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17 février 2010 337
avec lui à l’aide d’une autre langue – plus ou moins bien
maîtrisée – ou à l’aide de gestes, voire de dessins. Cette
façon de faire, souvent créative, dépanne en cas d’urgence
ou de consultation simple, mais montre vite ses limites
quand des messages plus complexes ou plus fins doivent
être échangés. Il s’agit, dans ces cas, de prendre conscience
de ces limites, de ne pas surestimer la qualité de l’échange
et de passer ainsi à côté de malentendus, source poten-
tielle d’échecs thérapeutiques, voire d’erreurs médicales.
Au-delà du code de déontologie de la FMH3 et de l’arti-
cle sur l’égalité des chances de la constitution fédérale 4 qui
nous obligent à offrir la même qualité de soins à tous nos
patients, se donner la possibilité de travailler en trialogue
offre toute une série de bénéfices non négligeables. Ce
dispositif permet, avant toute chose, d’améliorer la qualité
de la communication au niveau de son contenu : l’anamnèse,
source primordiale pour identifier les motivations de la de-
mande de soins et pour arriver à poser un diagnostic correct,
sera plus complète et plus détaillée, et les représentations
du patient pourront mieux être prises en compte. La discus-
sion autour du diagnostic et du traitement sera également
plus fournie et le risque d’incompréhension ou de malen-
tendus mis en évidence. De plus, donner à son patient la
possibilité de s’exprimer dans la langue de son choix va sou-
vent permettre à ce dernier d’ouvrir tout un pan de son uni-
vers affectif que son vocabulaire en français, qui s’est géné-
ralement développé pour répondre aux aspects pratiques
de la vie quotidienne, ne lui aurait pas permis d’exprimer.
La possibilité d’avoir un échange plus riche avec son
patient – grâce aussi aux informations culturelles éclai-
rantes que les tiers peuvent apporter – peut ainsi favoriser
la construction d’une alliance thérapeutique, parfois diffi-
cile à établir avec des patients migrants peu intégrés.5 Le
recours à un interprète peut également se révéler un bon
moyen pour nous aider à dépasser les contre-attitudes –
agacement, sentiment d’impuissance – fréquemment ren-
contrées chez le personnel médical confronté à des patients
migrants peu à l’aise en français.6
Que penser du recours à un proche du patient
ou à un collaborateur migrant pour traduire ?
Se faire accompagner par un conjoint, un enfant ou un
ami pour traduire est une solution souvent proposée par
les patients eux-mêmes. Facile à mettre en place, gratuite,
cette formule comporte toutefois de graves inconvénients.
La qualité et la fiabilité de la traduction ne sont d’abord pas
du tout garanties. Le contenu de l’échange peut en effet
être grossièrement déformé par manque de compétences
du traducteur, par crainte ou gêne de transmettre certains
messages ou par volonté délibérée de modifier le sens
des échanges, notamment si le proche cherche à maintenir
un certain contrôle sur le patient. La confidentialité de ce
qui se dit dans la consultation n’est par ailleurs nullement
assurée, le traducteur improvisé ne pouvant être soumis à
aucun secret professionnel. Il peut d’autre part s’avérer
perturbant pour le traducteur, voire même traumatique s’il
s’agit d’un enfant, d’entrer dans l’intimité médicale d’un
proche. Faire appel à un collaborateur de l’institution ou du
cabinet parlant la langue du patient peut comporter, sous
forme atténuée le même type de risques, à l’exception no-
table de ceux liées au secret de fonction.
Le recours à des interprètes formés évite ce genre de
problèmes. Leur formation assure un bon niveau de con-
naissance des deux langues, des compétences relationnel-
les, ainsi qu’un devoir de confidentialité. De plus, l’absence
de lien direct avec le patient leur permet de garder une
certaine impartialité dans les échanges.
quelles sont les spécificités d’une
consultation avec un interprète
communautaire ?
Traduction littérale ou restitution de sens ?
Généralement, si rien ne lui est précisé, l’interprète com-
munautaire va opter pour une traduction qui restitue le sens
des paroles sans tenter de rendre compte de l’agencement
exact des termes dans le discours. Cette technique a l’avan-
tage de pouvoir laisser parler le patient sans l’interrompre
après chaque phrase. Elle permet aussi à l’interprète de
tenir compte des spécificités culturelles et langagières des
deux interlocuteurs, par exemple en adaptant la forme du
discours au niveau de compréhension du patient. Ce type de
traduction rend l’échange souple et fluide, mais il peut être
indiqué, dans des contextes particuliers – par exemple lors-
que l’on suspecte chez le patient de légers troubles du cours
de la pensée qui pourraient sans cela passer inaperçus ou
lorsque l’on doit arriver à un diagnostic différentiel précis
– de demander une traduction plus pro che du sens littéral.
Enjeux relationnels
La présence d’un interprète suppose la présence d’un
tiers dans la relation dyadique habituelle formée par le
praticien et son patient. Le contexte triadique ou polyadi-
que se caractérise par une plus haute complexité au ni-
veau des relations intersubjectives en jeu : la conduite de
A face à B, par exemple, se modifiera en présence de C ou
la conduite de A face à B dépendra de la relation que A
entretient avec C. Le contexte triadique représente non
seulement un défi parce qu’il est moins prévisible, mais
également parce que la communication et la relation sont
soumises à de multiples modifications selon les liens qui
se tissent entre les partenaires. Par ailleurs, le passage d’une
capacité à se situer dans la dyade vers la capacité d’inté-
grer un tiers représente également un défi dans le déve-
loppement du jeune enfant. Il n’est donc pas étonnant
que des patients – par exemple avec des troubles du dé-
veloppement – puissent rencontrer certaines difficultés
dans une relation triadique. De façon plus générale, le tiers
(interprète, arbitre, juge) peut jouer un rôle structurant,
mais également un rôle qui complexifie l’échange.
Rythme de la consultation
Le rythme de la consultation va également être modifié
par la participation d’un interprète. Même si le traducteur
cherche à restituer le sens plutôt que le «mot à mot» du
discours du patient, le flux des paroles doit être contrôlé
pour laisser l’interprète traduire ; la spontanéité des échan-
ges et l’enchaînement des associations en sont forcément
perturbés. Lors d’entretien de famille, le rôle de l’interprète
devient encore plus complexe et le clinicien doit être at-
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