« Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! » Vers un

Session 6 - 1
« Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! »
Vers un repérage des leviers publicitaires influençant les enfants
Application au domaine alimentaire
Pascale EZAN
Maître de conférences - HDR
Laboratoire NIMEC IUT d’Evreux (Université de Rouen) et
Rouen Business School
55 rue Saint Germain 27000 Evreux
Mathilde GOLLETY
Professeur en Sciences de Gestion à l’Université d’Evry Val d’Essonne
3, allée Marguerite 92 240 Malakoff
Nathalie GUICHARD
Maître de conférences
Laboratoire PRISM Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
1 rue Victor Cousin - 75005 Paris
Valérie NICOLAS-HEMAR
Professeur assistant
Rouen Business School
Boulevard André Siegfried BP 215 76825 Mont Saint Aignan Cedex
Résumé : Dans le contexte de lutte contre l’obésité des enfants, la publicité télévisée fait l’objet de nombreuses
controverses. Certaines recherches l’accusent de favoriser la consommation de produits gras et sucrés, d’autres
remettent en cause ce constat en montrant que la publicité ne peut être considérée comme la seule responsable
de cette pandémie. Cette recherche tente de recadrer ce débat en interrogeant les enfants sur leurs choix de
consommation et en visionnant les publicités portant sur des produits alimentaires dont ils sont les destinataires.
Elle débouche sur un repérage des leviers utilisés par les annonceurs pour promouvoir leurs marques auprès des
jeunes consommateurs.
Mots-clés : enfant consommateur publicité télévisée obésité alimentation
Abstract : In the context of children obesity, TV advertising targeting children is much debated. Some research
blame it for favoring unhealthy food consumption while other studies argue that other factors are also to be
blamed. This paper tackles this issue focusing on both children and food advertising. Children have been
interviewed and food TV commercials have been scrutinized. It points out advertising persuasive levels used in
order to promote brands toward children.
Key words : young consumer TV advertising obesity food.
Cette communication s’inscrit dans un programme de recherche baptisé MARCO (Marketing and Children
Obesity) financé par l’ANR.
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« Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! »
Vers un repérage des leviers publicitaires influençant les enfants
Application au domaine alimentaire
L’obésité représente aujourd’hui un phénomène mondial qui touche particulièrement les
enfants. En France, le nombre d’enfants obèses ou en surpoids double tous les dix ans depuis
trente ans. On estime aujourd’hui à 16,7 % le nombre des enfants touchés par cette pandémie.
Lorsqu’il s’agit de trouver un responsable à ce phénomène, la publicité et le marketing en
général sont au cœur des débats en raison de leur caractère persuasif et des désirs suscités par
une offre utilisant tous les leviers de la séduction. Ainsi, une étude réalisée en 2007 par
l’UFC-Que Choisir a montré que sur 1039 spots diffusés lors des programmes jeunesse en
2007, 87 % d’entre eux portaient sur des produits gras et sucrés. Or, selon cette enquête, 32 %
des enfants réclament en priorité les marques qu’ils voient dans les publicités télévisées.
S’il est donc vain de nier cette réalité, la publicité ne peut toutefois pas être analysée sans
faire référence aux différents contextes, porteurs d’interactions sociales pour l’enfant (famille,
copains, école) au sein desquels elle est visionnée. On ne peut, en effet, apprécier l’impact de
la publicité sans connaître l’environnement social dans lequel l’enfant reçoit et s’approprie les
messages commerciaux qui lui sont destinés pour les rejeter ou les valider.
Dans cette optique, notre recherche vise à évaluer d’une part l’importance des agents de
socialisation, et en particulier la place de la publicité dans l’apprentissage de la consommation
par les enfants. D’autre part, elle cherche à identifier les leviers publicitaires utilisés par les
annonceurs de produits alimentaires pour influencer les enfants.
La première partie a pour objet la présentation du cadre conceptuel dans lequel s’inscrit la
recherche. Elle expose les travaux sur la persuasion publicitaire exercée auprès de la cible
enfantine et plus spécifiquement ceux étudiant l’impact de la publicité sur les choix
alimentaires des enfants. La deuxième partie porte sur la méthodologie mise en œuvre. Enfin,
la dernière partie est consacrée à la présentation des résultats.
1. Le cadre conceptuel de la recherche
1.1. Enfants, publicité et persuasion
L’impact de la publicité sur les demandes des enfants a suscité très tôt de nombreuses
contributions dans le champ de la socialisation du consommateur (Rossiter, 1979 ; Gorn et
Goldberg, 1982 ; Moschis et Moore, 1982, Guichard 2000).
Des recherches récentes se sont intéressées aux processus affectifs et cognitifs caractérisant la
réaction de l’enfant à une annonce publicitaire. Différentes études (Phelps et Hoy, 1996 ;
Derbaix et Brée, 1997 ; Moore et Lutz, 2000 ; Pecheux 2001) ont ainsi montré le lien existant
entre l’attitude envers l’annonce et l’attitude envers la marque, que celle-ci soit ou non connue
de l’enfant. Les éléments d’exécution (les personnages, l’histoire, la mise en scène du produit,
le décor, la musique…) jouent un rôle majeur dans la formation de ces deux attitudes. S’il
apparaît que l’attitude envers la marque est un bon prédictif de l’intention d’achat ou de
demande, les croyances envers la marque (ce que pense l’enfant des caractéristiques de la
marque) ne semblent pas avoir d’impact sur son attitude envers la marque.
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Le processus de persuasion peut donc se résumer par les étapes suivantes : 1) Exposition de
l’enfant à un spot publicitaire 2) Perception des éléments d’exécution de l’annonce 3)
Réaction principalement affective, générant une attitude envers l’annonce 4) Attitude envers
la marque 5) Intention de demande de la marque, objet de l’annonce. Chez l’enfant, les étapes
3 et 5 peuvent s’enchaîner directement, autrement dit : une attitude favorable à l’égard d’un
spot publicitaire peut déboucher directement sur une intention de demande du produit en
question. De même, le lien entre les étapes 2 et 4 peut être direct, c’est-à-dire que si l’enfant
apprécie particulièrement certains éléments d’exécution du spot publicitaire, il manifestera le
plus souvent une attitude favorable à l’égard de la marque. Les éléments d’exécution
apparaissent donc déterminants dans le cas des enfants : ce qui est montré est plus décisif que
ce qui est dit sur le produit. L’univers véhiculé par la marque est donc particulièrement
important pour les jeunes consommateurs. Il est donc nécessaire de repérer les éléments qui
leur plaisent dans un spot télévisé et ceux qu’ils rejettent. C’est le travail qu’ont réalisé
Guichard et Pecheux (2007). Les chercheurs ont recensé les facteurs qui contribuent à créer
une attitude positive ou négative à l’égard du message publicitaire. Ces derniers sont
présentés dans le tableau ci-dessous.
1.2. Publicité, alimentation et impact sur l’obésité enfantine
Dans le contexte de croissance de l’obésité enfantine, la publicité télévisée pour les aliments
destinés aux enfants est largement mise en accusation et les pouvoirs publics s’interrogent sur
la pertinence et la façon de réguler les annonces publicitaires. Ces accusations sont relayées
par un certain nombre de contributions académiques qui se sont focalisées sur l’effet des
annonces publicitaires pour des produits alimentaires sur le comportement des enfants
(Goldberg et al., 1978 ; Gorn et Golberg, 1982 ; Scammon et Christopher, 1981). En 2006,
l’OMS a dénoncé l’impact néfaste du marketing sur les habitudes alimentaires des enfants et a
invité les gouvernements à travailler avec les parties prenantes pour en limiter les effets
négatifs. Dans divers pays, des rapports de synthèse ont eu pour objectif de montrer l’effet de
Attitude positive envers la publicité
Attitude négative envers la publicité
- les films amusants ;
- les films présentés sous forme de
dessins animés ;
- les films contenant une chanson
ou une musique attrayante ;
- les films avec des animaux
(notamment ceux qui sont
personnifiés) ;
- les films d’action ;
- chez les plus jeunes, les films
faisant appel à des personnes
âgées ;
- chez les plus âgés, les films se
rattachant à certaines valeurs
culturelles
- les publicités « idiotes » (celles
dont l’annonceur attendait
qu’elles seraient jugées
amusantes, mais dont l’effet réel
est contradictoire) ;
- les publicités perçues comme
trompeuses (non sur le message
lui-même, mais sur un point du
scénario qui les choque) ;
- la publicité au rythme trop lent ;
- la publicité manquant
d’originalité ;
- la publicité où ils ne comprennent
pas le lien entre le produit
présenté et le film.
Tableau 1 : Les éléments favorisant ou inhibant l’appréciation des messages publicitaires par les
enfants
Session 6 - 4
la publicité télévisée sur les préférences et choix alimentaires des enfants et a fortiori le
développement de l’obésité1.
Cependant, ces conclusions font l’objet de nombreuses controverses, en raison notamment de
biais méthodologiques inhérents à ces études. Si plusieurs travaux empiriques identifient une
corrélation entre d’une part, une forte exposition télévisuelle et d’autre part, des choix
alimentaires et une prévalence de l’obésité, peu permettent de valider une relation de causalité
(Young, 2003 ; Friestad et Wright, 2005 ; Livingstone, 2005 ; Ambler, 2008). En outre,
diverses variables sociales, complexes à mesurer, entrent en jeu, souvent de manière
conjointe, telles que les parents, les habitudes alimentaires ou la pression des pairs (Masserot,
2007 ; Ayadi, 2009).
Dans ce cas, quel poids exerce le marketing des produits alimentaires par rapport à ces autres
facteurs ? Si la publicité télévisée semble avoir un effet direct modeste sur les arbitrages
alimentaires des enfants, qu’en est-il de ses effets indirects, médiatisés par d’autres variables
telles que les conditions de vie, les habitudes alimentaires, l’environnement social des enfants
(Livingstone, 2005) ? L’élaboration de politiques efficaces de lutte contre l’obésité nécessite
sans nul doute d’identifier en amont les mécanismes et les interrelations entre ces nombreux
déterminants, à ce jour encore peu connus (Livingstone, 2006, 2009).
En ce qui concerne à proprement parler les spots télévisés, l’impact publicitaire sur le
comportement alimentaire ne dépend pas seulement du nombre de messages diffusés et du
type de produits alimentaires promus (sains/non sains). Il s’agit également de s’interroger sur
la façon dont les publicitaires s’adressent aux enfants, de repérer les leviers de persuasion les
plus utilisés et les plus efficaces (Reece, Rifon et Rodriguez, 1999 ; Roberts et Pettigrew,
2007 ; Nairn et Fine, 2008). Desrochers et Holt (2007) montrent en effet que par rapport à
1977, les enfants en 2004 ont passé moins de temps devant les écrans publicitaires et ont vu
moins d’annonces pour des produits alimentaires. Dans les deux cas, les aliments promus
étaient en majorité riches en sucre ou gras. Pourtant, le taux d’obésité était bien plus faible en
1977. Une première explication repose sur le fait que les enfants actuels sont par ailleurs
influencés par de nouvelles formes de communication, telles qu’Internet, le placement de
produits, etc. (Moore, 2004 ; Schor, 2004). Les auteurs suggèrent également que les
publicitaires disposent en 2004 d’une meilleure connaissance de la cible enfantine et
emploient des leviers de persuasion mieux adaptés.
Comme le montrent les recherches sur le processus de persuasion publicitaire présentées
précédemment, les éléments d’exécution constituent des leviers privilégiés. Pecheux et al.
(2006) soulignent en effet, que dans une annonce presse, le produit et ses caractéristiques
nutritionnelles peuvent être occultés par une exécution riche. Dans le cas d’une annonce
pauvre en éléments d’exécution, l’enfant tient compte des connaissances dont il dispose sur le
produit (sain ou non) pour évaluer l’annonce et la marque.
Par conséquent, une meilleure compréhension des leviers d’exécution publicitaires et de la
façon dont ils influencent les enfants constitue une étape essentielle pour construire une
politique de protection et d’éducation pertinente.
Dans une analyse de contenus d’annonces publicitaires, Roberts et Pettigrew (2007) mettent
d’ailleurs en évidence l’utilisation de leviers fallacieux, tels que l’emploi abusif du caractère
1 Hastings et al. (2003) en Grande-Bretagne ; rapport Institute of Medicine (2006) aux Etats-Unis
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sain du produit ou la reconnaissance sociale associée à la consommation de celui-ci. De leur
côté, Nairn et Fine (2008) dénoncent l’emploi par les publicitaires de méthodes de persuasion
qui rendent encore plus difficile l’utilisation de défenses cognitives par les enfants.
L’ensemble de ces travaux et questionnements en suspens confirme la nécessité de mener de
nouvelles recherches sur l’impact de la publici sur les choix alimentaires des enfants. En
cela, cette communication vise à contribuer à cette réflexion.
2. Méthodologie de la recherche
2.1. Collecte des données
La méthodologie retenue repose sur une démarche qualitative fondée sur deux études
exploratoires.
La première étude est composée de quatorze entretiens semi-directifs réalisés auprès d’enfants
de 7 ans et demi à 10 ans et demi (voir annexe 1). Elle a pour objectif d’apprécier le poids des
différents agents de socialisation auprès de l’enfant consommateur. En particulier, elle
cherche à cerner l’influence des publicités télévisées sur le comportement de consommation
des enfants. Le contenu de l’entretien repose, en grande partie, sur des techniques projectives.
Les scenarii proposés font référence à des expériences vécues par tous les enfants. Ils visent
ainsi à faciliter leur prise de parole et à limiter le biais de rationalisation (voir annexe 2).
Une fois les enfants interrogés, il semble pertinent de se tourner vers les annonceurs et de
repérer quels leviers de persuasion ils cherchent à mobiliser quand ils s’adressent aux jeunes
consommateurs.
La deuxième étude repose donc sur la collecte et l’analyse de spots publicitaires diffusés entre
février et mai 2009 sur les chaînes hertziennes et câblées proposant des programmes jeunesse.
Les annonces ont été recueillies en tenant compte des heures de forte exposition de la cible
enfantine recensées par Dagnaud (2003) :
- Le mercredi et le week-end (période de très forte exposition).
- Le matin (de 7h à 8h45)
- A l’heure du déjeuner (à un degré moindre)
- Après la sortie des classes (à partir de 16h30, avec un pic à 18h30)
Le corpus composé de trente-huit messages d’une durée totale d’environ une heure trente s’est
constitué selon la méthode « boule de neige » pour arriver à un niveau de saturation ne
permettant plus de faire émerger de nouveaux éléments d’exécution (voir annexe 3).
Pour sélectionner les messages, deux critères ont été retenus. Le premier d’entre eux concerne
le choix des produits alimentaires. Ainsi, les messages doivent promouvoir des produits que
les enfants de 7 à 10 ans sont susceptibles de consommer. Pour cette raison, les spots
présentant des aliments pour des enfants en bas âge sont écartés de notre corpus. Le deuxième
critère porte sur la cible visée par la publicité. Les annonces doivent en effet, s’adresser
directement aux enfants pour être intégrées dans notre corpus. Ainsi, les publicités de
marques comme Nutella ne sont pas prises en compte car elles communiquent prioritairement
auprès des parents.
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