À propos de l`évaluation du médicament et de son suivi*

À propos de lévaluation
du médicament et de
son suivi*
Le Pr Lucien Abenhaim a été, dans les années 1980, lun des fondateurs
mondiaux dune discipline nouvelle la pharmaco-épidémiologie et
son représentant francophone le plus emblématique.
Ses interventions dans les domaines du risque professionnel, environne-
mental et médicamenteux ont contribué à le faire accéder à la fonction de
Directeur général de la santé en 1999. Pendant les quatre années où il a
exercé ses fonctions, la Direction Générale de la Santé a initié, entre autres,
une réforme profonde de lévaluation du médicament. Il revient sur ces
années fondatrices.
Médecine : La pharmaco-épidémiologie est une discipline qui est née dans
les années 1980. Comment a-t-elle été médiatisée en France à suite de la
publication de votre travail dans le New England Journal of Medicine sur la
famille des fenuramines ?
Pr L.A : En 1988, jai fondé, au sein du département dépidémiologie de
luniversité McGill de Montréal, le premier cours au plan international dune
discipline nouvelle : la pharmaco-épidémiologie. Cette approche intègre
les méthodes épidémiologiques dans lévaluation de lefcacité, du risque
et du bénéce de lusage des médicaments en vie réelle.
Lorsque les autorités de santé françaises ont demandé aux laboratoires
Servier qui commercialisaient deux fenuramines lIsoméride
1
et le
Pondéral
1
de réaliser une étude sur les risques de ces produits, ils se sont
adressés à mon laboratoire.
Le résultat de notre travail, qui a été mené sur 3 ans, a été publié en 1996
dans le NEJM [1]. Nous avons pu établir quil existait un lien causal entre les
fenuramines et la survenue dhypertension artérielle pulmonaire primitive
(« HTAP » à lépoque).
Médecine : Comment expliquez-vous la différence de comportement des
autorités de santé françaises et américaines ?
Pr L.A : Sur la base de notre rapport issu en 1995, la France avait une décision
de limitation drastique des remboursements des produits et lEurope devait
en restreindre les indications.
Néanmoins, en avril 1996, la FDA a autorisé la commercialisation du
Redux
1
(léquivalent de lIsoméride
1
) dans des indications larges et avec
une autorisation de publicité directe ! À ce moment-là, la FDA a cru
que le risque individuel du produit était contrebalancé par le bénéce
chez les obèses. La voix dun expert français na pas été beaucoup
entendue, fut-il de McGill. Lannée suivante, en 1997, Michael McGoon, un
membre du comité aviseur de notre étude, qui travaillait à la Mayo Clinic
(Rochester, États-Unis), a orienté Heidi Connolly vers les fenuramines
pour expliquer les valvulopathies sérotoninergiques quelle avait obser-
vées chez des malades. La FDA, qui commençait déjà à regretter
amèrement sa décision suite aux premiers cas dHTAP chez des utilisateurs
de fenuramines, que nous détections dans une nouvelle étude
américaine cette fois, a alors rapidement demandé aux laboratoires à
les retirer du marché.
*Entretien réalisé par le Dr Isabelle Catala.
SÉCURITÉ DES SOINS
ÉDECINE
32 MÉDECINE Octobre 2016
Lucien Abenhaïm
Directeur g
en
eral de la sant
e de 1999 à
2003
Tir
es à part : L. Abenhaïm
DOI: 10.1684/med.2016.79
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Médecine : Votre nomination à la Direction générale de
la santé a suivi de près la création de certaines agences
(Agence française du médicament, Agence française du
sang, Agence française de sécurité sanitaire des aliments)
qui ont été mises en place pour répondre à une demande
de sécurité accrue des populations. Ce dispositif vous a-t-
il permis de mener à bien les interventions de la DGS dans
lévaluation du médicament et de son suivi ?
Pr L.A : Les missions de la DGS sont très larges : guider la
politique de santé publique, protéger les populations,
garantir les normes de pratiques pour des soins de
qualité... Le domaine du médicament nest que lun de
ses domaines daction (encadré 1). En tant que pharmaco-
épidémiologiste, jai naturellement porté une attention
particulière au médicament. Nous avons avec les équipes
de la DGS proposé une méthodologie pour la mise en
œuvre dune politique dévaluation de lintérêt de santé
publique des médicaments après leur mise sur le marché,
an de préciser leur impact en situation réelle dutilisa-
tion. Des critères dévaluation ont été dénis, des
mesures dimpact proposées...
Médecine : Comment a évolué lévaluation du médica-
ment depuis le milieu des années 2000 ?
Pr L.A : Alors que les essais thérapeutiques étaient les
seuls arguments de la décision de mise sur le marché et
de remboursement des médicaments, le paradigme de
lévaluation des médicaments « en vie elle », en
pratique médicale courante, sest depuis très large-
ment diffusé dans le monde entier. Sil est encore rare
(mais pas exclu) que des produits soient acceptés avec
de simples études observationnelles, la présentation
darguments sur la place des produits dans la théra-
peutique, sappuyant sur des études du contexte et
des comparateurs existants, est maintenant systéma-
tique. Mieux, les agences règlementaires et les orga-
nismes de couverture sociale et de remboursement
partout dans le monde exigent que des études de
limpact en vie réelle des produits soient proposées
après leur mise sur le marché. En France, nous avions
commencé il y a 15 ans ! Partout dans le monde, des
« contrats de performance » sont maintenant signés
entre lindustrie et les « payeurs » pour le suivi des
produits mis sur le marché, similaires à ce que la France
a inauguré en 2000. Cette politique qui a pu être
qualiée à lépoque dinterférence exagérée de lÉtat
est désormais appliquée largement aux États-Unis entre
les industriels et les grands assureurs privés... Mais il
reste encore du chemin à faire dans ce domaine, et il
faut conserver notre avance !
~Liens dintérêts : lauteur est aujourdhui président
dune société internationale de conseil et dévaluation
dans le domaine du médicament et est professeur
honoraire à la London School of Hygiene
& Tropical Medicine.
RÉFÉRENCE
1. Abenhaim L, Moride Y, Brenot F, et al. Appetite-suppressant drugs and the risk of
primary pulmonary hypertension. International Primary Pulmonary Hypertension
Study Group. N Engl J Med 1996 ; 335 : 609-16.
Encadré 1
En France, lautorisation de mise sur le marché (AMM)
est la première étape de commercialisation dun
médicament. Le dossier dAMM est déposé soit auprès
de lAgence Européenne du Médicament (EMA) soit de
lAgence Nationale de Sécurité du Médicament et des
produits de santé (ANSM).
Un avis est ensuite rendu par la Commission de la
Transparence qui est abritée par la Haute Autorité de
Santé et qui statue sur le service médical rendu (SMR)
et son amélioration, ce qui oriente le remboursement.
Lavis rendu par cette commission est ensuite transmis
au ministre chargé de la santé (qui peut déléguer son
pouvoir au Directeur Général de la Santé) et de celui
léconomie (en charge de la sécurité sociale). La
décision nale sur le prix des médicaments est
par le Comité Économique des Produits de Santé
(CEPS) qui fait participer tous les acteurs, dont les
Caisses dAssurance Maladie.
MÉDECINE Octobre 2016 33
SÉCURITÉ DES SOINS
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