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Y a-t-il une fatalité de la guerre économique ?
Une analyse à partir de l’agriculture
(article paru dans la revue française de Géoconomie, numéro 32, hiver 2004/05)
Thierry POUCH*
Les conclusions auxquelles était parvenu Montesquieu dans De l’esprit des Lois, selon
lesquelles le commerce adoucirait les mœurs, doivent être réexaminées à la lumière des
promesses de la mondialisation, et plus spécifiquement, de l’Organisation mondiale du
commerce, instaurée à l’issue des Accords de Marrakech. Il s’agissait, pour les promoteurs
de l’OMC, d’apporter un dispositif institutionnel régissant le commerce de marchandises,
inscrit dans un ensemble plus vaste de dispositifs dont la visée était de définir une
gouvernance mondiale. Les différentes négociations qui se sont déroulées sous l’autorité de
l’OMC ont abouti soit à des échecs, comme à Seattle ou à Cancún, soit à des décisions
marginales. Ces négociations apparaissent en effet comme le lieu de conflits pour la
valorisation des avantages comparatifs de chacun des pays. L’objet de cet article est de
fournir des éléments d’interprétation de la résurgence d’une conflictualité économique
structurant aujourd’hui la mondialisation. L’exemple de l’agriculture permet de mettre au
jour la réalité de la mondialisation.
a lecture que P. Hassner a récemment faite du 11 septembre 2001 selon laquelle
les attentats auraient fait basculer le monde d’une logique de paix à la Locke ou
à la Kant, à une logique de guerre à la Hobbes voire à la Marx, interpelle
l’économiste qui, dans son champ, a toujours une propension à réduire l’activité
du monde à un marché et à penser les relations qui s’y déploient comme un cheminement vers
l’équilibre des offres et des demandes1. On ne cherchera pas ici à savoir si les attentats du 11
septembre constituent un commencement à la conflictualité qui caractérise la mondialisation
ou un aboutissement des multiples conflits militaires ou commerciaux enclenchés vers la fin
des années soixante-dix, même si une forte présomption incite à opter pour cette seconde
hypothèse. Au vingtième siècle, la période qui s’était ouverte au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale se distingua par une forme embryonnaire de « juridicisation » des relations
économiques internationales au travers notamment d’institutions comme le Fonds monétaire
international (FMI) ou de compromis comme l’Accord général sur les échanges et les tarifs
douaniers (GATT). Face au double traumatisme de la crise des années 1930 et de la barbarie
de la guerre, c’est-à-dire face au risque d’éclatement, voire d’effondrement, de la civilisation
* Université de Marne La Vallée, Laboratoire Organisation et Efficacité de la Production, Atelier de Recherches
Théoriques François Perroux. Économiste à l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, Sous-
Direction des Études et des Systèmes d’Information.
1 Se reporter à P. Hassner, « La signification du 11 septembre : divagations politico-philosophiques sur
l’événement », in La terreur et l’empire. La violence et la paix, Paris, Le Seuil, coll. « La couleur des idées »,
2003, tome 2, p. 383-402.
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