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En fait, l’imaginaire collectif de ces locuteurs trouve comme corpus de référence culturelle la bible
hébraïque et le Talmud.
- A Oujda, on dit de quelqu’un qu’on ne considère pas assez religieux : la ʕāda wa-la haggada, « il n’a
pas de coutume ni de haggadah ».
- A Fès, on a construit un verbe à partie de la bénédiction sur le pain, qui se dit en hébreu ha-môṣîʔ leḥem
min hâ-ʔâreṣ, « qui fait sortir le pain de la terre ». Le verbe hébreu môṣîʔ (conjugaison de la racine trilitère
yṣʔ) est assimilé à une racine verbale mṣy et conjugué en arabe marocain, ce qui donne : ana kanmṣī,
« je récite la bénédiction sur le pain ».
- Au Yémen, on récupère aussi les consonnes radicales de certains mots hébreux pour en faire des verbes
arabes, on trouve les verbes fawwar, « célébrer Pourim », kaffar, « célébrer Kippour » et šaʔbab,
« célébrer Tichaʕ be-Av ».
- En Irak, on trouve le verbe fassaḥ, « célébrer Pessah ». En Tunisie et à Tlemcen, le terme hébreu galûṭ
« exil » est verbalisé en gǝllǝṭ, « être triste, misérable ». Puisque tous ces emprunts sont contextuels et
ne renvoient pas vraiment à une situation de bilinguisme, leur emploi va connaitre des évolutions
sémantiques elles aussi contextuelles, par extension ou restriction de sens.
- En Tunisie et à Meknès, le terme hébreu siddûr, « livre de prière » signifie plus simplement « livre » tout
comme l’emprunt à l’arabe mǝṣḥāf « livre relié, Coran », qui signifie pour les juifs « livre » en général.
Dans l’autre sens, les mots hébreux baḥūr « jeune homme », šūlḥan, « table » et sefer « livre » (prononcé
sifer) prennent les sens de « célibataire », « table de shabbat » et « rouleau de la Torah ».
III. Le judéo-arabe au Maroc
A partir de quand peut-on parler de judéo-arabe ? Il est difficile de répondre à cette question. Par exemple
qu’en est-il des textes écrits en arabe par Maïmonide ? Suffit-il qu’il y ait quelques éléments hébreux pour
le nommer judéo-arabe ? Qu’il soit écrit en caractères hébreux ? On en revient aux considérations du
début de la présentation concernant les identités. La plus grande particularité du judéo-arabe est peut être
justement qu’il s’est écrit depuis des siècles, contrairement aux parlers musulmans. C’est-à-dire qu’il est
souvent une des plus anciennes traces des dialectes arabes nord-africains.
Les hommes, qui ont un enseignement religieux, insèrent souvent plus de mots hébreux et araméens que
les femmes. Plus la langue est soutenue (en particulier à l’écrit), plus on a d’hébreu.
Une particularité se retrouve chez dans ces parlers du Maroc à la Libye, surtout dans les régions qui ont
été rejointes par les juifs d’Espagne. Il s’agit d’un « zézaiement », qui trouve probablement son origine
dans la déstabilisation des sifflantes de l’espagnol ayant eu lieu autour du XVème siècle (ce qui ressort
particulièrement dans la comparaison du Castillan et des langues judéo-espagnoles des Balkans, qui n’ont
pas connu ces modifications). En arabe, cette différence se repère par exemple dans les mots suivants :
- Le verbe « aller » se dit msa / imsi chez les Juifs et mša / imši chez les musulmans. Le chiffre deux est
zūz chez les juifs et jūj chez les musulmans etc.
D’autres particularités phonétiques ne sont pas spécialement juives en soit mais concernent les juifs dans
certaines villes. Par exemple à Fès, les Juifs ne prononcent pas le phonème /q/ et le remplacent par /ʔ/.
Les musulmans disent qāl, « dire » et les juifs ʔāl. En orient, ce même phénomène est attesté dans les