Toxicomanie et santé mentale

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Toxicomanie et santé mentale :
une simple problématique
devenue complexe
2e COLLOQUE AITQ-RISQ
TOXICOMANIE ET MENTALE
Delta Trois- Rivières
19 octobre 2015
Didier Jutras-Aswad MD, MS, FRCPC
Médecin psychiatre et directeur, Unité de psychiatrie des toxicomanies du CHUM
Chercheur, Centre de recherche du CHUM
Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Universtié de Montréal
Compton, W. M. et al. Arch Gen Psychiatry 2007;64:566-576.
Pertinence clinique de la comorbidité:
l’exemple de la dépression
• La dépression prédit le risque de développer une
toxicomanie et vice versa1
• La dépression prédit le risque de rechute chez le patient
dépendant à une substance2
• La présence de toxicomanie est associé à une évolution
défavorable de la dépression3
1Gilman
et al, Drug Alcohol Depend 2001; 2Greenfield SF et al. Arch Gen Psychiatry 1998; 3 Mueller et al Am J Psychiatry 1994
La dépression est associée au risque de rechute à l’alcool
Greenfield et al, Arch Gen Psychiatry. 1998;55(3):259-265
Modèles de traitement des troubles
concomitants toxicomanie et santé mentale
• Traitement séquentiel
– Traitement d’une première condition (toxicomanie) et traitement
de l’autre condition par la suite (p. ex. trouble de l’humeur)
• Traitement parallèle
– Les 2 conditions sont traitées simultanément par 2 équipes de
traitement différentes, chacune étant spécialisée dans l’une des
problématiques
• Traitement intégré
– Les 2 conditions sont traitées par la même équipe de
traitement (intégration des 2 programmes)
Modèle à quatre cadrants
Sévérité toxicomanie
Très sévère
Services spécialisés en
dépendance
Programmes intégrés
spécialisés en comorbidité
Services de première ligne
Services spécialisés en
santé mentale
Légère
Très sévère
Sévérité du trouble de santé mentale
SAMHSA, 2005; NASADAD, 1999
1er problème…
Le diagnostic
Défis du diagnostic d’un trouble psychiatrique chez le
patient qui consomme activement
• Les substances peuvent induire des symptômes semblables à
plusieurs troubles psychiatriques
• Difficulté à obtenir une histoire détaillée de la
symptomatologie
• Préjugés/stigmatisation de la population souffrant de
toxicomanie et de troubles de santé mentale
Fiabilité et persistance des diagnostics
remises en question…
 535 patients
 Diagnostic de psychose
induite par le cannabis
 Suivi 3 ans
 Autre épisode
psychotique pendant le
suivi: 77.2%
 Dx de psychose du
spectrum de la
schizophrénie: 44.5%
Arendt et al., Br J Psychiatry, 2005
La comorbidité n’a pas que 2 axes…
• Contexte social
• Problèmes physiques
• Stade de changement et motivation
Complexité de certains (plusieurs)
patients
• Jeune homme de 29 ans
• TLU sévère cocaïne et alcool; TLU modéré amphétamine;
utilisation de cannabis
• Trouble psychotique induit par les substances à
répétition
• Trouble anxieux non-spécifié
• Trouble de personnalité mixte limite et antisociale
• Hépatite C
• En bris de lien avec sa famille
Complexité de certains (plusieurs)
patients
• Homme de 54 ans
• TLU sévère alcool; utilisation par ‘’binge’’ de cocaïne
cessée
• Troubles cognitifs secondaire à l’alcool
• Trouble de comportement
• Diabète et hypertension non traités
• Pas de trouble psychiatrique ‘’sévère et persistant’’
• Itinérance, isolement social
2e problème…
Les interventions
Barrières au traitement
Past Year Perceived Need for and Effort Made to
Receive Specialty Treatment among Persons Aged 12
or Older Needing But Not Receiving Treatment for
Illicit Drug or Alcohol Use: 2007
SAMHSA, 2008
Traitement intégré des comorbidités
Psychosocial interventions for people with both severe mental
illness and substance misuse
Hunet GE, Siegfried N, Morley K, Sitharthan T, Cleary M
Cochrane Review 2013
‘’We included 32 RCTs and found no compelling evidence to support any one
psychosocial treatment over another for people to remain in treatment or to reduce
substance use or improve mental state in people with serious mental illnesses.
Furthermore, methodological difficulties exist which hinder pooling and interpreting
results. Further high quality trials are required which address these concerns and
improve the evidence in this important area.’’
Traitement pharmacologique de la dépression
chez les patients souffrant de toxicomanie
Amphétamines
Héroïne
Premier choix
Aucun
Premier choix
Aucun
Deuxième choix
Aucun
Deuxième choix
Aucun
Troisième choix
Ajout buprénorphine
Troisième choix
Aucun
Non recommandé
Aucun
Non
recommandé
Aucun
Opiacés
Cannabis
Premier choix
Deuxième choix
Premier choix
Aucun
Deuxième choix
Aucun
Troisième choix
Ajout imipramine à
methadone
Non recommandé
Ajout fluoxétine à
méthadone
Ajout sertraline à
méthadone Traitement de
maintien
Aucun
Aucun
Troisième choix
Aucun
Non
recommandé
Fluoxétine
CANMAT; Beaulieu S et al, Ann Clin Psychiatry. 2012 Feb;24(1):38-55.
Faiblesse des évidences pour des interventions
spécifiques ciblant la comorbidité: hypothèses…
• Les interventions de contrôle sont efficaces (ou… ce qu’on fait
d’habitude n’est pas si pire)
• Une seule intervention en soi n’est pas suffisante pour les
personnes souffrant de comorbidités, dont le profil clinique,
les objectifs et les besoins spécifiques sont variées
• L’ingrédient le plus important du traitement intégré n’est
peut-être pas dans la nature de l’intervention
Le besoin n’est pas toujours dans le
quoi, mais souvent dans le comment
• Exemple de consultation…
• Patiente avec TP limite, TLU opiacés, menaces suicidaires à
répétition
• Pas de demande de transfert d’équipe
• Discussion avec l’équipe référente
• Emphase sur les éléments non-spécifiques du traitement:
essouflement de l’équipe, cadre thérapeutique, flexibilité et
limites des interventions, coordination des soins entre les
membres de l’équipe et avec le reste du réseau
• Résultat: la patiente est relativement stable, l’équipe est plus
confortable, le lien thérapeutique est préservé
Diagnostic et traitement intégré des
comorbidités: les défis
– Le diagnostic de la comorbidité peut être complexe
– Les patients présentent d’autres difficultés que la
toxicomanie et le trouble de santé mentale
– Les patients présentent parfois une autocritique
limitée et un désir mitigé d’être traités
– Littérature relativement limitée pour baser les
pratiques sur des données probantes solides
spécifiques aux comorbidités
– Le besoin des équipes référentes et de la personne
référée est parfois, mais pas toujours, l’accès à des
services plus spécialisés ou complexes
Un réseau complexe…
Lahaie, Jutras-Aswad et coll, 2015
Qu’est-ce qu’on fait?
Il faut suivre, aider et traiter les deux problématiques
A Double-Blind, Placebo-Controlled Trial Combining Sertraline and Naltrexone for
Treating Co-Occurring Depression and Alcohol Dependence
Pettinati et al, Am J Psychiatry. 2010;167(6):668-675
Il faut améliorer la capacité d’intégration des
services à tous les niveaux de soins
Il faut intégrer à plusieurs niveaux
•
Intégration des soins
– Coordination des pratiques cliniques pour répondre à l’ensemble des besoins/problèmes de
chaque patient
•
Intégration des équipes cliniques
– Travail multidisciplinaire efficace et en continu à l’intérieur des organismes impliqués et entre
ceux-ci
•
Intégration fonctionnelle
– Coordination entre les activités administratives (finance, gestion, informatique) et cliniques
•
Intégration normative
– Cohérence dans l’ensemble des valeurs et principes véhiculés par les différents éléments de
l’organisation
•
Intégration systémique
– Cohérence dans l’ensemble des différents volets de l’intégration, permettant l’émergence d’un
programme réellement intégré, de façon durable
Brousselle A, Lamothe L, Sylvain C, Foro A, Perreault M. Integrating services for
patients with mental and substance use disorders: What matters? Health Care
Manage Rev. 2010 Jul-Sep;35(3):212-23.
Il faut changer la recette
• Organisation centrée sur les besoins des patients et non des
institutions
– Bonne connaissances des populations
– Prise en considération des autres problèmes de la personne: aspects
sociaux, maladies physiques
– Concertation entre les acteurs clés impliqués auprès des patients
• Minimiser la fréquence et l’impact des références
– Améliorer l’intégration des services à tous les niveaux de soins (1ère, 2e
et 3e ligne)
– Attention portée aux mécanismes de références
Il faut changer la recette
• Fluidité et flexibilité du système
– C’est aux institutions de s’adapter aux patients, non l’inverse
– Identifier et vaincre les barrières CONCRÈTES à la fluidité des
trajectoires de services
– Porter attention aux détails du fonctionnement du réseau qui peuvent
mener à des échecs d’offre de services aux patients
– Développer des réflexes différents: ‘’ jusqu’où je peux aller et qu’est-ce
que je peux faire pour cette personne compte tenu de mon
expertise?’’ vs ‘’est-ce que cette personne correspond à nos critères?’’
Il faut aider le patient ‘’ici’’ le plus souvent possible
Très sévère
Sévérité toxicomanie
Services spécialisés en
dépendance
Programmes intégrés
spécialisés en comorbidité
-No wrong door
-Flexibilité
-Organisation centrée sur le patient et ses besoins
-Fluidité
-Dimensions sociales et physiques
Services de première ligne
Services spécialisés en
santé mentale
Légère
Très sévère
Sévérité du trouble de santé mentale
SAMHSA, 2005; NASADAD, 1999
Un pari…
• Le défi: créer un programme de ‘’3e ligne’’ qui ne répond pas aux
prémisses habituelles d’un tel service
– Critères d’admission rigides
– Interventions spécifiques ultracomplexes, non-reproductibles
• Le résultat:
– Critères centrés sur les besoins du patient et la capacité du réseau actuel de
répondre à ses besoins
– Programme multidisciplinaire et flexible misant sur plusieurs modalités
thrapeutiques et une diversité d’interventions selon le profil clinique du
patient de même qu’où il se trouve dans son parcours
– Soutien et interaction variés avec les acteurs du réseau
– Culture du programme: comment le mieux aider cette personne?
Le mot de la fin
• Peut-être que l’essentiel, la base, le plus
important, c’est d’être (et demeurer) présent
auprès des personnes qui souffrent de
comorbidité, au-delà de la nature des
interventions proposées
• Investissons plus d’énergie à aider la personne
qu’à protéger les structures et les mandats des
organisations
• Profitons le plus possible des occasions de se
rencontrer : bon colloque!
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Toxicomanie et
mentale :
une simple
matique
devenue complexe
2e COLLOQUE AITQ-RISQ
TOXICOMANIE ET
MENTALE
Delta Troisres
19 octobre 2015
Didier Jutras-Aswad MD, MS, FRCPC
Médecin psychiatre et directeur, Unité de psychiatrie des toxicomanies du CHUM
Chercheur, Centre de recherche du CHUM
Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Universtié de Montréal
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