otc, bataille d`hernani

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44 a c t u a l i t é s
OTC,
BATAILLE
D’HERNANI
Des groupements de pharmaciens d’officine
préparent la mise en libre accès des produits
dits d’automédication familiale.
L’Ordre des pharmaciens a signifié son désaccord.
La Commission européenne est appelée à trancher.
——————
JEAN-JACQUES CRISTOFARI
es médicaments OTC ou
« over the counter », sont aux
Etats-Unis en accès libre, disponibles devant le comptoir
du pharmacien. Le patient-consommateur peut ainsi les choisir librement et les acheter sans difficulté.
C’est ce que font 77 % des Américains pour soigner des pathologies
bénignes. Mais ce terme d’OTC n’est
pas, en France, approprié pour ces
mêmes produits dits communément
d’ « automédication familiale », qu’un
récent rapport1 préfère dénommer
« médicaments de prescription médicale facultative » ou PMF, « dispensés dans une pharmacie et non effectivement prescrits par un médecin ».
Commercialisés par des « drogueries » (ou drugstores) en Suisse et aux
Pays-Bas, ces produits
de PMF peuvent ainsi
être vendus dans n’imFranchir la ligne porte quel commerce
au Royaume-Uni et
Maginot
aux Etats-Unis, seuls
du comptoir
pays où leur vente est
autorisée « de l’autre
côté du comptoir ». En
France, en Allemagne et en Belgique,
ce dernier type de vente est encore rigoureusement prohibé, tandis que la
Suisse restreint ce libre accès à une
catégorie limitée de médicament et
que l’Italie l’autorise depuis peu en
grande surface, en présence d’un
pharmacien. En Norvège, 6 000
points de vente non officinaux et 400
autres au Portugal mettent à disposition des produits OTC.
L
PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
Ces PMF sortiront-ils bientôt des arrières boutiques officinales pour passer la ligne Maginot du comptoir ?
C’est ce que préconise justement le
rapport Coulomb-Baumelou, rendu
public en janvier, pour qui l’essor à
venir de l’automédication en France
dépendra certainement de « changements des stratégies ». Un rapport
qui va jusqu’à avancer dans ses
orientations générales « l’organisation d’une expérimentation visant à
étudier les effets d’une présentation
devant le comptoir ». Expérimentation que les rapporteurs souhaitent
asseoir sur une méthodologie rigoureuse, qui devrait porter sur un
nombre limité de médicaments. Sans
attendre que cette dernière se mette
en place sous le contrôle des autorités sanitaires et de l’impulsion d’un
nouveau ministre de la Santé en
quête de nouvelles économies pour
la Sécurité sociale, deux groupements d’officinaux veulent faire passer des médicaments conseils grand
public de l’autre côté des comptoirs.
Accès responsable. Premier à se lancer dans l’aventure, Pharmodel annonçait début mars son intention de
rendre l’OTC en libre accès. « Nous
ouvrons le débat sur un thème très
sensible, le comptoir représentant
une frontière infranchissable », annonce alors Rafael Grosjean, président du groupement qui rassemble
400 pharmacies de taille importante.
Objectif affiché : « mettre en place
une démarche de valorisation du rôle
d’expert de santé du pharmacien en
mettant à disposition des patientsconsommateurs un nouvel outil
d’automédication responsable ». La
loi interdisant ce « libre accès », fut-il
« responsable », le groupement choisit de mettre à disposition des boîtes
dans un blister transparent, fixé sur
une broche. Autrement dit, les produits de sevrage tabagique présentés aux patients ne sont pas dans les
boîtes. Les clients n’ont donc accès
qu’à la seule information contenue
sur les quatre faces de l’emballage. La
mention du prix pratiqué par le pharmacien est indiquée sur une étiquette positionnée au dessus des
blisters transparents qui contiennent
les boîtes de produits de sevrage tabagique. Dans cette armoire d’un
nouveau type, installée dans une
zone signalée, à proximité du comptoir de l’officine, le consommateur
trouve également des informations
45
DR
Lucien Bennatan,
président du
groupement
Pharma-Référence.
sur les programmes de sevrage personnalisé (« stopper » ou « réduire la
cigarette »). Fin avril, une vingtaine
de pharmaciens membre de Phar-
model avait franchi le Rubicon de
achat doit aller de pair avec un
« l’OTC en accès libre responsable ».
conseil personnalisé, assis sur un kit
Autre opérateur à s’engager dans la
d’accompagnement personnalisé
démarche, le groupe Pharma Réféque le groupement a spécialement
rence (1 498 officines indépenélaboré pour la circonstance. Origidantes), présidé par Lucien Bennanalité : une « Ordo Conseil » sera rétan, annoncait fin mars le lancement
digée à l’adresse du consommateur,
d’une expérimentation de mise en
soit un carnet de prescription en trois
vente libre de médicaments dans
feuillets par produit vendu, l’un desl’espace accueil de
tiné au client, l’autre à son
la clientèle des offimédecin et le troisième
cines. Le projet doit
conservé par l’officine.
Des
se développer au
médicaments
sein du réseau ViaVéto de l’Ordre. L’opéranon
listés et non tion sous enseigne Viadys
dys du grouperemboursés
ment, une endevait démarrer au mois
seigne qui fédère
d’avril. Elle sera stoppée net
une centaine d’offidans son élan par une incines autour d’une somme de serjonction de l’Ordre et de quelques
vices, avec un concept original de
pressions des autorités sanitaires. Le
« comptoirs séparés » ou « espaces de
Code de la santé publique interdit
confidentialité », où malades et pharde mettre des médicaments à la libre
maciens peuvent échanger en toute
disposition du public, fait savoir Isadiscrétion. 42 officines sur la cenbelle Adenot, présidente du conseil
taine du réseau Viadys rallient ainsi
central de la section A de l’Ordre des
l’idée de l’expérimentation et acceppharmaciens. « Inconcevable et intent de recevoir un meuble spécialeadmissible » ! Le propos sans appel
ment dédié à la vente libre. Soit une
de la présidente sur le projet d’expéarmoire disposée dans l’espace purimentation est relayé fin mars par
blic et portant mention « vous poule président de l’Ordre national des
vez vous servir, votre pharmacien
pharmaciens, qui considère que « sur
vous conseille ». Le patient-client
le fond et dans la forme, ce « coup »
aura ainsi accès à quatre groupes de
disqualifie ses auteurs ». « Il est inadproduits de médication familiale :
missible d’appeler les pharmaciens
« douleur et fièvre », « maux d’estoen activité à s’affranchir des obligamac et digestion difficile », « allergie
tions définies par le Code de la santé
et maux de gorge » et enfin égalepublique », écrira Jean Parrot, qui
ment un produit de sevrage tabamenace de donner des suites en cas
gique. Tous les produits mis en vente
de manquements aux règles en viseront des médicaments non listés et
gueur. Chez Pharmodel, Rafael Grosnon remboursés. Pas question pour
jean indique avoir anticipé la réacautant de laisser le malade se servir et
tion de l’Ordre en mettant en place
payer sans autre explication. Car cet
son système. « Notre concept nous « L’automédication est un comportement
qui concerne 80 à 90 % de nos
concitoyens, qui exprime une volonté de
prendre en charge leur santé. Il faut
sécuriser ce marché et ’organiser. L’offre
est floue et incohérente, composé de
milliers de médicaments assez
hétérogènes. Notre rapport recommande
de sortir de cet affrontement un peu
stérile, sur la possibilité – ou pas – de
mettre en cause cette forme de ligne
Maginot qu’est le comptoir. Et plutôt que
d’en parler, d’expérimenter une sortie,
avec des volontaires, avec un support
juridique spécifique, de façon organisée,
contrôlée. Il ne s’agit pas que tel ou tel
prenne l’initiative sauvage de modifier la
réglementation. Il sera possible, dès lors
qu’un texte juridique fonderait cette
expérimentation, de pouvoir répondre
à deux aspirations légitimes, mais un peu
contradictoires : comment permettre au
patient de voir, de comparer les produits
et les prix. Comment par ailleurs
répondre à l’aspiration tout aussi légitime
du pharmacien : le médicament n’est pas
un produit banal, il ne peut pas être
délivré sans un minimum de réflexion et
de compétences.
Il me parait que ce
ne sont pas des
barrières dérisoires
qui arrêteront un
mouvement de
fond ! La seule chose
qui puisse l’arrêter, c’est notre capacité
à répondre aux besoins de nos clients.
Nos points forts sont le réseau et la
compétence. Jouons-les, plutôt que de
tenter un repli frileux sur des positions
qui ne sont jamais acquises ! ».
MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
DR
Alain Coulomb à Pharmagora, en mars 2007 :
47
libre accès responsable », ajoute ce
dernier, pour qui le monopole sur les
médicaments conseils ne fait pas l’affaire de tout le monde, notamment
des acteurs de la grande distribution
« qui sont dans les coulisses ».
Au siège de Pharma Référence, son
président décide de mettre son expérimentation en « stand by provisoire ». « Laissons passer la vague
d’inspections annoncée », avance Lucien
Bennatan, qui considère
Préparer l’avenir qu’il s’agit dans cette afd’une « bataille de
de la profession faire
ceux qui ne veulent pas
se mettre en face des
réalités économiques et
de la concurrence vécue
par les pharmaciens». Pour ce dernier, qui vient de porter le dossier au
niveau de la DG du marché intérieur
à la Commission européenne à
Bruxelles, « d’autres réformes urgentes devraient s’imposer à
l’Ordre ». Un Ordre national qu’il invite à agir sur le Code de la santé publique pour préparer l’avenir de la
profession, notamment sur la question des alicaments – interdits à l’of-
DR
permet d’être acteur et moteur d’un
ficine –, les « aides à apporter au
mieux vivre des plus de 50 ans » ou
encore la difficile question des recrutements de personnel dans les officines. Quant à la vente en accès libre,
le patron du groupement martèle :
« Pas question d’abandonner ! ». Pour
l’heure, Lucien Bennatan prépare ses
dossiers et une étude qui lui permettra d’aller de l’avant. Car il sait aussi
que derrière cette affaire, s’en profi-
CLAUDE JAPHET (UNPF)
B. GAILLANDRE
Pour un conseil
OTC accompagné
Récemment
réélu
président
de l’Union
nationale
des pharmaciens de France (UNFP), Claude Japhet,
donne sa vision d’un accès encadré à
l’automédication familiale. Le dossier
pharmacien est à ses yeux central dans
cette analyse des projets en cours
Quelle analyse faites vous des polémiques
en cours autour des ventes libres d’OTC ?
Nous sommes aujourd’hui sous une forte
pression de l’Europe. A ce jour, les
pharmaciens raisonnent davantage en
termes de monopole qu’en termes de
problématique patient. Que veut ce
dernier ? Il veut une information
objective, pouvoir disposer d’un état
comparatif et enfin avoir une indication
sur les prix des produits ! Nous pouvons
leur donner cette information objective.
Les patients ont totalement confiance en
leur pharmacien. Ils veulent ensuite
savoir pourquoi ce dernier leur délivre tel
produit plutôt qu’un autre et s’il existe des
produits identiques à des prix différents !
Si on ne prend pas en considération ces
éléments, c’est le public qui va demander
– au nom de l‘accès à ces informations et
à ces prix – que ces produits sortent du
monopole. Ce serait pour moi un danger
de ne pas donner aux patients cette
accessibilité, tout en gardant le monopole
sur les produits ! C’est ce que j’ai proposé
en faisant du « conseil accompagné »,
dans un secteur de l’officine, bien
identifié, où le patient peut se rendre
accompagné du professionnel de santé et
où le même patient peut demander des
lent d’autres. Initiées par l’Europe
cette fois, telle l’ouverture du capital
des officines. Un autre accès que
d’autres veulent tout aussi libre.
Affaire à suivre. I
(1) Rapport sur la « Situation de l’automédication
en France et perspectives d’évolution ; marché,
comportement, positions des acteurs »,
commandé en 2006 à Alain Coulomb, ancien
président de la HAS, et au Pr Baumelou, remis à
Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé en
janvier 2007.
explications sur le choix proposé par
l’officinal. Si nous n’allons pas vers cela,
nous subirons demain des pressions pour
une sortie du monopole des produits
d’automédication.
Est-ce dès lors l’amorce d’un accès plus
libre à ces produits ?
Ce n’est pas pour autant le début de la
sortie du produit vers le public. Car un
élément essentiel arrive : le dossier
pharmaceutique. Le public doit
comprendre, dans son propre intérêt, afin
d’éviter les phénomènes d’interactions
médicamenteuses, qu’il faut mettre les
éléments qui concernent l’automédication
conseil dans le dossier pharmaceutique. A
partir de là, il est évident que le monopole
pharmaceutique restera plein et entier.
Car jamais une caissière d’un
hypermarché ne pourra avoir accès à ce
dossier. Il ne faut donc plus que ces
produits restent au secret à l’arrière de
l’officine mais analyser, par des études de
comportement, comment le public réagit à
cette avancée.
MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
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