PHARMACEUTIQUES _ MAI 2007
actualités
OTC,
BATAILLE
D’HERNANI
Des groupements de pharmaciens d’officine
préparent la mise en libre accès des produits
dits d’automédication familiale.
LOrdre des pharmaciens a signifié son désaccord.
La Commission européenne est appelée à trancher.
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JEAN-JACQUES CRISTOFARI
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Les médicaments OTC ou
« over the counter », sont aux
Etats-Unis en accès libre, dis-
ponibles devant le comptoir
du pharmacien. Le patient-consom-
mateur peut ainsi les choisir libre-
ment et les acheter sans difficulté.
C’est ce que font 77 % des Améri-
cains pour soigner des pathologies
bénignes. Mais ce terme d’OTC n’est
pas, en France, approprié pour ces
mêmes produits dits communément
d’ « automédication familiale », qu’un
récent rapport1préfère dénommer
« médicaments de prescription mé-
dicale facultative » ou PMF, « dispen-
sés dans une pharmacie et non effec-
tivement prescrits par un médecin ».
Commercialisés par des « drogue-
ries » (ou drugstores) en Suisse et aux
Pays-Bas, ces produits
de PMF peuvent ainsi
être vendus dans n’im-
porte quel commerce
au Royaume-Uni et
aux Etats-Unis, seuls
pays où leur vente est
autorisée « de l’autre
côté du comptoir ». En
France, en Allemagne et en Belgique,
ce dernier type de vente est encore ri-
goureusement prohibé, tandis que la
Suisse restreint ce libre accès à une
catégorie limitée de médicament et
que l’Italie l’autorise depuis peu en
grande surface, en présence d’un
pharmacien. En Norvège, 6 000
points de vente non officinaux et 400
autres au Portugal mettent à dispo-
sition des produits OTC.
Ces PMF sortiront-ils bientôt des ar-
rières boutiques officinales pour pas-
ser la ligne Maginot du comptoir ?
C’est ce que préconise justement le
rapport Coulomb-Baumelou, rendu
public en janvier, pour qui l’essor à
venir de l’automédication en France
dépendra certainement de « change-
ments des stratégies ». Un rapport
qui va jusqu’à avancer dans ses
orientations générales « l’organisa-
tion d’une expérimentation visant à
étudier les effets d’une présentation
devant le comptoir ». Expérimenta-
tion que les rapporteurs souhaitent
asseoir sur une méthodologie rigou-
reuse, qui devrait porter sur un
nombre limité de médicaments. Sans
attendre que cette dernière se mette
en place sous le contrôle des autori-
tés sanitaires et de l’impulsion d’un
nouveau ministre de la Santé en
quête de nouvelles économies pour
la Sécurité sociale, deux groupe-
ments d’officinaux veulent faire pas-
ser des médicaments conseils grand
public de l’autre côté des comptoirs.
Accès responsable. Premier à se lan-
cer dans l’aventure, Pharmodel an-
nonçait début mars son intention de
rendre l’OTC en libre accès. « Nous
ouvrons le débat sur un thème très
sensible, le comptoir représentant
une frontière infranchissable », an-
nonce alors Rafael Grosjean, prési-
dent du groupement qui rassemble
400 pharmacies de taille importante.
Objectif affiché : « mettre en place
une démarche de valorisation du rôle
d’expert de santé du pharmacien en
mettant à disposition des patients-
consommateurs un nouvel outil
d’automédication responsable ». La
loi interdisant ce « libre accès », fut-il
« responsable », le groupement choi-
sit de mettre à disposition des boîtes
dans un blister transparent, fixé sur
une broche. Autrement dit, les pro-
duits de sevrage tabagique présen-
tés aux patients ne sont pas dans les
boîtes. Les clients n’ont donc accès
qu’à la seule information contenue
sur les quatre faces de l’emballage. La
mention du prix pratiqué par le phar-
macien est indiquée sur une éti-
quette positionnée au dessus des
blisters transparents qui contiennent
les boîtes de produits de sevrage ta-
bagique. Dans cette armoire d’un
nouveau type, installée dans une
zone signalée, à proximité du comp-
toir de l’officine, le consommateur
trouve également des informations
Franchir la ligne
Maginot
du comptoir
MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
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sur les programmes de sevrage per-
sonnalisé (« stopper » ou « réduire la
cigarette »). Fin avril, une vingtaine
de pharmaciens membre de Phar-
model avait franchi le Rubicon de
« l’OTC en accès libre responsable ».
Autre opérateur à s’engager dans la
démarche, le groupe Pharma Réfé-
rence (1 498 officines indépen-
dantes), présidé par Lucien Benna-
tan, annoncait fin mars le lancement
d’une expérimentation de mise en
vente libre de médicaments dans
l’espace accueil de
la clientèle des offi-
cines. Le projet doit
se développer au
sein du réseau Via-
dys du groupe-
ment, une en-
seigne qui fédère
une centaine d’offi-
cines autour d’une somme de ser-
vices, avec un concept original de
« comptoirs séparés » ou « espaces de
confidentialité », où malades et phar-
maciens peuvent échanger en toute
discrétion. 42 officines sur la cen-
taine du réseau Viadys rallient ainsi
l’idée de l’expérimentation et accep-
tent de recevoir un meuble spéciale-
ment dédié à la vente libre. Soit une
armoire disposée dans l’espace pu-
blic et portant mention « vous pou-
vez vous servir, votre pharmacien
vous conseille ». Le patient-client
aura ainsi accès à quatre groupes de
produits de médication familiale :
« douleur et fièvre », « maux d’esto-
mac et digestion difficile », « allergie
et maux de gorge » et enfin égale-
ment un produit de sevrage taba-
gique. Tous les produits mis en vente
seront des médicaments non listés et
non remboursés. Pas question pour
autant de laisser le malade se servir et
payer sans autre explication. Car cet
achat doit aller de pair avec un
conseil personnalisé, assis sur un kit
d’accompagnement personnalisé
que le groupement a spécialement
élaboré pour la circonstance. Origi-
nalité : une « Ordo Conseil » sera ré-
digée à l’adresse du consommateur,
soit un carnet de prescription en trois
feuillets par produit vendu, l’un des-
tiné au client, l’autre à son
médecin et le troisième
conservé par l’officine.
Véto de l’Ordre. L’opéra-
tion sous enseigne Viadys
devait démarrer au mois
d’avril. Elle sera stoppée net
dans son élan par une in-
jonction de l’Ordre et de quelques
pressions des autorités sanitaires. Le
Code de la santé publique interdit
de mettre des médicaments à la libre
disposition du public, fait savoir Isa-
belle Adenot, présidente du conseil
central de la section A de l’Ordre des
pharmaciens. « Inconcevable et in-
admissible » ! Le propos sans appel
de la présidente sur le projet d’expé-
rimentation est relayé fin mars par
le président de l’Ordre national des
pharmaciens, qui considère que « sur
le fond et dans la forme, ce « coup »
disqualifie ses auteurs ». « Il est inad-
missible d’appeler les pharmaciens
en activité à s’affranchir des obliga-
tions définies par le Code de la santé
publique », écrira Jean Parrot, qui
menace de donner des suites en cas
de manquements aux règles en vi-
gueur. Chez Pharmodel, Rafael Gros-
jean indique avoir anticipé la réac-
tion de l’Ordre en mettant en place
son système. « Notre concept nous
Des
médicaments
non listés et non
remboursés
« Lautomédication est un comportement
qui concerne 80 à 90 % de nos
concitoyens, qui exprime une volonté de
prendre en charge leur santé. Il faut
sécuriser ce marché et ’organiser. Loffre
est floue et incohérente, composé de
milliers de médicaments assez
hétérogènes. Notre rapport recommande
de sortir de cet affrontement un peu
stérile, sur la possibilité – ou pas – de
mettre en cause cette forme de ligne
Maginot qu’est le comptoir. Et plutôt que
d’en parler, d’expérimenter une sortie,
avec des volontaires, avec un support
juridique spécifique, de façon organisée,
contrôlée. Il ne s’agit pas que tel ou tel
prenne l’initiative sauvage de modifier la
réglementation. Il sera possible, dès lors
qu’un texte juridique fonderait cette
expérimentation, de pouvoir répondre
à deux aspirations légitimes, mais un peu
contradictoires : comment permettre au
patient de voir, de comparer les produits
et les prix. Comment par ailleurs
répondre à l’aspiration tout aussi légitime
du pharmacien : le médicament nest pas
un produit banal, il ne peut pas être
délivré sans un minimum de réflexion et
de compétences.
Il me parait que ce
ne sont pas des
barrières dérisoires
qui arrêteront un
mouvement de
fond ! La seule chose
qui puisse l’arrêter, c’est notre capacité
à répondre aux besoins de nos clients.
Nos points forts sont le réseau et la
compétence. Jouons-les, plutôt que de
tenter un repli frileux sur des positions
qui ne sont jamais acquises ! ».
Alain Coulomb à Pharmagora, en mars 2007 :
Lucien Bennatan,
président du
groupement
Pharma-Référence.
DR
DR
MAI 2007 _ PHARMACEUTIQUES
permet d’être acteur et moteur d’un
libre accès responsable », ajoute ce
dernier, pour qui le monopole sur les
médicaments conseils ne fait pas l’af-
faire de tout le monde, notamment
des acteurs de la grande distribution
« qui sont dans les coulisses ».
Au siège de Pharma Référence, son
président décide de mettre son expé-
rimentation en « stand by provi-
soire ». « Laissons passer la vague
d’inspections an-
noncée », avance Lucien
Bennatan, qui considère
qu’il s’agit dans cette af-
faire d’une « bataille de
ceux qui ne veulent pas
se mettre en face des
réalités économiques et
de la concurrence vécue
par les pharmaciens». Pour ce der-
nier, qui vient de porter le dossier au
niveau de la DG du marché intérieur
à la Commission européenne à
Bruxelles, « d’autres réformes ur-
gentes devraient s’imposer à
l’Ordre ». Un Ordre national qu’il in-
vite à agir sur le Code de la santé pu-
blique pour préparer l’avenir de la
profession, notamment sur la ques-
tion des alicaments – interdits à l’of-
ficine –, les « aides à apporter au
mieux vivre des plus de 50 ans » ou
encore la difficile question des recru-
tements de personnel dans les offi-
cines. Quant à la vente en accès libre,
le patron du groupement martèle :
« Pas question d’abandonner ! ». Pour
l’heure, Lucien Bennatan prépare ses
dossiers et une étude qui lui permet-
tra d’aller de l’avant. Car il sait aussi
que derrière cette affaire, s’en profi-
lent d’autres. Initiées par l’Europe
cette fois, telle l’ouverture du capital
des officines. Un autre accès que
d’autres veulent tout aussi libre.
Affaire à suivre. I
(1) Rapport sur la « Situation de l’automédication
en France et perspectives d’évolution ; marché,
comportement, positions des acteurs »,
commandé en 2006 à Alain Coulomb, ancien
président de la HAS, et au Pr Baumelou, remis à
Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé en
janvier 2007.
Récemment
réélu
président
de l’Union
nationale
des pharma-
ciens de France (UNFP), Claude Japhet,
donne sa vision d’un accès encadré à
l’automédication familiale. Le dossier
pharmacien est à ses yeux central dans
cette analyse des projets en cours
Quelle analyse faites vous des polémiques
en cours autour des ventes libres d’OTC ?
Nous sommes aujourd’hui sous une forte
pression de l’Europe. A ce jour, les
pharmaciens raisonnent davantage en
termes de monopole qu’en termes de
problématique patient. Que veut ce
dernier ? Il veut une information
objective, pouvoir disposer d’un état
comparatif et enfin avoir une indication
sur les prix des produits ! Nous pouvons
leur donner cette information objective.
Les patients ont totalement confiance en
leur pharmacien. Ils veulent ensuite
savoir pourquoi ce dernier leur délivre tel
produit plutôt qu’un autre et s’il existe des
produits identiques à des prix différents !
Si on ne prend pas en considération ces
éléments, c’est le public qui va demander
– au nom de l‘accès à ces informations et
à ces prix – que ces produits sortent du
monopole. Ce serait pour moi un danger
de ne pas donner aux patients cette
accessibilité, tout en gardant le monopole
sur les produits ! C’est ce que j’ai proposé
en faisant du « conseil accompagné »,
dans un secteur de l’officine, bien
identifié, où le patient peut se rendre
accompagné du professionnel de santé et
où le même patient peut demander des
explications sur le choix proposé par
l’officinal. Si nous n’allons pas vers cela,
nous subirons demain des pressions pour
une sortie du monopole des produits
d’automédication.
Est-ce dès lors l’amorce d’un accès plus
libre à ces produits ?
Ce nest pas pour autant le début de la
sortie du produit vers le public. Car un
élément essentiel arrive : le dossier
pharmaceutique. Le public doit
comprendre, dans son propre intérêt, afin
d’éviter les phénomènes d’interactions
médicamenteuses, qu’il faut mettre les
éléments qui concernent l’automédication
conseil dans le dossier pharmaceutique. A
partir de là, il est évident que le monopole
pharmaceutique restera plein et entier.
Car jamais une caissière d’un
hypermarché ne pourra avoir accès à ce
dossier. Il ne faut donc plus que ces
produits restent au secret à l’arrière de
l’officine mais analyser, par des études de
comportement, comment le public réagit à
cette avancée.
CLAUDE JAPHET (UNPF)
Pour un conseil
OTC accompagné
Préparer l’avenir
de la profession
47
DR
B. GAILLANDRE
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