pour les autres grands défis – je pense aux migrations en
particulier – qui occupent les esprits, les médias et les classes
politiques des pays les plus développés ; et qui pèsent de plus
en plus sur les stratégies de coopération internationale ? J’ai le
sentiment que c’est ce qui est en train de se passer. Et j’ai la
profonde conviction que cette tendance ne sera profitable à
personne au bout du compte.
La production de céréales, de tubercules, de fruits et de légumes,
l’élevage sous toutes ses formes, la pêche maritime et
continentale, le commerce de collecte, de gros et de détail à
chaque coin de rue, le transport, la transformation artisanale et
industrielle des produits agricoles et alimentaires ; tout cet
entrelacs d’activités et d’acteurs innombrables est constitutif du
génome du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest ; de son histoire, de
l’organisation de ses sociétés et de son économie. Ignorer cet
ADN alimentaire, même et surtout si l’on se préoccupe de
stabilité et de migration, serait commettre une lourde erreur.
Prenons l’exemple de l’emploi des jeunes qui est – à juste titre
– LA préoccupation majeure. Le chômage – ou plus précisément
l’absence d’activité stable génératrice de revenus, est l’un des
facteurs qui poussent les jeunes africains vers les groupes armés.
C’est un facteur parmi d’autres ; mais c’est un facteur à prendre
en compte. C’est également un facteur significatif des enjeux
migratoires. Comment aborder cet enjeu ?
Un chi re trône au milieu de l’équation de l’emploi : 11 millions.
Il correspond à la population additionnelle annuelle de l’Afrique
de l’Ouest au cours des dix prochaines années. En d’autres
termes, les 17 pays membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du
CILSS compteront 110 millions d’habitants supplémentaires en
2026. La population totale passera de 380 millions aujourd’hui à
490 millions dans dix ans.
Comment faire face ? Où faire porter l’e ort ? Dans quel secteur
susceptible de connaître une croissance à la fois supérieure à
celle de la population et peu volatile ; c’est-à-dire peu sensible
aux aléas des marchés mondiaux ?
Ce secteur économique existe. Il s’agit de l’économie alimentaire
qui représente aujourd’hui plus d’un tiers du PIB régional et qui,
en volume, se situe très loin devant les cultures d’exportation ou
le pétrole par exemple. Cette économie est – de très loin – le
premier gisement d’emplois. Elle est installée sur une trajectoire
de croissance forte et durable car reposant sur une demande
intérieure en augmentation constante.
Le mouvement d’extension du marché ouvre de nouvelles
opportunités en amont et en aval de la production agricole qui
ne représente plus que 60 % de l’économie alimentaire. Il faut
certes continuer à appuyer les producteurs agricoles ; mais il faut
aussi – et de plus en plus – s’intéresser aux autres acteurs de
l’économie alimentaire que sont les fabricants et réparateurs
d’outils, les vendeurs d’engrais et de semences, les marchands,
les manœuvres, emballeurs, les transporteurs, les
transformateurs, les restaurateurs. Sans oublier tous ceux qui,
par leur activités, permettent aux précédents de faire leurs
métiers.
C’est dans ce secteur qu’il faut investir massivement si l’on veut
accélérer la création d’activités économiques et faire émerger
une classe d’entrepreneurs ; si l’on veut également aider les plus
fragiles – en particulier les femmes – de la précarité.
Le Réseau qui nous réunit une fois de plus aujourd’hui, a été créé
il y a plus de trois décennie pour mieux prévenir et mieux gérer
les crises alimentaires. Je pense par conséquent qu’il est de notre
devoir de rappeler collectivement à la communauté africaine et
mondiale, que des crises – alimentaires mais pas seulement –
surgiront à l’avenir si l‘on baisse la garde aujourd’hui en matière
de résilience alimentaire et de développement de l’économie
alimentaire.
Je propose que le réseau se prononce sur ce sujet et fasse
entendre sa voix.
Nous avons collectivement fait de nombreux progrès dans notre
capacité à construire le consensus sur les perspectives
alimentaires et nutritionnelles à court terme – c’est-à-dire d’une
année à l’autre. Nous devons désormais renforcer nos capacités
d’analyse et d’interpellation politique sur les enjeux à moyen et
long termes. Nous devons aider à prévenir les crises et à
promouvoir les opportunités d’après-demain ; crises et
opportunités dont les germes résident dans les changements
structurels à l’œuvre dans la région.
Le Réseau est-il prêt à s’engager dans cette direction ?
Je vous remercie.