
Géopolitique, Défense et Stratégie
dossier
42  / octobre 2013 / n°435
économiques de Deng Xiaoping visaient 
d’abord à trouver des débouchés à l’ex-
portation pour ces nouveaux entrants 
sur le marché, à qui il fallait donner du 
travail, sous peine de créer les conditions 
de nouvelles révolutions. L’Inde a suivi dans 
ce chemin de l’ouverture, avec une fenêtre 
d’opportunité démographique plus étalée et 
moins grande, ce qui peut aussi expliquer 
en partie des réformes économiques plus 
graduelles depuis les années 1990 et une 
croissance plus sage mais bien réelle.
La place de l’Afrique
L’Afrique, elle aussi, sans connaître un 
décollage au sens strict, reste en phase 
d’ébullition économique. Malgré ses 
nombreux problèmes politiques et conflits, 
dont la fréquence baisse cependant net-
tement depuis la décennie noire 1990, 
le continent aux 53 pays, aux centaines 
d’ethnies et aux frontières souvent dessinées 
de manière arbitraire par la colonisation, 
enregistre depuis 10 ans en moyenne 5 % 
de croissance. Il devient une destination 
de choix pour les grands fonds mondiaux 
d’investissement. L’Afrique commence 
pourtant globalement à peine à réunir les 
conditions d’une fenêtre démographique 
favorable mais timide : les jeunes actifs 
augmentent en proportion de l’ensemble de 
la population mais le poids des très jeunes 
à charge reste élevé. Seulement voilà, le 
parent pauvre de Chindiafrique bénéficie 
aussi d’une dynamique unique au sein du 
triangle : il agit comme un véritable aimant 
avec ses deux grands partenaires chinois et 
indien, à la fois terrain d’expérimentation 
et d’influence, marché et fournisseur de 
ressources naturelles.
L’Afrique est tout d’abord un formidable 
marché et laboratoire pour les innovations 
chinoises et indiennes qui, combinées 
harmonieusement, permettent au continent 
des sauts technologiques ful gurants. 
L’innovation constitue ainsi le troisième 
élément structurant du triangle Chindiafrique 
pour déplacer les équilibres mondiaux. Qui 
aurait imaginé que les téléphones chinois 
(le hardware) bon marché combinés aux 
logiciels (le software) indiens innovants, 
aideraient l’Afrique en à peine une décennie 
à devenir un eldorado des téléphones 
portables, nettement plus nombreux 
désormais qu’en Europe, avec toutes les 
conséquences sur la mise en réseaux de 
l’économie ? Il faut souligner qu’on ne 
parle pas uniquement d’équipements mais 
aussi des business models innovants qui 
les accompagnent. Le mobile africain a 
notamment décollé grâce aux business 
models permettant de produire des mobiles 
bon marché en masse (le taylorisme à la 
chinoise des usines géantes de Shenzhen) 
ou de vendre des minutes de communication 
bon marché (la méthode d’un opérateur 
indien comme Bharti consiste à partager le 
gisement de sa clientèle au plus vite avec 
des partenaires-fournisseurs étrangers, 
plutôt que de perdre du temps à les 
concurrencer dans leur domaine, selon la 
méthode de « l’externalisation inversée »).
Nécessité fait loi pour intégrer les plus 
pauvres dans les circuits de consommation, 
en leur permettant par exemple d’utiliser 
leur mobile comme un mini-compte en 
banque et de réaliser des opérations simples 
(virement, retrait…) auprès du commerçant 
d’un village reculé africain. L’Inde et la 
Chine apportent leur expérience dans ces 
innovations frugales mais pas forcément de 
mauvaise qualité, comme la télémédecine 
indienne qui s’adresse au fameux « bas de 
la pyramide » des consommateurs pauvres 
mais nombreux et solvables.
L’Afrique est ensuite, bien sûr, un grand 
fournisseur de ressources naturelles au 
sein de Chindiafrique. La redistribution des 
cartes mondiales opère une 
nouvelle fois à plein dans 
ce quatrième terrain de 
jeu, les matières premières. 
En témoignent les critiques 
de la « Chinafrique », qui 
serait un nouvel exemple 
de néocolonialisme, après 
la « Françafrique ». Mais 
là encore, ne nous mépre-
nons pas. Ces critiques sont 
fondées, notamment quand 
Pékin achète à bas prix des 
concessions à long terme de 
mines en Afrique, contre la 
fourniture, en grande partie 
par des équipes chinoises, 
d’infrastructures gigantesques, à la qualité 
pas toujours à la hauteur. Mais la Chine ou 
l’Inde gagnent justement du terrain dans ce 
domaine car ils apportent des éléments de 
coopération nouveaux  et nécessaires aux 
pays africains, à travers notamment des  
fournitures clés en mains, du financement à 
l’exploitation, d’une usine ou d’un bâtiment 
que personne n’avait financé auparavant. 
Les satellites météorologiques de l’agence 
spatiale indienne Isro sont, dans un autre 
registre, bien utiles pour améliorer les 
récoltes de certains pays africains.
Les atouts européens
L’ouverture du jeu géostratégique doit en 
réalité inciter les Européens et notamment 
les Français à prendre pleinement en 
compte ce triangle Chindiafrique, plutôt 
qu’en critiquer la dynamique de manière 
stérile. Sur tous les plans, les Européens 
ont de bonnes cartes en main, à condition 
d’accepter la nouvelle donne mondiale 
dont Chindiafrique est l’exemple le plus 
structurant.
L’Union européenne vieillissante a par 
exemple tout intérêt à utiliser au mieux les 
ressources démographiques d’un bassin 
euro-africain dynamique, en permettant à 
davantage d’Africains de venir étudier et 
travailler en Europe, pour revenir ensuite, au 
gré des besoins au pays, dans une logique 
de « Brain gain » (retour des cerveaux) 
plutôt que de « Brain drain » (fuite des 
cerveaux). Sur le plan de l’économie 
et de l’innovation, l’Europe doit aussi 
s’inspirer des business models de nos trois 
géants pour mieux conquérir les marchés 
émergents et, pourquoi pas, les réimporter 
en Europe quand cela fait 
sens. En combinant par 
exemple panneaux solaires 
et éoliennes pour alimenter 
des antennes relais de télé-
phonie mobile dans certaines 
régions reculées, à l’instar 
d’un partenariat sino-indien 
en Afrique. Cette approche 
dynamique et adaptée 
aux spécificités locales est 
parfaitement possible quand 
on songe à la politique à 
succès d’im plantation et de 
R&D du français Orange sur 
le continent africain.
Les Européens peuvent 
enfin faire valoir leur modèle de concertation 
politique, fondé sur la recherche de 
consensus démocratique. Malgré ses 
lenteurs et ses lacunes dans la construction 
d’une entité politique intégrée, il reste 
attractif pour un État démocratique 
également imparfait comme l’Inde ou