Site académique Aix-Marseille Histoire et Géographie Unités et diversité des Sud dans l’intégration à l’économie mondiale Anne-Marie Drai er Le 1 mars 2005 Professeure en CPGE (Communication réalisée lors des Cinquièmes Rencontres de la Durance - 2005) Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur l’Inspecteur, J. Serandour, pour son invitation à ces journées de la Durance et toute l’équipe d’enseignants qui participent à son organisation et à son animation. En tant qu’économiste enseignant en CPGE, le débat sur la décolonisation s’actualise dans les possibilités qui s’offrent aujourd’hui aux pays les plus pauvres de la planète, de bénéficier des effets d’une amélioration en matière de niveau de vie, de santé, d’accès au savoir, voire d’une 1 «expansion de leurs libertés réelles ». En ce sens, il s’agit de questionner les modalités actuelles de leur insertion dans l’économie mondiale. 2 On a beaucoup commenté, ce qu’A.Nonjon a nommé la « déflagration » de Cancun, en septembre 2003. Le rejet d’un accord douanier sur les produits agricoles par 22 grands pays en développement (notamment, le Brésil, Inde, Chine, Egypte, Afrique du Sud) rejoint par le « Groupe des 4 » pays moins avancés exportateurs de coton, (Burkina Faso, Bénin, Mali, 3 Tchad), a conduit à certaines concessions des pays développés dans la libéralisation des échanges. L’UE s’est engagée en juillet 2004, à éliminer les subventions aux exportations agricoles et les Etats-Unis devraient limiter leurs crédits aux exportations.. Doit-on voir là, dans 4 un écho au « coup de tonnerre de Bandoeng, les signes d’un renouveau du tiersmondisme et d’une capacité d’organisation du Sud? Certes, la définition géopolitique et idéologique du tiers monde, telle que la voyait Alfred Sauvy, en 1952, - entre un bloc communiste ayant choisi un programme étatique d'industrialisation rapide qui devait «dépasser les Etats-Unis d'ici l'an 2000 », comme l’avait promis Khrouchtchev, et un bloc capitaliste vers lesquels les Etats-Unis concentrèrent leurs 5 efforts dans l'immédiat après-guerre - a volé en éclat dès les années 1960. Pourtant, le nombre d’Etats indépendants s’est rapidement accru entre 1945 et 1965, ce sont environ cinquante quatre Etats qui ont fait leur apparition dans le monde, et, cinquante sept autres Etats sont nés entre 1965 et la fin du siècle . Mais, d’une part, sur le plan politique, les conflits régionaux entre pays du Sud ont accompagné l’indépendance nationale (par exemple, la confrontation Indonésie Malaisie, Inde Pakistan, Irak-Iran). D’autre part, sur le plan économique, la croissance et le développement n’ont pas été au rendez-vous pour tous. Dès les années 1970, les économistes ont multiplié les catégories de pays: NPI (selon la terminologie OCDE) , pays producteurs de pétrole, PMA, petites économies insulaires (selon la classification CNUCED). 40% des habitants de la planète a encore un revenu moyen 6 inférieur à 2 euros par jour. Cette part devrait s’accroître dans les dix prochaines années . La disparition de l’ordre bipolaire entre 1989-1991 et la transition des pays de l’Est vers Selon, A. Sen définit le développement se manifeste par la « faculté d’échapper à la famine, à la malnutrition, à la morbidité évitable et à la mortalité prématurée, aussi bien que les libertés qui découlent de l’alphabétisation, de la participation politique ouverte, de la libre expression». 2 A.Nonjon, Un nouveau tiers-mondisme, l’exemple du G20, Espace Prépa, , n°99, décembre 2004. 3 USA, UE, Suisse, Norvège, Japon, Canada 4 en référence à L.S.Shenghor qui qualifiait Bandoeng , comme « Un coup de tonnerre dans un ciel serein ». 5 A l’exception de l’Amérique Latine 6 Selon le rapport du PNUD 2004, la population qui a un revenu par habitant de moins de 735 dollars par habitant en 2001, s’élevait en 2002 à 2,5 milliards d’habitants sur une population mondiale de 6,22 milliards et ce rapport évoluerait en 2015 respectivement vers 3 milliards d et 7,19 milliards. 1 7 l’économie de marché, ont ainsi, créé des clivages plus « flous et mouvants ». Chaque année depuis 1991, au fil des rapports du PNUD, l’ONU a mis l’accent sur de nouveaux indicateurs qui évaluent les degrés de participation des acteurs du développement : place des femmes, des pauvres, des minorités culturelles à travers leurs accès à l’éducation, la santé, aux nouvelles technologie, au pouvoir politique. Comment appréhender les anciennes et nouvelles lignes de fracture du Sud pour cerner 8 la « ligne de partage des eaux qui divise le Nord et le Sud » qui sépare et qui réunit, comme l’évoquait Monsieur l’Inspecteur Jean Serandour dans son intervention 2002 sur la Méditerranée, Quel poids accorder aux variables économique et aux variables politiques au regard de la possibilité d’une certaine convergence Nord Sud ? C’est un survol rapide des débats sur le poids de ces deux dimensions que je vous propose dans le temps qui nous est imparti. De nouvelles formes d’exclusion et d’intégration à l’économie mondiale Ouverture aux échanges, intégration à l’économie mondiale et pauvreté Alors que dans la période post-coloniale, et jusqu’aux années 1980, les Etats récemment indépendants tentaient de protéger les industries de consommation pour développer des industries de substitution aux importations, avec en quelque sorte, comme le souligne Laurence 9 Tubiana, un marché faible et un Etat fort , l’adhésion aux principes du libre échange et de l’économie de marché a gagné depuis, beaucoup de terrain. Les commentaires d’inspiration libérale avaient mis particulièrement l’accent sur une logique exportatrice des pays asiatiques, respectueuse de la sanction des marchés, favorisant une remontée dynamique à partir du textile et la création d’emplois peu qualifiés - ce que les théoriciens de l'ajustement structurel ont appelé, « stratégie d'industrialisation par l'exportation ». Cependant, si on exclut l’Inde et la Chine, l’ouverture des économies imposée par le Consensus de Washington - la Banque Mondiale et le FMI- pour faire face aux problèmes d’endettement des pays du Sud, n’a pas fait diminué les écarts de richesse. La comparaison avec la situation d’il y a 40 ans, montre qu’en termes de niveaux de revenu par tête, la plupart des pays pauvres d’une 10 part, des riches de l'autre, le sont restés . Le groupe des pays intermédiaires s'est réduit, certains pays ont réussi un rattrapage (Chine) ou sont en bonne voie (Inde), d’autres s’enlisent voire régressent (Cote d’Ivoire..). Comme le note de le rapport de la CNUCED 2004, les pays pauvres sont en fait, plus ouverts au 11 commerce international que les pays les plus riches du monde :, mais pour la plupart, la mondialisation reste une attente, une promesse d’avenir meilleur. Durant les années 1990, « ce sont les pays qui s'étaient ouverts modérément et non ceux qui s'étaient le plus ouverts qui ont connu les plus grands progrès en termes de croissance des exportations et de la consommation ». De nouvelles formes de domination du Nord ? 12 Pourtant, au sein de l'OMC, quoiqu’il n’y ait pas de définition officielle , les pays en développement sont majoritaires : sur 148 pays membres, plus de 100 - soit les trois quarts sont considérés comme sous développés. Certes, on différencie le « Groupe des 22 » déjà évoqué, un «Groupe des 90» où se retrouvent pays africains, pays ACP (Afrique -CaraïbesElsa Assidon, « L’émergence d’un nouveau domaine : l’économie du développement, in Nouvelle histoire de la pensée économique, La Découverte, 2000, PP.487-515. 8 Terme de Th. Fabre repris par J. Serandour, in « Journées de la Durance », 2002 9 On peut citer le cas du Brésil, après la mise en place spontanée de cette politique dans les années 1930 par le gouvernement Vargas9 la marche forcée de l'industrialisation est devenue plus volontaire. Le gouvernement populiste de Kubitschek lança en 1956, un plan quinquennal ambitieux, financé par emprunt auprès de banques américaines (150 millions de dollars) et une réforme agraire. Le transfert de la capitale vers Brasilia traduisait l’affirmation de cette politique, rapidement tempérée par la chute des prix mondiaux du café. Malgré coup d’Etat des militaires (1964) et l’appel au capital étranger, le miracle 1968-1973, résista mal aux chocs pétroliers et à la misère de près de la moitié de la population. 10 I.Bensidoun et A.Chevallier, « Ouverture du Sud : priorité au développement» , in « L’économie mondiale » 2003, CEPII, la Découverte2002. 11 Selon le rapport de la CNUCED 2004, le ratio entre exportations et importations et le PIB est de 51% pour les PMA alors qu'il n'atteint que 43 % pour les pays de l'OCDE. 12 Les pays en développement sont désignés comme tels, par auto sélection, et ce procédé n’est pas accepté de façon automatique, par tous les organes de l'OMC. 7 Pacifique) et la plupart des pays moins avancés (sur les 50 pays membres de l’OMC, 32 en font partie et 8 autres sont en voie d’accession). L’OMC vit-elle sur un modèle dépassé, en ne reconnaissant que trois catégories de pays : pays développés, pays en développement et pays les moins avancés ? Sa structure est-elle trop peu démocratique? « Cancun marque certainement un tournant dans la gouvernance de l’organisation car les rapports de force nouvellement établis resteront dans les mémoires, sinon dans la forme des nouvelles 13 alliances. ». L’intégration à l’économie mondiale semble être une tendance lourde, avec des seuils d’irréversibilité, mais, depuis l’échec de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA), de l'Alaska à la Terre de Feu que voulait le président Bush, ce sont les négociations bilatérales qui semblent être activées pour favoriser l’accès au marché américain : on observe par exemple, des accords bilatéraux entre les USA et certains pays d’Amérique centrale, ou plus récemment avec le Maroc (2005). Dans son rapport annuel présenté fin 2004, le directeur général de l’OMC Supachai Panitchpakdi constate qu’il y a 206 accords préférentiels, et qu’une large partie de ces traités a été signée depuis 2003 (21 de ces traités ont été conclus entre janvier et août 2003, 30 autres ont été signés entre 2003 et 2004 et 60 sont en cours de négociations). Il y aurait un risque que «les relations commerciales préférentielles et discriminatoires ne deviennent une caractéristique toujours plus présente, et peut-être irréversible, du système commercial international.» Sans doute cela va 14 davantage dans le sens d’une gouvernance mondiale , c’est-à-dire l’émergence de règles sans gouvernement multinational. Dans une lecture marxiste, les formes d’intégration à l’économie mondiale sont articulées aux modalités de domination des pays plus avancés. Depuis le XIXe siècle, l’écart des revenus moyens des pays les plus riches et les plus pauvres, s’est amplifié : il aurait évolué de 9 pour 1 à la fin du XIXe siècle, à 60 pour 1 en 200015. Le cas de l’Inde qui devrait corroborer les bienfaits du commerce international, avec son intégration officielle à l’Empire en 1877, illustrerait plutôt la thèse d’une évolution divergente : les écarts de richesse avec l’Angleterre qui étaient de 1 à 2 au début du siècle sont passés de 1à 10, à la fin du XIXe. L’asymétrie de la spécialisation de l’Inde, impulsée par les biens que l’Angleterre ne produisait pas, tels que le coton ou l’opium, a été largement commentée depuis Marx.. Paul Baran n’écrivait-il pas que la pénétration capitaliste a « perpétué la stagnation de l’économie de ces pays, le maintien de techniques archaïques et de rapports sociaux rétrogrades » 16. Cette spécialisation entre produits manufacturés au Nord, et matières premières au Sud, est restée encore dominante jusque dans les années 1950. Le débat sur les termes de l’échange lancé par la première génération des économistes de la Commission des nations unies pour l’Amérique Latine (la CEPAL) concerne toujours des pays pauvres exportateurs d’un ou deux produits, mais le thème de la dépendance tend à se déplacer vers l’enjeu d’une économie de la connaissance17. Le poids des mutations technologiques dans les écarts Nord Sud Dans une optique plus libérale, notre prospérité ne se nourrit pas de la misère ou de 18 l’exploitation des autres pays. Selon Daniel Cohen[2004] , les pays développés échangent surtout entre eux et n’ont malheureusement, pas besoin du Tiers-Monde. La dynamique des échanges dans les deux phases de la mondialisation (celle de la fin du XIXe siècle, et de la fin du XXe siècle), a été impulsée par la baisse des coûts de transport et de communication, conduisant à une certaine convergence des prix des produits échangés internationalement. Mais, pour Paul Krugman ou Daniel Cohen, ce sont les nouvelles technologies qui favorisent et/ou bloquent le développement. D.Cohen [1997] attribue aux spécificités du progrès technique porté par la 'troisième révolution industrielle'), les causes des inégalités croissantes sur le plan interne (que ce soit en termes de salaire, comme aux Etats-Unis, ou d'accès à l'emploi, comme en Europe) et sur le plan externe (en amplifiant les inégalités entre les pays). La première mondialisation avait progressivement conduit, selon Daniel Cohen 13 JM. PAUGAM, « Pour une relance du cycle de développement : refonder le consensus multilatéral après Cancun », IFRI, dec.2003. 14 Par gouvernance mondiale on peut entendre, avec Pascal Lamy « l’ensemble des transactions par lesquelles des règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et contrôlées ». 15 Selon l’étude de Branco Milanovitch dans l’Economic Journal 2002 16 « Economie politique de la croissance », ed américaine , 1957, Maspero, 1967, p.285. 17 El Mouhoub Mohoud, Division internationale du travail et économie de la connaissance », in « Sommes sortis du capitalisme industriel ? » La Dispute 2004, sous la dir de C.Vercellone121-136 18 La mondialisation et ses ennemis, Grasset, 2004. [2004], à la disparition des paysans en France, la seconde conduirait à une diminution drastique des ouvriers dans les usines des pays développés (ils ne sont plus que 10% aux USA contre 30 ou 40% dans les années 50), avec le déplacement de la création de valeur vers les deux bouts de la chaîne de production, c’est-à-dire vers la conception et la commercialisation (en quelque sorte, une généralisation des modalités de la production de la paire de chaussure Nike des années 1990). La géographie jouerait un rôle déterminant. Pour un secteur ou sur un territoire, les 19 effets d’agglomération (effet de cluster) seraient très puissants avec l’installation des meilleurs talents et des firmes dynamiques. Le courant très hétérogène, de la nouvelle 20 géographie économique met l’accent sur de nouvelles opportunités et de nouveaux désavantages du déplacement des lieux de fabrication vers des nouvelles régions. La recherche, la formation, les infrastructures productives, créées notamment par les services d’intermédiation, (comme la banque, le transport les communications, la distribution), renforceraient l’accès à l’information sur les produits et les procédés. Des effets d’apprentissage par le faire (learning by doing) et par l’usage (learning by using) sont susceptibles de créer une dynamique cumulative. Par exemple, sur la côte est de la Chine, les industries électriques et électroniques ont émergé dans les années 1990, soutenues par les investisseurs étrangers qui réalisaient plus de la moitié de la valeur ajoutée du secteur en 2001. Les pièces et composants incorporés sont essentiellement importés des pays voisins, comme ce fut, dans une moindre mesure, le cas en Thaïlande, en Indonésie ou en Malaisie quand les entreprises japonaises commencèrent à y implanter des usines. Mais, les régions côtières de la Chine sont venues concurrencer les NPI de la « première génération » avec les délocalisations d’activité des dragons vers des tigres et bébé tigres. Les firmes de Hongkong et de Taiwan ont fait de l’économie continentale leur plate-forme d’exportation des produits de haute technologie vers l’Amérique (38%) l’Asie-Océanie (36%) vers l’Eurafrique (26%.). D’un côté, la CNUCED 2002, constate que le niveau technologique des exportations des PED s’élève, sous le seul effet du contenu en importation. En d’autres termes, ces pays sont devenus d’importants exportateurs de produits manufacturés, parce qu’ils importent des composants à plus forte valeur ajoutée (même les pays figurant en 1980, dans la catégorie à faible revenu, exportent plus de 80% de produits manufacturés contre 20% en 1980). Dès 1994, Paul Krugman soulignait que la croissance élevée des pays du Sud Est asiatique n'était imputable qu’à une croissance extensive, « grâce à leur transpiration et non grâce à leur inspiration », en d’autres termes, grâce au faible niveau des salaires rapporté à la qualification. Mais, de l’autre côté, dans le cadre de la nouvelle géographie économique, le même Paul Krugman reconnaît que la segmentation internationale des processus productifs favorise des effets d’apprentissage. Comme pour les fabricants de composants électroniques en Ecosse, ou les entreprises de haute technologie dans la Silicon Valley, une partie des régions chinoises a pu tirer parti de ces processus cumulatifs. La Chine est devenue une puissance industrielle de premier plan, premier producteur mondial pour des produits aussi divers que l’acier, le charbon, le ciment, les textiles et vêtements, les chaussures, les jouets, les télévisions, les ordinateurs portables, aspirant une quantité impressionnante d‘énergie et de matières premières (zinc, cuivre, caoutchouc, coton..). Son poids dans la production mondiale de biens et services, a doublé depuis 1991, (13% de la production mondiale en parité de pouvoir d’achat, en 2003, contre 15,7% pour l’UE et 21% pour les Etats-Unis). Sa croissance a atteint un record depuis une quinzaine d’années (+9% entre 1990 et 2003, +9,7% en 2004 et + 17% pour les exportations). Le revenu par tête s’est élevé rapidement, alors qu’il ne représentait que 4% de celui des pays riches en 1980, il en représentait 17% en 2000. Les pays qui se trouvent dans un environnement régional moins porteur évoluent différemment. La Chine, l’Inde ou la Turquie qui disposent de vastes marchés intérieurs, étaient initialement similaires du point de vue de la structure de leurs échanges, dans les années 1990, mais ces pays ont connu des évolutions divergentes. La Turquie, plus liée à l’UE, Ces effets d’agglomération ont déjà été abordés par les théoriciens de l’économie du développement dès les années 1930, effets de seuil pour Rosenstein Rodan, effets cumulatifs pour Myrdal, Perroux, Hirschman. 20 La géographie économique, regroupe un ensemble d’approches assez hétérogènes mais qui acceptent un certain nombre d’hypothèses de base communes (Martin et Sunley, 2000, Krugman, Beaumont, Combes, Derycke et Jayet, 2000) :La concurrence imparfaite, de nature oligopolistique, les interactions entre producteurs, entre producteurs et consommateurs, entre entrepreneurs et travailleurs au sein d’un marché local sont à la base du renforcement du processus d’agglomération et/ou de la spécialisation. 19 21 pour les flux d’investissement directs et pour les débouchés des exportations, reste surtout exportatrice de textile comme l’Inde qui elle est, relativement éloignée des grands pôles du commerce mondial. Ces deux pays ont développé des industries modernes qu’ils n’exportent pas ( avions de combat. pour la Turquie, industrie pharmaceutique et des services informatiques de qualité en Inde). Pour les pays qui sont à l’écart de cette dynamique, la fracture technologique se creuse. Si les meilleurs exemples de réussite en matière de développement sont des ports, comme Shanghai, tournés vers les marchés mondiaux, les échecs les plus flagrants concernent des zones rurales éloignées de la côte, ou les communautés des régions montagneuses - dans les Andes, en Asie centrale ou les hauts plateaux d'Afrique de l'Est. L'isolement géographique est plus fort encore, pour les pays dépourvus de littoral, comme la Bolivie, l'Afghanistan, 22 l'Ethiopie et le Burkina. La mondialisation comme le dit Krugman n’est pas coupable , c’est également ce que dit Cohen, ce serait au contraire, pour certains pays, leur exclusion de la mondialisation qui serait la source de la pauvreté. Une partie des pays en développement serait exclue des bénéfices potentiels de cette seconde mondialisation. Ainsi, selon cette approche optimiste, on assisterait à une complexification des relations NordSUD et SUD-SUD, mais, par un jeu de vases communicants, avec un siècle de retard, la seconde mondialisation conduirait à une possibilité de multiplication par cinq des revenus des pays en développement. Toutefois, la mondialisation actuelle est trois fois plus immobile que la première pendant laquelle la migration des hommes représentait en 1913, près de 10 % de la population mondiale selon D. Cohen, avec des flux de travailleurs vers les USA, l’Australie, la Nouvelle Zélande. La montée des inégalités, une nouvelle contrainte du développement ? La réévaluation du rôle de l’Etat et l’intégration à l’économie mondiale par le haut 23 Pierre-Noël Giraud a critiqué la vision étroite de la mondialisation de D. Cohen qui reste limitée au commerce international. La globalisation est un phénomène à double tranchant sur le plan international, elle permet à certains pays d’entrer dans un processus rapide de rattrapage, grâce à leur faible coût de main d’œuvre, ce qui constitue son côté positif. Sur le plan interne, elle génère un creusement des inégalités entre ceux qui sont capables de profiter de cette globalisation en restant parmi les plus compétitifs et ceux qui sont écartés en chemin. Certains pays peuvent, grâce au décloisonnement des frontières et des échanges, connaître une croissance plus rapide que s’ils avaient, par exemple, fait le choix d’un développement autocentré, mais, ils sont dans le même temps, confrontés au fait qu’une partie seulement de leur population en profite, alors que l’autre est frappée par le chômage et subit une pression permanente sur ses revenus. Les richesses peuvent s’afficher sur les écrans, mais, les attentes et les impatiences se modifient. « Mirages et miracles » éphémères, comme l’écrivait Lipietz il y a 20 ans, peuvent être réinterprétés. Un miracle, au sens théologique, c’est un phénomène sans cause, à tout le moins, sans cause explicable. On peut seulement constater la diversité de la combinaison de l’ouverture et l’intervention économique de l’Etat. Le modèle japonais de Kaname Akamatsu, défini en 1935-1937, montrait pour l’observateur au sol, un cycle du développement industriel, superposant comme les ailes des oies en formation de vol, un renouvellement des biens importés et des biens produits et exportés avec l’insertion dans les échanges 24 internationaux . Mais, ce modèle négligeait d’autres dimensions du développement, par exemple, la réforme des structures agraires qui agissent dans la réduction des tensions inégalitaires. Si, à la demande du Japon, en 1993, la Banque mondiale a reconnu le rôle de l’Etat dans la réussite asiatique, la qualité des institutions et leur capacité à résister à un environnement déstabilisant (résilience), n’apparaissent que beaucoup plus récemment, comme En 2001, 66% du stock d’IDE est européen, 85% des exportations turques sont destinés à l’Europe dont 58% à l’Europe occidentale 22 Titre de l’ouvrage de P.Krugman, La découverte, 2000. 23 Pierre-Noël Giraud, "L'inégalité du monde .Economie du monde contemporain", Folio - Actuel, Gallimard, 1996 24 Un pays commençait par exporter des matières premières et échangeait peu les pays voisins dont les structures économiques étaient comparables. Il évoluait progressivement vers la production nationale de biens de consommation éventuellement découragée par des mesures protectionnistes, puis les producteurs locaux s’attaquaient aux marchés des pays voisins et aux biens d’équipement. 21 un facteur essentiel du développent économique (Rapports 2004 et 2005 de la Banque Mondiale). Les ressources cognitives sont aussi, plus essentielles. Mise en concurrence es territoires et qualité des institutions du développement Le passage à une division internationale du travail (DIT) combinant des éléments néofordistes 25 dans l’industrie et des éléments post fordistes (logique cognitive ), serait porteuse de nouvelles contraintes sur le développement . Les produits offerts sur le marché deviennent un composé 26 complexe d'intrants fabriqués dans des localisations très diverses (Ph. Norel, 2004 ). Les Etats ont perdu une partie de leur marge de manœuvre en matières de recettes fiscales, avec la libéralisation douanière. Les modalités de libéralisation des marchés financiers ont souvent résulté des difficultés des économies émergentes face à la montée des taux d’intérêt aux USA, (par exemple, en 1980 ou en 1994). L’appel aux flux d’investissements directs étrangers favorise la mise en concurrence des territoires. La politique des taux de change fixe qui favorise l’attractivité des territoires, devient plus difficile à gérer avec une plus forte mobilité des capitaux (triangle des incompatibilités de Mundell). Mais, la collusion opaque d'intérêts entre le pouvoir et les institutions bancaires et financières peut masquer, pour un certain temps, les stratégies de dumping. Les déséquilibres du système bancaire peuvent n’apparaître 27 que très brutalement aux investisseurs étrangers, comme ce fut le cas en Thaïlande en 1997 . Le choc de l’ajustement est alors porteur de puissants effets de contagion pour les pays 28 présentant, aux yeux des investisseurs, des traits similaires , comme ce fut le cas en Asie jusqu’au au Japon, avec un déplacement vers l’Amérique Latine, la Russie et la Turquie. 29 L’ouvrage polémique de Stiglitz (économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale entre 1997 et 2000) a mis la responsabilité sur les politiques impulsées par le Fonds Monétaire et la Banque Mondiale, et l’orientation à la hausse des taux d’intérêt. La Chine qui n’aurait pas appliqué les recettes du « Consensus de Washington », dans sa gestion des flux d’investissement entre 1978 et l’adhésion à l’OMC, a été peu affectée par le choc. Mais, au-delà des responsabilités des politiques d’ajustement, les déterminants de l’innovation évoluent avec de nouveaux modes de création, de dissémination et d’appropriation du savoir. L’attractivité d’un territoire et les effets d’apprentissage sont fortement liés à l’étendue des marchés. Aussi, pour les petits pays, les marges de manœuvres des politiques semblent se resserrer dans une champ plus étroit alors que les ressources mobilisées par le Fonds Monétaire, pour prêter en dernier ressort sont de plus en plus considérables, comme le 30 souligne Jérôme Sgard, économiste du CEPII, . Les zones de libre échange et de coopération se multiplient : l’Asie du Sud s’oriente de façon très pragmatique vers une zone de libre-échange à l’horizon 2010 pour la Chine et les six pays les «plus riches» de l'Asean (Bruneï, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande) et 2015 pour les plus pauvres (Cambodge, Laos, Birmanie Vietnam) selon l’accord de Phnom Penh (novembre 2002). L’intégration régionale sur le mode de l’Union européenne se développe en Amérique latine (Mercosur, Communauté sud-américaine de 31 nations ). De leur côté, les pays d’Afrique subsaharienne qui disposent eux aussi, d’une 25 « La division cognitive consiste dans le fractionnement des processus de production selon la nature des blocs de savoir mobilisés » 26 Ph Norel, C.Aslangul, O.Bouba-Olga, P.Moreno, C.Van Vliet L’invention du marché. Une histoire économique de la mondialisation, Seuil ; 2004. 27 La Thaïlande avait fixé le cours de sa monnaie par rapport à un panier de monnaies, le dollar représentait environ 90% de ce panier compte tenu du lien fixe existant entre le Baht et le Dollar le gouvernement avait donné aux banques en 1993, la possibilité d’octroyer des crédits à court terme en dollars aux entreprises. En juillet 1997, la crise se propage à la Malaisie qui abandonne la défense du Ringgit le 4 Juillet, les attaques se renouvellent sur le peso philippin et les taux d’intérêt montent jusqu’à 25%. La fixité du taux de change par rapport au dollar est abandonnée et une aide d’urgence est demandée au FMI. Le dollar de HongKong est alors attaqué, ce qui provoque une hausse des taux d’intérêt le 15 Juillet. Par contre le 17 Juillet, Singapour refuse de défendre son dollar. L’Indonésie est sans doute l’un des pays d’Asie du Sud Est, les plus durement frappés par la crise. la roupie avec un plan de sauvetage du FMI de 40 milliards de dollars . Le dernier pays à être frappé par la crise est la Corée du Sud 28 Notamment une monnaie surévaluée et un système bancaire fragilisé par des prêts improductifs. 29 La grande désillusion, Fayard, 2002. 30 Histoire de Zaccaria, négociant génois en 1268 cité par PN Giraud au début de l’ouvrage « Le commerce des promesses. Petit traité de la finance moderne », Seuil, 2001: passé un certain niveau d’endettement, débiteur et créancier sont liés. L’existence d’un prêteur en dernier ressort peut avoir favorisée cette situation. 31 En décembre 2004 à Cuzco, douze pays d'Amérique du Sud ont institutionnalisé la mise en œuvre d’un espace sud américain unifié politiquement et économiquement, à partir des accords existants entre le Mercosur (Brésil, l'Argentine, le Paraguay et multiplicité de structures d’intégration (Union économique et monétaire ouest-africaine, Communauté de développement de l'Afrique australe), ont élaboré un Nouveau partenariat pour le développement africain (NEPAD), témoignant de la sensibilité des dirigeants africains au nouvel enjeu de la mondialisation et d’une attractivité plus réelle du continent africain en matière de flux d’IDE, alors que le commerce extérieur total de ce continent, si l'on met à part l'Afrique du Sud, représente à peine l'équivalent de celui de la Finlande. La dynamique entre flux d’IDE et accords régionaux joue positivement sut l’attractivité des territoires. L'intégration économique favorise la modernisation des infrastructures, plutôt que l'inverse. Elle favorise l’amélioration des équipements de transport et de communication et la baisse des coûts des échanges transfrontaliers, en particulier pour les nations enclavées ou de taille modeste. La formation de la main d’œuvre, la formation des salaires, les modalités d’organisation de la concurrence. et de contrôle des structures bancaires apparaissent comme un préalable et, davantage, comme les caractéristiques d’une zone. Le Viet Nam, le Laos peuvent profiter des coûts élevés d’installation dans les zones voisines (effets d’encombrement). La qualité d’une certaine crédibilité favorable à l’attractivité des capitaux peut aussi reposer sur l’aval d’un pays leader, tiers garant, comme le constate Philippe 32 Hugon . Certains PED cherchent à s’appuyer sur une puissance régionale éloignée, pour faire contre pouvoir à des zones régionales dominantes proches (négociation entre le MERCOSUR et l’UE). D’autres jouent au sein d’une zone, la carte du dumping réglementaire et fiscal pour attirer les technologies les plus pointues : Singapour n’est plus seulement la 4ème place financière internationale, elle devient aussi une place où les laboratoires pharmaceutiques s’implantent pour faire de la recherche, comme Novartis. Sous cet angle, les lignes de fracture du SUD se démultiplient. Quelle place à une Etat de droit dans cette nouvelle configuration ? La stabilité des marchés globalisés demande aussi une capacité des Etats à faire respecter les 33 normes économiques . La Chine doit-elle être un modèle pour les pays en développement en ce qui concerne la place qu’y occupent les droits et libertés. Pour ceux qui ont une approche instrumentale de la démocratie, l’efficacité économique prime sur la démocratie, et cela peut, éventuellement, conduire à la négation des droits et libertés, au nom de la croissance et de l’efficience. K. Arrow montrait que le régime politique optimal était celui où le gouvernement n’empiétait pas sur les « exigences » du marché et qu’il était incompatible avec toute forme de gouvernement. Le marché pourrait même alors s’accommoder d’une dictature éclairée34. Les avancées démocratiques qui pourraient renforcer le développement, concerneraient essentiellement, ce qui peut favoriser l’échange marchand, à savoir la circulation de l’information et les droits de propriété. Comme le constate la Banque mondiale, des citoyens informés seraient mieux armés « pour avoir accès aux services, pour exercer leurs droits ». La deuxième clef serait non pas l’économie informelle, mais la reconnaissance des droits de propriété. Hernando de Soto (« L’autre chemin », 1986), considère que les titres de propriété des occupants de favelas pourrait leur permettre de transformer ces actifs immobilisés (70% à 80% des biens des péruviens) en des actifs liquides qui pourraient activer un marché hypothécaire ou un marché financier dépassant largement les 35 formes de microcrédit. Joseph Schumpeter concluait que la démocratie est le produit du processus capitaliste. En ce sens, au nom d’une bonne gouvernance, le développement devrait favoriser l’insertion des pauvres à l’échange marchand par l’émergence de certains droits de propriété qui pourraient créer des seuils d’irréversibilité contre les nationalisations) et renforcer un type de contrat social libéral l'Uruguay), la Communauté andine de nations (Venezuela, Colombie, Pérou, Equateur et Bolivie. Le Chili, le Surinam et la Guyana devraient aussi avaliser le lancement de la nouvelle union. 32 HUGON P. (sous la dir.), Les économies en développement à l’heure de la régionalisation, Karthala, 2003. 33 « le contrôle de la concurrence, la supervision des risques bancaires, la répression des conflits d'intérêts, la fiabilité des règles comptables, la lutte contre la corruption ou le blanchiment de l'argent ne relèvent pas de préférences politiques particulières, mais leur sont préalables » . 34 Les démocraties seraient plus sensibles que les régimes autoritaires au sort des plus démunis à la « pression par le bas ». Mais pour conserver le pouvoir, les gouvernements sont enclins, à favoriser des politiques populaires éventuellement efficaces à court terme (politiques de redistribution, programmes sociaux), mais néfastes à moyen et long terme. Les politiques qui garantissent la croissance à long terme seraient moins favorables aux pauvres, à court terme, notamment parce qu’elles renforcent les inégalités et parce que les ajustements structurels impliquent une redistribution de l’emploi. Elles sont donc moins populaires. 35 « Capitalisme, socialisme et démocratie », 1942. Au contraire, une approche substantielle de la démocratie, le respect et l’expansion des droits et libertés sont «consubstantielles au processus du développement» : Les droits et les libertés peuvent aussi être envisagés en eux mêmes, comme des instruments du développement. Dans 36 son dernier ouvrage , Amartya Sen oppose la Chine à l’Inde en matière de progrès de l’espérance de vie,: la Chine est passée d’un modèle social à un modèle économique, sans parvenir à concilier les deux extrêmes. Pendant l'époque maoïste, le pays a mené la politique de santé et d'éducation la plus ambitieuse alors que ses performances économiques étaient médiocres, et son avance sur l’Inde s’est creusée, mais depuis, les priorités se sont inversées dans les deux pays, et l’Inde a considérablement rattrapé l’écart en matière d’espérance de vie. Pour Sen, ce retournement est lié à la possibilité d’un débat démocratique. La pauvreté est une privation des droits fondamentaux. L’épidémie de SRASS montre qu’en ce domaine, l’absence de libertés joue négativement. L'État de droit, le respect des droits de l'homme, la responsabilisation et la transparence des pouvoirs publics seraient nécessaires. Pour Amartya Sen, comme Jean-Paul Fitoussi, le marché et la démocratie sont deux entités complémentaires qui permettent d’articuler efficacité et équité, c’est-à-dire un principe de compensation des pertes des uns par les gains des autres. L’absence de démocratie, en excluant une partie de la population, peut conduire à des crispations allant à l’encontre de la régulation marchande et des réformes nécessaires au développement. A moyen terme, la démocratie permettrait une moindre volatilité des performances économiques, une plus grande maîtrise des chocs exogènes et un niveau de salaire plus élevé. En conclusion Les risques de dumping fiscal sont porteurs de nouveaux enjeux pour les économies en développement, et sur le plan interne, et au niveau des institutions du développement. Le modèle chinois faiblement démocratique s’est avéré plus efficace, mais, à plus long terme, la démocratie indienne qui a adhéré au tout début de l’OMC, et qui n’ouvre que très récemment son territoire aux flux d’IDE, aura-t- elle une capacité de rattrapage plus solide ? Le rapport Ramsès 2005, concluait que ce pays « offre une image significative du monde émergent parce qu’elle est une société ouverte, agitée de mille courants qui s’expriment et argumentent ». La chute du mur et la disparition des soutiens aux dictateurs africains sera-elle une chance pour l’Afrique ? La voie d’une société multiculturelle tolérante, serait une façon d’articuler décolonisation et développement au niveau local, régional et multinational, mais le terme « évolution démocratique » n’est-il pas aussi nouveau leitmotiv, suffisamment vague pour sonner creux ? Sylvie Brunel, dans son intervention très attendue de demain, donnera un éclairage sans doute, plus optimiste des mutations à l’œuvre. BIBLIOGRAPHIE BRUNEL S., L’Afrique, un continent en réserve de développement, Bréal, 2003 COHEN D., La mondialisation et ses ennemis, Grasset, 2004. COHEN D., Richesse du monde, pauvreté des nations, Flammarion, 1998. EL MOUHOUB MOUHOUD, « Division du travail et économie de la connaissance » in Vercellone C., « Sommes nous sortis du capitalisme industriel ? La Dispute, 2003 .FITOUSSI J.P., La démocratie et le marche, Grasset et Fasquelle, 2004. GIRAUD P.N., L’inégalité du monde. Economie du monde contemporain, Gallimard , 1996. 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