Le protectionnisme est-il favorable à la croissance économique ? (Inédit)
Introduction
Après le président Obama aux Etats-Unis, les autorités françaises en appellent au patriotisme économique pour sauver l’activité et
l’emploi, qui seraient menacés par la concurrence acharnée des pays émergents et par le phénomène des délocalisations. M.
Montebourg, ministre du redressement productif, a même payé de sa personne pour promouvoir le "Made in France". Ces appels
traduisent l’idée persistante que le protectionnisme, défini comme l’ensemble des moyens qui permettent de favoriser les
productions réalisées sur le territoire national, est une réaction légitime aux difficultés économiques. Les salariés, notamment les
moins qualifiés, dont les emplois sont menacés par la concurrence internationale comme les propriétaires d’entreprises en
difficulté exigent une action des pouvoirs publics et l’opinion des pays développés y est généralement favorable, même si, dans
les faits, les consommateurs continuent de plébisciter les prix compétitifs des produits importés. Certains économistes, comme
Jacques Sapir ou le prix Nobel Maurice Allais, affirment qu’il est la seule solution face aux déséquilibres engendrés par une
mondialisation sans limite. Au cours de l’histoire, toutes les expériences de développement nationales se sont d’ailleurs appuyées
sur une certaine dose de protectionnisme. L'exemple des Etats-Unis est, à cet égard, tout à fait éclairant.
Le libéralisme a pourtant le vent en poupe; et avec lui l’idée que le moyen le plus efficace de réguler l’économie est de s’en
remettre aux mécanismes du marché, à une concurrence libre et non faussée. Les économistes ont d’ailleurs développé, au fil des
années, un argumentaire particulièrement solide en faveur du libre-échange, reléguant le protectionnisme au rang de "maladie
infantile" du capitalisme. Mais n'est-on pas ici en présence d'un utopique level playing field, qui n'existe que dans l'imagination
des économistes libéraux et des dirigeants de l'OMC ? Les conditions du commerce international, où règnent les firmes
multinationales, sont-elles conformes aux canons de l'analyse libérale ? On est donc en droit de se demander si le protectionnisme,
même s’il est populaire, est conforme à l’intérêt général, en particulier s’il favorise la croissance économique.
A court terme, il évite des pertes de production et, les marchés ne fonctionnant pas selon les hypothèses de la concurrence parfaite
sous-jacentes aux théories économiques les plus simples, le protectionnisme peut trouver des justifications théoriques sérieuses.
Cependant, la réussite d’une politique protectionniste est loin d'aller de soi: les risques de tension et de conflits ne sont pas
négligeables.
Nous verrons donc que, si le protectionnisme peut présenter des réponses aux défis de la mondialisation (1e partie) , les leçons de
l'histoire et l'analyse économique de l'échange international imposent la prudence: le protectionnisme peut se révéler néfaste à la
croissance économique (2e partie).
I. Dans un contexte marqué par les difficultés liées à la mondialisation, le protectionnisme
semble apporter des réponses et des solutions …
A. Les faits montrent un retour au protectionnisme, mais sous des formes nouvelles.
Montrer d'abord que les formes traditionnelles du protectionnisme (contingentements et droits de douane) sont en fort recul
depuis l'après-guerre: le niveau moyen des droits de douane dans le monde n'est plus que de 4 %, à comparer aux 40 % de
l'immédiat après-guerre; les formes les plus visibles de contingentements ont été abolies, comme les accords multifibres
concernant le textile, en 2005. Rappeler brièvement le rôle des différents rounds, avec notamment l'Uruguay round, rappeler
aussi l'inclusion de nouveaux domaines comme les services (accords TRIPS ou ADPIC) ou l'agriculture dans les négociations,
rappeler le rôle de l'ORD.
Mais depuis les années 1980, le protectionnisme connaît un renouveau. Si les pratiques traditionnelles ont reculé, des formes
nouvelles de protectionnisme sont apparues: les subventions, tout d'abord, qui constituent une distorsion de concurrence; les
diverses règlementations techniques et sanitaires(expliquer et donner des exemples), les restrictions volontaires d'exportation
… Certains pays peuvent également faire appel au dumping, notamment par la voie monétaire (politiques de monnaies sous-
évaluées).
Enfin, le débat théorique est relancé, illustré quelques ouvrages très emblématiques:
- La mondialisation et ses ennemis (D. Cohen, 2004) se présente comme une défense de la mondialisation dans le sens
où elle a permis de faire reculer la pauvreté et de faire accéder au développement des sous-continents entiers (Inde,
Chine, Brésil): au fond, nous dit Cohen, c'est plutôt un manque de mondialisation qui explique la persistance de la
pauvreté dans des régions peu insérées dans l'économie mondiale.
- Le protectionnisme et ses ennemis (J. Sapir, 2012) prend l'exact contrepied de l'ouvrage de D. Cohen en montrant que
le protectionnisme dispose désormais de nouvelles bases théoriques, beaucoup plus pertinentes et que, en tout état de
cause, les hypothèses sur lesquels repose le modèle canonique du libre-échange ne sont plus (et n'ont jamais été)
d'actualité: c'est donc une critique en règle du level playing field libéral.
- Dans un esprit de synthèse, on peut citer l'important ouvrage de P. Krugman La mondialisation n'est pas coupable (2000)
dont le sous-titre (Vertus et limites du libre-échange) montre bien le caractère ambivalent de la mondialisation libérale.
B. Les évolutions des caractéristiques de l'échange international …
L'évolution des structures économiques mondiales, au tournant des années 1960, a rendu moins pertinentes les théories du
commerce international issues de l'approche ricardienne. Trois évolutions majeures ont amené les économistes à s'intérroger sur la
pertinence du modèle libéral d'inspiration ricardienne.
La mondialisation des échanges et la circulation internationale des facteurs de production accompagnent la montée en
puissance des firmes multinationales: la Nation n'est plus l'acteur unique du commerce international.
La domination du commerce intrabranche remet en question l'idée de spécialisation internationale inhérente à la thèse
ricardienne ou, tout au moins, oblige à la préciser et à la reformuler.