Regard santé TELUS
Le passionnant domaine de la pharmacogénomique
révolutionnera notre façon de comprendre et de traiter les
maladies et de prescrire des médicaments. Le présent article
remet en question la prévalence des réactions indésirables aux
médicaments et montre comment l’abandon d’une approche
uniforme à l’égard des médicaments peut améliorer les soins,
sauver des vies et réduire les coûts associés aux hospitalisations
et aux visites à l’urgence évitables.
Bien des gens ne savent pas que des erreurs de médication que l’on aurait pu prévenir se produisent fréquemment malgré les
directives strictes concernant les médicaments et la compétence exceptionnelle des professionnels de la santé. On pense même que
les réactions indésirables aux médicaments pourraient être la quatrième cause de décès aux États-Unis
i.
Bon nombre des raisons qui expliquent ces incidents sont liées à un manque d’information auquel nous pourrions facilement remédier
au moyen de la technologie accessible. En voici des exemples :
Un médecin n’a pas accès aux antécédents pharmaceutiques du patient au moment de la prescription; il risque donc de prescrire
un médicament qui interagira mal avec un autre.
Les outils d’aide à la décision qui montrent les interactions médicamenteuses potentielles ou les médicaments couverts par
l’assurance du patient (et que celui-ci peut par conséquent se permettre) ne sont pas accessibles au point d’intervention, ce qui
pourrait inciter le patient à se priver des médicaments prescrits. Environ un Canadien sur dix ne se conforme pas au traitement
prescrit parce qu’il ne peut pas assumer le coût des médicaments
ii.
Au Canada, la prescription de médicaments demeure un processus manuel
risqué : les ordonnances sont rédigées à la main ou imprimées à partir d’un dossier
médical électronique, puis télécopiées ou amenées à la pharmacie, où elles sont
de nouveau saisies manuellement dans le système de gestion de la pharmacie.
Nous pourrions éliminer en partie les causes évitables de réactions indésirables aux médicaments en augmentant la portée des
systèmes numériques de gestion des soins et en favorisant une meilleure collaboration parmi les fournisseurs de soins de santé
et avec les patients. Au même moment, la pharmacogénomique est susceptible de révolutionner la façon dont les médicaments sont
administrés en tirant parti du profil génétique de chaque personne.
Médicaments :
lorsque suivre les directives ne suffit pas
Février 2016
Brendan Byrne
Chef de l’innovation
La pharmacogénomique est
susceptible de révolutionner la façon
dont les médicaments sont administrés.
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telussante.com
L’exemple suivant, qui traite de la poursuite mettant en cause le Clopidogrel à Hawaï en 2014, illustre bien ce point.
Des traitements éprouvés qui ne fonctionnent pas
Rudy, pêcheur de quatrième génération d’origine polynésienne, a commencé à souffrir de douleurs thoraciques en tirant ses lourdes
lignes de pêche. Au bout de six semaines, ses symptômes l’ont poussé à consulter un médecin. Il a alors reçu un diagnostic de
blocage des artères. Son cardiologue a pratiqué une angioplastie, procédé qui vise à ouvrir les artères et à insérer des endoprothèses
pour les maintenir en position ouverte.
Rudy devait également prendre durant six mois du Clopidogrel, médicament qui empêche la formation de caillots. Tout s’est bien
passé au cours des trois premiers mois, mais il a ensuite été pris de graves douleurs thoraciques et amené d’urgence à l’hôpital. Lors
du trajet, Rudy a subi un arrêt cardiaque et n’a pas pu être réanimé. Une autopsie a révélé un blocage artériel complet à l’endroit où se
situait une endoprothèse. Rendu perplexe par l’inefficacité du Clopidogrel, son cardiologue a demandé au pathologiste de prélever un
échantillon de sang post mortem afin de vérifier le profil génétique de Rudy. Il s’intéressait plus particulièrement aux gènes
responsables de l’enzyme qui convertit le Clopidogrel en médicament actif.
Tout comme 75 % des Polynésiens, Rudy était porteur des gènes associés à une version lente de l’enzyme CYP2C19, ce qui rendait
le médicament inefficace. Si ce test avait été effectué avant le traitement, le cardiologue aurait choisi un autre médicament et, selon
toute probabilité, la mort de Rudy aurait été évitée. Malheureusement, les cas comme celui-là ne sont pas rares.
Faits surprenants au sujet de l’efficacité des médicaments
En réalité, un fort pourcentage de tous les médicaments prescrits ne fonctionnent tout simplement pas chez certains patients. Au
Canada, nous dépensons plus de 30 milliards de dollars – soit 15 % de notre budget total de santé – pour des médicaments
iii.
Pourtant, bon nombre d’entre eux sont à la fois inefficaces et dangereux. Par exemple, l’inefficacité des médicaments prescrits se
chiffre à 38 % pour la dépression, 40 % pour l’asthme, 43 % pour le diabète, 50 % pour l’arthrite et 75 % pour le cancer
iv.
Ces échecs médicamenteux n’entraînent pas tous la mort,
mais le problème avec les médicaments inefficaces est
aussi une question d’innocuité. Même si les médicaments
sont prescrits selon des directives strictes, ils peuvent
provoquer une toxicité (et ils le font).
Comment est-ce possible ? Le manque d’efficacité
résulte d’une interaction complexe de facteurs, mais
surtout, chaque personne métabolise les médicaments
différemment et peut donc y réagir à sa propre façon.
Pour mieux comprendre cela, nous devons examiner le
fonctionnement des médicaments, leur métabolisme et
leur élimination du corps.
75 %
50 %
43 % 40 %
38 %
Pourcentage
de patients pour
lesquels les
médicaments sont
inefficaces
C
A
N
C
E
R
A
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T
H
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I
T
E
D
I
A
B
È
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M
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P
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I
O
N
Plasma concentrations
SIDE-EFFECT
Adverse response
Desired response
SUB-THERAPEUTIC
Dangerous Drugs
Ineffective Drugs
THERAPEUTIC WINDOW
Peak of effect
Duration of action
Concentration
dans le plasma
EFFET SECONDAIRE
Réaction indésirable
Réaction souhaitée
Médicaments
dangereux
Médicaments
inefficaces
INTERVALLE THÉRAPEUTIQUE
Durée de l’action
Pointe de l’effet
Temps
DOSE
SOUS-THÉRAPEUTIQUE
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Mode d’action des médicaments
L’efficacité et l’innocuité des médicaments dépendent de leur administration à des concentrations situées dans un intervalle
thérapeutique, c’est-à-dire entre le seuil minimal d’efficacité et le niveau auquel des effets secondaires toxiques apparaissent. Tous
les médicaments sont associés à des intervalles thérapeutiques, dont certains sont plus limités que d’autres. Par exemple,
l’anticoagulant Warfarine est notablement associé à un intervalle étroit, et lorsqu’il est absorbé à des concentrations dangereuses,
il peut faire courir au patient un risque d’hémorragie mortelle.
Le défi qui se pose aux médecins
est que les réactions aux médicaments
varient considérablement d’une
personne à l’autre.
Lorsque Paracelse, médecin suisse d’expression allemande
de l’époque médiévale considéré comme le fondateur de la
toxicologie, affirmait que « c’est dans la dose qu’est le poison », il
avait passablement raison. Les concentrations thérapeutiques
dépendent d’un équilibre entre la dose ingérée ainsi que
l’absorption, la distribution et, surtout, le métabolisme et le filtrage
d’un médicament. Le métabolisme de phase I de la plupart des
médicaments est effectué dans le foie par les cytochromes
P450 (CYP). Ces protéines membranaires peuvent soit :
activer un médicament ;
convertir un médicament actif en métabolite actif ou toxique ;
convertir un médicament ne pouvant pas être excrété en un
médicament pouvant l’être ;
désactiver un médicament.
L’activité des CYP peut être influencée par de nombreux facteurs,
notamment la présence d’autres substances activatrices ou
inhibitrices. Après la phase I, le métabolisme de nombreux
médicaments passe par une deuxième phase qui consiste
en l’élimination sécuritaire par le corps. Tout facteur augmentant
ou réduisant l’activité des enzymes métaboliques a une
incidence sur la concentration du médicament et son intervalle
thérapeutique,
et donc sur son
efficacité et
son innocuité.
Métabolisme des médicaments 101
75 %
50 %
43 % 40 %
38 %
Pourcentage
de patients pour
lesquels les
médicaments sont
inefficaces
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Plasma concentrations
SIDE-EFFECT
Adverse response
Desired response
SUB-THERAPEUTIC
Dangerous Drugs
Ineffective Drugs
THERAPEUTIC WINDOW
Peak of effect
Duration of action
Concentration
dans le plasma
EFFET SECONDAIRE
Réaction indésirable
Réaction souhaitée
Médicaments
dangereux
Médicaments
inefficaces
INTERVALLE THÉRAPEUTIQUE
Durée de l’action
Pointe de l’effet
Temps
DOSE
SOUS-THÉRAPEUTIQUE
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Le défi du médecin : l’uniformité
ne convient pas à tout le monde
Le défi qui se pose aux médecins est que les réactions aux
médicaments varient considérablement d’une personne à l’autre.
L’âge, le sexe, le poids, la fonction rénale et la fonction
hépatique sont autant de facteurs qui entrent en ligne de
compte. Nous comprenons également de mieux en mieux
comment la génétique joue un rôle extrêmement important.
Quatre-vingt-dix pour cent de la population est porteuse
d’au moins une variante génétique associée aux enzymes
responsables du métabolisme des médicaments.
Seulement 7 % des patients sont dotés de toutes les
variantes normales associées aux cinq principales enzymes
CYP intervenant dans le métabolisme des médicaments
v.
Pour en revenir au cas de Rudy, notons qu’environ 20 % de
la population générale et jusqu’à 75 % des Polynésiens
vi sont
porteurs de la version lente du gène de l’enzyme CYP2C19,
qui entraîne l’échec du traitement au Clopidogrel.
En raison de ces variantes, une même dose de médicament
peut se traduire par des concentrations très différentes qui
peuvent se révéler inefficaces, thérapeutiques ou toxiques, selon
l’expression génétique du patient. La capacité d’un patient à
métaboliser un médicament donné sera, d’après son profil
génétique, considérée comme faible, normale ou excellente.
Pour compliquer le tout, différents médicaments peuvent avoir
des effets antagonistes ou synergiques sur une même voie
métabolique. S’il ne comprend pas ces effets individuels et
cumulatifs, un médecin ne peut pas prédire avec exactitude le
comportement d’un médicament.
Les trois principaux
inducteurs des effets
indésirables d’un médicament
Les effets indésirables d’un médicament se produisent pour de
nombreuses raisons qui peuvent se résumer en trois catégories :
1 Les interactions médicament-médicament ;
2 Les interactions médicament-gène ;
3 Les interactions médicament-médicament-gène.
Les dossiers médicaux électroniques et les systèmes de
gestion de pharmacie peuvent être très utiles pour protéger les
patients contre les interactions médicament-médicament. La
numérisation des dossiers de patients permet aux praticiens
d’accéder plus facilement aux renseignements relatifs à leurs
médicaments. Toutefois, on estime qu’un tiers des effets
indésirables d’un médicament évitables sont attribuables
à des interactions médicament-gène et à des interactions
médicament-médicament-gène. Aussi la FDA leur attribue-t-elle
désormais une importance aussi grande qu’aux interactions
médicament-médicament et estime qu’il convient de leur
accorder autant d’attention. Par conséquent, les encarts de
plus de cent produits contiennent désormais des directives
de la FDA sur les interactions médicament-gène.
i CARLETON, Bruce C., Pharm. D., et SMITH, M. Anne, MSc, « Drug safety: side effects and mistakes or adverse reactions and deadly errors? », BC Medical Journal, vol. 48, no 7, septembre 2006;
et www.fda.gov, « Preventable Adverse Drug Reactions: A Focus on Drug Interactions ».
ii LAW, Michael R., Ph. D., CHENG, Lucy, MSc, DHALLA, Irfan A., M.D. MSc, HEARD, Deborah, B.Sc.A. et MORGAN, Steven G., Ph. D, « The effect of cost on adherence to prescription medications in
Canada », Journal de l’Association médicale canadienne, volume 184, no 3, 21 février 2012.
iii Site Web de l’Institut canadien d’information sur la santé, « Dépenses en médicaments en 2014, Combien d’argent les Canadiens dépensent-ils en médicaments? ».
iv SPEAR, B.B., HEATH-CHIOZZI, M. et HUFF, J., « Clinical application of pharmacogenetics », Trends in Molecular Medicine, vol. 7, no 5, 2001, p. 201-204, tel que cité dans le rapport de la FDA « Paving the
Way for Personalized Medicine », octobre 2013.
v REILING, Mary V. et EVANS, William E., « Pharmacogenomics in the clinic », Nature, volume 526, octobre 2015.
vi WU, Alan HB, WHITE, Marquitta J, OH, Sam et BURCHARD, Esteban, « Personalized Medicine, The Hawaii clopidogrel lawsuit: the possible effect on clinical laboratory testing », Future Medicine, vol. 12, no 3.
vii Site Web de l’Institut canadien d’information sur la santé, « Hospitalisations liées aux réactions indésirables aux médicaments chez les personnes âgées, de 2006 à 2011 ».
viii BRIXNER, D., BILTAJI, E., BRESS, A., UNNI, S., YE, X., MAMIYA, T. et al., « The effect of pharmacogenetic profiling with a clinical decision support tool on healthcare resource utilization and estimated costs in
the elderly exposed to polypharmacy », Journal of Medical Economics, 2015, p. 1-40.
AST1161_Enterprise_TTHFebruary2016_CC-FR-v2-February 2016
Au-delà de l’approche uniforme
Il y a encore dix ans, il était trop coûteux de recueillir de tels
renseignements au sujet des caractéristiques génétiques
d’une personne. Les médecins devaient donc se contenter de
prescrire les médicaments de manière uniforme, avec quelques
variantes de dosage selon l’âge, le poids et la fonction rénale.
De nos jours, les renseignements requis pour comprendre
comment un patient réagit aux médicaments peuvent être
obtenus pour 500 $ par patient, et ces frais diminuent
rapidement. Des données sûres ont été réunies sur plus
de 80 gènes ayant un effet sur l’innocuité et l’efficacité
des médicaments.
Lorsqu’elle est appliquée à des populations particulièrement
à risque comme les personnes âgées, dont une sur 200 est
hospitalisée chaque année en raison d’effets indésirables d’un
médicament
vii, la pharmacogénomique peut réduire le nombre
d’hospitalisations et de visites à l’urgence. En effet, une étude
portant sur les personnes âgées prenant trois médicaments
ou plus a révélé une réduction de 39 % des hospitalisations et
de 71 % des visites à l’urgence
viii.
La pharmacogénomique peut nous aider à mieux
utiliser les médicaments, ce qui améliorera les soins,
sauvera parfois des vies et réduira les coûts associés
aux hospitalisations, aux visites à l’urgence et aux
autres interactions évitables avec le système de
santé. Compte tenu de la prévalence des réactions
indésirables évitables et des avantages potentiels de
la médecine personnalisée sur la sécurité des patients,
une question s’impose : pourquoi ne profitons-nous pas
de cette occasion et ne travaillons-nous pas à éliminer
systématiquement toute réaction indésirable évitable ?
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