Mini-revue Les techniques chirurgicales dans le traitement de l`obésité

Mini-revue
Les techniques chirurgicales
dans le traitement de l’obésité
Jean-Marc Chevallier
Service de Chirurgie Générale, Digestive et Oncologique,
Hopital Européen Georges Pompidou, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15
L’obésité massive a des conséquences graves sur la santé et la
qualité de vie. Les pathologies vasculaires, respiratoires, ostéoarti-
culaires et métaboliques qui la compliquent diminuent l’espérance
de vie des patients. Les études démographiques récentes montrent
une augmentation de sa prévalence dans l’ensemble des pays
occidentaux, dans toutes les tranches d’âge, mais plus encore chez
les sujets jeunes. Les traitements médico-diététiques ont des limites
bien connues puisqu’ils ont fait la preuve d’une efficacité incons-
tante, souvent modeste et sont grevés d’un taux élevé de récidive de
l’obésité. C’est ce constat d’échec qui a conduit à proposer une
intervention chirurgicale pour le traitement de l’obésité morbide,
surtout depuis l’essor de la laparoscopie.
Mots clés : obésité, chirurgie, cœlioscopie
Dès 1996, une étude confirmait que le court-circuit gastrique était
plus efficace que la prise en charge médicale seule dans le
traitement du diabète de type II [1]. Deux revues de synthèse
concluaient à l’intérêt de la chirurgie dans le traitement de l’obésité
morbide : à partir de l’analyse de 13 essais randomisés, les auteurs
observaient que la perte de poids était importante après la chirurgie, que
le court-circuit gastrique entraînait une perte d’excès de poids (PEP) plus
importante que la chirurgie de restriction gastrique et que la chirurgie
améliorait les facteurs de comorbidité.
Efficacité globale de la chirurgie
sur l’obésité-maladie
L’étude « Swedish obese subjects » (SOS, 2) est depuis 2004 la référence
de l’efficacité de la chirurgie dans le traitement de l’obésité morbide :
dans cette étude comparative non randomisée sur un total de 4 047
patients obèses suivis 2 ans, 1 703 ont été suivis 10 ans : 627 ont été
suivis avec une prise en charge médicale conventionnelle et ont été
comparés à 641 patients opérés (156 anneaux, 451 gastroplasties
verticales calibrées, 34 bypass gastriques). Trois informations sont appor-
tées par ce travail déterminant (figure 1).
1.La PEP est significativement plus importante dans le groupe opéré que
dans le groupe contrôle.
2.Cette PEP est maximale à 2 ans et plus importante pour les bypass que
pour les gastroplasties verticales et les anneaux.
3.Enfin, cette PEP diminue ensuite avec le temps mais reste significative-
ment efficace à 10 ans.
Hépato-Gastro, vol. 15, n°1, janvier-février 2008
Tirés à part : J.-M. Chevallier
25
doi: 10.1684/hpg.2008.0181
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Très récemment, deux études déterminantes viennent
de montrer que la chirurgie de l’obésité diminuait
significativement la mortalité :
la même étude SOS [3] rapporte la mortalité à
10,9 ans. Parmi 2 037 patients traités médicalement de
manière conventionnelle (groupe contrôle), ilyaeu129
décès (6,3 %) ; parmi les 2 010 obèses opérés, il y eut
101 décès (5 %). Les causes de décès les plus fréquentes
ont été l’infarctus du myocarde (25 dans le groupe
contrôle, 13 dans le groupe opéré) et le cancer (47 dans
le groupe contrôle, 29 dans le groupe opéré) ;
une étude de Salt Lake City sur la mortalité à long
terme [4] comparant 7 925 patients traités médicale-
ment à 7 925 traités par bypass montre, après un suivi
moyen de 7,1 ans, que la mortalité chute de 40 %
grâce à l’intervention. La mortalité par maladie coro-
narienne a chuté de 56 % (2,6 versus 5,9
pour 10 000 patients-années, p= 0,006), de 92 %
par diabète (0,4 versus 3,4 pour 10 000 patients-
années, p= 0,005) et de 60 % par cancer (5,5 versus
13,3 pour 10 000 patients-années, p< 0,001).
Comme l’on sait déjà que l’obésité est un facteur
favorisant certains cancers [5], il apparaît donc désor-
mais que la chirurgie de l’obésité participe à la pré-
vention du cancer.
Les méthodes chirurgicales
et leurs résultats
Deux grands principes thérapeutiques sont utilisés :
malabsorption et restriction gastrique. Actuellement,
deux grands types d’intervention sont réalisés :
les interventions visant à réduire la capacité gastri-
que : les gastroplasties (verticale calibrée) et surtout le
cerclage gastrique par anneau ;
les interventions associant à une restriction gastri-
que une dérivation intestinale (court-circuit gastrique,
dérivation bilio-pancréatique) qui entraîne un certain
degré de malabsorption.
Les interventions de restriction gastrique
Elles consistent à délimiter un « petit estomac » de 15 à
20 mL qui, en se remplissant rapidement, donne au
patient une sensation de satiété précoce qui empêche
les ingestions massives dont souffrent ces malades.
La gastroplastie verticale calibrée (GVC)
selon Mason est la plus ancienne
Principe : elle consiste à réaliser une petite poche
gastrique de 15 à 30 mL par une partition de l’estomac
à l’aide d’un agrafage vertical parallèle à la petite
courbure. Cette poche est reliée au reste de l’estomac
par un rétrécissement calibré à 11-12 mm par un
collier prothétique externe inextensible. La séparation
de la poche gastrique du reste de l’estomac par agra-
fage avec transsection a permis l’adaptation de la
technique à sa réalisation par voie cœlioscopique
(figure 2).
La GVC a une efficacité certaine sur la PEP : 40 à 50 %
à un an, avec une efficacité maximale à 12-18 mois. Les
résultats à long terme sont rares : un travail de la Mayo
Clinic [6] a récemment permis de suivre à 10 ans 71
patients après une GVC : avec seulement 26 % de PEP
supérieure à 50 %, 17 % ont du être réopérés. Cette
5
0
-5
-10
-15
-20
-25
Variation de poids (%)
Années de suivi
Nbre de sujets
Contrôle
Anneau
Gastroplastie verticale calibrée
Bypass gastrique
Contrôle
Anneau
Gastroplastie
verticale calibrée
Bypass
gastrique
627
156
451
34
585
150
438
34
594
154
438
34
587
153
438
34
577
149
429
33
563
150
417
32
542
147
412
32
535
144
401
29
627
156
451
34
-30
-35
-40
-45
0.0 0.5 1.0 2.0 3.0 4.0 6.0 8.0 10.0
Figure 1.Étude SOS [2] : perte de poids avec le temps comparant le groupe contrôle à trois interventions (anneau, GVC et bypass).
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étude est à l’origine d’un consensus américain qui pro-
pose d’abandonner cette intervention, maintenant que
bypass et sleeve gastrectomy sont utilisés en routine.
Le cerclage gastrique par anneau
N’ouvrant pas le tube digestif, procédure réversible et
ajustable, le cerclage gastrique est la technique restric-
tive la moins invasive (figure 3).
Principe : confection d’un bandage circulaire autour
de la partie haute de l’estomac au moyen d’un anneau
ajustable de silicone, délimitant un compartiment gas-
trique d’une contenance de 15 à 20 mL qui constitue le
petit estomac. La particularité de ce dispositif est d’être
réversible et ajustable : le diamètre intérieur de
l’anneau est modulé par un ballonnet extensible relié à
une chambre d’injection sous-cutanée placée sur la
face antérieure du muscle droit de l’abdomen. On peut
ainsi, après repérage radioscopique, ponctionner la
chambre et remplir d’eau stérile l’anneau par une
simple ponction, adaptant ainsi la vitesse de l’évacua-
tion du petit estomac de façon personnalisée.
La PEP globale est d’environ 50 % à 2 ans, stable à
long terme. Quatre-vingt pour cent des patients ont
perdu plus de 50 % de leur excès de poids en deux
ans, les 20 % d’échecs sont toujours dus à deux cau-
ses : non-respect des contraintes diététiques et absence
de surveillance.
Sécurité
Mortalité opératoire très faible (2/2807, soit 0,07 %
par l’étude de l’Anaes [7].
Figure 2.Gastroplastie verticale calibrée (GVC) selon Mason
Mc Lean.
Figure 3.Cerclage gastrique par anneau.
Figure 4.Sleeve gastrectomy.
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Morbidité
Le taux de complications global est de l’ordre de 10 %,
et celles-ci sont essentiellement bénignes. Les complica-
tions graves sont la perforation gastrique (0,3 à 1 %).
Le glissement d’anneau est la complication tardive la
plus fréquente : avant 2000, les anneaux étaient pla-
cés au ras de la paroi gastrique et le taux de glissement
était monté jusqu’à 30 %. Ceci a conduit à une modi-
fication technique : l’anneau est maintenant posé par
la « pars flaccida » du petit épiploon, plus loin de
l’estomac, et le taux de glissement est tombé en dessous
de 4 % [8]. La migration intragastrique de l’anneau
(1 %) est due à une infection du dispositif ou des
serrages trop fréquents ou trop importants.
Les anneaux sont mis en place par voie cœlioscopique,
de même que la gastroplastie verticale calibrée dans
sa variation selon Mac Lean. Comme c’est la règle lors
de l’abord cœlioscopique et plus encore lorsqu’il s’agit
d’obèses chez lesquels les complications pariétales
sont fréquentes, la technique mini-invasive permet
d’améliorer le confort péri- et postopératoire. Ces tech-
niques de réduction gastrique sont donc moins invasi-
ves que les techniques de malabsorption : la sensation
de satiété précoce qu’elles entraînent aide les patients
à modifier leurs habitudes alimentaires, mais elles
peuvent entraîner un inconfort ou des vomissements en
cas d’erreur, certains aliments solides étant difficiles à
ingérer. D’autre part, elles ne fonctionnent pas lorsque
le patient compense par des aliments liquides ou semi-
liquides (en particulier sucrés, ce sont les patients
« sweat-eaters »). Ces techniques imposent une prépa-
ration diététique et un accompagnement pour aider les
patients à modifier leur comportement alimentaire.
La sleeve gastrectomy
Principe
Cette technique consiste à transformer la poche
gastrique en un long tube étroit calibré le long de la
petite courbure gastrique, à partir de l’angle (figure 4).
La totalité de l’antre gastrique est préservée pour la
vidange. Cette technique est basée sur la notion de
« Magenstrasse », ou voie gastrique, également à l’ori-
gine de la gastroplastie verticale calibrée selon
Mason. Le tube gastrique étroit donne une sensation de
satiété précoce dès qu’il est rempli.
Complications
Il s’agit d’un agrafage de toute la longueur de
l’estomac vertical, soit plus de 20 cm. Il a été décrit des
hémorragies sur les rangées d’agrafes, ou des fistules
dont le traitement peut être difficile en raison de l’étroi-
tesse du tube.
Efficacité
À 1 an, la sleeve gastrectomy donne une PEP de
l’ordre de 40 %. Il semble ne pas y avoir trop de
dilatation du tube gastrique après trois ans, mais il y a
encore peu de publications sur le sujet.
Indications
Il s’agit de la seule technique de restriction gastri-
que qui soit irréversible puisque la poche gastrique est
enlevée. Son avantage est qu’elle est efficace seule,
mais peut aussi être facilement convertie en bypass.
Pour certains la sleeve gastrectomy pourrait rempla-
cer l’anneau et être la première intervention contre
l’obésité. Soit elle fonctionne seule, soit en cas d’échec
elle peut être transformée en bypass un an après.
L’inconvénient de cette attitude est que, en termes
de complications, la sleeve est équivalente à une
ouverture du tube digestif et donne des complications
potentiellement plus graves que l’anneau (hémorra-
gies, fistules, péritonite).
Nous pensons plutôt qu’il faut la réserver aux situa-
tions graves : les patients ayant un IMC > 60 kg/m
2
lorsque le bypass n’est pas réalisable dans un premier
temps (trop de graisse épiploïque, gros foie stéatosi-
que). On effectue dans un premier temps une sleeve et
le patient est réévalué un an après. Soit il a bien perdu
et la sleeve suffit, soit il reste en situation de danger
(IMC > 35 kg/m
2
) et on peut alors convertir en bypass
un an après, à un moment où l’intervention devient plus
facile grâce à la perte de poids.
Les interventions mixtes
Elles associent une réduction de la capacité gastrique à
une dérivation intestinale, soit gastrique, soit bilio-
pancréatique.
Le court-circuit gastrique
ou bypass gastrique
Principe
Il s’agit de la création d’une poche gastrique associée
à une dérivation intestinale et bilio-pancréatique par la
réalisation d’une anse en Y plus ou moins longue
(figure 5). La poche gastrique est réalisée le long de la
petite courbure par agrafage, déconnectée du reste de
l’estomac. L’anse en Y est anastomosée d’une part à la
poche gastrique, de l’autre au grêle transportant les
sécrétions bilio-pancréatiques à 40 à 70 cm de l’angle
duodéno-jéjunal. La longueur de l’anse alimentaire est
de 1,5 mètre environ.
Efficacité
PEPde60à70%àunan,stable avec le temps.
Sécurité
Ces courts-circuits constituent un bouleversement de
l’architecture digestive et imposent une ouverture du
tube digestif au niveau des deux anastomoses. Elles
sont donc plus longues et plus délicates à réaliser que
les techniques de réduction gastrique.
La mortalité précoce est estimée par le rapport de
l’Anaes à 0,5 %. Les complications postopératoires
(5 %) sont marquées par le risque d’abcès profond
(1,5 %) ou de fistule digestive (2,2 %). À distance, il
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persiste un risque de sténose de l’anastomose gastro-
jéjunale (3,7 %), d’ulcère anastomotique (3,5 %), qui
peuvent globalement conduire à un taux de réinterven-
tion variable (entre 1,4 et 18,6 %). On peut observer
des complications fonctionnelles à type de diarrhée
et/ou dumping syndrome et parfois des carences en
fer, vitamine B12 et folates qu’il faut savoir prévenir.
Le Roux-en-Y gastric bypass a récemment été adapté à
la laparoscopie avec les mêmes résultats et moins de
complications pariétales (éventration).
La diversion bilio-pancréatique
La diversion bilio-pancréatique (DBP) est une technique
malabsorptive (figure 6) : elle associe une gastrecto-
mie distale, une section de l’iléon à 2,5 mètres de la
valve iléo-cæcale avec anastomose du segment distal à
l’estomac restant (= anse alimentaire) et suture du seg-
ment proximal (= anse bilio-pancréatique) à l’iléon
terminal à 50 cm de la valve iléo-cæcale.
Avec duodenal switch, elle est destinée à éviter les
ulcères anastomotiques : l’estomac est tubulisé vertica-
lement pour supprimer la poche formée par la grande
courbure du cardia au pylore (c’est une sleeve gastrec-
tomy ou gastrectomie en manchette). Le duodénum est
sectionné 4 cm après le pylore, le moignon duodénal
est suturé, la même anse alimentaire que pour le BPD
est anastomosée au duodénum proximal et l’anse bilio-
pancréatique est anastomosée à l’iléon 1 mètre en
amont de la valve iléo-cæcale.
Souvent pratiquée chez des patients très atteints
(IMC > 60 kg/m2), la mortalité en est de 2 %. Les
complications postopératoires spécifiques sont surtout
des fistules anastomotiques, à distance le principal
risque est celui de carences, en particulier hypoalbu-
minémie en raison de la courte longueur de l’anse
commune.
La PEP est la plus importante : 75 à 80 % à 2 ans,
stable avec le temps avec un succès chez 90 % des
patients à 10 ans. La sleeve gastrectomy permet de
perdre 40 % de l’excès de poids en un an : chez des
patients gravement atteints (IMC > 60), elle permet
ainsi de passer le cap difficile par une intervention
moins longue. Un an après, la décision sera prise soit
d’en rester là si la PEP est satisfaisante soit de faire,
dans de meilleures conditions chirurgicales et anesthé-
siques le deuxième temps du bypass ou de la dériva-
tion bilio-pancréatique : c’est la stratégie dite « en
deux temps » (tableau 1).
Le ballon intragastrique
Cette technique, encore en cours d’évaluation, consiste
à placer dans l’estomac sans anesthésie un ballon
gonflé à 600 cc qui donne au patient l’impression de
sortir de table en permanence. Le ballon doit être
1
2
4
3
5
Figure 5.Bypass gastro-jéjunal.
Common
Channel
Digestive
Juice
Limb
Gastrectomy
Food
Limb
60-80cc
Gastric
Tube
Figure 6.Dérivation bilio-pancréatique avec sleeve gastrectomy.
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