Série : Conférences supplémentaires.
Conférence : 05 - Avoir et Etre.
«Avant qu’Abraham fût, Je Suis»
«Tu es celle qui n’est pas»
Double affirmation du Christ qui Le classe par rapport à nous et nous situe
par rapport à Lui comme le rayon de soleil par rapport au soleil dans une
étroite relation de dépendance qui ne laisse qu’une alternative possible :
- Qui veut AVOIR peut se passer du Christ.
- Qui veut ETRE doit en passer par le Christ.
«To be or not to be» équivaut à dire : le Christ, ou pas le Christ. C’est ce que
nous allons étudier.
Chaque homme se choisit un but en fonction de ce qu’il croit savoir de la vie,
mais chacun avec l’anxiété d’obtenir du but un accroissement de vie : l’enfant
se propose un jouet, l’adulte un sport, l’homme se fait une situation, avec
l’espoir d’en augmenter sa vitalité.
Qu’est-ce donc qu’avoir ?
C’est avouer qu’on a reçu quelque chose. Auparavant on était pauvre d’une
pauvreté de néant. On a reçu la vie : J’AI la vie :
- mire de l’ignorance : on a reçu l’instruction.
- misère de vertu : on a reçu l’éducation.
- misère de la maladie : on a reçu la santé.
Cette possibilité d’acquérir enthousiasme l’orgueil humain : conscience de
pouvoir progresser dans une plus grande possession : j’ai un outil, du travail,
un salaire, une situation, des revenus, une influence, un titre...
La vie de l’homme se passe à conjuguer le verbe “avoir”, sans oublier
l’infinitif passé : avoir eu et ne plus avoir - (l’être des choses nous échappe, et
plus on a possédé, plus il est difficile de maintenir).
L’engouement de la nature humaine pour son droit à acquérir lui fait oublier
la misère congénitale à ce droit :
- qui est capable de recevoir est donc capable d’être dépouillé,
- qui est capable d’augmenter est donc capable de diminuer,
- qui est capable de posséder est donc capable d’être dépossédé,
- qui est capable d’avoir est donc capable de ne pas avoir.
La stabilité et la certitude ne se trouvent pas dans le verbe avoir :
- j’ai la gloire, demain je ne l’aurai plus,
- j’ai la science, demain je serai un ignorant vis-à-vis d’un plus savant que
moi,
- j’ai la puissance, demain je serai dominé,
- j’ai la fortune, demain je serai ruiné,
- j’ai l’éducation, demain je serai vicié...
Nous ne pouvons pas construire sur le verbe “avoir”. Il n’est pas une pierre
angulaire assez solide; le poids des acquisitions qu’elle supporte la brise ou
l’effrite et il n’est pas jusqu’à la vie qui n’en connaisse la fragilité, puisque
avoir la vie, c’est la recevoir, et la recevoir, c’est pouvoir la perdre.
Si fort que je serre la main pour conserver ce que j’ai, je n’arriverai jamais à
l’identifier avec moi. Il y aura toujours juxtaposition, car nous ne sommes et
nous ne pouvons pas être propriétaires au sens absolu du mot. Cela
supposerait que nous n’avons rien à recevoir des autres parce que nous nous
suffirions à nous-mêmes.
Lorsqu’un homme dit : “J’ai la vie”, il n’a pas encore épuisé sa définition, car
la possession de la vie connaît elle-même des instabilités de santé et de
faiblesse qui compromettent sa valeur, d’où la peur inhérente à la possession :
voir disparaître l’être des choses possédées.
Le Christ nous donne la vraie réponse sur la valeur de la vie :
«Avant qu’Abraham fût, Je Suis»
Plus de variante possible, plus de possession d’emprunt, rien qui Lui soit
prêté, mais quelque chose d’immanent à Lui-même et d’identique à Lui-
même, à tel point que Le nommer, c’est nommer l’ETRE et nommer l’Etre,
c’est nommer le Christ.
Sa perfection est un problème d’Etre avant d’être un problème d’acquisition
et si, sur le plan humain, l’âme du Christ a acquis des mérites, il faut
l’entendre dans le sens d’une vertu déjà existante qui se développait comme
les hauteurs d’un splendide jet d’eau se développe parce que le jaillissement
de l’eau est déjà existant.
Jésus ne possédait pas, IL ETAIT ce qu’Il avait.
«Mais tu n’as pas trente ans, et tu oses nous parler d’Abraham ?» - Sans le
savoir, ils avaient raison car, sur le plan de Sa merveilleuse Personne, Jésus
n’avait pas trente ans : IL ETAIT.
Il n’avait pas la vie, sans quoi Il aurait dû la recevoir de Sa Mère, au lieu de la
lui ANNONCER.
Il n’avait pas la science, sans quoi Il aurait dû la demander : IL ETAIT la
Science.
Il n’avait pas l’amour, sans quoi on aurait pu parvenir, à force de colères et de
tribulations, à l’exaspérer et à le décevoir : IL ETAIT l’Amour.
Il n’avait pas la perfection, sans quoi les scribes et les pharisiens auraient eu
beau jeu pour Lui demander pourquoi Il n’en avait pas davantage : IL ETAIT
l’essentiel Perfection.
Il n’avait pas la puissance, sans quoi on aurait trouvé une autre puissance à
Lui opposer au matin de Pâques : IL ETAIT la Puissance.
Impossible de Vous définir davantage Jésus, puisque, n’ayant pas l’être mais
seulement l’avoir, je ne puis pas analyser Celui qui n’a pas l’avoir, mais qui
EST l’ETRE.
Séparé de Vous irrémédiablement par votre incommunicable existence, je suis
là, devant Vous, avec les haillons de mes possessions et, plus j’en ai, plus je
me sens embarrassé d’aller à Vous qui n’êtes dans aucune possession, laissant
ces fariboles aux creuses avidités de mon orgueil si déçu de ne pas Vous
trouver dans ce qu’il appelle ses richesses.
Votre existence est inaccessible puisqu’elle est incommunicable dans Son
essence. Votre Etre est devant moi comme le soleil : je suis séparé par
d’incommunicables distances et pourtant, pas plus que du soleil, je ne puis, je
ne sais, je ne peux m’en passer. La raison ? C’est que je me sens une étincelle
d’être, échappée du foyer de Votre existence, et que je me sais condamné à
m’éteindre si je prétends méloigner de Vous, quelles que soient les choses
que je possède.
Je puis “avoir” et être le dernier des malheureux si je ne suis pas amélioré par
Votre Etre au point d’en devenir immortel. Car qui a l’existence a le pouvoir
propre à l’existence qui est de produire.
Vous laissez produire en nous les effets inséparables de Votre présence et de
Votre action. Là est tout le problème de la vie profonde.
Les effets de Votre présence.
La présence consiste à constater l’existence d’une personne ou de son
influence dans un lieu déterminé.
L’arrivée de Votre personne soulevait l’intérêt général dans tous les lieux
évangéliques : rues, champs, d’un bord du lac à l’autre, on Vous
ATTENDAIT, et à elle seule cette attente Vous disposait à livrer les
merveilleux secrets de Votre être : Votre enseignement... Car l’attente, c’est le
commencement de l’Amour, et Vous n’avez jamais résisté à livrer Votre
Amour lorsque Vous le saviez attendu.
Seigneur, nous voudrions subir nous aussi cet effet de Votre présence :
l’attente, parce que jusqu’ici nous ne l’avons peut-être pas pratiquée,
préoccupés que nous sommes par nos “avoirs” humains, nous ne pensons pas
à Vous ATTENDRE.
Et pourtant Vous êtes là, présent dans ma volonté. Vous y sentez-vous attendu
? Mes désirs convergent-ils vers un seul point, celui où je vais Vous voir
apparaître, mon devoir, mes engagements, mes voeux.
Ou bien est-elle comme Votre pays d’origine : celui où l’on ne Vous attendait
pas et où Vous n’avez pas voulu faire de miracle ?
Vous ne Vous sentez pas attendu au pays de mon âme, car je suis soucieux
d’avoir mes points de vue, mes affaires, mes programmes, mes vanités... Alors
Vous y passez très vite sans y faire le miracle des transformations et Vous
repartez tout triste...
Triste de penser que je pousserais l’audace à Vous reprocher de ne pas
m’aimer, mon manque de foi va jusque-là ... Et pourtant Vous m’aviez fait
signe de venir... Vous m’aviez dit : «Quitte ce que tu as... Je te donnerai ce
que Je Suis».
Vous rêviez d’échanger la frauduleuse richesse de mes avoirs contre la
splendeur de Votre Etre. Mais Seigneur, ma faute est de n’avoir pas quitté
tout mon avoir.
J’ai encore mes jugements, mes égoïsmes, mes intérêts, mes calculs... Alors
Votre Etre ne peut pas m’envahir, pas plus que la mer ne peut dépasser
l’obstacle des rivages, et Vous m’attendez comme cela, jusqu’à ma mort.
Les effets de Votre action.
L’intensité d’être qui rayonnait de Votre présence soulevait des
commentaires, de même Vos paroles... D’elle-même la foule se divisait devant
Votre Unité, en amis et en ennemis. Chez les premiers, vos enseignements et
vos gestes allaient jusqu’au miracle. Chez les seconds, votre action échouait
malgré Vous. Quel était donc le principe de sélection ?
La sympathie, le goût et l’affection que les uns avaient pour la VIE VRAIE,
l’être, si corrompus qu’ils aient été eux-mêmes.
L’attachement des autres à la caricature de la vie : l’avoir, la possession, ce
manque de sincérité pour la qualide l’existence au profit de la quantité de
gloriole et jouissance qu’on en retire.
Tel est le secret de Vos succès et de Vos échecs.
- Le malade de la piscine probatique avait en son coeur l’être de Votre
espérance : il Vous attendait.
- Le paralytique, par son repentir, avait en son âme l’être de Votre horreur du
ché.
- L’aveugle-né avait en son intelligence l’être de Votre confiance.
- Marie-Madeleine dans son geste a exprimé l’être de ses immenses regrets.
Alors Vous n’avez pas résisté : Vous êtes venu les compléter par un surcroît
d’être : la guérison, la lumière, le pardon.
Mais le jeune homme riche AVAIT des champs et, dans son coeur,
l’attachement à la matière, cette diminution d’être.
Les docteurs de la Loi AVAIENT la science et leur attachement à leur
jugement propre, cette diminution d’être.
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