d'appréhender cette réalité, object et sujet à la fois d'un contexte culturel aquel l'esprit, -- qui en est le
produit, -- le plus honnête et le plus indépendant, n'échappe pas. Dès lors, on se rend bien compte que la
terminologie est l'une des conditions premières de la Connaissance, dans la mesure où l'on dit, d'ailleurs, en
matière de linguistique, que le langage est déjà la pensée. Dans ces conditions, étudier une culture, saisir
une âme nouvelle autre quela sienne
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propre en dégageant la philosophie qui la transcende, constitue une tâche immense, et une des plus
périlleuses pour l'intelligence. C'est d'autant plus dramatique lorsqu'une telle démarche est empêtrée ou à
ba°se de préjugés, guidée non pas par le souci absolu de la vérité en elle-même, mais par l'intérêt personnel
ou racial.
L'idéal d'un Thibaudet, disciple de Bergson: « Etre intérieur à l'objet étudié en même temps qu'extérieur à
soi-même », se présente alors à notre jugement comme une des fins supérieures de la Pensée humaine.
L'impérialisme culturel de l'Occident tisse ce grand drame de la conscience et se trouve aujourd'hui à mi-
chemin d'une catastrophe ou d'une révision totale de sa table de valeurs. Les nombreux travaux
scientifiques sur la possession ont paru à plus d'un comme étant des plus symptomatiques de cette crise.
Etant donné qu'elle constitue la plus haute manifestation métaphysique des cultures africaines ou, en ses
modalités diverses de degré et de nature, d'autres cultures également dites primitives, on comprend que
l'Occident se soit heurté bruyamment à ce qui fait, par dessus tout, leur caractère dominant et original. Les
définitions les plus dogmatiques devaient avoir cours, susceptibles de créer une certaine mentalité. La
possession, dira-t-on, « c'est l'état de ceux qui se croient ou que l'on croit gouvernés par une puissance
surnaturelle, notamment par un démon, qui leur enlève la libre disposition de leurs paroles et de leurs actes
et en fait l'instrument de sa volcnté ». Cette définition et d'autres terminologies telles que « possession
démoniaque » évoquent à l'esprit la démonologie du Moyen-Age. Et on sait qu'en ce temps-là l'arme la plus
puissante de l'Eglise, pour chasser ces démons du corps de l'homme, était l'exorcisme. Depuis, on a vu des
théologiens et des missionnaires, au cours de leur « mission civilisatrice » de « conversion » et de
christianisation en Afrique et chez d'autres peuples dits primitifs, recueillir des observations et publier des
ouvrages importants, mais où l'influence de l'ancienne et traditionnelle théologie du Moyen-Age est
patente. Bien sûr, parmi eux s'en trouvent de très remarquables par la charité chrétienne, le zèle,
apostolique et surtout la compréhension humaine. Mais, ce qui, à un moment donné, dominera davantage
l'ensemble des travaux touchant le problème de la possession, c'est l'idée de l'hystérie, telle qu'elle a été
d'abord conçue par la doctrine de Charcot, puis battue en brèche par celle de Babinsky, renouvelée enfin
par les travaux et l'enseignement de Janet. On ne peut exposer, ici, la littérature de ces théories
psychopathologiques
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sur l'hystérie qui, durant l'époque glorieuse de la Salpêtrière, étaient régnantes en Europe comme ailleurs.
Ces théories participèrent à la création d'une nouvelle méthode clinique et thérapeutique de certaines
psychoses et névroses et d'autres formes des maladies mentales, dont la crise de possession voudouique.
Jusqu'en 1930, la notion de l'hystérie dominait les travaux du savant Oesterreich sur la matière. (Possession,
Demoniacal and Other, E. T.). Et jusqu'à l'heure actuelle, des savants, comme Montague Summers, parlent
systématiquement de « causes épileptiques et hystériques » dans la possession. Eux aussi, les savants
Haïtiens, ont subi l'influence de ces théories régnantes. D'abord, J. C. Dorsainvil, dans « Vodou et Névrose
», donne la définition suivante: « Le vaudou est une psycho-névrose religieuse, raciale, caractérisée par un
dédoublement du moi avec altérations fonctionnelles de la sensibilité, de la motilité et prédominance des
phénomènes pithiatiques ». Price Mars critique sérieusement cette définition, fait l'exposé des doctrines
desquelles elle relève et en arrive à formuler la sienne: « En définitive, écrit-il, selon nous, la crise
vaudouesque est un état mystique caractérisé par le délire de la possession théomaniaque et le
dédoublement de la personnalité. Elle détermine des actes automatiques et s'accompagne de troubles de la
Cénesthésie ». La solution du problème a fait une avance considérable avec Mars, puisqu'il a écarté la cause