Gestion périopératoire des traitements chroniques et dispositifs

Gestion périopératoire
des traitements chroniques
et dispositifs médicaux
Pierre Albaladejo
Pôle danesthésie-réanimation, CHU de Grenoble, 38043 Grenoble cedex 9
Une anesthésie, aussi simple soit-
elle, peut comprendre ladminis-
tration de plus de dix médicaments.
Cette anesthésie sera probablement
réalisée chez un patient âgé, porteur
de multiples comorbidités et par
conséquent traité par plusieurs médi-
caments. Donc la probabilité quune
interaction médicamenteuse se pro-
duise augmente de façon exponen-
tielle avec le nombre de médicaments
administrés. Ce problème des inter-
férences médicamenteuses en anes-
thésie nest pas nouveau. Pourtant,
les attitudes doivent évoluer car, malg
la haute probabilité pour quune inter-
action médicamenteuse se produise, il
semble que peu dentre elles ait un
effet significatif et la possibilité dune
interaction médicamenteuse entraîne,
le plus souvent larrêt des traitements
chroniques susceptibles dentraîner
un déséquilibre des pathologies
médicales du patient [1].
Larrêt des traitements chroniques
aboutit au mieux à une interruption
simple de leur effet et au pire à une
exacerbation de la pathologie pour
laquelle ce traitement était indiqué.
Kennedy et al. [2] ont étudié la rela-
tion entre traitement préopératoire,
gestion de ces traitements et compli-
cations médicales postopératoires
chez un millier de patient de chirurgie
digestive et vasculaire. Il montre que
cette relation existe et quelle est
dautant plus forte que linterruption
du traitement est prolongée. Les traite-
ments les plus souvent en cause dans
cette série étaient : les traitements
antihypertenseurs, la L-Dopa, les
benzodiazépines et les antidépres-
seurs. La réintroduction de ces traite-
ments a permis de rééquilibrer les
pathologies en cause.
Si lon peut comprendre la crainte
(fondée ou non) dune interaction
médicamenteuse entre les médica-
ments de lanesthésie et le traitement
chronique en préopératoire, il nexiste
pas de raison valable pour retarder
leur réintroduction en postopératoire.
Il existe dailleurs des études plus
spécifiques montrant la morbidité
induite par la non-réintroduction des
traitements. Ainsi Shammash et al. [3]
ont montré que, à linstar de son
interruption préopératoire, la non-
réintroduction postopératoire de
bêtabloquants est associée à une
morbidité cardiaque. Une consé-
quence inattendue de linterruption
dun traitement préopératoire peut
être lannulation de lintervention
pour non-respect de linterruption du
traitement.
Quelles sont les raisons licites ou
illicites dinterrompre et de ne pas
reprendre un traitement chronique
en postopératoire ? Ces raisons sont
partagées entre une volonté déviter
des interactions médicamenteuses
associées ou non à des défauts dorga-
nisations et de soins. Les consignes de
doi: 10.1684/met.2010.0271
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Tirés à part : Pierre Albaladejo
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«nihil per os » après minuit doivent être réformées parce
quelles sont trop restrictives, inefficaces et elles entraînent
un inconfort inutile pour le patient [4]. Elles restent pour-
tant difficiles à modifier parce quelles sont très faciles à
faire comprendre aux patients et ancrées dans la culture
hospitalière. Une conséquence fâcheuse est lextension de
ces consignes aux traitements chroniques.
A contrario,labsence de consigne claire aboutit spon-
tanément à linterruption et à la non-reprise des traite-
ments. En effet, labsence de prescription du maintien
préopératoire dun traitement chronique aboutit à son
interruption au titre du jeun préopératoire. Labsence de
prescription de reprise du traitement chronique en post-
opératoire va naturellement aboutir à une absence de
reprise du traitement chronique. Ces attitudes ont des
conséquences importantes : par exemple, larrêt préopé-
ratoire des morphiniques de longue durée daction indi-
qués dans le traitement des douleurs chroniques est très
fréquent, entraînant une gestion difficile de la douleur
postopératoire [5].
Linteraction entre les traitements chroniques et la
technique danesthésie est une raison licite. Il existe
plusieurs raisons pour ne pas retenir ces arguments en
pratique. Nous disposons dune palette large de tech-
niques danesthésie permettant de sadapter au contexte
pharmacologique lié au patient. Aucune technique ou
médicament utilisé en anesthésie na montré, sauf excep-
tion, sa supériorité en termes de mortalité ou de morbi-
dité. En conséquence, il ny a que très rarement de raison
pour imposer une technique contre le maintien dun
traitement préopératoire. Il faut vérifier à chaque fois
que les interactions médicamenteuses concernent les
médicaments utilisés. En effet, certaines interactions ont
été décrites avec des médicaments de lanesthésie qui
ne sont plus utilisées (halothane). On peut remarquer
que concernant ce problème, il existe un décalage entre
les précautions demploi décrites dans le Vidal
®
et la
pratique moderne de la spécialité. Par exemple, larrêt
de lisoniazide 15 jours avant une intervention chirurgicale
est une recommandation commune écrite dans différents
manuel et référentiels. À lheure où lépidémiologie de la
tuberculose est défavorable et où le traitement antitubercu-
leux devient difficile en raison de lémergence de souches
résistantes (parfois associé à un traitement mal conduit ou
interrompu), cette recommandation nest plus admissible.
Cest donc une situation où la palette des techniques et des
médicaments mis à la disposition des anesthésistes permet
déviter une interaction médicamenteuse.
Pour toutes ces raisons, le Comité des Référentiels de
la Société Française dAnesthésie et de Réanimation a
sollicité un groupe dexperts pour produire un référentiel
médical. Des cibles (les anesthésistes réanimateurs), des
questions, un champ dapplication, des groupes de travail
et une méthode de travail (choix du type de référentiel)
ont été définis. Pour chaque grand groupe de médicament
ou dispositif médical, 6 questions ont été choisies et
validées par le comité dorganisation :
Quel est le risque dévénement à larrêt ou au main-
tien du traitement ?
Existe-t-il une interférence avec les médicaments
de lanesthésie ?
Proposer une stratégie darrêt, de maintien et/ou
de substitution.
Doit-on faire appel à un spécialiste pour une déci-
sion collégiale ?
Proposer une technique danesthésie et danalgésie
adaptée, dans une situation de geste programmé, en
urgence, précautions/mise en garde.
Proposer une stratégie de reprise du traitement,
en particulier les délais, et les voies dadministration en
tenant compte du cas spécifique dinterruption du transit
digestif.
En raison du grand nombre de traitements et de dispo-
sitifs médicaux à analyser, et dans un souci de pragma-
tisme et de faciliter lappropriation, ce référentiel a été
segmenté en plusieurs modules, chacun des modules
regroupant une famille de traitement. Cinq modules ont
été définis a priori :
pathologies cardiovasculaires,
pathologies neurologiques et psychiatriques,
pathologies infectieuses, immunosuppresseurs,
pathologies endocriniennes,
douleur chronique et addiction.
Un groupe de travail spécifique a été désigné pour
chacun de ces modules. La liste des traitements et dispo-
sitifs médicaux déclinés au sein de chaque module nest
pas exhaustive. Elle comprend dans un premier temps, les
traitements les plus fréquents, les plus difficiles à gérer, les
plus faciles à gérer, pour des patients adultes. Les traite-
ments antithrombotiques ont été exclus de ce référentiel
car des référentiels spécifiques issus de la SFAR ou de
lHAS ont déjà couverts ces problématiques.
La forme de référentiel médical choisi pour répondre à
ces questions est la recommandation formalisée dexperts
(RFE). Cette méthodologie est adaptée dès lors que les
données scientifiques sont absentes ou peu nombreuses,
dun niveau de preuve peu élevé ou conflictuel, que les
éléments de réponse sont indirects ou traités partielle-
ment, pour les domaines pour lesquels les pratiques
savèrent peu ou mal codifiées, voire dune grande varia-
bilité. En raison même de labsence de données scienti-
fiques indiscutables, une prise de position à un temps
donné par un groupe dexperts dans le domaine concerné
apparaît donc nécessaire.
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Références
1. Noble DW, Kehlet H. Risks of interrupting drug treatment before
surgery. BMJ 2000 ; 321 : 719-20.
2. Kennedy JM, van Rij AM, Spears GF, Pettigrew RA, Tucker IG.
Polypharmacy in a general surgical unit and consequences of drug
withdrawal. Br J Clin Pharmacol 2000 ; 49 : 353-62.
3. Shammash JB, Trost JC, Gold JM, Berlin JA, Golden MA, Kimmel
SE. Perioperative beta-blocker withdrawal and mortality in vascular
surgical patients. Am Heart J 2001 ; 141 : 148-53.
4. Practice guidelines for preoperative fasting and the use of
pharmacologic agents to reduce the risk of pulmonary aspiration :
application to healthy patients undergoing elective procedures : a
report by the American Society of Anesthesiologist Task Force on
Preoperative Fasting. Anesthesiology 1999 ; 90 : 896-905.
5. Mitra S, Sinatra RS. Perioperative management of acute pain
in the opioid-dependent patient. Anesthesiology 2004 ; 101 :
212-27.
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