La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - no 9 - novembre 2013 | 285
NEURO-
PHYSIOLOGIE
DES CONTES
DE FÉES
Extension du domaine de la lutte
En 1992, G. Sébire et al. (6) ont rapporté le cas d’une série d’enfants
présentant un tableau aigu d’encéphalite non infectieuse : désorga-
nisation du langage, régression démentielle avec traits autistiques,
comportement très agressif assorti d’une agitation importante,
mouvements anormaux (dystonie, dyskinésies oro faciales) avec
une expression souvent paroxystique, troubles de la conscience,
crises épileptiques, dysautonomie. Le bilan étiologique réalisé à
l’époque s’était montré négatif et l’évolution pouvait se montrer
spontanément favorable en quelques semaines (6). Treize ans
plus tard, la recension d’une série de 5 jeunes femmes souffrant
de manifestations neuropsychiatriques aiguës, associées à la
présence d’un tératome ovarien est publiée, qui va conduire à
l’identication d’un auto-anticorps dirigé contre la sous-unité
NR1 du récepteur NMDA du glutamate. Dans les 3 années qui
suivent, il est démontré que de nombreux patients sont concernés,
notamment des sujets jeunes et des enfants, en l’absence même
de tumeur décelable, et que d’autres antigènes sont identiés,
tels que le récepteur B du GABA et LGL1 (7-9). La fréquence serait
aujourd’hui estimée à 4 % de l’ensemble des encéphalites et les
symptômes mieux repérés : anxiété, insomnie, peur, délire de
grandeur, hyper-religiosité, manie, paranoïa sont fréquents. Un
trouble de la mémoire à court terme est fréquent, mais souvent
masqué par les troubles psychiatriques, qui rendent difcile une
évaluation correcte de la mémoire (7). Un trouble important du
langage est rapidement manifeste, avec une diminution de la
uence, une écholalie (accompagnée parfois d’une échopraxie),
pouvant aboutir à une désorganisation complète du langage (7).
Chez l’enfant, des attaques de rage, une hyperactivité, un compor-
tement agressif (morsures, coups portés à l’entourage) sont
fréquents (7-9). L’agitation rend souvent nécessaire une sédation
médicamenteuse (7). Des crises épileptiques, des mouvements
anormaux dystoniques sont habituels, avec des dyskinésies orofa-
ciales et linguales évocatrices (7-9). Le comportement peut être
uctuant et comporter une alternance de phases d’agitation et
d’épisodes catatoniques (7).
À travers ces descriptions, le neuropédiatre G. Sébire retrouve
les éléments cliniques de ses jeunes patients de 1992, y compris
la possible évolution spontanément favorable, et fait le rappro-
chement avec la situation de possession, en particulier le tableau
présenté par Robbie Mannheim en 1949 (10). De fait, un paral-
lèle peut être fait, comme nous l’avons vu plus haut, entre les
critères de la possession et ses manifestations plus spéciques
chez l’enfant et le sujet jeune, et certains des éléments cliniques
principaux de la description clinique de l’encéphalite anti-NMDAR
(tableau).
Tableau. Tableau comparatif des signes habituels de la possession et
de l’encéphalite anti-NMDAR.
Possession Encéphalite anti-NMDAR
Glossolalie Trouble désintégratif du langage
Voyance Délire, hallucinations
Psychokinésie Mouvements anormaux, crises épileptiques
Accès d’agitation brutaux Fluctuation des manifestations
(agitation/catatonie)
Contexte de croyance Hyper-religiosité
Exorcisme efficace Évolution favorable possible spontanément
Une auto-possession
par les auto-anticorps
Lorsque le système immunitaire détecte l’autre en soi-même, il
génère des auto-anticorps qui ciblent ses propres constituants.
Alors, la dépossession de soi, cet état où le corps ne répond plus
de lui-même, peut s’avérer être la possession de soi comme un
autre (et non par un autre), ainsi que l’illustrent les encéphalites
auto-immunes…
Ces encéphalites constituent des entités nouvellement identiées,
mais dont la place ne cesse de croître, et dont le diagnostic doit
être évoqué avec promptitude, y compris devant des tableaux
moins évocateurs (11). ■
1. http://www.washingtonpost.com/wp-srv/style/long-
term/movies/features/dcmovies/exorcist.htm
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Références bibliographiques
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.