Dans le spectacle vivant, la prévisibilité des succès est faible ; pourtant le prix est fixé ex
ante, c’est-à-dire avant que l’on ne connaisse l’ampleur de la demande. Cette fixation a priori
permet d’éviter que le consommateur ne reporte son achat dans l’espoir d’une baisse des tarifs ;
une fois les premiers signes des comportements de demande avérés, les prix demeurent donc
fixes. Or les produits sont analogues, comme le note Courty (2000), à des biens périssables : une
salle presque vide constitue une perte sans appel. Dans le théâtre américain, on emploie à ce
propos l’expression très parlante de « deadwood » [bois mort] afin de désigner les billets
invendus.
En découle un manque à gagner pour les organisations : en cas de succès elles ne peuvent
s’approprier une part du surplus des consommateurs (qu’on approche via le différentiel entre ce
qu’ils étaient prêts à payer et ce qu’ils acquittent réellement) ; inversement elles ne peuvent
tenter d’attirer de nouveaux consommateurs par une baisse des prix en cas d’insuccès. Bien sûr
l’échec peut aussi procéder de facteurs indépendants du prix ; mais en se privant de l’action sur
cette variable, on perd un des éléments possibles de la régulation.
Les organisations culturelles sont de ce fait amenées à des stratégies d’ajustement de
l’offre et de la demande par les quantités plutôt que par les prix. Il est ainsi fréquent que l’on
module le nombre des représentations théâtrales en fonction du taux de remplissage des
représentations passées ; de même fait-on pour les expositions, écourtant ou allongeant leur
durée (sous réserve de différentes contraintes) au vu de la courbe de demande. C’est dans le
cinéma que cette pratique est la plus évidente : le distributeur ajuste le nombre d’écrans alloués
à un film au fur et à mesure des résultats obtenus en matière de fréquentation. C’est ainsi que Le
fabuleux destin d’Amélie Poulain eut droit en 2001 en deuxième semaine à 110 salles
supplémentaires, soient 432 écrans au total, ou que Titanic passa de 564 à 683 écrans dès la
deuxième semaine en 1998 en France aussi. A l’inverse, la baisse de la fréquentation conduit
l’exploitant au retrait d’un titre, même si la demande est encore significative. Les autres
industries culturelles n’échappent pas à la règle : la durée de vie des produits est calculée au
plus juste compte tenu des évolutions de la consommation, et disques et livres disparaissent des
rayonnages quand la demande entame son déclin ; il arrive même que la demande n’ait pas en le
temps de s’exprimer (Benhamou 2002).
• Des rigidités institutionnelles
Dans presque tous les cas, le prix incorpore une dimension institutionnelle qui en en
limite la flexibilité : pour le livre ou le cinéma, des réglementations encadrent la fixation du
prix ; dans les musées et les théâtres nationaux, la politique de tarification est contrainte par un
cahier des charges. L’élément de rigidité relève alors d’une politique industrielle, sociale ou