurs intrahépatiques, hépatopathies médicamenteuses, cirrhose biliaire primitive) Les conséquences de la cholestase sont : - l’accumulation dans l’hépatocyte et le reflux dans le sang périphérique des substances normalement excrétées par voie biliaire - la diminution de ces substances dans la lumière digestive Un degré de cholestase est observé au cours de presque toutes les affections hépatiques 10 2.3. Syndrome d’insuffisance hépato-cellulaire Atteinte des fonctions de synthèse hépatique concernant de nombreuses substances dont certaines peuvent être dosées 2.3. Syndrome mésenchymateux Regroupe les hyper-gammaglobulinémies polyclonales rencontrées dans les maladies hépatiques les cellules impliquées dans ces hyper-gammaglobulinémies ne sont pas hépatocytaires mécanismes très variés et mal connus : - infiltration du parenchyme hépatique par des cellules inflammatoires dans les hépatites - déficit de captation et de destruction des antigènes du sang portal par le foie (insuffisance fonctionnelle des cellules de Küpffer et anastomose porto-cave) - augmentation de la perméabilité digestive qui augmente l’antigénémie du sang porte (amplification du mécanisme précédent) 11 3. Les marqueurs des grands syndromes hépatiques 3.1. La bilirubine : le marqueur de l’ictère l’hémoglobine est transformée au niveau du système réticulo-histiocytaire (rate, moëlle osseuse) en bilirubine non conjuguée (ou bilirubine « libre »). fixée sur des transporteurs (albumine principalement) la bilirubine est véhiculée dans le sang pour être amenée au foie le foie capte, conjugue la bilirubine pour la rendre hydrosoluble, et l’excrète au pôle biliaire de l’hépatocyte Au niveau circulant on peut caractériser plusieurs formes de bilirubine (totale et conjuguée) au moyen de deux dosages spécifiques : - bilirubine libre/non conjuguée/liée à l’albumine Bilirubine directe - bilirubine conjuguée (mono/di) soluble Bilirubine totale - bilirubine delta liée à l’albumine (liaison covalente) 12 3.1. 1. Dosages de la bilirubine Bilirubine totale Bilirubine directe Principe du dosage sur sérum ou plasma (méthode diazo) : Principe du dosage sur sérum ou plasma (méthode diazo) : En présence d’un agent solubilisant (méthanol), la bilirubine totale se couple à un ion diazonium dans un milieu acide. L’intensité de la coloration de l’azobilirubine (rouge) développée est proportionnelle à la concentration en bilirubine totale de l’échantillon et est déterminée par l’augmentation de l’absorbance à 546 nm. La bilirubine conjuguée et la bilirubine δ réagissent directement avec l’acide sulfanilique diazoté dans un tampon acide pour former l’azobilirubine (rouge). L’intensité de la couleur est proportionnelle à la concentration de bilirubine directe dans l’échantillon et est déterminée par l’augmentation de l’absorbance à 546 nm. Mettre le tube à l’abri de la lumière ! Valeurs usuelles (CNCI) : Bilirubine totale : < 17 μmol/L (< 10 mg/L) Bilirubine non conjuguée : < 17 μmol/L (< 10 mg/L) Bilirubine conjuguée (directe) : 0 μmol/L (0 mg/L) 13 3.1.2. Classification des ictères ictère : coloration jaune à bronze des téguments due à une augmentation de la concentration de bilirubine plasmatique (bilirubinémie) > 45 μmol/l bilirubinémie : - bilirubine non-conjuguée - la bilirubine conjuguée - bilirubine conjuguée + bilirubine non conjuguée bilirubinémie 20 et 45 µmol/l subictère (ictère infraclinique) Type d’ictère Forme de bilirubine Ictères pré-hépatiques ou hémolytiques Bilirubine non conjuguée Ictères hépatocellulaires Bilirubine non conjuguée et Bilirubine conjuguée Ictères post-hépatiques (Ictères cholestatiques) Bilirubine conjuguée Hyperbilirubinémies héréditaires chroniques Bilirubine non conjuguée ou Bilirubine conjuguée 14 3.1.2.1. Ictères pré-hépatiques ou hémolytiques Destruction excessive de GR hyperproduction de bilirubine ictère à bilirubine non conjuguée (parfois modérée de la Bili. C) élévation modéré : de 50 à 85 µmol/L coloration des urines et des selles haptoglobine Causes - ictère physiologique du nouveau-né (hémolyse + immaturité hépatique) - hémolyse intravasculaire - incompatibilité foeto-maternelle (rhésus, ABO) - ictère de l’allaitement maternel - déficit en G6PD, maladie de Minkowski-Chauffard Traitement - photothérapie ou exsanguinotransfusion pour les formes sévères (>350 µmol/L) 15 3.1.2.2. Ictères hépatocellulaires Atteinte des fonctions hépatiques : captation, conjugaison, excrétion augmentation simultanée des formes de bilirubine conjuguée et non conjuguée signes de cytolyse hépatique associés ( transaminases) Causes - hépatites virales - cirrhoses 16 3.1.2.3. Ictères post-hépatiques Reflux de la bilirubine conjuguée par obstruction biliaire ictères à bilirubine conjuguée bilirubine totale jusqu’à 500/700 µmol/L selles et urines décolorées (pas d’excrétion d’urobiline ni de stercobiline) Causes - lithiase biliaire - tumeur des voies biliaires - tumeur de la tête du pancréas - iatrogénique - cirrhoses biliaires primitives 17 3.1.2.4. Hyperbilirubinémies héréditaires chroniques 3.1.2.4.1. Hyperbilirubinémies à bilirubine non conjuguée par déficit de conjugaison Déficit d’activité UGT1A1 (isoenzymes, grand polymorphisme génétique) Maladie de Gilbert - débute à l’adolescence - maladie bénigne, 3 à 10% de la population, - modérée de l’UGT1A (récessive) - bili T (NC) entre 25 et 50 µmol/L - prendre en compte pour certaines thérapeutiques Maladie de Criggler-Najjar de type I - rare, début précoce, autosomique récessive - très sévère, déficit total d’activité UGT1A1 - bili T (NC) entre 350 et 500 µmol/L - photothérapie journalière puis transplantation hépatique Maladie de Criggler-Najjar de type II - rare, autosomique récessive, parfois plus tardive - moins sévère, déficit partiel d’activité UGT1A1 - bili T (NC) entre 150 et 300 µmol/L - traitement par inducteur enzymatique (phénobarbital) 18 3.1.2.4.2. Hyperbilirubinémies à bilirubine conjuguée par défaut d’excrétion, captation, stockage Syndrome de Dubin-Johnson : ictère familial bénin - défaut d’excrétion canaliculaire - mutation d’un transporteur - mixte à prédominance bili.C entre 50 et 250 µmol/L - dépôt pigmentaire brun dans le foie (métabolites de l’adrénaline) - bénin, pas de traitement Syndrome de Rotor - défaut de captation et de stockage hépatique de la bilirubine - pas de pigments hépatocytaires - bénin, pas de traitement 19 3.2. Etiologie des ictères bilirubine libre bilirubine conjuguée Hyperbilirubinémie mixte absence de glucurunoconjugaison cholestase Hémolyse + cholestase intra hépatique extra hépatique défaut IHC saturation hémolyse ictère du NNé M. de Gilbert M. Crigler-Najar anomalie De l’excrétion S. de Dubin-Johnson S. de Rotor Lithiase du cholédoque Cancer de la tête du pancréas… 20 3.2. Marqueurs de la cytolyse hépatique 3.2.1. Transaminases sériques (aminotransférases) Enzymes qui catalysent des réactions de transfert d’un groupe aminé d’un acide alphaaminé à un acide alphacétonique. Il existe 2 transaminases dont le coenzyme est la vitamine B6 (phosphate de pyridoxal) : - ASAT = Aspartate Amino Transferase (TGO = Transaminase Glutamo Oxaloacétique) - ALAT = Alanine Amino Transferase (TGP =Transaminase Glutamo Pyruvique) 21 3.2.1.1. Alanine Amino Transferase (TGP = Transaminase Glutamique Pyruvate) Principe du dosage sur sérum ou plasma (en présence de phosphate de pyridoxal) : La vitesse de formation de NAD+ est directement proportionnel à l'activité en ASAT. Elle est déterminée par photométrie en mesurant la diminution de l’absorbance à 340nm. Valeurs usuelles (IFCC à 37°C / CNCI) : Hommes : < 45 UI/L Femmes : < 34 UI/L Localisation : cytosol hépatocytes (+++) et muscle principalement 22 3.2.1.2. Aspartate Amino Transferase (TGO = Transaminase Glutamique Oxaloacétate) Principe du dosage sur sérum ou plasma (en présence de phosphate de pyridoxal) : La vitesse de formation de NAD+ est directement proportionnel à l'activité en ASAT. Elle est déterminée par photométrie en mesurant la diminution de l’absorbance à 340nm. Valeurs usuelles (IFCC à 37°C / CNCI) : Hommes et femmes : < 35 UI/L Localisation : cytosol et mitochondries dans le cœur (+++) et le foie (+++) le muscle, rein, pancréas, cerveau 23 3.2.2. Autres perturbations biologiques LDH (lactate déshydrogénase) : Catalyse la transformation du L-lactate en pyruvate. Enzyme ubiquitaire (GR+++), 5 isoenzymes (LDH4,5 = foie, muscle squelettique, peau tissus néoplasiques) - hépatites virales - ictères hémolytiques (LDH1,2) - métastases hépatiques Principe du dosage sur sérum ou plasma : Mais aussi : - infarctus du myocarde (LDH1,2) - anémies hémolytiques, de Biermer - LMC en phase aigüe (LDH3) La vitesse initiale de formation du NADH est - intox aigües graves directement proportionnelle à l’activité catalytique - myopathies de la LDH. Elle est déterminée par l’augmentation de l’absorbance à 340 nm. - tumeurs -… Valeurs usuelles (IFCC à 37°C / CNCI) : <248 UI/L Augmentée chez l’enfant et le NN ( ) (gamma glutamyl transpeptidase) enzyme hépatocytaire qui augmente γGT fréquemment de façon modérée en cas de cytolyse en l’absence de toute cholestase. fer sérique, de la saturation de la transferrine et de la ferritinémie (déstockage) 24 3.2.3. Exploration de la cytolyse Dosage des transaminases ASAT + ALAT ASAT + ALAT N Normalisation ASAT + rapide que ALAT : ASAT + ALAT •½ vie ASAT = 17 h •½ vie ALAT = 47 h Absence de cytolyse hépatique Cytolyse hépatique LDH en 2ème intention : ↑ en faveur de l’origine intra-hépatique d’une cytolyse d’origine indéterminée Le taux des transaminases revient rapidement à la normale lorsque la cause de l’atteinte hépatocytaire est supprimée. 25 3.2.4. En pratique ALAT ≥ ASAT Le + fréquent modérée : x 2 à x 10 N Hépatites chroniques (quelque soit le stade) ASAT + ALAT : Cytolyse hépatique ASAT > ALAT Causes générales d’ ↗ des transaminases : •Dysthyroïdies (ASAT ↗ isolément si hypothyroïdie ) ou ASAT isolée •Diabète déséquilibré •Cardiopathies (ASAT) •Maladies musculaires et rhabdomyolyse : (ASAT ↗ isolément, confirmer avec CPK) … • Augmentations modérées dans troubles de la perméabilité membranaire (stéatose alcoolique ou médicamenteuse) forte : x 20 à x 100 N Hépatites aigües Hépatites alcooliques Aiguës et chroniques (ASAT ≥ 2 x ALAT) (virales, médicamenteuses, toxiques) La cinétique de retour à la normale est un marqueur pronostic Persistance > 6 mois dans le cas d’hépatite chronique 26 3.3. Marqueurs de la cholestase Les principaux : du taux circulant des " enzymes de la cholestase " - γGT (gamma glutamyl transpeptidase) - PAL (phosphatases alcalines) - 5’ nucléotidase de la bilirubine (conjuguée ++) Autres : - allongement du temps de Quick (corrigé par la Vitamine K, facteur V normal) : la cholestase provoque une carence en vitamine K ( sels biliaires) et donc en facteurs II, VII, IX, X. - hypercholestérolémie fréquemment rencontrée en cas de cholestase chronique (calculs de cholestérol 80%…) - stéatorrhée par malabsorption des graisses 27 3.3.1. Les principaux marqueurs de la cholestase 3.3.1.1. Gamma glutamyl transpeptidase (GGT, γGT ) Glycoprotéine membranaire hétérodimérique présente dans de nombreux organes et retrouvée dans les membranes sinusoïdales des hépatocytes et dans les membranes des cellules bordant le tractus biliaire. Elle est impliquée dans le métabolisme du glutathion, des leucotriènes, la détoxication… Principe du dosage sur sérum ou plasma : La GGT transfère le groupement γ-glutamyl du L-γ-glutamyl carboxy-3 nitro-4 anilide sur la glycylglycine. La quantité d’amino-5 nitro-2 benzoate formée est proportionnelle à l’activité de la GGT. Elle est déterminée par photométrie en mesurant l’augmentation de l’absorbance à 415 nm. Test le plus sensible de cholestase mais élévation sous l’influence de substances inductrices (inducteurs enzymatiques) en l’absence de cholestase : alcools, certains médicaments (phénobarbital)… Valeurs usuelles (IFCC à 37°C / CNCI) : Hommes : < 55 UI/L Femmes : < 38 UI/L De 12 à 15 X dans les cholestases intra et extra hépatiques 28 3.3.1.2. Phosphatases alcalines Il existe 7 isoenzymes de phosphatase alcaline : - hépatique (H1 et H2. Dans les canalicules biliaires et pôles des hépatocytes) - osseuse (50 à 70%) - placentaire, intestinale, rénale, cellules germinales Principe du dosage sur sérum ou plasma : En présence d’ions Mg2+ et Zn2+, le p-nitrophénylphosphate est scindé par les phosphatases alcalines en phosphate et p-nitrophénol. La quantité de p-nitrophénol libéré est proportionnelle à l’activité de l’ALP. Elle est déterminée par l’augmentation de l’absorbance à 409 nm. - si taux 3 à 4 X = très forte élévation - meilleur marqueur de la cholestase mais ! femme enceinte et l’enfant dans certaines maladies osseuses (fractionnement en iso-enzymes spécifiques de tissus possible) Valeurs usuelles (IFCC à 37°C) : Hommes : 40-130 UI/L Femmes : 35-105 UI/L enfants : variable en fonction de l'âge 5’ nucléotidase - phosphatase particulière spécifique du foie - sensibilité inférieure à celle de la γGT - pas utilisée en routine 29 3.3.1.3. Bilirubine En cas de cholestase extra hépatique, les mécanismes qui sont atteints sont ceux de l’excrétion biliaire. Les étapes de captation et de conjugaison ne sont pas touchées. L’hyperbilirubinémie porte principalement sur la bilirubine conjuguée. Si >45 µmoles/l : ictère clinique L’ictère est inconstant dans les cholestases : - cholestase ictérique. - cholestase anictérique. 30 3.3.2. Exploration de la cholestase (1) Obstruction biliaire intra ou extra-hépatique conjointe GGT et PAL = CHOLESTASE Bilirubine Totale bilirubine conjuguée Diagnostic des cholestases ictériques et anictériques Causes extra-hépatiques Ex: calcul du cholédoque, cancer de la tête du pancréas… Bilirubine libre et conjuguée (mixte) Causes intra-hépatiques Ex: hépatites, hépatocarcinome et métastases hépatiques, cirrhose… 31 3.3.2. Exploration de la cholestase (2) isolée GGT (ou GGT et PAL mais Bilirubine normale) •Alcoolisme chronique •Médicaments (anticonvulsivants, œstro-progestatifs, anticoagulants, neuroleptiques, antidépresseurs tricycliques…) •Obésité, hypercholestérolémie, hypertriglycéridémies, stéatose, stéatose hépatique non alcoolique, variations pondérales brusques •Dénutrition / Alimentation parentérale totale •Diabète •Cardiopathies •Dysthyroïdies… isolée PAL Bilirubine normale Origine hépatique exclue •Pathologies osseuses (Paget, ostéomalacie) •Grossesse •Croissance •Insuffisance Rénale Chronique (tubulopathies)… 5’NU : à réserver au diagnostic de cholestase chez l’enfant et la femme enceinte 32 3.3.3. Etiologies de la cholestase cholestase intra-hépatique - obstruction mécanique cholestase extra-hépatique + obstruction mécanique lithiase biliaire parasitoses cancer tête du pancréas métastases hépatiques CHC inflammation des voies biliaires IHC (hépatites, cirrhoses) 33 3.4. Syndrome d’insuffisance hépato-cellulaire Atteinte des fonctions de synthèse hépatique concernant de nombreuses substances dont certaines peuvent être dosées 3.4.1. Hypoalbuminémie Albumine : - synthèse spécifiquement hépatique - protéine sérique la plus abondante - demi-vie longue (21 jours) pas un marqueur précoce - peut jusqu’à 15 à 20g/L Valeurs usuelles (CNCI) : N = 38 à 48 g/L Autres causes d’hypoalbuminémie : - carence alimentaire - fuite digestive - syndrome néphrotique - brulures - inflammation 34 3.4.2. Taux de prothrombine (< 70%) non corrigeable par la vitamine K facteur V (dosé si TP <60%) Marqueur précoce de l’insuffisance hépatocellulaire 3.4.3. Hyperbilirubinémie mixte défaut de captation et de conjugaison de la bilirubine - bilirubine non conjuguée défaut d’excrétion biliaire - bilirubine conjuguée 35 3.4.4. Exploration de l’insuffisance hépato-cellulaire TP ( < 70%) Facteur V Signes précoce en cas d’atteinte sévère Hypoalbuminémie Hyperbilirubinémie mixte Atteinte massive et durable Ammoniémie : examen non indiqué 36 3.4. Exploration du syndrome mésenchymateux une forte hypergammaglobulinémie prédominant en IgG est un signe qui oriente vers une hépatite auto-immune une hypergammaglobulinémie polyclonale prédominant en IgA est un signe qui oriente vers une cirrhose et vers l’origine alcoolique de cette cirrhose "bloc ßγ" 37 4. Autres marqueurs hépatiques 4.1. Marqueurs de l’éthylisme chronique (1) Certains paramètres biologiques peuvent être perturbés par des consommations quotidiennes d’alcool supérieures à 3 verres standards par jour chez les hommes et 2 chez les femmes. Un lien entre les perturbations biologiques et la consommation d’alcool peut être fait avec les perturbations de ces paramètres si elles se normalisent après arrêt prolongé de toute consommation. GGT : sensibilité de 50 à 80 % avec faux négatifs et faux positifs ! Le test de sevrage d’alcool permet d’objectiver l’implication de l’alcool dans son augmentation, avec une de 50% tous les 10 à 15 jours. Volume Globulaire Moyen (V.G.M.) : une consommation excessive et prolongée d'alcool entraîne une augmentation du VGM >98 u3 ( N= 86 à 90u3) des erythrocytes. Après arrêt de la consommation, le retour à la normale est long du fait de la durée de vie des globules rouges (120 jours). 38 4.1. Marqueurs de l’éthylisme chronique (2) CDT (carbohydrate deficient transferrin) : le plus spécifique avec une sensibilité de 85 à 90% pour une consommation > 50g EtOH pur par jour) Transferrine = glycoprotéine synthétisée par le foie, comportant des résidus d’acide sialique greffés par des sialyltransférases. La forme (n = 4) est majoritaire. Au niveau hépatique : l’alcool inhibe les sialyltransférases membranaire . En cas d’exposition prolongée à l’éthanol les formes (n = 0, 1 et 2) sont augmentées . La demi-vie de la CDT est de l’ordre de 17 jours se normalise en 3 semaines d’abstinence. Marqueur très sensible pour repérer la rechute chez les personnes alcoolo-dépendantes. Utilisé pour le suivi d’une démarche d’abstinence . Demandé par les commissions primaires de permis de conduire chargées d'évaluer les risques d'alcoolisation pour la restitution ou le renouvellement des permis de conduire. Valeurs normales : < 6 % de formes désialylées Ces marqueurs peuvent être utiles dans le suivi du sevrage. En aucun cas ils ne peuvent être utilisés isolément pour dépister une dépendance alcoolique. 39 4.2. Marqueurs de la fibrose hépatique (1) Fibrose hépatique : accumulation d'une matrice extracellulaire de composition altérée dans le parenchyme principale complication des atteintes hépatiques chroniques sa progression conduit à terme à la cirrhose (morbidité et mortalité élevées) La détermination du degré de fibrose est un paramètre pronostique important qui permet d'estimer le risque de progression vers la cirrhose. Examen de référence : ponction biopsie de foie (invasif, morbidité de 0,5 %) ne peut être répétée facilement taux de faux-négatifs élevé (24 % pour le diagnostic de cirrhose) développement de marqueurs sanguins de dosage simple et fiables. 40 4.2. Marqueurs de la fibrose hépatique (2) FIBROTEST® : permet le calcul d’un index de fibrose en combinant le dosage sanguin de 5 marqueurs indirects de fibrose (bilirubine totale, GGT, haptoglobine, alpha 2macroglobuline et apoliprotéine A1), avec un ajustement selon l'âge et le sexe de la personne. ActiTest® : associé au FIBROTEST ® il estime l’activité nécrotico-inflammatoire dans les hépatites chroniques C et B en lui ajoutant le taux d'ALAT. Autres tests développés sur le même principe : NashTest®, SteatoTest®, AshTest® et le FibroMAX® qui les reprend tous ! 41 4.3. Marqueurs tumoraux 4.3.1. Marqueur du carcinome hépatocellulaire la plupart du temps sur un foie au stade de cirrhose. causes les plus fréquentes : virus de l'hépatite B, virus de l'hépatite C, intoxication alcoolique, stéatohépatite non alcoolique (NASH). seul marqueur validé : l’α-1 fœtoprotéine (AFP), dans le suivi des patients à risque (cirrhose) échographie est plus sensible. Valeurs normales : < 15µg/L valeurs >400-500µg/L sont pathognomoniques de la maladie présent chez la femme enceinte (origine fœtale) 4.3.2. Marqueurs de l’hépatoblastome tumeur rare, tumeur maligne primitive du foie la plus courante chez l'enfant taux sériques d’AFP et βHCG fréquemment 4.3.3. Marqueurs des métastases hépatiques d’autres tumeurs Les marqueurs utilisés seront ceux de la tumeur primitive (voir cours oncologie S2) 42 4.3. Conclusion Ces différents syndromes sont quasi toujours diversement associés au cours d’une maladie hépatique : l’insuffisance hépatocellulaire découle souvent d’une cholestase chronique tout autant que d’une nécrose hépatocytaire consécutive à une hépatite aiguë ! Ce sont l’analyse des signes cliniques et de l’interrogatoire du patient (mode de vie, addictions, notion de voyage) par le clinicien associé à des examens complémentaires si nécessaire (virologie, parasitologie …) qui en fonction des signes cliniques et des résultats biologiques permettront de poser un diagnostic. 43 Hyperuricémies Pr. JP Brouillet 2016 1. L’hyperuricémie Maladie fréquente de découverte souvent fortuite et dont les causes sont multiples. Elle vient souvent au regard d’une situation clinique (articulaire, cutanée, rénale, cardiovasculaire, métabolique). Son étiologie est souvent posée par l’interrogatoire et l’examen clinique. 1.1. L’acide urique : produit du catabolisme des purines (1) 1.1. L’acide urique : produit du catabolisme des purines (2) Human urate homeostasis : Urate is produced as the major end product of purine metabolism by liver, muscles, and intestine. Hediger and Johnson, Physiology, 2005 Intérêt dans le diagnostic et le suivi insuffisance rénale goutte leucémies troubles nutritionnels patients sous cytostatiques Relation entre métabolisme du fructose et hyperuricémie 47 1.2. Dosage de l’acide urique Principe du dosage sur sérum, plasma ou urine : L’acide urique est catalysée par l’uricase pour former de l’allantoïne et de l’eau oxygénée. En présence de peroxydase, l’amino-4 phénazone est oxydé par l’eau oxygénée pour former un dérivé coloré (quinone-diimine). L’intensité de la couleur de la quinone-diimine formée est directement proportionnelle à la concentration d’acide urique et est mesurée avec l’augmentation de l’absorbance à 546nm. Valeurs usuelles (CNCI) : Hommes : 180-420 μmol/L (30-70 mg/L) Femmes : 150-360 μmol/L (25-60 mg/L) Uricurie : 2,4 – 4,8 mmol/24h (400-800 mg/24h) Clairance : 6 – 10 ml/min Hyperuricémies transitoires : sujet jeune, effort musculaire, éthylisme aigu Influencée par de très nombreux facteurs : âge, indice de masse corporelle (IMC), consommation de fructose, d’alcool et de médicaments, la fonction rénale 1.2. Dosage de l’acide urique Chalès et Guggenbuhl, La lettre du Rhumatologue, 2005 1.3. Pathogénie des hyperuricémies La goutte : maladie rhumatologique (arthrite) constitutionnelle souvent héréditaire inflammatoire et métabolique dépôt de cristaux d’urates au niveau articulaire Touche une ou plusieurs articulations évolue par poussées (crises très douloureuses) principalement nocturne avec douleur permanente, pulsatile hyperthermie, agitation prévalence : 0,5% (2% après 60ans) sex ratio H/F = 9 (femmes après la ménopause) gros orteil ( 75 %) Tophus : dépôt de cristaux d’urate indolore La lithiase urique : 10 % des calculs urinaires (pays industrialisés) solubilité faible de l’acide urique dans l’urine rôle majeur du pH urinaire à pH 7 : ≈ 100 % sous forme d’urate de sodium soluble si pH ↘ précipitation d’acide urique ↗↗ acidité urinaire en cas d’hyperinsulinisme (sujet obèse, syndrome métabolique, diabète de type 2) et le sujet âgé incidence : 0,1 - 0,4 % par an 2. Classification des hyperuricémies Les hyperuricémies sont soit primitives (95%) soit secondaires (5%). Plus fréquente chez l’homme que chez la femme Prévalence ↗ avec les conditions de vie (alimentation plus riche) Avec l’obésité et le syndrome métabolique Influencée par des critères ethniques 2.1. Hyperuricémies primitives 2.1.1. Hyperuricémies idiopathiques Elles représentent plus de 95% des gouttes. Elles sont dues soit à une hyperpurinosynthèse hépatique de novo isolée, soit à une hypoexcrétion rénale isolée soit à l’association de ces deux mécanismes (≈ 70% des cas). L'hérédité et la suralimentation y ont des rôles prédominants. Plusieurs causes sont évoquées un facteur génétique: 25 a 30 % d'hyperuricémiques dans les familles de goutteux. Plusieurs gènes codant pour des transporteurs tubulaires d’acide urique sont impliqués dans l’hyperuricemie . un facteur alimentaire : il existe une corrélation entre poids corporel et uricémie. un régime peut suffire pour faire baisser l'uricémie. 2.1.2. Anomalies enzymatiques (1) Anomalies rares, elles ont pour particularité d'engendrer des crises de gouttes ou des lithiases très précocement, dans les 20 premières années de la vie. 2.1.2. 1. Le syndrome de Lesch-Nyhan Maladie récessive très rare liée au sexe due à des mutations du gène HPRT1 codant pour la HGPRT (hypoxanthine guanine phosphoribosyl tranférase) porté par le chromosome X. Les signes cliniques apparaissent quelques mois après la naissance et montrent un retard de développement avec hypotonie, pyramidale et extrapyramidale. Le retard mental est important avec des tendances compulsives à l’automutilation avec autophagie. Une hyperuricémie et une hyperuricurie sont associés à une lithiase rénale et des signes de goutte sévère. Mécanisme : le déficit d’activité de la HGPRT perturbe le recyclage de l’hypoxanthine et de la guanine résultant en une hyperuricémie liée au catabolisme accru de l’hypoxanthine et de la guanine . 2.1.2. Anomalies enzymatiques (2) 2.1.2. 2. Hyperactivité de la PRPP synthétase (5-phosphoribosyl pyrophosphate synthétase ) enzyme commune à diverses voies de synthèse, dont celle des purines des pyrimidines. très rare (30 familles décrites) hyperproduction d’acide urique goutte, lithiase urinaire , IRA liée au chromosome X 2.1.2. 3. La maladie de Von Gierke (glycogénose de type I) déficit de la glucose-6-phosphatase dépisté dès les premières semaines de vie hépatomégalie, hypoglycémie, hyperlactacidémie (acidose métabolique) hyperuricémie fréquente (50%) avec hypo-uraturie (compétition pour l’élimination urinaire entre lactates et urates) goutte et lithiases. L’hyperuricémie est due à une ↗ de la production de ribose-5-P qui est un précurseur du PRPP (voir biosynthèse des bases puriques) 2.2. Hyperuricémies secondaires rares insuffisance rénale (défaut d'élimination) hémopathies (acides nucléiques cellulaires/cytolytiques) liées à certaines affections (HTA, psoriasis, hypothyroïdie) iatrogènes (diurétiques, salicylés, …) circonstances particulières (éthylisme aigu, effort musculaire …) 2.2.1. Hémopathies malignes surtout à l’occasion des traitements cytolytiques libération massive de matériel intracellulaire (acides nucléiques) hyperuricémie 2.2.2. Affections rénales insuffisance rénale progressive familiale insuffisance rénale chronique ↘ excrétion urinaire d’urates ↗ augmentation des taux sanguins 2.2.3. Hyperuricémies iatrogéniques diurétiques (furosémide, thiazidiques) salicylés éthambutol cyclosporine oméprazole (IPP) β-bloquants, indométacine (AINS) hyperuricémie par : inhibition de la sécrétion d’acide urique ou augmentation de la réabsorption. Certains auteurs préfèrent une classification basée sur les notions de production/excrétion d’urates : Hyperproducteurs –hyperexcréteurs (10à 20% des gouttes) -Anomalies génétiques métabolique (↗PRPP synthétase, ↘HGPRT, ↘ G6Phosphatase -Hémopathies malignes -Excrétion urinaire augmentée + hyperproduction (idiopathique) Hypoexcréteurs (80% des gouttes) -Insuffisance rénale -Médicaments -Anomalie de l’excrétion urinaire (idiopathique). 3. Autres anomalies du métabolisme des purines A côté de ces hyperuricémies de rares anomalies conduisant à des hypouricémies (<120 µmol/L) ont été décrites, de découverte souvent fortuites, permanentes ou transitoires. Ce sont : Des diminutions de production d’acide urique -génétiques : déficit en xanthine oxydase (xanthinurie), déficit en PRPP synthétase… - acquises : secondaires au traitement par l’allopurinol (inhibiteur de la Xanthine oxydase) ou à une insuffisance hépatocellulaire grave. Des défauts de la réabsorption rénale - tubulopathies proximales - anomalies du transport 4. Examens complémentaires 4.1. Goutte Examens complémentaires Biologie : VS, NFS (hyperleucocytose), uricémie, uraturie Imagerie : normale ou peu spécifique Ponction articulaire : liquide inflammatoire (présence de polynucléaires neutrophiles et de cristaux d'urates de sodium 4.2. Lithiases uriques Examens complémentaires Biologie : pH urinaire : il est souvent faible tout au long du nychtémère chez les sujets faisant des lithiases à répétition (les urines acides favorisent la précipitation de l'acide urique) - Uricémie : elle n'est augmentée que chez 25% des patients ! - Uricurie : généralement abaissée La surveillance de l’uricémie chez la femme enceinte fait partie du suivie de hypertension artérielle gravidique à risque (prééclampsie). 4. Traitements (pour info) De la crise aiguë de goutte : - colchicine (remplacée ou associée à un AINS) - inhibiteurs de l’IL1 Traitement de fond (traitement à vie) : ramener l’uricémie < 300µmol/L mesures hygiéno-diététiques +++ : - supprimer abats, alcool (bière et alcools forts), sodas, sardines, anchois… - limiter viandes, volailles, poissons, crustacés, pois, haricots, lentilles... - exercice physique, diurèse alcaline (H2O alcalines) médicaments hypo-uricémiants : - inhibiteurs de la xanthine oxydase (allopurinol, febuxostat) - uricosuriques (probénécide, benzbromarone) - uricolytiques (rasburicase, pegloticase) 5. Pour finir ! La goutte n'est pas une maladie du passé ! 60 61