Journal Identification = NRP Article Identification = 0294 Date: April 15, 2014 Time: 12:35 pm
REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
des intentions initiales d’étude des mécanismes attention-
nels de Broadbent, la situation d’écoute dichotique est
devenue un paradigme d’étude de la spécialisation hémi-
sphérique. Depuis les années 1960, les recherches auprès
de populations pathologiques ont par ailleurs permis de
mettre en évidence des effets de spécialisation hémisphé-
rique dysfonctionnelle. De nos jours, l’étude de populations
neuro-pathologiques reste un enjeu majeur dans le domaine
de la recherche en écoute dichotique comme nous le ver-
rons ultérieurement.
Dans ce contexte d’accroissement et d’évolution pro-
gressive des thèmes de recherche, plusieurs auteurs se
sont intéressés aux rôles que pouvaient prendre les fac-
teurs attentionnels dans la situation d’écoute dichotique
[5, 14]. Pour certains d’entre eux, les mécanismes atten-
tionnels influenceraient, au même titre que la latéralisation
hémisphérique, les phénomènes d’asymétrie des réponses
observées. Les recherches d’Hiscock et de Kinsbourne [15]
ont participé à l’extension de ce champ d’étude. Dans le but
d’observer et d’évaluer un effet de spécialisation hémisphé-
rique du langage chez de jeunes enfants de trois, quatre et
cinq ans, Hiscock et Kinsbourne ont proposé aux partici-
pants de ne détecter qu’un seul des deux stimuli entendus
en leur indiquant, au préalable ou a posteriori, l’oreille
déterminante grâce à une petite peluche que les auteurs
situaient soit à la droite des enfants, soit à leur gauche.
Les résultats de l’ensemble des participants ont alors mon-
tré un avantage significatif de l’oreille droite (p<0,05),
quelle que soit la condition d’indic¸age. Pour les auteurs, ces
observations témoignaient de l’importance à attribuer aux
facteurs attentionnels : ceux-ci seraient, en effet, en mesure
de moduler les effets de latéralisation hémisphérique obser-
vés jusqu’alors [15]. Avec le même objectif d’évaluation
de l’influence des facteurs attentionnels au sein de situa-
tions d’écoute dichotique, Bryden [4] pondéra quelque peu
ces propos. Selon lui, les facteurs attentionnels ne seraient
pas simplement un outil de modulation de la latéralisation
hémisphérique, mais seraient plutôt assimilables à des biais
attentionnels limitant le rôle structural du traitement. Selon
cet auteur, les participants auraient tendance à avoir une
attention aléatoire au cours des essais dichotiques, c’est-à-
dire que leur attention serait orientée préférentiellement sur
une oreille plutôt qu’une autre avant d’entendre les paires
dichotiques. Sans un réel contrôle des facteurs attention-
nels au sein du paradigme d’écoute dichotique, il serait
donc impossible d’évaluer la véritable influence des fac-
teurs structuraux sur les performances des participants [4].
De l’ensemble des travaux cités plus haut et effectués
en situation d’écoute dichotique avec des stimuli verbaux,
il est possible de retenir deux observations récurrentes et
majeures, transposables qui plus est à une grande partie
de la population : la première est l’avantage évident de
l’oreille droite lors de l’identification des stimuli verbaux ;
la seconde concerne l’intervention de facteurs attentionnels
pouvant moduler cet avantage. Ces deux constats posent
alors la question de l’origine de l’asymétrie des réponses
observées, question à laquelle plusieurs modèles théoriques
se sont proposé de répondre en avanc¸ant une origine liée
soit à des facteurs exclusivement anatomiques et structu-
raux, soit à de simples facteurs attentionnels ou bien encore
à une action combinée de ces deux types de facteurs.
Les modèles explicatifs
Le modèle structural de Kimura
Le modèle structural de Kimura [1] repose sur les phéno-
mènes fonctionnels de conduction du message nerveux
auditif. En situation d’écoute diotique, i.e., en situation
d’écoute binaurale avec stimulation identique dans les deux
oreilles, le message nerveux auditif est transmis aux deux
hémisphères cérébraux via les fibres controlatérales et ipsi-
latérales, tel que le représentent les schémas A et B de
la figure 1. Cependant, la conduction du message ner-
veux auditif en situation dichotique est, elle, uniquement
assurée par les fibres controlatérales. Cette dernière situa-
tion provoque une inhibition de la conduction du message
nerveux par les fibres ipsilatérales. Par conséquent, un mes-
sage perc¸u dans l’oreille gauche en situation dichotique
est directement acheminé vers l’hémisphère cérébral droit
et inversement. L’asymétrie des réponses observées entre
les deux oreilles dans cette situation serait alors expli-
quée, selon Kimura, par la spécialisation hémisphérique :
chaque hémisphère cérébral ne pourrait traiter que des
stimuli en accord avec sa spécialisation. Dans le cas de
l’identification de stimuli verbaux, le message perc¸u par
l’oreille droite serait directement acheminé vers le lobe tem-
poral gauche, spécialisé pour ce traitement, alors que le
message perc¸u par l’oreille gauche parviendrait au niveau
du lobe temporal droit, inadapté pour traiter de tels sti-
muli. Le stimulus entendu dans l’oreille gauche serait, par
conséquent, redirigé via le corps calleux vers l’hémisphère
opposé pour pouvoir être traité. Ce mécanisme explique-
rait la plus grande facilité pour les participants à identifier
des stimuli verbaux dans leur oreille droite (l’avantage de
l’oreille droite), en lien direct avec l’hémisphère gauche
spécialisé dans le traitement du langage.
Les limites du modèle structural
Si le modèle structural était le seul à expliquer les effets
d’asymétrie observés dans les réponses des participants,
alors l’avantage observé pour l’oreille droite lors de la détec-
tion de stimuli verbaux serait censé rester constant avec
le temps. Certaines études évaluant la fiabilité du degré
d’asymétrie fonctionnelle, grâce à des protocoles test-retest,
ont cependant rapporté une instabilité de l’oreille avantagée
dans les réponses des participants [16]. Les aspects structu-
raux ne peuvent ainsi à eux seuls expliquer la fluctuation de
ces résultats. Ceux-ci semblent dépendre d’autres facteurs
tels que la nature des stimuli utilisés, la méthode de recueil
des données, ou bien encore les facteurs attentionnels sous-
jacents.
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