Thérapies comportementales et cognitives centrées sur

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MÉMOIRE ORIGINAL
Thérapies comportementales et cognitives centrées
sur les schémas de Young dans les troubles de la personnalité :
étude pilote sur 14 cas
S. HAHUSSEAU (1), A. PÉLISSOLO (2)
Young’s schema-focused therapies in personality disorders : a pilot study
Summary. Introduction. Personality disorders are very frequent in the general population, and especially in psychiatric
patients. Various types of psychotherapy are proposed to treat these disorders, directly or not, but some specific cognitivebehavioural therapies (CBT) have been developed for all personality disorders or some of them such as borderline personality disorder. Among the most known models, one can quote Beck, Young and Linehan’s approaches. Young therapies
are based on the concept of « early maladaptive schemas », and associate cognitive-behavioural techniques and a very
specific work on emotions. The procedure consists in, initially, identifying the cognitive schemas involved in the current
disorders, as well as their sources in childhood, in particular through memories of traumatic or emotionally disturbing
events. The techniques used to modify these early maladaptive schemas include emotional catharsis and corrective emotional experience methods (eg reparenting). Stydy design. We carried out an exploratory and naturalistic study of the
effects of this schemas therapy among 14 adult out-patients (12 women and 2 men) suffering of personality disorders
according to DSM IV criteria. The majority of the disorders belonged to the clusters C (50 %) and B (42.9 %). The early
maladaptive schemas, according to Young’s classification, were especially those of the types « distrust/neglect » (35.7 %),
« neglect feeling » (21.4 %) and « subjugation » (21.4 %). Results. The mean duration of the therapies was 13 month,
with 26.2 consultations per subject. The primary efficacy criterion selected was the Social Adaptation Scale (SAS-SR,
Weissman) score, showing a significant improvement at the end of the therapy (21.3 versus 27.9 ; p = 0.003). This favourable evolution was confirmed by the other scales used, assessing anxious, depressive and general psychopathology
symptomatology. Conclusion. As a conclusion, schemas therapies represent a rich and complete psychotherapeutic
approach, in particular for personality disorders. Further controlled studies on their efficacy and on the factors associated
to a good response are necessary.
Key words : Cognitive therapy ; Emotional therapy ; Personality disorders ; Schema therapy.
Résumé. Différents types de psychothérapie s’adressent,
directement ou non, aux troubles de la personnalité mais des
programmes de thérapies comportementales et cognitives
sont conçus spécifiquement pour leur prise en charge. Les
thérapies de Young sont basées sur le concept de « schéma
précoce inadapté », et s’appuient sur des méthodes comportementales et cognitives associées à un travail très spécifique
sur les émotions. Les techniques utilisées pour modifier ces
schémas reposent surtout sur la catharsis émotionnelle et
l’auto-reparentage. Nous avons conduit, en situation de soin
naturaliste, une étude prospective sur les effets de cette thé-
rapie cognitive centrée sur les schémas chez 14 patients
adultes (12 femmes et 2 hommes) souffrant de troubles de
la personnalité selon les critères du DSM IV. Les troubles
concernés appartenaient en majorité aux clusters C (50 %)
et B (42,9 %). Les schémas précoces inadaptés, selon la
classification de Young, étaient surtout ceux des types
« méfiance/abandon » (35,7 %), « sentiment d’abandon »
(21,4 %) et « assujettissement » (3 patients). La durée
moyenne des thérapies a été de 13 mois, avec 26,2 séances
par sujet au total. Le critère principal d’efficacité, le score à
l’échelle d’adaptation sociale de Weissman (SAS-SR), mon-
(1) Psychiatre, 12, Grande rue Nazareth, 31000 Toulouse.
(2) Service de Psychiatrie adulte et CNRS, UMR 7593, Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP), 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris.
Travail reçu le 11 octobre 2004 et accepté le 24 février 2005.
Tirés à part : S. Hahusseau (à l’adresse ci-dessus).
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Thérapies comportementales et cognitives centrées sur les schémas de Young
tre une amélioration significative en fin de thérapie (21,3 versus 27,9 ; p = 0,003). Cette évolution favorable est confirmée
par les autres échelles utilisées, évaluant la symptomatologie
anxieuse, dépressive et générale. En conclusion, les thérapies cognitives centrées sur les schémas sont des approches
psychothérapeutiques riches et complètes, en particulier
pour les troubles de la personnalité, qui devraient faire l’objet
maintenant d’études contrôlées pour mieux connaître leur
efficacité et leurs conditions d’application.
Mots clés : Thérapie cognitive ; Thérapie émotionnelle ; Thérapie
des schémas ; Troubles de la personnalité.
INTRODUCTION
Les troubles de la personnalité sont très fréquents dans
la population générale, et encore plus chez les patients
psychiatriques. Les psychothérapies restent globalement
le traitement de choix de ces troubles (14). Les quelques
études contrôlées réalisées jusqu’à présent dans ce
domaine suggèrent que certaines thérapies analytiques
peuvent être efficientes, mais les données sont plus nombreuses concernant les thérapies comportementales et
cognitives (TCC), pour lesquelles il existe aujourd’hui des
programmes bien codifiés pour les troubles de la personnalité (8, 15, 16). Les résultats des programmes de thérapies cognitives sont encourageants, notamment dans le
domaine des personnalités borderline, même si très peu
d’études sont réalisées de manière contrôlée (3, 8, 10).
Une étude contrôlée récente a notamment permis de montrer l’intérêt d’une thérapie centrée sur les schémas chez
des personnalités borderline suivies pendant trois ans, en
comparaison d’une thérapie psychodynamique (5).
Trois grands courants au sein des TCC proposent des
programmes thérapeutiques pour les troubles de la
personnalité : l’école de Beck qui reste la plus classique
et qui propose un modèle assez proche de celui utilisé
dans les autres troubles psychiatriques (2, 4), l’école de
Linehan dont les thérapies dites « comportementales
dialectiques » sont centrées sur le traitement des personnalités borderline (9, 11, 17), et l’approche de Young et al.
(19). Celle-ci, transcatégorielle, prend en compte les facteurs environnementaux précoces en partie à l’origine de
la plupart des troubles de la personnalité. Elle permet, audelà des sous-types de personnalités pathologiques,
d’appréhender de façon plus dimensionnelle l’ensemble
de ces troubles en postulant un continuum schéma précoce inadapté - personnalités pathologiques.
Par ailleurs, le travail sur les schémas permet de contourner un certain nombre de limites rencontrées dans les
techniques cognitives et comportementales de changement adaptées aux troubles de l’axe I, comme les difficultés particulières des personnalités pathologiques (2, 6) :
– à s’engager dans une relation de collaboration avec
le thérapeute ;
– à identifier les problèmes cibles ;
– à accéder à leurs émotions et cognitions en favorisant notamment l’empathie du thérapeute et l’optimisme
du patient.
Le but de la thérapie est la transformation du schéma
en trois étapes :
– identification du schéma et du mécanisme d’adaptation face à celui-ci ;
– techniques émotionnelles de changement des schémas cognitifs (notamment l’auto-reparentage) ;
– thérapie cognitivo-comportementale classique,
notamment la restructuration cognitive et l’affirmation de
soi (figure 1).
Il n’existe pratiquement aucune étude évaluant l’efficacité sur les troubles de la personnalité de cette approche
psychothérapique centrée sur les schémas de Young.
L’objectif de notre étude préliminaire était donc d’observer
l’impact sur une population ambulatoire d’une approche
psychothérapeutique centrée sur les schémas de Young.
RÉSUMÉ DES TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES
UTILISÉES
Les thérapies ont été réalisées selon le programme suivant (6) :
– Lors de la première séance, lors de la prise de contact
et du recueil des données initiales, l’accent est mis sur
l’alliance thérapeutique. Pour ce faire, le thérapeute pratique une écoute active avec reformulation, généralement
en termes de « sentiments ». Un contrat thérapeutique
fixe la nécessité d’effectuer des tâches hors séance, dont
la tenue d’un cahier de thérapie dans lequel le patient collige de façon quotidienne ses moments négatifs à l’aide
des « trois colonnes » de Beck.
– Lors de la seconde séance, la revue de tâches permet
au thérapeute de poursuivre la reformulation « empathique », mais aussi de dégager un problème cible : la
répétition d’un sentiment douloureux (correspondant au
schéma en cause). Le patient est incité à graduer subjectivement (sur 10) la souffrance que ce sentiment génère.
Les tâches prescrites sont la poursuite du recueil des souffrances présentes et notamment la narration écrite des
expériences amoureuses : circonstances de rencontre,
ressentis initiaux per et post-relation, évolution et circonstances de fin de la liaison.
– Ce travail est lu lors de la troisième séance. Le thérapeute continue de reformuler les sentiments éprouvés
et, au travers de questions sur l’éventuelle répétition de
circonstances ou de ressentis dans ces différentes histoires, il permet d’accroître chez le patient la perception consciente du caractère stéréotypé de ses conduites et de ses
affects. La tâche prescrite pour la séance suivante est la
rédaction d’une biographie familiale et personnelle.
– À la quatrième séance, la biographie est lue par le
patient et le thérapeute peut commencer à susciter la
catharsis émotionnelle. Pour ce faire, il commente les faits
relatés en se plaçant du point de vue de l’enfant que le
patient a été.
– Cinquième séance à dixième séance : ces séances
sont consacrées à la technique d’auto-reparentage pendant et en dehors des séances comme tâche à domicile.
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S. Hahusseau, A. Pélissolo
Interventions
thérapeutiques
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Analyse fonctionnelle
« diachronique »
Expériences vécues
Analyse fonctionnelle
« synchronique »
Prédispositions génétiques
Techniques
émotionnelles
Situations
Schémas précoces inadaptés
Restructuration
cognitive
Affirmation
de soi
Perception erronée de soi,
des autres et du monde
Stratégies
compensatoires
Cognitions
Sensations
Symptômes
actuels
Émotions
Comportements
FIG. 1. — Représentation schématique de l’analyse fonctionnelle et des thérapies correspondant à l’approche de Young
des troubles de la personnalité.
La facilitation mnésique induite par l’activation émotionnelle
permet au patient de mobiliser des souvenirs de l’enfance
dans lesquels il a dû éprouver le même sentiment (exposition au souvenir). On lui demande d’intervenir en imagination dans ce souvenir de façon à « consoler » l’enfant qu’il
a été et à le défendre. Les sentiments douloureux générateurs de tristesse et d’un sentiment d’impuissance sont remplacés par un épuisement puis du calme intérieur assorti
d’un sentiment de contrôle. Le patient ne réattribue plus ces
ressentis négatifs aux circonstances immédiates extérieures mais à lui-même et à ses distorsions affectives.
Une fois que cette technique est un outil sûr pour le
patient, on effectue en séance une « conceptualisation »,
c’est-à-dire un diagramme sur lequel sont résumés ses
besoins affectifs qui n’ont pas été satisfaits, le sentiment
douloureux ou schéma précoce inadapté que cela a créé
en lui, puis les croyances inconditionnelles puis conditionnelles qui en ont découlé, et enfin les conséquences comportementales de son schéma dans les trois piliers de son
existence (profession, amitié, relation amoureuse).
– Lors des séances suivantes, et grâce au repérage
précédent sur les comportements sociaux dysfonctionnels, le patient est incité à faire des épreuves de réalité
pour vérifier la validité présente de ses croyances. Le protocole classique du travail d’affirmation de soi est utilisé.
Il s’agit d’un travail comportemental sur les notions de plaisir et d’autosatisfaction.
300
– À l’avant-dernière séance, le thérapeute propose au
patient d’établir un bilan de la thérapie, dans lequel le
patient doit reprendre ses notes initiales et établir les différences comportementales, cognitives ou émotionnelles
qu’il perçoit chez lui, puis il est incité à détailler les techniques qui lui ont semblé utiles de façon à pouvoir les réutiliser une fois la thérapie terminée. Les autoquestionnaires sont redemandés.
– Lors des deux dernières séances, un bilan de la thérapie est effectué, le thérapeute renforce positivement le
patient et la fiche de secours est affinée. Des séances de
suivi sont planifiées en accord avec le patient, à un mois,
trois mois, six mois et un an.
MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE
Il s’agit d’une étude prospective non contrôlée, évaluant
les effets d’une thérapie cognitive centrée sur les schémas
au sein d’un groupe de patients ambulatoires présentant
un trouble de la personnalité.
Sujets
Il s’agit de patients, hommes et femmes de 18 ans et
plus, consultant le même thérapeute pour une nouvelle
prise en charge spécifique en thérapie cognitive. L’inclu-
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Thérapies comportementales et cognitives centrées sur les schémas de Young
sion reposait sur l’existence d’un trouble de la personnalité, selon les critères du DSM IV, et sur l’acceptation d’une
prise en charge de plusieurs mois ainsi que de la procédure d’évaluation. Seuls les patients souffrant de comorbidités psychotiques ont été exclus. Les traitements médicamenteux psychotropes étaient acceptés durant l’étude,
à condition que leurs doses n’aient pas été modifiées
récemment avant la thérapie et pendant la thérapie.
Déroulement de l’étude
Une évaluation psychopathologique et psychométrique, ainsi qu’une analyse fonctionnelle détaillée, étaient
réalisées lors de l’inclusion. Les objectifs thérapeutiques,
centrés sur les schémas dysfonctionnels, étaient fixés
individuellement comme dans les prises en charge habituelles. Le nombre des séances et la durée du suivi
n’étaient pas prédéfinis, mais la fin de la thérapie était décidée, en accord entre le thérapeute et le patient, lorsque
les objectifs établis initialement lors de l’analyse fonctionnelle étaient atteints et considérés comme stables. Le
rythme habituel de la thérapie était fixé à une séance toutes les deux semaines. Les évaluations psychométriques
ont été répétées en fin de thérapie.
La thérapie mise en œuvre comprenait plusieurs stades
(7, 19) :
– phase 1 : création d’une alliance thérapeutique, analyse fonctionnelle synchronique et diachronique, développement de l’autocontrôle du patient par le biais des tâches
hors séances (cahier de thérapie). Travail du thérapeute
sur ses propres émotions et cognitions négatives face au
patient ;
– phase 2 : travail sur les schémas précoces inadaptés. Repérage des émotions et des cognitions négatives
permettant une reviviscence émotionnelle et prescription
éventuelle des techniques émotionnelles de catharsis
émotionnelle et auto-reparentage ;
– phase 3 : travail cognitif et comportemental proprement dit : restructuration cognitive des pensées automatiques dysfonctionnelles, affirmation de soi, méthodes de
résolution de problèmes, autosatisfaction-plaisir, etc.
Évaluations
L’évaluation clinique initiale a comporté la description
diagnostique des troubles de l’axe I et de l’axe II selon les
critères du DSM IV, la recherche des principaux antécédents et événements de vie marquants, et la mise en évidence des schémas cognitifs précoces inadaptés selon
la classification de Young.
En l’absence d’outils consensuels permettant d’évaluer
de manière simple les effets de la psychothérapie sur les
troubles de la personnalité eux-mêmes, nous avons choisi
comme critère principal d’évaluation une mesure de
l’adaptation sociale, dont on sait qu’elle représente un
marqueur sensible de la sévérité des troubles. Ainsi, le
questionnaire Social Adaptation Scale-Self Rating (SASSR) (18) a été rempli avant la thérapie et à son issue. Les
scores de cette échelle varient entre 10 et 40, d’une adaptation parfaite à une inadaptation maximale. Par ailleurs,
les échelles de mesures suivantes ont été utilisées :
– le Beck Depression Inventory (BDI) pour l’évaluation
des symptômes dépressifs (1) ;
– le Global Health Questionnaire (GHQ-28) (13) ;
– le Symptoms Check-List (SCL-90) pour évaluer les
autres effets psychopathologiques éventuels de la thérapie (12).
Analyses
L’analyse principale a consisté à comparer, avant et
après thérapie, les résultats obtenus à l’échelle SAS-SR
à l’aide d’un test non paramétrique de comparaisons de
moyennes (test de Wilocoxon). Le même test a été appliqué pour les analyses complémentaires portant sur les
échelles BDI, GHQ-28 et SCL-90. Par ailleurs, à visée
exploratoire, les corrélations entre les variations des différents sous-scores de l’échelle SCL-90 et la durée de la
thérapie ont été calculées à l’aide du coefficient rho de
Spearman. Les analyses statistiques ont été effectuées à
l’aide du logiciel SPSS 11.
RÉSULTATS
Description initiale
L’échantillon est composé de 14 sujets, 12 femmes et
2 hommes, avec une moyenne d’âge de 36,5 ± 12,5 ans
(21 à 59 ans). Neuf patients sont mariés ou vivent en couple (64,3 %), trois sont célibataires (21,4 %) et deux divorcés (14,3 %). Dix patients (71,4 %) ont une activité professionnelle.
La répartition des diagnostics de troubles de la personnalité selon les critères du DSM IV est présentée dans le
tableau I. En cas d’association de deux (ou plus) diagnostics différents, celui qui apparaissait cliniquement comme
TABLEAU I. — Diagnostics des troubles de la personnalité
selon les critères du DSM IV (n = 14).
Nombre de sujets
%
Cluster A
Schizoïde
Schizotypique
Paranoïaque
1
0
0
7,1
0
0
Cluster B
Histrionique
Antisocial
Borderline
Narcissique
Non spécifié
1
0
3
1
1
7,1
0
21,4
7,1
7,1
Cluster C
Dépendante
Évitante
Obsessionnelle-compulsive
Non spécifié
3
2
0
2
21,4
14,3
0
14,3
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S. Hahusseau, A. Pélissolo
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au premier plan a été conservé. La répartition se fait avec
une majorité des troubles du cluster C (50 %) et du
cluster B (42,9 %), et un seul diagnostic du cluster A
(7,1 %).
Concernant les diagnostics associés de l’axe I,
4 patients ont des antécédents d’épisode dépressif
majeur (28,6 %), 2 de toxicomanie (14,3 %), 1 de trouble
panique (7,1 %) et 1 de trouble du comportement alimentaire (7,1 %).
Selon l’approche et la classification de Young, les schémas précoces inadaptés retrouvés après l’analyse fonctionnelle initiale sont, par ordre de fréquence :
– méfiance/abandon : 5 patients (35,7 %) ;
– sentiment d’abandon : 3 patients (21,4 %) ;
– assujettissement : 3 patients (21,4 %) ;
– imperfection : 2 patients (14,3 %) ;
– dépendance : 1 patient (7,1 %) ;
Les scores moyens obtenus aux échelles d’adaptation
sociale, de dépression et de psychopathologie générale
sont présentés dans le tableau II.
TABLEAU II. — Scores initiaux aux échelles (n = 14).
Échelle
SAS-SR
BDI
SCL-90 (score total)
GHQ-28
PostPréthérapie
thérapie
moyenne
moyenne
± ET
± ET
p
(test de
Wilcoxon)
27,9 ± 5,9 21,3 ± 5,9
17,3 ± 7,0 8,5 ± 8,8
17,3 ± 6,0 7,5 ± 6,6
46,1 ± 28,0 22,4 ± 17,4
0,003
0,01
0,001
0,003
Parmi les événements de vie rapportés par les patients
comme ayant pu participer au développement de leur trouble, on trouve le fait d’avoir été des enfants non désirés
(42,9 %), une séparation des parents au cours de
l’enfance (35,7 %), et des antécédents d’abus sexuels
(14,3 %).
En début de thérapie, 4 patients étaient traités par antidépresseur (28,6 %), 1 par méthadone et 1 par benzodiazépine.
La durée moyenne de la thérapie est de 13,0 ± 4,4 mois,
avec une moyenne de 26,2 ± 9,0 séances par sujets.
Évolution dimensionnelle
Les scores des différentes échelles obtenus en fin de
thérapie, avec la comparaison des moyennes des deux
passations, sont présentés dans le tableau II. Concernant
l’objectif principal d’amélioration de l’adaptation sociale,
on note une diminution significative du score de l’échelle
SAS-SR en fin de thérapie (27,9 puis 21,3 ; p = 0,003). Les
scores moyens des autres échelles connaissent tous la
même évolution, l’amélioration la plus significative étant
obtenue pour l’échelle GHQ-28 (p = 0,003).
302
Le détail des sous-scores de l’échelle SCL-90, qui permet d’étudier l’évolution des différentes dimensions symptomatiques, est présenté dans le tableau III, qui montre
une amélioration de l’ensemble de la symptomatologie
moyenne.
La durée des thérapies étant variable selon les patients
car adaptée sur des critères individuels, il nous a paru
intéressant de savoir si elle pouvait être associée à
l’amélioration obtenue sur certaines échelles. Seul le
score total de l’échelle SCL-90 est corrélé significativement avec la durée du traitement (rho = 0,53 ; p = 0,05),
et 4 de ses sous-scores ont des corrélations élevées mais
avec seulement une tendance à la significativité
(tableau III).
TABLEAU III. — Évolution des sous-scores de l’échelle SCL-90
avant et après thérapie (moyennes et test de Wilcoxon),
et corrélations de l’amélioration obtenue avec la durée
de la thérapie (coefficient rho de Spearman).
Avant
Après
p
rho
p
Somatisation
Obsession
Sensitivité
Dépression
Anxiété
Hostilité
Phobie
Paranoïa
Symptômes
psychotiques
Divers
1,50
1,84
2,07
2,47
1,66
1,67
1,04
1,79
1,41
0,70
0,80
1,03
0,99
0,72
0,59
0,39
0,82
0,56
0,003
0,002
0,002
0,002
0,001
0,003
0,009
0,003
0,001
0,48
0,51
0,47
0,47
0,13
0,28
0,20
0,40
0,17
0,08
0,06
0,09
0,09
0,65
0,33
0,50
0,16
0,56
1,85
0,90
0,004
0,44
0,12
Total
17,3
8,50
0,001
0,53
0,05
Évolution qualitative
Les techniques comportementales et cognitives de
repérage des émotions négatives et de restructuration
classique ont pu être appliquées à tous les patients de
l’échantillon. La prise de conscience d’un schéma précoce inadapté a été possible chez 12 patients sur 14
(85,7 %). Les techniques émotionnelles ont pu être utilisées dans leur intégralité chez la moitié des patients.
La plupart des patients n’ayant pu en bénéficier avaient
été repérés initialement comme ayant un fonctionnement alexithymique, même si cette dimension n’a pas
fait l’objet d’une évaluation psychométrique. D’autres
résultats qualitatifs ont pu être observés : résolution des
difficultés de couple chez 2 patients dont ce problème
constituait un des motifs principaux de consultation,
réduction de la consommation de cannabis et des doses
de méthadone chez un patient présentant une personnalité borderline, et disparition des poussées d’eczéma
chez une patiente présentant une personnalité dépendante.
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Thérapies comportementales et cognitives centrées sur les schémas de Young
DISCUSSION
Il faut souligner tout d’abord les limites méthodologiques de cette étude : absence de groupe contrôle, faibles
effectifs et évaluation des résultats uniquement basée sur
des autoquestionnaires. Cependant, l’approche de type
naturaliste choisie fait que les patients inclus et les modalités du suivi sont probablement représentatifs des prises
en charge ambulatoires effectuées en pratique de ville en
France, alors que très peu d’études de cette nature ont
été publiées jusqu’à présent. La méthode thérapeutique
appliquée, la thérapie cognitive centrée sur les schémas
de Young, est par ailleurs très standardisée pour l’ensemble de l’échantillon, et n’a jusqu’à présent fait l’objet que
de très peu d’études empiriques.
Le résultat principal de cette étude est l’amélioration
nette obtenue sur le score d’adaptation sociale sur une
période d’un an environ en moyenne. Cette amélioration
ne conduit pas à une normalisation totale du fonctionnement social puisque le score moyen de l’échelle SAS-SR
reste élevé en fin de thérapie, mais on peut penser que
d’autres changements pourraient apparaître sur une
période plus longue car dépendant de conditions de vie
qui ne peuvent pas se modifier toutes simultanément
(environnement affectif, professionnel, social, etc.). L’évolution des scores de dépression et de psychopathologie
générale montre que le travail cognitif et émotionnel effectué a un impact très large sur de nombreuses dimensions
symptomatiques.
Nos résultats qui suggèrent l’efficacité des thérapies
cognitives et comportementales, notamment des techniques émotionnelles de Young, chez des patients souffrants de troubles de la personnalité doivent être confirmés
par d’autres études contrôlées, sur des échantillons plus
importants et avec des suivis prolongés après l’arrêt de
la thérapie. L’utilisation d’une échelle évaluant les schémas comme le questionnaire de Young (4), qui n’a pas pu
être effectuée ici chez tous les patients pour des raisons
pratiques, serait également nécessaire.
CONCLUSION
La prise en charge en psychiatrie des patients présentant des troubles de la personnalité est une nécessité de
pratique courante, au vu de la prévalence de ces troubles
et de leur impact sur la morbidité, mais aussi un problème
d’une grande complexité. La rigidité de ces troubles et leur
hétérogénéité font qu’il n’existe pas aujourd’hui une procédure thérapeutique unique susceptible de traiter dans
leur ensemble toutes les pathologies de la personnalité.
Même au sein des théories d’orientation comportementale
et cognitive, les approches prévalentes, celles de Beck et
de Young, comportent des différences assez notables.
Leur déroulement pratique ne peut pas être codifié de
manière aussi précise que peuvent l’être les stratégies
comportementales et cognitives appliquées pour la plupart des troubles de l’axe I. Il faut par ailleurs tenir compte,
à côté de ces programmes de psychothérapie, de tous les
agents thérapeutiques souvent nécessaires au long cours
ou de manière plus ponctuelle, comme les traitements
médicamenteux, les arrêts de travail, les hospitalisations,
et tout autre événement imprévu, fréquents dans cette
pathologie, risquant de modifier les projets thérapeutiques
en cours.
Les recherches à développer aujourd’hui concernent
donc naturellement les effets des thérapies comportementales et cognitives elles-mêmes, avec la nécessité de
développer des études contrôlées sur de grands effectifs,
mais également leurs conditions d’application réelle et les
facteurs prédictifs de leur efficacité. L’objectif de ces
recherches serait de pouvoir au mieux, sur des bases
scientifiques, planifier l’organisation des soins d’un patient
donné en fonction de son profil individuel. À ce titre, le
modèle de Young, encore peu connu, nous semble constituer une approche à la fois riche et souple pour le traitement de nombreux types de troubles de la personnalité.
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