410 Coeur battant 16 - Précis d`anesthésie cardiaque

Précis d’Anesthésie cardiaque 2016 – 10 Chirurgie à coeur battant 1
CHAPITRE 10
ANESTHESIE
POUR LA CHIRURGIE CARDIAQUE
A COEUR BATTANT
Mise à jour: Avril 2016
Précis d’Anesthésie Cardiaque
PAC
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016 – 10 Chirurgie à coeur battant 2
Table des matières
Pontages aorto-coronariens (OPCAB) 2
Résultats chirurgicaux 3
Perturbations hémodynamiques 9
Stratégies chirurgicales 15
Ischémie myocardique peropératoire 19
Anticoagulation 24
Techniques de surveillance 25
Prise en charge hémodynamique 32
Technique d’anesthésie 35
Résumé 38
Le MIDCAB 40
Laser transmyocardique 41
Mécanisme d’action et résultats 41
Technique d’anesthésie 43
Implantation valvulaire aortique (TAVI) 45
Indications et résultats 45
Technique d’implantation 51
Anesthésie 67
Plastie mitrale percutanée 72
Indications et résultats (MitraClip™) 72
Technique/imagerie du MitraClip 78
Anesthésie pour MitraClip™ 83
Autres plasties percutanées 87
Autres interventions valvulaires sans CEC 89
Lectures conseillées, Recommandations 94
Auteurs 95
Pontages aorto-coronariens à coeur battant (OPCAB)
Le pontage aorto-coronarien (PAC) est l'opération cardiaque la plus fréquemment pratiquée dans les
pays occidentaux, bien que les interventions coronariennes percutanées (PCI) avec pose de stent en
aient réduit la portée. Depuis une vingtaine d’anes, un intérêt considérable s'est manifesté en
chirurgie pour le pontage aorto-coronarien à coeur battant (Off-pump coronary artery bypass ou
OPCAB), dans l’espoir de diminuer la morbidité liée à la CEC et d’offrir une opération simplifiée face
à la concurrence de la cardiologie. L’intérêt de l’OPCAB est d’éviter l’arrêt par cardioplégie, la
canulation de l’aorte ascendante, l’héparinisation complète et le contact du sang avec des surfaces
étrangères. En diminuant les coûts et en raccourcissant le séjour hospitalier, la revascularisation à
coeur battant pourrait offrir de meilleurs résultats à long terme que la PCI tout en étant moins invasive
que les PAC conventionnels [7]. Cette technique, imaginée et pratiquée en 1964 déjà par V. Kolesov
(1904-1992) à Leningrad [6], a été régulièrement pratiquée pendant 30 ans dans des pays n’ayant pas
eu un accès facile aux technologies extracorporelles (Argentine, Brésil, Inde, Turquie). Le pontage à
coeur battant s'est dévelop selon deux axes différents.
Une petite thoracotomie antérieure gauche permet une intervention isolée sur l'IVA
(Minimally invasive direct access coronary artery bypass ou MIDCAB) ; cette pratique
n'autorise que l'anastomose d'un seul vaisseau, est techniquement difficile, et donne des
résultats suboptimaux [8].
L'introduction de techniques sophistiquées d'exposition et de stabilisation a permis de
revasculariser les trois vaisseaux coronariens par une sternotomie médiane classique sans
l'appui d'une CEC, avec prélèvement d’une ou des deux artères mammaires internes [1,2,5].
Après une période d'enthousiasme, l’opinion chirurgicale reste divisée sur la pratique de l’OPCAB :
certains centres y sont réticents, alors que d’autres ont quasiment abandonné la CEC pour la chirurgie
coronarienne [3,4]. En Europe et en Amérique du Nord, la proportion moyenne de pontages réalisés à
coeur battant est de 15-20% du nombre total de PAC, mais en Asie et en Amérique du Sud, elle
dépasse 60% [9]. Dans ce chapitre, on entend par cœur battant les opérations réalisées sans CEC,
sachant que de nombreux centres pratiquent les PAC sans cardioplégie et sans arrêt cardiaque mais
avec le soutien d’une CEC.
Références
1 BERGSLAND J, KARAMANOUKIAN HL, SOLTOSKI PR, SALERNO TA. "Single suture" for circumflex exposure in off-
pump coronary artery bypass grafting. Ann Thorac Surg 1999; 68: 1428-30
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016 – 10 Chirurgie à coeur battant 3
2 BORST C, JANSEN EW, TULLEKEN CA, et al. Coronary artery bypass grafting without cardiopulmonary bypass and without
interruption of native coronary flow using a novel anastomosis site restraining device ("Octopus"). J Am Coll Cardiol 1996; 27:
1356-64
3 FLOYD T, FLEISHER LA. Off-pump coronary artery bypass and the hypothesis from which it grew: Is it yet to be tested ? What
are the downsides of the lingering questions ? Anesthesiology 2005; 102:3-5
4 HANNAN EL, WU C, SMITH CR, et al. Off-pump versus on-pump coronary artery bypass graft surgery. Differences in short-
term outcomes and in long-term mortality and need for subsequent revascularization. Circulation 2007; 116:1145-52
5 JANSEN EW, BORST C, LAHPOR JR, et al. Coronary artery bypass grafting without cardiopulmonary bypass using the octopus
method: results in the first one hundred patients. J Thorac Cardiovasc Surg 1998; 116: 60-7
6 KOLESOV VI. Mammary artery-coronary artery anastomosis as method of treatment for angina pectoris. J Thorac Cardiovasc
Surg 1967; 54: 535-44
7 SERRUYS PW, MOICE MC, KAPPETEIN AP, et al. Percutaneous coronary intervention versus coronary artery bypass grafting
for severe coronary artery disease. N Engl J Med 2009; 360:961-72
8 STANBRIDGE RD, HADJINIKOLAOU LK. Technical adjuncts in beating heart surgery comparison of MIDCAB to off-pump
sternotomy: a meta-analysis. Eur J Cardiothorac Surg 1999; 16 Suppl 2: S24-33
9 TAGGART DP, ALTMAN DG. Off-pump vs. on-pump CABG: are we any closer to a resolution? Eur Heart J 2012; 33:1181-3
Résultats chirurgicaux de l’OPCAB
Malgré la faible mortalides PAC conventionnels (0.5-2%), on reste alerté par les complications
systémiques et neurologiques, dont une bonne partie est attribuée à la CEC. Eliminer cette dernière
devrait réduire ces complications. Malheureusement, la comparaison entre l’OPCAB et les PAC en
CEC est difficile car elle est pénalisée par quatre facteurs importants.
La technique chirurgicale de l'OPCAB est plus délicate que celle des PAC en CEC. Dans les
premières années, le nombre d'anastomoses réalisées était inférieur à celui des interventions
conventionnelles, ce qui affecte la comparaison des résultats. Par rapport à la technique
conventionnelle, l’OPCAB réclame davantage d’habileté chirurgicale, de rigueur stratégique
et de travail d’équipe entre chirurgien et anesthésiste.
Les centres qui pratiquent couramment l’OPCAB, notamment sans implantation aortique des
pontages (no-touch total arterial graft), affichent des résultats nettement supérieurs à ceux qui
ne pratiquent qu’occasionnellement la revascularisation à coeur battant (odds ratio pour
mortalité et complications : 0.5) [32,39]. Leurs études comparatives avec les PAC en CEC
donnent des résultats plus favorables que ceux des études multicentriques qui englobent de
nombreuses institutions peu investies dans l’OPCAB.
Alors que les nombreuses études comparatives observationnelles donnent des résultats plus
favorables pour l’OPCAB, les études contrôlées et randomisées entre OPCAB et PAC ne
montrent souvent que peu de différences entre les deux techniques [22].
Si l’OPCAB fait une différence, c’est probablement dans les populations à haut risque,
notamment chez les personnes âgées, les malades à haut risque morragique et les
insuffisants multi-organiques [52].
La comparaison de 13'889 OPCAB avec 35’941 PAC en CEC (New York State Hospitals 2001-2004)
démontre une baisse de mortalité à 1 mois pour l’OPCAB (OR 0.81), mais pas de différence à 3 ans
(OR 1.08) [25]. Dans une analyse du National Adult Cardiac Surgery Database (NACSD), la
mortalité ajustée au risque décroît de 2.9% (PAC conventionnels) à 2.3% (OPCAB) [16]. Dans l’étude
PREVENT IV, la mortalià 1 an baisse de 3.3% pour les PAC à 2.5% pour l’OPCAB [41]. Cette
baisse de mortalité est constatée dans une méta-analyse [33], mais quatre autres ne trouvent aucune
différence dans la survie jusqu’à 5 ans [1,14,22,44]. Il en est de me pour de grands essais
randomisés [28,36,41,45,47,50]. Cette discordance s’explique probablement par le fait que l’OPCAB
ne modifie pas la mortalité opératoire chez les malades à bas risque, mais la diminue significativement
(OR 0.6) chez les patients à haut risque [52]. Il semble donc que le coeur battant n'impose pas un
risque supplémentaire au malade, mais tend à diminuer la mortalité dans les centres très à l’aise avec
la technique [43,50].
En terme de morbidité, le tableau est plus complexe, mais il en ressort quelques tendances
significatives [29].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016 – 10 Chirurgie à coeur battant 4
L'hémorragie peropératoire, le besoin en érythrocytes ou en dérivées sanguins et le risque de
reprise pour mostase sont nettement diminués dans la quasi-totalité des séries. Dans la
plupart des études comparatives, le risque de transfusion décroît de 30-50% à coeur battant
[14,34,36]. Il est possible d’opérer des malades sous antiplaquettaires (aspirine et clopidogrel)
sans augmentation significative du risque hémorragique [67].
Le taux d’accidents vasculaires rébraux (AVC) postopératoires est en général abaissé (OR
0.48-0.73) [1,22,25,34,41,49,50]. Dans les cas d'atromatose étendue de l'aorte ascendante, il
est probable que seule l'absence totale de manipulation de l'aorte (no-touch technique), en
procédant à des greffons entièrement artériels à cœur battant, peut diminuer significativement
l'incidence d'ictus (p < 0.001) [8,10,24,39]. Ce résultat ne se retrouve pas lorsque l’aorte est
saine [14,15,56].
Les troubles neuropsychologiques cognitifs ne semblent pas être atténués de manière
significative après OPCAB [20,64,68]. me si le taux de micro-embols cérébraux est
clairement diminué, celui des troubles cognitifs ne l’est pas, tout au moins pas à long terme
[14,27].
L'OPCAB démontre une tendance à mieux préserver le myocarde et à diminuer les
évènements cardiaques postopératoires: diminution du taux de troponine I et de CK-MB, de
l'incidence de fibrillation auriculaire, et du besoin en agents inotropes [3,4,13,14,44,46,60].
Toutefois, l'incidence d'infarctus postopératoire tend à augmenter, et n’est dimine que dans
certaines séries [22,41,65] ; dans les méta-analyses, il est équivalent [1,14,22,34,44].
L'absence de CEC atténue, mais ne supprime pas, la libération postopératoire des marqueurs
du syndrome inflammatoire systémique (SIRS) [5,17,19,35,42].
La durée de ventilation postopératoire, la durée de séjour en soins intensifs et la durée du
séjour hospitalier sont en général raccourcies après OPCAB. Ajouà l’absence de CEC, ce
fait réduit le coût global de l'intervention [7,51,53] ; toutefois, une série américaine et une
série chinoise ne confirment pas cette donnée [15,28].
Les personnes âgées semblent particulièrement bénéficier de la revascularisation à coeur
battant : la mortalité et le taux d’AVC sont significativement abaissés chez les octogénaires
[12,18,30,33,34,48,62].
Le genre féminin pourrait bénéficier de l’OPCAB, qui entraîne significativement moins de
morbidité que les PAC chez les femmes (OR 2.07) [50].
Le taux global d’insuffisance rénale ou respiratoire est le plus souvent abaissé, en général par
un facteur de 0.2 à 0.5, bien que les études portant sur des sujets à bas risque ne trouvent pas
de différence [1,16,24,34,36,45,50].
Comme les anastomoses à coeur battant sont techniquement plus délicates, on peut craindre que les
résultats de la revascularisation soient moins bons, et que le nombre d'anastomoses réalisées soit plus
faible, donc la revascularisation incomplète. Cependant, la perméabilité des greffons à 30 jours (94-
99%) tend à devenir identique à celle des pontages en CEC lorsque l'équipe chirurgicale et
anesthésique a passé sa courbe d'apprentissage et devient bien rôdée à la technique [11,52]. Par contre,
elle n’est jamais meilleure. On dispose actuellement de nombreuses études contrôlées et randomies
pour comparer la perméabilité des greffons à moyen terme (3 mois) et à long terme (1, 3 et 5 ans)
entre OPCAB et PAC en CEC. Elles démontrent soit une égalité, soit une légère infériorité de
l’OPCAB.
Plusieurs études ne démontrent aucune différence dans la qualité des anastomoses à trois mois
et à un an [38,40,41,47,54]. Dans l'étude SMART (200 patients randomisés opérés par le
même chirurgien), la perméabilité des greffons à 30 jours (98%) et à un an (94%) est identique
entre les deux groupes [54]. Dans l’étude PREVENT IV, le taux de sténose à 1 an de > 75%
de la lumière des pontages veineux est identique (25%) [41]. La revue de 12'812 cas et une
méta-analyse de deux essais contrôlés ne décèlent aucune influence du type de chirurgie et du
nombre de greffons sur la survie à 3, 5 et 10 ans [2,38]. Le suivi à 7.5 ans de l’étude SMART
ne montre aucune différence à long terme dans la perméabilité des greffons, le taux
d’ischémie résiduelle, le taux de réintervention et la mortalité [55].
Précis d’Anesthésie cardiaque 2016 – 10 Chirurgie à coeur battant 5
D’autres travaux ont prouvé une baisse de la qualité des anastomoses. Dans une cohorte
prospective de 6'000 patients, le taux de reprises pour revascularisation secondaire et le taux
d’infarctus sont plus élevés chez les OPCAB, bien que la mortali ne présente pas de
différence [28]. Dans un essai randomide 4'752 patients, le taux de re-pontages précoces
passe de 0.2% (PAC) à 0.7% (OPCAB) [36] ; à 1 an, la différence s’est amenuisée : le taux de
ré-opération n’est que de 1.2% (PAC) et de 1.6% (OPCAB) [37]. Une autre étude randomisée
a trouvé que la perméabilià trois mois des pontages à coeur battant (88%) est inférieure à
celle des pontages réalisés en CEC (98%) [31]. Une analyse des résultats à 3 ans met en
évidence un taux de revascularisation secondaire de 6.4% pour les PAC mais de 10.1% pour
les OPCAB [25]. Dans une autre étude, la perméabilité des pontages à 1 an des OPCAB
(82.6%) est sensiblement inférieure à celle des PAC (87.8%) [59]. Dans une série randomisée,
la perméabilité à 1 an des pontages veineux est plus faible dans le groupe OPCAB (49%) que
dans celui des PAC en CEC (59%), mais ce taux est particulièrement bas pour les deux
méthodes, ce qui sous-entend des problèmes de technique chirurgicale [66]. Cette différence
ne se retrouve pas dans les pontages artériels. Dans l’essai ROOBY, la perméabilité chute de
91% (PAC) à 86% (OPCAB) pour les pontages artériels et de 80% à 73% pour les pontages
veineux ; le taux de revascularisation complète passe de 64% à 50% [26]. Dans cet essai, les
piètres résultats de l’OPCAB tiennent essentiellement au fait que les interventions sont
conduites par des chirurgiens en formation (trainees), qui sont au bas de leur courbe
d’apprentissage.
Compaà la PCI avec pose de stent, l’OPCAB diminue le taux de resténose à 6 mois (OR
0.31) et celui de revascularisation secondaire à 1 et 5 ans (OR 0.24) [6].
Lorsqu’il est bien conduit, un pontage à cœur battant donne donc des résultats identiques ou
sensiblement meilleurs à court terme, mais ne fait pas de différence majeure sur le long terme
[21,25,57]. Or l’échec précoce des pontages est en règle générale le fait d’une défaillance technique,
alors que les résultats à long terme dépendent davantage de l’évolution du processus athéromateux et
de l’hyperplasie fibro-intimale [57]. Une des avanes permises par l’OPCAB est le pontage tout
artériel sans manipulation de l’aorte ascendante. En effet, les clampages et déclampages de cette
dernière sont une des sources majeures d’embols cérébraux, donc d’ictus. A cœur battant, il est
possible d’éviter complètement de toucher l’aorte ascendante (no-touch) en réalisant des pontages
artériels libres branchés en "Y" sur les deux artères mammaires. Le taux d’accidents cérébro-
vasculaires baisse alors de plus de 60% [9,24,39]. L’ambiguïdes résultats de l’OPCAB par rapport
au PAC en CEC tient probablement au mélange des patients à bas et à haut risque dans la plupart des
études. Dans la catégorie à bas risque, l’OPCAB n’améliore pas les résultats et peut les péjorer si la
technique n’est pas maîtrisée par les opérateurs. Chez les patients à haut risque, par contre, il diminue
la mortalité et la plupart des complications majeures qui pénalisent les résultats chez les malades
fragiles [52,63].
Les contre-indications à la revascularisation à coeur battant sont la présence de thrombus
intracavitaire, de vaisseaux intramyocardiques, de dilatation ventriculaire massive, d'arythmies
ventriculaires majeures, et d'interventions combinées avec un remplacement valvulaire. Malgré les
difficultés techniques dues aux adhérences, des réopérations à coeur battant sont réalisables par
sternotomie ou par thoracotomie [43,61].
En résumé, l’OPCAB augmente la difficulté technique chirurgicale et intensifie les prestations exigées
de l’anesthésiste. Il demande de bons anesthésistes, d’excellents chirurgiens et une parfaite
coordination entre eux. Il ressort de la littérature récente, bien que souvent contradictoire, que
l’OPCAB présente un certaine nombre d’avantages.
Diminution de l’hémorragie et des transfusions ;
Diminution de l’incidence d’ictus (particulièrement en cas de chirurgie tout artérielle) ;
Amélioration des résultats chez les personnes âgées et chez les patients à haut risque ;
Amélioration momentanée de la préservation myocardique et de la fonction hémodynamique
impact apparent à long terme ;
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