Boko Haram, la mitraillette à la tempe du Nigéria
Tout au long de son procès, Umar Farouk Abdulmutallab a refusé d'être jugé par d'autres lois que celles de la
chari'a. Il a lancé en pleine cour américaine un « Oussama est vivant ! » à la gloire de ben Laden. Il a avoué que la
réussite de son attentat « était entre les mains de Dieu » et a expliqué son échec par la « volonté d'Allah de le
purifier avant son martyr ». Et le 16 février dernier, sa sentence est tombée : l'homme qui a voulu faire exploser, le
soir de Noël 2009, le vol Amsterdam-Détroit n°253 au nom du djihad islamiste, passera le reste de sa vie en prison.
Abdulmutallab était nigérian.
Ce martyr manqué n'est que le symptôme du mal beaucoup plus profond qui ravage le Nigéria depuis une décennie.
Son nom : Boko Haram, ou « l'éducation occidentale est interdite » en langue haoussa. Son but : instaurer un régime
islamique au Nigéria. Ses moyens : éradiquer tous ceux qui s'opposent à son fondamentalisme. Le 20 janvier, une
bombe explosait à Kano, deuxième ville en importance du pays, en emportant dans ses éclats près de 200 vies
humaines. Depuis, les attentats se succèdent presque quotidiennement au nord du Nigéria. Le dernier en lice :
l'évasion orchestrée à la mitraillette de 119 prisonniers du pénitencier de Koto-Karifi situé à un jet de pierre au sud de
la capitale, Abuja.
Le pays aux deux prophètes
Dans ce Nigéria peuplé par 126 millions d'habitants, l'unité se fragmente à travers deux spiritualités. Les protestants
vivent au sud, là où dorment entre 20 et 50 milliards de barils de pétrole sous les eaux de la cote. Les musulmans se
partagent le nord, là où les conditions de vie se sont vite détériorées depuis la jeune indépendance du pays.
L'indice de pauvreté se chiffrait à 28% en 1960. Trente-six ans plus tard, il avait vertigineusement monté à 66%.
Conséquence logique de cette tendance à l'indigence : le nombre de personnes aux prises avec la pauvreté absolue
passait de 35 millions en 1985 à 66 millions en 1996 [1]. Le premier gouvernement civil pris le pouvoir à l'orée du
XXIe siècle avec des promesses qu'il n'aura jamais réussi à tenir pendant son mandat. Le développement tant
annoncé s'est ainsi vite mué en une amère déception, laissant les Nigérians sans le sou, mais habités par une vive
colère envers ses élites. Le ressentiment populaire, cultivé par des décennies de détérioration morale des autorités,
d'instabilité politique et d'affaiblissement des institutions publiques, s'est transformé en luttes intestines qui étendent
leurs tentacules aux pays voisins.
Récemment, Boko Haram s'est implanté au Cameroun. La population et ses imams, recrutés à la pointe des fusils,
s'inquiètent de l'idéal promis par la secte. « Nous comprenons notre Islam et nous n'avons pas besoin de ceux qui
pensent qu'ils comprennent cette religion mieux que nous », exhorte les chefs religieux du pays. "Ils sont venus ici et
m'ont dit que tous nos problèmes sont causés par l'éducation occidentale et les idées occidentales", a confié à
l'agence ENInews un résident de Lagdo, Oumarou Djam. « Ils ont également dit qu'ils me donneraient beaucoup
d'argent si je rejoignais leur groupe. Ils avaient l'air dangereux, alors j'ai menti en leur disant que je réfléchirais à leur
proposition. J'ai peur qu'ils reviennent me chercher. »
La gouverne britannique, ou l'islam instrumentalisé
Comme dans beaucoup d'autres pays africains, les racines des troubles que connait présentement le Nigéria
s'enfoncent profondément dans le passé. Les Britanniques découvrent, à l'heure de coloniser le territoire nigérian,
une région du nord jouissant d'une grande stabilité. Le régime féodal des émirs mis en place par les malikites
Almoravides au XIe siècle [2] s'était perpétué jusqu'alors en garantissant une paix sociale que le sud divisé en
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