Association agomélatine - étifoxine

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Cas clinique
J Pharm Clin 2014 ; 33 (1) : 45-8
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Association agomélatine - étifoxine :
à propos d’un cas de rash cutané
prurigineux dans un contexte
d’intolérance générale
Agomelatine-etifoxine combination: about one case
of pruritic rash in a context of general intolerance
Catherine Lameira 1 , Marie Berard 2 , Delphine Grégoire 2 , Cathy Nonnenmacher 2 , Marie Socha 3 ,
Sandrine Choffardet 1 , Hervé Javelot 2,4
1
Service G05, Etablissement public de santé Alsace Nord, Brumath, France
Service pharmacie, Etablissement public de santé Alsace Nord, Brumath, France
3 Hôpital de Brabois Adultes - CHU de Nancy et Faculté de Pharmacie de Nancy, Nancy, France
4 Service de psychiatrie II et Unité Inserm U1114, Clinique de psychiatrie, Hôpital Civil, Strasbourg, France
<[email protected]>
2
Résumé. Mme S est traitée pour un trouble anxio-dépressif et ne présente aucune allergie connue dans ses antécédents. Mme S présente une recrudescence anxieuse qui amène son médecin traitant à lui prescrire de l’étifoxine
(150 mg/j), puis 10 jours plus tard de l’agomélatine (25 mg/j) en complément de son traitement habituel. La patiente
développe une éruption cutanée hautement prurigineuse 4 jours après l’introduction de l’antidépresseur. Une perturbation du bilan hépatique est également observée. L’étifoxine et l’agomélatine sont alors stoppés immédiatement.
L’imputabilité respective ou conjointe des deux molécules est ici discutée. Ces deux molécules présentant un profil
d’effets indésirables pouvant se recouper (risque d’intolérance hépatique et d’apparition d’éruption cutanée), leur
utilisation conjointe devrait être évitée.
Mots clés : effet secondaire, rash cutané, perturbations hépatiques, agomélatine, étifoxine
Abstract. Ms S is treated for an anxious-depressive disorder and has no known allergy in its medical history.
Ms S has an anxious resurgence leads his doctor to prescribe etifoxine (150mg/d) and 10 days after agomelatine
(25mg/d) in addition to her usual treatment. The patient develops a highly itchy rash 4 days after the introduction
of the antidepressant. Disturbance of liver function is also observed. Etifoxine and agomelatine are immediately
stopped. The respective or joint imputability of the two molecules is discussed. These two molecules have a similar
adverse effect profile (risk of liver intolerance and cutaneous rash) and their joint use should be avoided.
Key words: side effect, cutaneous rash, liver disturbances, agomelatine, etifoxine
L
es effets indésirables de nature cutanée font partie
des réactions médicamenteuses les plus fréquentes
et concerneraient de 2 à 5 % des patients qui se
voient prescrire des psychotropes [1, 2]. Les atteintes
hépatiques représentent également une cause fréquente
de perturbations liées aux médicaments, notamment en
lien avec plusieurs thérapeutiques utilisées en psychiatrie
[3].
Tirés à part : H. Javelot
L’étifoxine est commercialisée en France comme
anxiolytique depuis 1979, mais bénéficie d’un faible
niveau d’évaluation en ce qui concerne son profil
d’efficacité clinique et de sécurité d’emploi [4-6]. Son activité anxiolytique semble s’exercer par la régulation à
la fois de la neurostéroïdogenèse et de la neutrotransmission gabaergique [7]. Dans une étude, réalisée sur
l’année 2002 dans les Bouches du Rhône, et rapportant
les consommations et le suivi de pharmacovigilance des
anxiolytiques, des hypnotiques et des antidépresseurs,
l’étifoxine apparaissait comme l’anxiolytique le plus pres-
Pour citer cet article : Lameira C, Berard M, Grégoire D, Nonnenmacher C, Socha M, Choffardet S, Javelot H. Association agomélatine - étifoxine : à
propos d’un cas de rash cutané prurigineux dans un contexte d’intolérance générale. J Pharm Clin 2014 ; 33(1) : 45-8 doi:10.1684/jpc.2014.0271
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C. Lameira, et al.
crit après l’hydroxyzine, dans le cadre d’une utilisation
hors Autorisation de mise sur le marché (AMM) [8].
Pour l’ensemble des substances suivies, trois évènements
indésirables ont été notifiés aux Centres régionaux de
pharmacovigilance (CRPV) locaux dont deux concernaient des réactions cutanées de type urticaire en lien
avec l’étifoxine. Sur la base de l’analyse des effets indésirables rapportés sur l’étifoxine au réseau des CRPV et
aux laboratoires Biocodex entre 2000 et 2012, les effets
indésirables notifiés sont surtout des affections dermatologiques et des réactions d’hypersensibilité (58,5 % ;
206 cas) qui correspondent très majoritairement à des cas
d’éruptions cutanées (69,9 %) [9]. En termes de fréquence
de survenue au cours de cette même évaluation, les effets
indésirables d’origine hépatique apparaissent juste après
les effets indésirables cutanés et représentent 9,7 % des
notifications. Le potentiel hépatotoxique de l’étifoxine est
notamment objectivé par l’observation d’hépatites cytolytiques (dans presque 80 % des cas évaluables) [9]. Ces
éléments ont amené d’une part l’ANSM à proposer une
modification du résumé des caractéristiques du produit
(RCP) de la spécialité Stresam® et, d’autre part, un organisme de presse indépendant a transmis récemment un
appel à la prudence dans l’utilisation qui doit être faite de
l’étifoxine [9, 10].
L’agomélatine est un antidépresseur commercialisé en
France depuis 2009. Son profil d’action semble à la fois
avéré dans la dépression ou encore le trouble anxieux
généralisé [11], bien que certaines analyses remettent
en cause son efficacité [12, 13]. Son profil pharmacologique est mixte, l’agomélatine agissant à la fois comme
un agoniste des récepteurs de la mélatonine et comme
un antagoniste des récepteurs 5HT2C de la sérotonine
[14]. La tolérance de l’agomélatine bénéficie encore d’une
faible évaluation en condition pragmatique compte tenu
de son apparition relativement récente dans l’arsenal
thérapeutique. Cependant, la mauvaise tolérance hépatique du produit est déjà connue sur la seule base des
études cliniques et nécessite un contrôle des transaminases à l’instauration du traitement, puis une surveillance
régulière en raison du risque d’hépatite cytolytique [15].
Concernant les effets indésirables cutanés, les résultats
issus des essais cliniques ont permis d’identifier les risques
d’hyperhydrose, d’eczéma et de rash érythémateux, respectivement comme fréquent (≥ 1/100, < 1/10), peu
fréquent (≥ 1/1 000, < 1/100) et rare (≥ 1/10 000,
< 1/1 000). À l’image des remarques formulées sur
l’étifoxine, l’agomélatine a également fait l’objet d’appels
à la prudence par le même organisme de presse, mettant
en lumière notamment la mauvaise tolérance hépatique et
cutanée, comparativement au faible apport clinique que
représente la molécule [16].
Nous rapportons ci-après le cas d’une patiente ayant
présenté une éruption cutanée très étendue suite à
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l’introduction d’agomélatine avec une perturbation du
bilan hépatique. Cet effet indésirable s’est manifesté également peu de temps après l’introduction d’étifoxine chez
la patiente. La contribution de chacune de ces molécules
dans l’apparition de l’effet indésirable peut être discutée.
Observation clinique
Mme S, âgée de 37 ans et traitée depuis 4 ans pour un
trouble anxio-dépressif, pris en charge initialement par
son médecin traitant qui lui a prescrit successivement différents antidépresseurs : la venlafaxine, l’escitalopram, la
paroxétine et enfin la mirtazapine. La prise en charge
médicamenteuse dans notre établissement, débutée il y
a presque 2 ans, intègre la mirtazapine (Norset® 15 mg,
1 cp/j le soir) et le prazépam (Lysanxia® 10 mg, 1 cp
matin et soir). La patiente présente comme antécédents
somatiques une hypertension artérielle et une colopathie fonctionnelle, mais aucune allergie connue d’origine
médicamenteuse ou autre. Il y a un an et demi, une
première prescription d’agomélatine (Valdoxan® 25 mg,
1 cp/j le soir) est faite en extrahospitalier par un autre
médecin généraliste. Mme S émet régulièrement des
plaintes somatiques et psychologiques multiples, cependant elle majore ces plaintes suite à l’introduction de
ce nouvel antidépresseur. La patiente se voit alors de
nouveau prescrire son traitement antérieur, à savoir la mirtazapine, toujours associée au prazépam et aux mêmes
posologies.
Il y a environ 6 mois, la patiente présente une
recrudescence anxieuse qui amène son médecin traitant à lui prescrire de l’étifoxine (Stresam® 50 mg, 1
gélule matin, midi et soir), puis 10 jours plus tard
de l’agomélatine (Valdoxan® 25 mg, 1 cp/j le soir) en
complément de son traitement antérieur. La patiente
décrit a posteriori une insomnie totale suite à la première prise d’agomélatine. Mme S présente 4 jours après
l’introduction de l’antidépresseur une éruption cutanée
étendue touchant le visage, les bras, les genoux et les
pieds avec un caractère hautement prurigineux. La valeur
des transaminases (gamma-GT) a été multipliée par 1,5
entre le contrôle à l’introduction de l’agomélatine et 5
jours après, cette valeur se normalisant progressivement
sur les semaines suivantes.
Suite à cet évènement indésirable les traitements par
agomélatine et étifoxine ont été immédiatement arrêtés,
tandis que le traitement par mirtazapine et prazépam a
été poursuivi.
Discussion
L’apparition de l’effet indésirable décrit peut plaider en
faveur soit d’une imputabilité exclusive de l’agomélatine,
J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 1, mars 2014
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Association agomélatine - étifoxine
soit d’une imputabilité conjointe de l’antidépresseur et de
l’étifoxine.
La première hypothèse pourrait être favorisée par
l’intolérance initiale observée avec l’antidépresseur ainsi
que le décours temporel entre l’introduction du traitement et l’apparition de l’effet indésirable (4 jours). Par
ailleurs, le risque d’apparition d’effets indésirables cutanés de type éruption cutanée et prurit sont évaluées
respectivement avec l’agomélatine et l’étifoxine comme
peu fréquentes et rares (fréquences de 1/100 et 1/1 000).
Cependant, les éléments récents fournis par le suivi
de pharmacovigilance réalisé par l’ANSM (à propos des
206 cas d’effets indésirables dermatologiques enregistrés
pour l’étifoxine) indiquent une médiane de neuf jours
entre l’introduction de l’étifoxine et l’observation des
effets indésirables cutanés. Ces éléments semblent donc
rendre également hautement compatible l’imputabilité de
l’étifoxine dans notre situation clinique où ce dernier a
été introduit 10 jours avant [17].
Les perturbations hépatiques observées (multiplication transitoire des transaminases par 1,5 et une valeur
supérieure à 1,25 fois la limite normale supérieure)
permettent d’établir un diagnostic d’hépatotoxicité en
lien avec l’évènement décrit [3], une hépatotoxicité se
caractérisant par une élévation des enzymes hépatiques
équivalente à 1,25 fois la limite supérieure de la normale et/ou la présence de signes ou de symptômes
révélateur d’une atteinte hépatique. Ces éléments concernant l’élévation des gammas GT sont apparus après
l’introduction de l’agomélatine et semblent donc imputables à cette molécule. Bien que l’atteinte hépatique soit
un évènement indésirable décrit comme fréquent sous
agomélatine, cette augmentation touche préférentiellement les ALAT et les ASAT [18], augmentation supérieure
à trois fois la limite supérieure des valeurs normales
des ALAT et/ou des ASAT chez 1,1 % des patients sous
agomélatine 25/50 mg versus 0,7 % avec des patients
sous placebo dans le cadre des essais cliniques. Cependant, l’imputabilité de l’étifoxine ne peut pas être exclue,
puisque l’élévation des enzymes hépatiques (ALAT, ASAT
et ␥GT) est décrite comme rare sous étifoxine et que des
cas d’atteintes hépatiques sont régulièrement rapportés
dans la littérature [10, 19-21].
Enfin, l’implication de la mirtazapine dans le cas
que nous rapportons apparaît comme peu probable.
Bien que des cas d’éruptions cutanées soient rapportés sous cette molécule, la patiente bénéficiait de ce
traitement antérieurement sans avoir jamais manifesté
de réaction allergique. Par ailleurs, il est important de
rappeler que les essais cliniques menés avec la mirtazapine ont permis d’identifier des cas d’exanthème
à une régularité plus faible que sous placebo (différence non significative ; [21]). Les effets antihistaminiques
J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 1, mars 2014
puissants de la mirtazapine peuvent également contribuer à exclure l’apparition d’une urticaire allergique non
iatrogène.
Conclusion
Les éléments que nous apportons sur ce cas clinique ne permettent pas de trancher définitivement sur
l’imputabilité de l’agomélatine, de l’étifoxine ou d’une
contribution conjointe des deux molécules. Cependant,
il demeure pertinent de signaler que ces deux molécules
présentant un profil d’effets indésirables avec certaines
similarités (risque d’intolérance hépatique et d’apparition
d’éruption cutanée), leur utilisation conjointe devrait être
évitée.
Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de
lien d’intérêt en rapport avec cet article.
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J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 1, mars 2014
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