1er trimestre 2013 • 119
Le New Deal revisité
petites, de chaque branche industrielle détermine-
raient par concertation avec les syndicats les prix et
les salaires les concernant. Les « codes » ainsi obte-
nus s’imposeraient à toutes les entreprises d’un sec-
teur, une police spéciale veillant à leur application,
les contrevenants pouvant être sévèrement punis.
L’idée, derrière cette législation, était qu’elle
empêcherait la concurrence et maintiendrait des
prix élevés, donc, d’après des conseillers tels que
Moley, un pouvoir d’achat également élevé. Le
Nira provoqua de nombreux mécontents et finit
(en mai 1935) par être aboli par la Cour suprême
qui le jugea inconstitutionnel. Comme nous le verrons plus loin, Keynes le trouva,
lui, antiéconomique.
La tournure prise par le New Deal – en particulier la création des cartels par le
Nira – inquiétait Felix Frankfurter. Professeur de droit visitant à Oxford au cours
de l’année académique 1933-1934, admirateur et ami de Keynes, il aurait voulu que
celui-ci explique à Roosevelt ce qu’il devait faire et ne pas faire. Keynes, qui s’était
tu jusqu’alors sur ce sujet, publia le 31 décembre 1933 dans le New York Times une
lettre ouverte au président américain. Il y montrait que le New Deal s’était en fait
donné deux objectifs contradictoires : la reprise économique et les réformes sociales.
Or, le Nira était un programme de réforme déguisé en programme de reprise repo-
sant sur des idées fausses.
Dans sa lettre, Keynes expliquait que la reprise signifiait l’augmentation de la pro-
duction. La hausse des prix découlait naturellement d’une production en hausse.
Mais essayer de faire grimper les prix en restreignant la production était l’inverse de
ce qu’il fallait faire 4. Il fallait donc abroger le Nira.
En juin 1934, Keynes rendit une brève visite à Roosevelt. Celui-ci confia à Frances
Perkins, sa secrétaire au Travail d’alors : « J’ai vu votre ami Keynes. Il m’a laissé un
tas de chiffres. Ce doit être un mathématicien plutôt qu’un économiste. » Quant à
Keynes, il avoua à la même Perkins qu’il avait cru le président « économiquement
plus instruit ». Au cours du même voyage à New York et à Washington, en plusieurs
occasions, Keynes expliqua à ses interlocuteurs que si les dépenses fédérales, qui
à l’époque avoisinaient, croyait-on, 300 millions de dollars par mois, étaient aug-
4. Robert Skidelsky, John Maynard Keynes, The Economist as Savior, 1920-1937, Penguin Books, 1992.
En 1933, Keynes a
montré dans une
lettre ouverte au
président américain
que le New Deal
s’était en fait donné
deux objectifs
contradictoires : la
reprise économique
et les réformes
sociales.
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