Direction des services vétérinaires ANALGÉSIE CHEZ LES ANIMAUX DE LABORATOIRE Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux Table des matières 1. Introduction et définitions .......................................................................................... 3 2. Anatomie et physiologie de la nociception ................................................................. 4 3. Effets physiologiques de la douleur............................................................................ 5 4. Signes de douleur ........................................................................................................ 6 5. Choix de l’analgésique ............................................................................................... 11 6. Anti-inflammatoires................................................................................................... 12 7. Opioïdes ..................................................................................................................... 14 8. Anesthésiques locaux ................................................................................................ 16 9. Agonistes des récepteurs α2-adrénergiques............................................................. 18 10. Antagonistes des récepteurs NMDA ...................................................................... 19 11. Adjuvants ............................................................................................................... 20 12. Le futur !................................................................................................................. 20 Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux 1. Introduction et définitions La douleur est définie comme une sensation déplaisante associée à une expérience émotionnelle impliquant généralement des dommages tissulaires existants ou potentiels. La douleur est une sensation subjective qui peut être difficile à observer chez les animaux où il y a absence de communication verbale. Nous nous devons toutefois de prévenir la douleur et la détresse chez les animaux utilisés en recherche. La douleur provoquera chez les animaux des réactions de protection physiologiques et comportementales : évitement, vocalisations, etc. La douleur est avant tout un signal d’alarme qui permet à l’organisme de se protéger contre les stimuli douloureux subséquents. Cette formation a pour but de vous remémorer les bases de l’analgésie et de définir les signes de douleur chez certaines espèces animales et les classes thérapeutiques pouvant être utilisées. Douleur aigue : douleur vive, immédiate et habituellement brève. Causée par des dommages tissulaires comme des incisions cutanées, coups, pincements, etc. Douleur chronique : douleur qui évolue sur une période de plus de trois mois. Causée généralement par des maladies comme l’arthrite, le cancer ou des névrites. Hyperalgésie : réponse exagérée à un stimulus douloureux. Allodynie : douleur déclenchée par un stimulus habituellement indolore. Analgésie : absence de douleur en réponse à un stimulus normalement douloureux. Les analgésiques sont divisés selon l’Organisation mondiale de la santé en trois paliers : Palier I Non-morphiniques Aspirine Ketoprofen Palier II Morphiniques faibles/modérés Buprénorphine Butorphanol Codéine Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux Palier III Morphiniques forts Fentanyl Hydromorphone Morphine 2. Anatomie et physiologie de la nociception La nociception est l’ensemble des phénomènes à l’origine du message nerveux impliqué dans la sensation de la douleur. Les terminaisons nerveuses à l’origine de la douleur sont appelés nocicepteurs. Ceux-ci sont localisés dans les tissus cutanés, musculaires, articulaires et osseux. Lorsqu’un stimulus douloureux survient, une cascade d’événements nerveux s’en suit. Au niveau de l’organe atteint, que ce soit la peau, les viscères ou une articulation par exemple, des récepteurs spécifiques de la nociception s’activent. Certains organes en sont très concentrés, comme la peau, d’autres dépourvus, comme le cerveau. Ces « nocicepteurs » perçoivent donc le stimulus mécanique, chimique ou thermique et un signal nerveux est envoyé par le nerf périphérique jusqu’à la moelle épinière, puis voyage jusqu’au cortex, ou la douleur proprement dite est alors perçue. Un influx nerveux de type rétrocontrôle est retourné à la moelle épinière afin de modulée la douleur. Trois types de nocicepteurs sont connus : mécaniques, mécano-thermiques ou polymodaux. Nocicepteurs mécaniques Activés par des pressions mécaniques (fibres Aδ) Nocicepteurs mécano-thermiques Activés par des températures extrêmes (fibres Aδ) Nocicepteurs polymodaux (+ nombreux) Activés par des stimuli mécaniques, thermiques et substances algogènes (fibres C) Les substances algogènes sont libérées dans l’espace extracellulaire après le dommage tissulaire et sont responsables de la sensibilité périphérique : histamine, substance P, prostaglandines, ATP, glutamate, etc. Les nocicepteurs ont certaines caractéristiques communes : - Seuil élevé de déclenchement - Intensité proportionnelle à la stimulation - Capacité de sensibilisation : diminution du seuil de réaction après stimulations répétées Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux À l’exception des anesthésiques locaux, les analgésiques n’abolissent pas complètement la douleur ressentie par l’animal. Il est possible de modifier la transmission de la douleur via trois sites : zone périphérique, la moelle épinière et le cerveau. Les analgésiques agissent sur l’un ou plusieurs de ces sites pour diminuer l’intensité douloureuse. À la périphérie, la sensibilité des récepteurs augmentent en présence de prostaglandines (produites suite au traumatisme). Ce sont les cellules de la corne dorsale dans la moelle épinière qui perçoivent la douleur. Quant au cerveau, les fibres conductrices aboutissent dans plusieurs régions. Il est donc supposé qu’une analgésie multimodale est préférable à l’utilisation d’un seul médicament. Certains mécanismes inhibiteurs semblent être présents : libération de substances (ex. endorphines) par l’organisme qui agissent sur les mêmes récepteurs et suppriment la douleur. Ces mécanismes sont peu connus chez les animaux. Nous devons donc supposer qu’une intervention douloureuse chez l’humain l’est tout autant chez l’animal. Il a été prouvé qu’une analgésie préventive est plus avantageuse qu’une analgésie curative, soit après une chirurgie par exemple. 3. Effets physiologiques de la douleur La douleur amène un état de stress. Ce stress entraine des changements au niveau des hormones sanguines ainsi qu’une diminution de l’immunité, une perte d’appétit, une fonte musculaire… La douleur augmente aussi le risque de complications majeures en période Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux postopératoire (insuffisance cardiovasculaire, insuffisance respiratoire et même la mort). Réponse neuroendocrinienne La douleur aigue cause la libération de l’hormone antidiurétique (ADH), de la prolactine, de l’adrénocorticotrophine humaine (ACTH), d’endorphines et de glucocorticoïdes. Certaines de ces substances sont immunosuppressives. Nous pouvons donc présumer que la douleur aura les mêmes effets. Il a aussi été prouvé que traiter la douleur diminuait la croissance tumorale. L’analgésie peut donc avoir un effet bénéfique dans ce cas particulier. Effets cardiovasculaires Des catécholamines sont libérées suite à un stimulus douloureux. Cela implique une augmentation de la fréquence cardiaque, de la pression sanguine et de la résistance vasculaire systémique. La douleur cause aussi une augmentation de la demande en oxygène au niveau du myocarde. Un accroissement de la rétention de sodium et d’eau est aussi observé. Effets respiratoires La fonction pulmonaire peut être compromise significativement lors de douleur. La douleur thoracique cause une diminution du volume tidal, de la capacité résiduelle et de la ventilation minute. La douleur est aussi associée à une prévalence importante de pneumonie en période post-opératoire. Autres Plusieurs autres effets physiologiques et métaboliques sont observés : intolérance au glucose, iléus, diminution de la capacité reproductrice, modifications du cycle de sommeil. La douleur augmente les taux de morbidités et de mortalités en aggravant les insuffisances déjà présentes, les arythmies, l’anorexie, etc. 4. Signes de douleur Avant qu’un protocole ne débute, une analyse du risque de douleur et de détresse doit être effectuée. Le personnel de soin doit être formé adéquatement pour une évaluation adéquate de signes de douleur chez les différentes espèces. Outre les interventions chirurgicales et les Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux manipulations douloureuses, les sources potentielles de douleur et de détresse sont multiples : - Période d’acclimatation insuffisante - Manipulations inadéquates des tissus - Soins postopératoires inadéquats - Inexpérience du manipulateur - Pratiques inadéquates en matière de soins Une observation fréquente du comportement de l’animal est primordiale. Il est important de mentionner que la dextérité du manipulateur joue un grand rôle dans la quantité des lésions cellulaires, de l’inflammation et de la sensibilisation des nocicepteurs. Si les traumas sont très invasifs, la douleur chirurgicale peut se transformer en douleur chronique, neuropathique ou récurrente. Une surveillance des capacités de l’expérimentateur doit donc être effectuée et réeffectuée ! L’évaluation de la douleur chez l’animal est plus complexe que chez l’humain et est même très variable d’un animal à un autre. Certaines espèces vont démontrer des changements comportementaux et physiologiques tandis que d’autres vont ne rien montrer du tout; seuls les marqueurs biochimiques y étant modifiés. L’état dit « normal » est important à connaitre et ce, idéalement pour chaque animal ! Il sera difficile pour les rongeurs de déterminer spécifiquement le comportement normal de chaque individu. Toutefois, cette analyse est importante pour les grands animaux où par exemple, un chien actif et enjoué devient agressif. Certaines espèces comme les lapins et les cobayes vont demeurer immobiles lorsqu’un nouveau manipulateur les observe. Cette immobilité ne doit pas être confondue avec une diminution de l’activité. Il peut donc être intéressant d’observer différents paramètres chez ces espèces. Certains signes sont des signes généraux et non spécifiques de douleur persistante chez la majorité des animaux : - Posture : modification posturale pour ne pas bouger ou ne pas toucher la zone douloureuse - Apparence anormale : poils ébouriffés, dos courbé, etc. - Comportements anormaux : agressivité soudaine, abattement, inactivité, tournis, etc. - Vocalisation et mutilation - Sudation excessive Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux - Anorexie partielle à totale Il est clairement défini que les animaux en douleur vont diminuer leur activité. Il est aussi défini que des changements dans la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire et la température peuvent être observés. Il est cependant difficile de distinguer les changements uniquement liés à la douleur de ceux causés par le stress de la contention ou de la manipulation. Il est donc suggéré d’observer les animaux à distance dans un premier temps sans les manipuler outre mesure. Amphibiens Il n’y a, pour le moment, aucun signe observable clairement défini pour les amphibiens. Les changements faciaux sont disons inexistants ! Nous devons donc nous fier à des signes subjectifs et non spécifiques comme une diminution d’appétit et une diminution du comportement de fuite. Chat 1. Apparence o Expression faciale de crainte o Plis cutanés sur le front o Pelage non soigné 2. Comportement : o Miaulements excessifs, sifflements, grondements o Isolation, fuite p/r à ses congénères o Léchage excessif o Anorexie partielle à totale 3. Posture et mouvement o Tête : déviation de celle-ci vers la zone affectée o Thoracique : extension du corps de l’animal, du cou et de sa tête o Abdomen : prostration ou accroupissement Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux Chien 1. Apparence et comportement o Démarche raide et réticence à bouger o Adoption d’une posture anormale o Morsure ou grattage excessif de la région atteinte o Tremblements o Halètement o Hurlements, gémissements et grondements 2. Vigilance o Diminution de l’état d’alerte (douleur chronique) o Agitation 3. Réponse aux stimuli/personnes o Agressivité subite ou fuite lors de manipulations o Changements dans les réponses aux interactions (ne branle plus la queue, etc.) Lapins Un lapin en douleur peut démontrer des signes d’inactivité, d’appréhension et une posture de prostration. Ils peuvent pousser des cris aigus et peuvent avoir des comportements agressifs. Ils peuvent aussi avoir une suractivité, des grattages et du léchage excessifs. Leur consommation de nourriture et d’eau tendra à diminuer et le toilettage sera aussi diminué. Porcs Un porc en douleur pourrait montrer des changements comportementaux généraux et de posture. Ils peuvent devenir apathiques et peu disposé à se déplacer. Une augmentation du comportement de fuite et des cris lors de la manipulation sont aussi des signes de douleur. Un porc normalement curieux peut devenir agressif. L’animal sera moins enclin à manger, à boire et son niveau d’activité sera diminué Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux Primates non-humains Les primates montrent des signes subtils de douleur et ce, surtout en présence des humains. Ils peuvent démontrer aucun signe jusqu’à ce que leur douleur soit très sévère et leur condition très débilitante. Des vocalisations persistantes ne sont pas toujours le signe de la douleur mais doivent être considérées comme des « alarmes » pour ces animaux. Il faut donc TOUJOURS rapidement évaluer un primate qui semble malade car sa condition est souvent plus critique qu’anticipé ! Un primate non-humain dans la douleur peut démontrer une posture accroupie, des yeux vitreux, des comportements agressifs envers son partenaire de cage. L'animal peut montrer des contorsions faciales, un serrement de dents, de l'agitation, des grognements et des gémissements. L’animal peut appuyer fortement sa tête contre la cage, peut s’automutiler et refuser de s’alimenter. Rongeurs Les rongeurs étant des « animaux-proies », les signes de douleur peuvent être très subtils. Les animaux lors de douleur aigue, pourront vocaliser et devenir agressifs lors de manipulation. Les vocalisations de douleur peuvent être inaudibles; leur absence ne veut donc pas signifier une absence de douleur chez ces espèces ! Les signes généraux de douleur peuvent aussi être présents : diminution du toilettage, diminution de l’appétit ou changement alimentaire (cannibalisme, etc.), isolement, non-construction du nid, etc. Les rats peuvent avoir des accumulations de porphyrines au niveau des narines et des yeux, mais ce signe est non spécifique. L’expression faciale peut aussi être évaluée, et des grilles ont été publiées pour le rat et la souris. Vous pouvez consulter les articles en annexe pour plus de détails. Un guide interactif est disponible à L’adresse suivante pour comprendre comment évaluer la douleur chez les animaux de laboratoire : http://www.ahwla.org.uk/site/tutorials/RP/RP01-Title.html Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux 5. Choix de l’analgésique De nombreux facteurs doivent être considérés afin de choisir l’analgésique approprié pour l’animal et le protocole expérimental. Voici une liste non exhaustive des facteurs à considérer : - Espèce animale - Cause de la douleur - Intensité de la douleur - Voie d’administration et volume nécessaire - Durée de l’effet du médicament - Effets secondaires - Effets sur les résultats de l’étude Trois classes principales d’analgésiques existent pour aider à diminuer la douleur : - Anti-inflammatoires - Opioïdes - Anesthésiques locaux Les agonistes des récepteurs α2- adrénergiques et les antagonistes des récepteurs NMDA ont aussi des propriétés analgésiques. Les organes et tissus sont classés en ordre croissant de sensibilité selon la quantité de nocicepteurs présents dans ceux-ci. Les organes et tissus suivants possèdent plus de nocicepteurs : Cornée > pulpe dentaire > testicules > nerfs > moelle épinière > peau > membrane séreuse > périoste et vaisseaux sanguins > viscères > articulations > os et tissus encéphaliques L’administration des analgésiques en période préopératoires a pour but principal d’inhiber ou de minimiser la sensibilisation du système nerveux. L’analgésie administrée avant la chirurgie a aussi d’autres impacts positifs non négligeables : - Prémédication : l’ajout d’un morphinique ou d’un α2-agoniste, favorise habituellement la manipulation de l’animal - Induction : l’analgésique peut potentialiser l’effet des autres drogues et ainsi permettre de Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux réduire les doses administrées donc de diminuer les effets sur les systèmes cardiovasculaire et respiratoire - Maintien : permettre une anesthésie balancée et une diminution des autres drogues administrées; l’anesthésie devant être plus stable tant en profondeur qu’en stabilité cardiorespiratoire. - Réveil : un animal ayant reçu des doses analgésiques adéquates devrait avoir un réveil en douceur ainsi que des comportements plus normaux (moins d’agressivité par exemple) L’administration d’analgésie en période préopératoire ne dispense pas d’une non-utilisation durant la procédure chirurgicale. L’utilisation d’analgésiques en « quantité » suffisante devrait permettre une anesthésie stable. En ce sens, si le protocole analgésique est inadéquat, nous pouvons observer des hausses abruptes de la fréquence cardiaque et de la pression sanguine. Par ailleurs, si le protocole analgésique est suffisant, les besoins en agents anesthésiques volatils seront diminués. Les agents volatils entrainent une dépression cardiorespiratoire plus marquée que les morphiniques. Il est donc primordial de bien balancer le tout ! Généralement, lorsqu’un morphinique est utilisé en combinaison avec un AINS ou un α2agoniste en prémédication, l’analgésie est suffisante pour des procédures de routine comme une castration. Il est souhaitable d’utiliser des techniques d’anesthésie locorégionale et des perfusions CRI (constant rate infusion) lorsque les procédures durent plus de une heure. De plus, les cathéters de plaie sont indiqués pour des procédures invasives comme les sternotomies, des amputations ou des longues plaies de chirurgies. Pour les procédures chirurgicales de palier II et III, les administrations des morphiniques forts doivent se poursuivre au minimum pendant les premières 24 heures. 6. Anti-inflammatoires Ce sont des substances ont des propriétés analgésiques, antipyrétiques et anti-inflammatoires. Les AINS inhibent la production de prostaglandines et de thromboxane à partir de l’acide arachidonique. Les prostaglandines qui sont produites au site de l’inflammation, ont un rôle important à jouer en sensibilisant les récepteurs de la douleur au site du trauma. Les AINS empêchent l’activation des enzymes COX-1 et COX-2. Ces enzymes sont présents dans Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux différents sites et tissus (COX-1 : estomac et reins, COX-2 : sites de l’inflammation). Seule une inhibition de COX-2 est nécessaire. Il semble qu’une inhibition sélective de cette enzyme soit moins dommageable. Ces drogues sont connues pour leur pouvoir analgésique pour des douleurs d’intensité faible à modérée. Elles sont peu efficaces contre les douleurs viscérales mais ont moins d’effets secondaires que les opioïdes. Leur usage doit donc être considéré pour des douleurs aigues ou chroniques lorsque le protocole expérimental le permet. En effet, les AINS ont peu d’effets sur les systèmes cardiovasculaires et respiratoires et ne possèdent pas d’effets sédatifs. Les effets secondaires indésirables sont variables selon les espèces, mais la plupart des AINS peuvent causer des ulcères gastriques, être néphrotoxiques et entrainer de l’hypersensibilité. Ces médicaments interfèrent aussi avec l’agrégation plaquettaire. L’acétaminophène est l’AINS dont les effets secondaires semblent les moins importants puisqu’il ne cause pas, à des doses thérapeutiques, d’irritation gastrique et n’a pas d’effet sur les plaquettes et le temps de saignement. L’ibuprofen et le ketoprofen sont non-sélectifs, tandis que le carprofen semble avoir une plus grande sélectivité pour COX-2. Ces drogues peuvent causer des érosions gastro-intestinales mais ne semblent pas affecter le temps de saignement chez les chiens par exemple. Les effets secondaires doivent donc être validés pour chaque espèce utilisée. Le meloxicam est un AINS aussi efficace que la buprénorphine et plus puissant que le butorphanol pour contrer la douleur lors de chirurgie de tissus mous chez les chats et les chiens. Il peut être utilisé à long terme chez le chien et en période post-opératoire pour le chat. Il est homologué pour une administration en période pré-chirurgicale lors de stérilisation. Son utilisation chez les rongeurs est aussi possible et est à considérer pour tout protocole de douleur légère à modérée vu ses avantages : drogue non contrôlée, administration une fois par jour, effet anti-inflammatoire, etc. Tous les AINS peuvent être administrés dans l’eau de boisson. Toutefois, leur goût désagréable et la possibilité d’une diminution de la consommation d’eau par l’animal en période postopératoire nous pousse à administrer ces drogues de manière systémique par voie souscutanée. Les AINS peuvent être utilisés conjointement avec un opioïde lors de protocole impliquant des douleurs intenses afin d’assurer une analgésie multimodale. Dans un premier temps, leur administration ne doit toutefois se faire que pour un maximum de 72 heures afin de Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux limiter les risques sur le système gastro-intestinal de l’animal. Avantages - Durée d’action importante (12 heures en moyenne) - Bon effet analgésique (peuvent rivaliser avec les opioïdes) - Propriétés anti-inflammatoires pour certains - Antipyrétiques Désavantages - Érosions et ulcérations GI - Délai d’action important (moyenne de 30 à 60 minutes) - Non antagonisables - Toxicité rénale 7. Opioïdes Plusieurs drogues appartiennent à cette catégorie : elles peuvent soit stimuler les récepteurs (agonistes), soit les stimuler partiellement (agoniste partiel) ou les bloquer (antagoniste). Ces drogues sont utilisées lors de douleur modérée à intense. Il est souhaitable d’utiliser les opioïdes qui ont le moins d’effets secondaires. En ce sens, certaines molécules qui sont agonistesantagonistes tendent à agir sur les « bons » récepteurs tout en bloquant les « mauvais ». Récepteurs opioïdes et leurs localisations Récepteur Localisation Action Mu (µ) Cortex cérébral, thalamus Mu-1 : Analgésie Mu-2 : dépendance et dépression respiratoire Delta (δ) Tubercule olfactif, cortex frontal Analgésie, dépression respiratoire et dépendance Kappa (κ) Moelle épinière Analgésie spinale et faible dépendance Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux Actions et sélectivités des drogues opioïdes sur leurs récepteurs Drogue Mu (µ) Delta (δ) Kappa (κ) Buprénorphine P -- Butorphanol P +++ Fentanyl +++ Hydromorphone +++ + Morphine +++ + Naloxone --- - -- Naltrexone --- - --- Où + : agoniste, - : antagoniste et P : agoniste partiel Par exemple, le butorphanol, la morphine, l’hydromorphone et l’oxymorphone sont des agonistes-antagonistes. En contrepartie, la buprénorphine est considérée comme un agoniste partiel. L’effet analgésique implique principalement les récepteurs mu et les récepteurs kappa. Les récepteurs delta sont moins souvent impliqués. Les principales inquiétudes lors de l’utilisation des opioïdes sont la dépendance associée à ces drogues, le fait que ce sont des drogues contrôlées et la dépression respiratoire. D’autres substances comme le naloxone et le naltrexone peuvent antagoniser les effets secondaires des opioïdes. Les effets secondaires de cette classe de médicaments, varient selon la drogue utilisée et l’espèce chez laquelle celle-ci a été utilisée. En effet, chez les souris, les chats et les chevaux, les opioïdes causent une stimulation du système nerveux tandis que chez les autres espèces, nous pouvons observer une dépression comportementale. La buprénorphine est largement utilisée en médecine des animaux de laboratoire car elle cause moins de dépendance, sa durée d’action est importante en comparaison à la morphine et plusieurs données sont disponibles sur son efficacité chez les rongeurs et les lapins. Les effets secondaires de la buprénorphine sont cependant similaires à ceux observés avec la morphine : diminution de l’activité intestinale, sédation, diminution de la fréquence cardiaque et dépression respiratoire. Voici une liste des effets secondaires possibles des opioïdes : - Sédation : ces drogues ont, pour la majorité des espèces, un effet inhibiteur. - Système cardiovasculaire : bradycardie et hypotension peu marquées Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux - Système respiratoire : réduction de la fréquence et du volume respiratoire - Système digestif : diminution du péristaltisme, constipation - Système immunitaire : effets subtils notamment sur les cellules NK Les opioïdes sont habituellement administrés par voie sous-cutanée mais peuvent aussi être administrés par voies intramusculaire, intraveineuse et épidurale. L’administration par voie épidurale produit une analgésie prolongée en absence des effets secondaires observés généralement. Lors de l’administration orale, leurs effets analgésiques sont diminués après le premier passage au niveau du foie. Avantages - Antagonisables - Bon effet antinociceptif et analgésique - Effet sédatif intéressant - Très peu d’effets cardiovasculaires Désavantages - Drogues contrôlées - Dépression respiratoire - Émétique - Rétention urinaire - Constipation - Excitation 8. Anesthésiques locaux Les anesthésiques locaux soulagent la douleur en empêchant les stimuli douloureux d’atteindre le système nerveux central (cerveau et moelle épinière). Contrairement aux opioïdes et aux AINS dont on a déjà parlé, ils suppriment totalement la douleur au lieu de la diminuer et de la rendre plus tolérable. Cependant, leur utilité est limitée parce qu’ils doivent atteindre les récepteurs de douleur qui sont activés ou les nerfs qui les relient au cerveau ou à la moelle épinière. L’un des avantages de ces substances est qu’elles sont actives localement et qu’elles ont peu d’effets systémiques, ce qui permet de soulager une douleur locale sans agir sur les autres systèmes Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux physiologiques et, par conséquent, sans influencer les résultats de l’expérience. Les anesthésiques locaux sont principalement employés pour soulager la douleur au niveau de la peau. L’infiltration de ces substances dans les rebords d’une plaie permet d’obtenir un soulagement dont la durée peut aller jusqu’à six heures après une intervention chirurgicale, c’est-à-dire pendant la période où la douleur aiguë produite par les lésions chirurgicales est la plus forte et où l’effet anesthésiant est le plus nécessaire. On infiltre parfois des anesthésiques locaux autour des nerfs lorsque cela est possible. Par exemple, on peut bloquer le passage de l’influx dans les nerfs intercostaux pour soulager la douleur consécutive à une thoracotomie et ainsi faciliter la respiration. Les effets des anesthésiques locaux durent jusqu’à six heures, selon le médicament employé. Ces effets sont prolongés si la préparation contient de l’épinéphrine. L’application topique d’un anesthésique local peut produire un effet pendant moins d’une heure. Les anesthésiques locaux peuvent être administrés par différentes voies selon les objectifs recherchés. L’infiltration locale permet de bloquer les récepteurs de la peau et des tissus sous-jacents ou d’empêcher le passage de l’influx dans les nerfs qui traversent la région. Dans ce dernier cas, on obtient une anesthésie (et une paralysie) dans un site autre que celui de l’injection. L’application topique sur des muqueuses ou des structures sous-cutanées permet de bloquer efficacement les récepteurs à ces endroits. Par exemple, on emploie des anesthésiques en aérosol pour bloquer les récepteurs des cordes vocales et empêcher le spasme pendant l’intubation endotrachéale. Administrées dans l’espace épidural ou sous-arachnoïdien, ces substances empêchent le passage de tout influx dans les nerfs, ce qui entraîne la disparition des sensations et la perte des fonctions motrices. Les anesthésiques locaux sont mal absorbés par la peau saine. Cependant la peau absorbe bien une préparation qui est un mélange de prilocaïne et de lidocaïne, bien que l’absorption soit relativement lente et l’anesthésie limitée à une profondeur d’environ cinq millimètres sous la peau. Cela peut suffire à anesthésier les récepteurs cutanés. Ces produits donnent de bons résultats lorsqu’on les applique sur l’oreille d’un lapin au niveau de l’artère ou de la veine et qu’on enveloppe le tout dans un pansement occlusif pendant 30 minutes avant de procéder à l’injection ou à la prise de sang. Des doses excessives d’anesthésiques locaux peuvent entrainer des effets secondaires non négligeables. Il est plus facile de surdoser un petit rongeur; la dilution des drogues concentrées Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux est donc importante. Plus la drogue possède un pouvoir anesthésiant élevé comme la bupivacaïne plus les doses toxiques sont faibles. Les effets secondaires notés lors de l’utilisation d’anesthésiques locaux sont les suivants : - Dommages tissulaires locaux : nécrose réversible, indolore et imperceptible cliniquement - Excitation et convulsions si doses toxiques administrées ou injection directement dans la circulation sanguine - Bradycardie et hypotension si doses toxiques administrées ou injection directement dans la circulation sanguine Il est donc primordial de toujours vérifier que l’injection ne se fait pas directement dans un vaisseau sanguin lors d’infiltration cutanée. Les bienfaits de l’anesthésie locale lorsque bien utilisée dépassent toutefois largement les risques de complications. 9. Agonistes des récepteurs α2-adrénergiques Ces molécules ont été développées pour entrainer une sédation et une anesthésie générale chez l’animal. En combinaison avec d’autres drogues comme la kétamine, les agonistes des récepteurs α2-adrénergiques permettent le maintien d’un plan anesthésique pour des procédures chirurgicales. Les récepteurs sont distribués dans tout l’organisme, mais les récepteurs reliés à l’analgésie sont présents dans la corne dorsale de la moelle épinière. L’administration des agonistes α2-adrénergiques entraine dans un ordre chronologique : une sédation, une diminution de l’activité motrice, une analgésie et une perte du réflexe de retrait. L’action analgésique de ces drogues est plus clairement observée lors d’administration épidurale ou intra-thécale. Les effets secondaires des agonistes α2-adrénergiques sont non négligeables, car ils entrainent une bradycardie et une hypotension importantes. Ces effets peuvent même persister jusqu’à 6 heures chez le chien. Ils causent en plus de l’hypothermie et une dépression respiratoire. La yohimbine, l’atipamezole et la tolazoline peuvent antagoniser rapidement les agonistes α2-adrénergiques. Comme les effets secondaires sont importants, ces drogues ne sont pas indiquées pour l’analgésie post-opératoire. Avantages - Antagonisables Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux - Bon sédatif - Bon effet antinociceptif (mais de courte durée) - Bonne myorelaxation Désavantages - Hypotension et bradycardie tardives - Dépression respiratoire - Dysrythmies ventriculaires - Réaction violente - Émétiques - Atonie gastro-intestinale - Hypothermie 10. Antagonistes des récepteurs NMDA Les récepteurs NMDA sont activés par le glutamate. Ils sont responsables de la phase lente des potentiels d’action des synapses et sont responsables d’un certain transfert de la sensation de douleur dans le système nerveux central. L’antagoniste le plus fréquemment utilisé est la kétamine. Il est utilisé pour son effet anesthésiant en combinaison avec d’autres drogues notamment les agonistes α2-adrénergiques. Les antagonistes des récepteurs NMDA empêchent le phénomène de « wind-up ». Il est aussi suggéré que ces drogues empêchent la transmission de la douleur provenant des viscères. Aucun consensus n’est présent pour leur utilisation en période post-opératoire. Certains mentionnent que les effets analgésiques sont de courte durée (30 minutes) et ne sont pas optimaux pour une analgésie post-opératoire. Tandis que d’autres suggèrent une utilisation lors de douleur chronique. Par ailleurs, ils permettent une diminution de 50 % de la dose de morphiniques lorsque combinés pour la période post-opératoire. Il est donc suggéré présentement de n’utiliser la kétamine que pour la période peropératoire. Avantages - Contention efficace - Stimulation cardiovasculaire indirecte Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux - Bon effet antinociceptif - Neuroprotection Désavantages - Tachycardie et hypertension - Dépression respiratoire - Hypertonie musculaire - Hallucination, confusion, agitation au réveil 11. Adjuvants Plusieurs drogues qui n’ont pas de propriétés analgésiques peuvent être bénéfiques pour le bien-être de l’animal. Elles peuvent notamment aider au sommeil, diminuer l’anxiété ou la dépression, l’inflammation, etc. Par exemple, les antibiotiques utilisés pour combattre une infection bactérienne peuvent être des adjuvants ! Voici une liste de quelques adjuvants : - Antidépresseurs tricycliques - Anticonvulsivants - Antihistaminiques - Benzodiazépines - Stéroïdes - Phénothiazines 12. Le futur ! Des efforts sont déployés présentement dans quatre grandes sphères de recherche : comprendre les mécanismes de la douleur, optimiser les voies d’administration (transcutanée, épidurale, etc.), améliorer les méthodes d’évaluation de la douleur et trouver des procédures de mesures pour s’assurer du bon dosage. Anne-Marie Catudal et Daphnée Veilleux-Lemieux