Complications des Cathéters Veineux Centraux : prévention, traitement J. PENGLOAN - Néphrologue - Hôpital Bretonneau - CHU - TOURS Les principales complications des Cathéters Veineux Centraux (CVC) sont dominées par le taux élevé d’infections et la fréquence des dysfonctionnements. Dans cette présentation nous discuterons essentiellement des infections de CVC. FRÉQUENCE DE L’INFECTION CHEZ LE DIALYSÉ CHRONIQUE La fréquence de l’infection est de 3 à 9 % par an ; les taux de septicémie rapportés dans la littérature sont de l’ordre de 0,93 %/mois/patient. La mortalité est située entre 14 et 20 %. Elle est multipliée par 2 lorsqu’il existe un antécédent de septicémie. (Boelaert 1993 - Hoen 1997 Nielsen 1998 - Powe 1999) Le risque de bactériémie à staphylocoque doré chez un dialysé chronique est plus de 330 fois supérieur à celui de la population générale au Danemark (Nielsen 1998). FRÉQUENCE DES INFECTIONS LIÉES AU CVC POUR HÉMODIALYSE Les données de la littérature rapportent des taux d’infection de 3,9 à 5,5 bactériémies pour 1000 jours/cathéter ; le taux d’infection des CVC est nettement supérieur à celui observé pour une fistule artérioveineuse : un risque relatif de 7,64 (Hoen 1997) et une augmentation de 50 % du taux d’infection (Powe 1999) ont été rapportés pour les CVC par rapport à la fistule artérioveineuse. Le taux de complication est très élevé de l’ordre de 40 à 44 % (Nielsen 1998 Marr 1998). La mortalité est 4 fois plus élevée que chez le sujet non dialysé. L’infection liée au cathéter chez le dialysé chronique est 2 fois sur 3 une infection à staphylocoque et 2 fois sur 3 conduit à l’ablation du cathéter. SOURCES DE L’INFECTION LIÉE AU CVC Les germes responsables de l’infection du CVC proviennent essentiellement : - de la peau : mécanisme prédominant au moment de l’insertion du cathéter. L’infection se propage autour du cathéter entraînant une tunnellite, une phlébite etc… - de l’environnement lors des manipulations des connecteurs : mécanisme prédominant lors de l’utilisation du cathéter. L’infection est initialement endoluminale et se propage à partir des germes introduits par la lumière du cathéter. La prévention du risque infectieux a bien été étudiée par Mermel (2000) au cours d’une méta-analyse. Il en ressort que certaines mesures ont un effet réel de prévention du risque infectieux : - l’asepsie cutanée au moment de la pose : la teinture d’iode a un effet anti-infectieux plus important que la Chorhexidine® et même plus important que la Bétadine®. Cependant la teinture d’iode est incompatible avec les silicones, matériau fréquemment rencontré dans les cathéters. - le choix du site d’insertion : l’insertion d’un CVC dans la veine sous-clavière s’accompagne d’un risque infectieux moindre que l’insertion dans la veine jugulaire interne ou dans la veine fémorale ; cependant la pose d’un CVC dans la veine sousclavière doit être évité compte tenu du risque important de sténoses qu’elle entraîne. - l’héparine lors du rinçage du cathéter a un rôle préventif certain en réduisant les dépôts de fibrine qui servent d’ancrage et de nutriments pour les bactéries. - la tunnellisation du cathéter en éloignant l’orifice cutané du site d’insertion veineux a un certain effet préventif. - l’habillage chirurgical est un des facteurs le plus important susceptible de prévenir l’infection lors de la pose du cathéter ; ainsi il a été montré une diminution statistiquement significative (p = 0,02) du taux d’infection de 0,5 /1000 jours/cathéter avec un habillage restreint (gants stériles et petit champ stérile), à 0,08/1000 jours/cathéter si le cathéter est posé avec un habillage chirurgical (Infect. Control. Hosp. Epidemiol. 1994). - le risque infectieux est lié au nombre de manipulations, à la présence de personnel non entraîné, au ratio personnel/patient : le risque est augmenté si le ratio personnel/patient diminue de 1/l à l/2 (Infect. Control. Hosp. Epidemiol. 1996). Certaines mesures parfois préconisées n’ont pas prouvé leur capacité de prévention de l’infection : - l’antibioprophylaxie lors de l’insertion du cathéter - les antibiotiques et les antiseptiques locaux. Seule la Bétadine® crème appliquée sur le site d’insertion pourrait avoir un effet préventif. La Mupirocine®, antibiotique utilisé dans le traitement du portage nasal du Staphylocoque doré et parfois utilisé au niveau des orifices cutanés est incompatible avec le polyuréthane et peut entraîner une résistance bactérienne. LES MÉCANISMES DE L’INFECTION ENDOLUMINALE Fig.1 : Les étapes du développement de l’infection liée au cathéter N° 63 - Mars 2002 31 L’infection endoluminale passe par 4 stades (Fig.1 page précédente) : - introduction de la bactérie à l’intérieur de la lumière du cathéter généralement lors des manipulations des connecteurs - l’adhésion de certaines bactéries : certaines bactéries introduites ont des capacités d’adhésion sur les matériaux inertes comme les plastiques ; elles acquièrent de nouvelles propriétés, secrètent des adhésines qui leur permettent d’adhérer aux matériaux, et deviennent des bactéries à taux de croissance lent vivant dans un milieu dénué ou pauvre en nutriments ; pour se protéger, elles secrètent un biofilm dans lequel elles s’engainent et deviennent peu accessibles aux traitements antibiotiques. Chaque bactérie peut ainsi créer une colonie visible en microscopie électronique sous forme de “galette”. L’extension se fait par essaimage d’une bactérie en dehors de cette galette qui va créer une nouvelle colonie dite “colonie fille” qui sera elle-même à l’origine d’une nouvelle galette et ainsi de suite pouvant aboutir à un véritable tapis bactérien (Fig. 2 ci-dessous). - à l’occasion de mouvements divers au niveau de ces colonies, une bactérie peut rejoindre le flux sanguin où elle retrouvera spontanément ses capacités pathogènes et sera à l’origine soit d’une septicémie soit de localisations à distance sous forme d’abcès, d’endocardite, d’arthrite, etc… La connection : c’est le moment crucial de l’utilisation du CVC en hémodialyse, au cours de laquelle une bactérie peut être introduite dans la lumière du CVC et sera à l’origine du développement d’une infection endoluminale puis d’une bactériémie à point de départ cathéter. L’asepsie doit être extrêmement rigoureuse au moment de ces manœuvres. TRAITEMENT DE L’INFECTION LIÉE AU CVC Détection de la contamination endoluminale Dans notre Unité d’Hémodialyse Chronique nous avons émis l’hypothèse que la détection précoce de la contamination endoluminale permettrait de prévenir le risque de bactériémie liée au CVC. La culture du contenu du cathéter (héparine contenue dans le cathéter et sang immédiatement aspiré) est faite une fois par mois au moment des examens mensuels avant dialyse. Le contenu de chaque branche du cathéter est réparti dans 2 flacons d’hémoculture aérobie et anaérobie. Si la culture est positive dans une ou deux branches, et en l’absence de signes généraux, les hémocultures sont répétées au début des 2 séances de dialyse suivantes pour éliminer le risque de souillure. Si la positivité des cultures est confirmée le traitement est débuté. Le traitement est débuté immédiatement en présence de signes généraux. Traitement de l’infection endoluminale du CVC L’antibiothérapie doit être basée initialement sur une antibiothérapie à visée antistaphylococcique. Les antibiotiques doivent être choisis en fonction de leur moindre risque de résistance bactérienne et de leur facilité d’utilisation chez l’hémodialysé chronique. En cas de fièvre l’antibiothérapie doit être instituée très tôt, immédiatement après les hémocultures. Le traitement de l’infection endoluminale ou de la bactériémie liée au cathéter repose sur l’association de trois traitements : - traitement du patient par antibiothérapie générale : Céfazoline® 500 mg, Nétilmycine® 2 mg/kg ; la moitié de chaque antibiotique est passée dans chaque branche du cathéter à la fin de chaque séance de dialyse. La dose de Nétilmycine® est adaptée en fonction des résultats des dosages sériques. - traitement du cathéter par verrou antibiotique en utilisant l’aminoside utilisé (Nétilmycine® 100 µg/ml dans l’héparine) - traitement du biofilm avec un fibrinolytique comme l’Urokinase® à 3 dialyses successives après début de l’antibiothérapie. Le traitement antibiotique est éventuellement réajusté en fonction de l’antibiogramme. Fig.2 : Exemple de colonisation bactérienne d’un matériau inerte (2ème image : une “galette” à fort grossissement) 32 N° 63 - Mars 2002 La surveillance repose sur les cultures faites pendant chaque séance de dialyse puis une fois par semaine après négativation des cultures. L’antibiothérapie est poursuivie 2 semaines après la négativation des cultures. En cas de positivité persistante ou de rechute après la fin de l’antibiothérapie, se pose le problème du changement des connecteurs ou de la pièce intermédiaire des cathéters de Canaud. Si ces mesures sont inefficaces le changement du cathéter doit être envisagé. En cas de persistance des signes généraux malgré une antibiothérapie bien conduite le cathéter doit être remplacé. Résultats Nous avons mené une étude prospective concernant 36 cathéters totalisant 19 208 jours/cathéters. 9 contaminations endoluminales ont été constatées : 6 sans fièvre, 3 avec fièvre. 4 fois une seconde contamination a été observée : 3 sans fièvre, 1 avec fièvre. Le taux de colonisation a été de 0,68/1000 jours/cathéter. Le taux d’infection avec fièvre a été de 0, 21/1000 jours/cathéter. La probabilité pour un cathéter de rester indemne d’infection a été de 90 % à 12 mois. La probabilité de ne pas être enlevé pour un cathéter a été de 66 % à 36 mois, toutes causes d’ablation du cathéter confondues. Dans cette étude seul un cathéter a été retiré pour une cause infectieuse. Risques bactériologiques On assiste à la diffusion de souches de staphylocoques méthicilline-résistants et à l’apparition d’entérocoques Vancomycine-résistants. Ceci peut être lié à l’utilisation mal contrôlée des antibiotiques et à l’insuffisance des mesures de lutte contre la diffusion des staphylocoques méthicilline-résistants. La stratégie de traitements des infections dans un centre de dialyse doit faire appel aux antibiotiques les plus anciens et doit réserver les antibiotiques récents aux seuls germes résistants. La Vancomycine® est le dernier recours pour traiter les staphylocoques méthicilline résistants. Elle ne doit donc pas être utilisée en prophylaxie et doit être réservée aux germes résistant aux autres antibiotiques après antibiogramme. l’environnement. Le risque de ces solutions est de modifier l’environnement bactériologique et peut-être de faciliter l’émergence de germes inhabituels ou de levures. Leur efficacité est en cours d’évaluation. - les connecteurs sous-cutanés peuvent être une solution, en particulier chez les patients faisant des infections à répétition malgré les mesures d’asepsie. Le système le plus connu actuellement est le système Dialock®. - un nouveau design des connecteurs réduisant le risque d’introduction des germes est espéré. Dans tous les cas c’est le respect rigoureux des règles d’asepsie durant toutes les procédures de connections et de déconnections qui est le plus susceptible de réduire le risque infectieux. CONCLUSION PRÉVENTION DES INFECTIONS LIÉES AU CVC : L’AVENIR De nouvelles méthodes de prévention de l’infection endoluminale du CVC sont en cours d’étude : - le développement de solutions de remplissage du cathéter à base d’antiseptiques comme le Citrate ou la Taurolidine®. L’intérêt de ces solutions est de ne pas avoir d’effet antibiotique et donc de ne pas induire de résistance des staphylocoques ou des bactéries de L’infection reste la seconde cause de mortalité chez l’hémodialysé chronique. L’infection liée au cathéter met la vie des patients en jeu. L’application stricte des règles d’hygiène universelles reste la mesure la plus efficace pour prévenir l’infection liée au cathéter. La détection et le traitement précoce des contaminations endoluminales des CVC est une mesure supplémentaire qui contribue à améliorer la durée de survie des cathéters veineux centraux pour hémodialyse. N° 63 - Mars 2002 33