11 Forum Panafricain sur la modernisation des services publics et

publicité
Royaume du Maroc
Ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration
Centre Africain de Formation et de Recherche
Administratives pour le Développement
Fondation pour le renforcement des capacités
en Afrique
11ème Forum Panafricain sur la modernisation des
services publics et des institutions de l’Etat
Thème : « La gouvernance publique responsable et son rôle dans le
renforcement et la consolidation de l’Etat de droit en Afrique »
organisé en marge de la 53ème Session du
Conseil d’Administration du CAFRAD
LA NOTION DE GOUVERNANCE RESPONSABLE ET LE RÔLE DES
ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ET DE LA REFORME DANS
L’ACCOMPAGENEMENT DES DYNAMIQUES DE CONSTRUCTION ET
D’ENRACINEMENT DE L’ETAT DE DROIT
Présenté par :
Marcelin NGUELE ABADA,
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur Titulaire des Universités
Chef de Département de Droit Public Comparé
Université de Yaoundé II
Conseiller du Premier Ministre du Cameroun
12-13 Octobre 2015
Marrakech (Maroc)
1
INTRODUCTION
Le tournant des années 1990 en Afrique a fait fleurir une batterie de
concepts et de techniques économiques, politiques, stratégiques et juridiques
qui ont sans doute témoigné de l’agiornamento que connaissait alors le
continent. Cette espèce de « retournement du monde »1 que vivait ainsi
l’Afrique était d’ailleurs l’un des parangons de ce que le monde entier qualifiait
de « vents d’Est ». Il s’agissait en effet de désigner ce mouvement de
libéralisation d’ampleur qui démarrait avec les convulsions d’une URSS se
démembrant après avoir accepté bon an ou mal an sa défaite stratégique face
aux Etats-Unis d’Amérique.
C’est dans ce contexte que les Etats africains vont progressivement
adhérer aux principes de la démocratie, après le tocsin que fut le discours de
La Baule en France. Dans une allocution devenue proverbiale, en effet, le
Président Mitterrand ouvrait un cycle nouveau de la conditionnalité dans la
Coopération internationale.2
Au rang de ces conditions d’accès à l’aide publique internationale vont
émerger des notions qui ont fait florès aujourd’hui à savoir la gouvernance, la
démocratie et l’Etat de droit. Les institutions de Bretton Woods qui en ont fait
des critères majeurs d’évaluation de la santé économique et financière des
Etats, utilisent fréquemment le concept de bonne gouvernance. Pour ces
bailleurs de fonds, la bonne gouvernance est un ensemble d’exigences d’une
bonne administration publique qu’on impose à des pays soumis à des
Programmes d’Ajustement Structurel (PAS). On y range la lutte contre la
corruption, l’accélération du processus de démocratisation, ainsi que la
libéralisation des services publics.
L’impact social de la mise en œuvre des pas a été si déstructurant pour
les jeunes sociétés politiques d’Afrique, que l’on a tôt fait de commencer à
suspecter, à critiquer, voire à rejeter la notion de gouvernance qui se voyait
ainsi frappée d’une sorte de« malédiction conceptuelle »3. La bonne
gouvernance finissait par perdre son lustre, son caractère de « label de
modernité propice à la recomposition de l’Etat »4. Partout sur le continent, il y
a pourtant eu un appel à plus de démocratie et à l’instauration de l’Etat de
1
Lire Bertrand BADIE et Marie Claire SMOUTS, Le retournement du monde, Paris, Presses de sciences- po,
1992.
2
Lire La conditionnalité dans la coopération internationale, Actes du colloque organisé en 2004 par l’université
de Bergamo, l’Université de Yaoundé II et la Chaire UNESCO pour les droits de l’homme et l’éthique de la
coopération internationale en 2004.
3
Expression employée par Jean NJOYA dans une étude sur les minorités pour en parler comme une notion
problématique dans sa conception initiale. Voir Jean NJOYA, « La constitutionnalisation des droits des minorités
au Cameroun : usages du droit et phobie du séparatisme », in Juridis Périodique, n°37, 1999, pp. 37-49.
4
Jacques Chevallier, L’Etat de droit, PUF 1992.
2
droit.5 Pourtant, l’on aurait pu imaginer une sorte d’inculturation, d’assomption
de la notion de gouvernance qui, avec sa logique d’ « accountability » était
porteuse d’espoirs dans un contexte de fin du monolithisme et de montée en
régime des pouvoirs de progrès.
En tout état de cause la gouvernance devrait être revisitée. Elle a même
été renouvelée. Ce renouveau se traduit aujourd’hui par la nouvelle
désignation de « gouvernance responsable », qui est d’ailleurs la pierre
angulaire de ce forum qui nous réunit, autour d’une problématique Centrale,
qui est celle de savoir comment la gouvernance responsable peut conduire
l’agir de l’Etat et contribuer ainsi à l’épanouissement de l’Etat de droit en
Afrique. Il convient d’emblée de remarquer que la gouvernance responsable
est appelée à irriguer le système politico administratif de l’Etat. Or, c’est à
l’aune des principes de l’Etat de droit que l’administration publique, qui en est
de bras séculier doit fonctionner.
D’ailleurs, cette administration, ne constitue-t-elle pas le lieu idoine
d’expression et de réalisation de l’Etat de droit Voilà pourquoi il est sans doute
opportun d’interroger afin d’en découvrir le sens, la corrélation entre la notion
de gouvernance responsable et le rôle des administrations publiques et de la
réforme dans l’accompagnement des dynamiques de construction et
d’enracinement de l’Etat de droit.
Le constat que l’on peut effectuer est a priori un lieu commun, à savoir
que l’administration a un rôle à jouer dans le processus de construction de
l’Etat de droit. Mais il faudrait aller plus loin pour s’interroger sur les
corrélations entre gouvernance responsable et rôle des administrations
lorsqu’elles sont engagées dans l’œuvre de construction d’un Etat de droit.
En effet, autant l’on peut chercher comment les administrations
publiques et de réforme intègrent les principes de gouvernance qui influencent
certainement leur nature et leur fonctionnement, autant l’on doit ausculter la
réception et la signification par les administrations publiques et de réforme de
la notion de gouvernance responsable. D’autre part, la notion de gouvernance
responsable s’enrichit et démontre son opérationnalité lorsqu’elle est intégrée
dans le système de l’administration publique. A l’analyse, il y a une
bonification du rôle des administrations publiques par l’inclusion de la
Gouvernance responsable dans la construction de l’Etat de droit, tout autant
que les administrations publiques effectuent une promotion de la Gouvernance
Responsable.
Pour davantage affiner la compréhension de notre questionnement, il
importe de relever trois considérations complémentaires :
5
Voir Alain MORAND, Réflexions sur l’introduction de l’Etat de droit en Afrique noire francophone, Revue
internationale de droit comparé, 1991, vol 43, pp. 853-878.
3
D’abord, sur la compréhension et la perception de l’originalité de la
gouvernance responsable pour souligner qu’il faudrait peut-être souligner en
premier lieu que la gouvernance est « l’art d’organiser et d’orienter l’exercice
du pouvoir »6. En deuxième lieu, la bonne gouvernance est « la manière dont
le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économique et sociales
d’un pays en vue de son développement »7, elle équivaut souvent « au bon
fonctionnement de l’Etat assimilé à la bonne gestion technique des ressources
publiques »8. En dépit de la batterie d’exigences qu’elle implique, elle lie
légitimité et efficacité. Transformée en formule générique, « la bonne
gouvernance est devenue un substitut du bon gouvernement »9. Cette
conception relève des stratégies de la Banque Mondiale.
En troisième lieu, la gouvernance responsable vise à concilier l’autorité et la
légitimité de l’Etat en vue de le rendre plus efficace mais dans le respect du
droit et des droits.
Cette conception est plus défendue par les institutions internationales
comme le PNUD. Cette Institution postule en effet que, dans une société régie
par la bonne gouvernance, « les droits de l’homme et les libertés
fondamentales sont respectés, ce qui permet à chacun de vivre dans la
dignité ; les individus ont leur mot à dire sur les décisions qui affectent leur
vie ; les citoyens sont à même de demander des comptes aux décideurs, la
vie en société est gouvernée par des pratiques, des institutions et des règles
équitables et applicables à tous ; les femmes sont égales des hommes dans
les sphères publique et privée de la vie ; les individus échappent aux
discriminations négatives ; l’action publique d’aujourd’hui tient compte des
besoins des générations futures ; les politiques économiques et sociales
s’attachent à répondre aux besoins et aspirations des individus ; les décisions
économiques et sociales visent à éradiquer la pauvreté et à élargir les choix
accessibles à tous »10.
Mais parler de la gouvernance responsable amène à s’interroger :
La gouvernance responsable ne serait-elle pas le trait d’union entre la
gouvernance politique qui se réfère au système politique pratiqué et concerne
la manière dont les autorités sont choisies et remplacées et dont les
institutions fonctionnent ; la gouvernance administrative qui concerne le
système de gestion et de fonctionnement de l’administration publique et la
gouvernance économique et des entreprises qui fait référence à l’ensemble
des systèmes, procédures et organisations impliqués dans la régulation de
6
Mathias Eric Owona Nguini, « Un regard sur la gouvernance au Cameroun et ses contours politiques, juridiques et
managériaux », enjeux n°47-48 novembre 2012, p.75.
7
8
9
Lire Rapport Banque Mondiale 1992.
Bonnie Campbell, « La gouvernance, une notion éminemment politique ».
Daniel Mockle, La gouvernance, Le droit et L’Etat, BRUYLANT Bruxelles, 2007, p.253.
10
PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2002, chapitre2 : « La gouvernance démocratique au service du
développement humain », pp.51-61.
4
l’économie, la production et la redistribution des richesses, ainsi que dans la
gestion des ressources de l’économie pour un développement soutenable à
long terme. Elle intègre les institutions qui ont trait à la création, la protection
et l’exercice des droits de propriété sans lesquels la portée de l’activité
économique serait limitée ?
Serait-elle tout simplement l’expression du souci d’élaborer une stratégie qui
allie le respect des droits de l’homme et l’efficacité dans le développement ?
Ensuite, sur la possibilité de rendre plus accessible notre
hypothèse de travail, il faut relever que la gouvernance responsable
redéfinit le rapport des citoyens à la puissance publique à travers la
réconciliation de l’autorité et de la légitimité de l’Etat. Elle transforme la
relation administré-administration par la recherche d’un équilibre entre le
respect du droit et la quête de performance des organisations publiques. Elle
favoriserait donc la combinaison complexe des paradigmes passés : la bonne
gouvernance (administrative, économique et politique), l’Etat de droit et l’Etat
performant. Or, « si une autre façon de gouverner devient manifeste,
une autre figure de l’Etat émerge graduellement »11. Avec la
gouvernance responsable « l’Etat (post moderne) garde la forme et les
attributs d’un Etat, mais sa logique de fonctionnement se trouve
désormais profondément modifiée »12. Cette modification interpelle les
organisations publiques tant dans leur organisation que dans leur
fonctionnement en vue de l’accomplissement de leurs missions.
Enfin, il y a lieu de souligner que les administrations publiques ont un rôle
majeur à jouer dans le processus de construction de l’Etat de droit en Afrique.
Au regard des principes qui caractérise la notion de gouvernance responsable,
à ce rôle sera accru par l’implication de cette forme de gouvernance.
Il en résulte sous ce rapport que cet apport touche non seulement les pivots
de l’Etat moderne, mais également son action au quotidien.
I - La gouvernance responsable, vecteur de rationalisation de l’ordre
juridique : le réaménagement de l’autorité de l’Etat et le
rehaussement de la primauté du droit par les administrations
publiques.
L’Etat de droit implique en effet une certaine conception des rapports
entre l’individu et l’Etat, qui sous-tend tout l’édifice juridique. Non seulement la
puissance de l’Etat trouve ses limites dans les droits fondamentaux reconnus
aux individus, ce qui crée ainsi la possibilité d’une opposition au pouvoir
fondée sur le droit, mais encore elle a pour finalité même, pour justification
ultime, la garantie de ces droits. L’Etat de droit repose enfin de compte sur
11
12
Daniel Mockle, La gouvernance, Le droit et L’Etat, BRUYLANT Bruxelles, 2007, p.244.
Jacques Chevallier, L’Etat post-moderne, Paris, LGDJ, E.J.A., 2003, p.212.
5
l’affirmation de la primauté de l’individu dans l’organisation sociale et politique,
ce qui entraîne à la fois l’instrumentalisation de l’Etat dont le but est d servir
les libertés, et la subjectivisation du droit qui dote chacun d’un statut, lui
attribue un pouvoir d’exigibilité et lui confère une capacité d’action13. Dans
cette perspective, la question qui se pose est de savoir comment
l’administration s’emploie-t-elle dans le cadre de la gouvernance responsable à
rendre effectif l’idéal d’Etat de droit ?
L’Etat moderne aux plans constitutionnel et politique repose sur un tandem
que la gouvernance responsable contribue à mettre mieux en lumière. Il s’agit
de l’autorité (A) et de la légitimité(B).
A – Une meilleure assise du cadre juridique
renforcement subséquent de l’autorité de l’Etat.
par
un
L’autorité de l’Etat repose sur une assise juridique que l’on consolide bien avec
l’intégration du principe de gouvernance responsable. L’effet recherché étant
alors de renforcer la sécurité juridique dans l’Etat.
1- Une meilleure assise du cadre juridique favorisé par un ordre
constitutionnel stable et cohérent.
Il ne faut surtout pas considérer que les appels à la soumission de l’Etat au
droit signifient la fin de l’autorité de l’Etat. Si l’Etat est appelé à se soumettre
au droit, ce n’est point pour altérer sa capacité à coordonner, orienter, diriger
et au besoin à sanctionner les écarts de comportement par rapport aux
normes. Si l’autorité se traduit par la soumission à celui qui a le pouvoir de
commander14, cela ne se fait que selon des règles juridiques auxquelles tous
se soumettent y compris les dirigeants. Cela rappelle les propos d’un auteur
pour qui « L’Etat est nécessaire en tant que pouvoir qui sanctionne, organise
et exécute, à la fois parce qu’il faut faire respecter les droits, parce que la
Communauté juridique a besoin d’une force qui stabilise son identité »15.
Dans l’Etat moderne, cette autorité renvoie aux trois fonctions
régaliennes qui sont de légiférer, d’exécuter les lois et de trancher les litiges
(6) par rapport au droit. C’est ici qu’apparait bien l’idée selon laquelle le droit
est « un ordre de la conduite humaine ainsi qu’un ordre de contrainte
sociale »16. En effet, les normes que secrète l’ordre juridique orientent les
comportements des êtres humains. Egalement, le droit est un ordre de
contrainte sociale en ce qu’il permet la production d’une réaction
13
Jacques Chevallier, « L’Etat de droit », RDP, 1998, pp.313-380.
ème
Voir Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 8 édition, 2004, p. 34.
15
Voir Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, p. 152.
16
Hans KELSEN, Théorie Pure du droit, Paris, Dalloz, 1969.
14
6
d’improbation et de sanction face à un comportement qui est socialement
nuisible.17 Il y a donc une collectivité juridique qui est le destinataire des
normes produits par l’Etat. Cette posture est d’autant plus justifiée que la
gouvernance responsable est sous-tendue par un cadre juridique et
règlementaire précis qui est à même de produire de la transformation dans les
comportements des membres de la société.
On s’aperçoit ainsi que dans l’activité de « fabrique du droit »18,
l’administration œuvre à la réalisation de la sécurité juridique si importante
dans l’Etat de droit. Il est donc important que par la codification, qui est aussi
un travail de synthèse de la règle en vigueur, l’intelligibilité et l’accessibilité de
la norme soient réalisées. La mise en cohérence des divers textes épars, leur
clarification, ainsi que la correction du manquement à la hiérarchie des normes
juridiques participent de la consolidation de l’Etat de droit.19
La gouvernance responsable a donc un soubassement juridique
incontournable, à savoir le respect de la règle de droit édictée par l’Etat avec
la possibilité de sanction en cas de non-respect de celle-ci. On sait en effet
que l’obéissance est l’une des deux vertus essentielles du citoyen. Elle garantit
en effet un ordre propice à la vie dans la société.
En récapitulant, on peut systématiser deux aspects complémentaires à savoir
une hiérarchie des normes et constitutionnalisation des droits fondamentaux
d’une part et une séparation des pouvoirs : une garantie contre l’arbitraire
d’autre part.
a – Hiérarchie des normes et constitutionnalisation des droits
fondamentaux
- la soumission des administrations publiques aux principes de
constitutionnalité, de conventionalité et de légalité
- « un droit, c’est un pouvoir », Carré de Malberg.
b- séparation des pouvoirs : une garantie contre l’arbitraire
- séparation horizontale des pouvoirs ;
- séparation verticale des pouvoirs.
17
Il est en effet constant que la sanction est un élément cardinal de la définition de la règle juridique.
Lire Marcelin NGUELE ABADA, « La fabrique du droit par les cabinets ministériels », in Rossatanga-Rignault
Guy (dir), Libreville, éditions Raponda Walker, 2014.
19
ème
Lire le 13 rapport annuel de la Commission supérieure de codification en France de 2002. Consultable in
www.ladocumentationfrançaise.fr
18
7
2- Une sécurité juridique garantie et consolidée par le rôle des
administrations.
La sécurité juridique est une notion qui n’est pas marquée par la
simplicité. Elle est plurielle et même relative. Tout dépend en effet du point
d’optique à partir duquel on l’envisage.20Elle peut renvoyer dans une première
acception à la hiérarchie des normes juridiques. Le fait en effet que les
normes se tiennent dans une sorte de système ordonnancé et cohérent est
rassurant pour le citoyen. Quand ce sont uniquement les normes qui guident
l’agir administratif, l’usager est épargné de l’arbitraire et est protégé dans ses
droits par le système de normes existant ab initio.
Cette hiérarchie des normes juridiques suppose en effet un système de
normes qui se tiennent dans une logique de superposition où les normes
inférieures tiennent leur validité des normes supérieures de manière à arriver
de façon ultime jusqu’à la norme fondamentale. Dans cette logique qualifiée
« d’Etat de droit formel », les administrations publiques et de réforme ne
fonctionnent qu’avec la boussole de la règle de droit qui devient pour ainsi dire
le titre de validité des agissements à la fois des fonctionnaires et des usagers
du service public.
La sécurité juridique traduit également la prévisibilité ou encore la
« calculabilité » des mesures ou comportement à venir que la puissance
publique pourrait être appelée à adopter. Cette considération renvoie
notamment aux principes de légalité, de non rétroactivité, de confiance
légitime.21 Mises ensemble, la hiérarchie des normes juridiques et
la
prévisibilité renforcent l’idée selon laquelle il doit y avoir une lisibilité de
l’action administrative, qui est de ce fait entourée de garanties de conformité à
des normes connues de tous.
Malgré cette importance accordée à l’autorité de l’Etat, la légitimité doit
également être prise en compte pour que l’on n’altère pas la liberté
indispensable dans l’Etat de droit. Deux éléments pourraient nourrir cette
perspective.
a – Une garantie contre les incertitudes du droit objectif
Pour la doctrine, la notion d’Etat de droit porte le sens d’un corps de principes
et de valeurs qui, ensemble, donnent de la stabilité et de la cohérence à
l’ordre juridique. Ainsi, les textes de droit doivent :
20
Voir Sylvia CALMES, Du principe de protection de la confiance légitime en droit allemand, communautaire et
français, Paris, Dalloz, 2001.
21
Voir C.C. Décision 99-421 du 16 décembre 1999 où le juge constitutionnel français avait établi que
l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi constituent un « objectif de valeur constitutionnelle ». Voir
www.conseilconstitutionnel.fr
8
-
être de portée générale ;
être promulgués ;
être de caractère suffisamment prospectif pour guider les
comportements ;
être clairs et intelligibles ;
être sans contradiction interne ;
avoir une durée suffisamment constante pour permettre aux citoyens
d’ordonner leurs affaires ;
doivent ne pas exiger l’impossible ;
doivent être administrés d’une manière conforme à leur portée.
D’après John Bell, « ces huit règles imposent des conditions de forme
qui donnent au citoyen une possibilité sérieuse de se conformer aux règles de
droit. De cette façon, une situation équitable s’établit où il est à l’abri de
l’exercice d’un pouvoir arbitraire de l’administration. L’Etat respecte ainsi le
caractère rationnel et autonome des citoyens, et leur permet d’exercer un
élément essentiel de la liberté : le choix d’action en pleine conséquences »22.
b – Les qualités particulières attendues du droit et le rôle des
administrations
La gouvernance responsable fait de la norme l’étalon de valeur pour les
conduites administratives effectives. A cause des préoccupations liées à la
gouvernance responsable qui innervent
leurs actions, les personnes
administratives se trouvent plus fortement assujetties aux exigences de
prévisibilité et d’accessibilité du droit23.
La Prévisibilité / calculabilité du droit : le rôle des administrations dans la
protection du principe de confiance légitime - motivation des décisions de rejet
ou décisions administratives individuelles défavorables – respect par
l’administration des règles générales de procédures et donc, des droit de la
défense)
L’accessibilité / intelligibilité du droit (Rôle des administrations fiscales –
doctrine fiscale -interprétation et explication de la loi fiscale pour une meilleure
compréhension - respect des droits des contribuables et assujettis)
22
John Bell, « Le règne du droit et le règne du juge, vers une interprétation substantielle de l’Etat de droit », in
L’Etat de droit, Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Dalloz, 1996, pp.18-19.
23
Norbert Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés, Emergence d’un concept en droit administratif français
e
e
du 19 au 20 siècle, Paris, Dalloz, 2003, p.502.
9
B – La construction de la légitimité de l’Etat
Il nous semble que la légitimité se construit autour de l’adhésion
citoyenne à un projet de société(1), qui est inséré dans le pacte républicain
(2)
1- Par l’adhésion des citoyens au projet de l’Etat
La légitimité, on le sait renvoie d’avantage à l’acceptation et à la
reconnaissance du droit de commander de ceux qui exercent le pouvoir dans
une société. De façon plus technique encore, la légitimité traduit la conformité
d’une institution à une norme supérieure juridique ou éthique, ressentie
comme fondamentale par la collectivité.24 C’est cette norme ultime, d’essence
éthique et psychologique qui fait accepter moralement et politiquement
l’autorité de cette institution.
La légitimité, qui n’est pas à confondre avec la légalité, qu’elle soit
légale rationnelle, traditionnelle ou de type charismatique, s’il faut reprendre la
distinction de Max WEBER, suppose l’acceptation des gouvernés de se mettre
sous la conduite des gouvernants en qui ils ont mis leur confiance.
La gouvernance responsable, par ce qu’elle induit la légitimité des
autorités et des agents de l’administration apporte donc à l’administration
cette adhésion des usagers et des citoyens dont elle a besoin justement dans
la construction de l’Etat de droit. Le citoyen va plus facilement ce soumettre
aux autorités qu’il s’est choisies en toute liberté dans le cadre des élections.
Par ricochet, l’administration issue des pouvoirs politiques de l’Etat se verra
auréolée d’un capital confiance, puisque les institutions sont ressenties comme
conformes à la volonté du peuple.
2- Par l’acceptation du Pacte républicain
C’est toute l’idée du contrat social ou du pacte républicain qui est ici
mise en lumière. Il s’ensuit alors comme une affinité élective entre
gouvernance responsable, l’Etat de droit et l’administration qui en est le bras
séculier. Dès lors on est en droit d’envisager que les administrations ont
l’obligation de répondre des erreurs d’une façon de faire qui est non conforme
à la confiance faite. Voilà pourquoi nous estimons que « l’Etat de droit est la
meilleure limite juridique de l’Etat »25.
Il semble que c’est là le fondement du contentieux administratif lié aux
usagers du service public quant à la manière de leur fournir des prestations.
24
Voir Madeleine GRAWITZ, Op Cit, P. 96.
Marcelin NGUELE ABADA, Etat de droit et démocratisation. Contribution à l’étude de l’évolution politique et
constitutionnelle du Cameroun, Thèse de droit public, Université de Paris I- Panthéon Sorbonne, 1995, P. 7.
25
10
C’est dans ce sillage que se situe heureusement, certes encore dans une
portion congrue, le contentieux lié à « l’obligation de délicatesse des agents
publics »26. Même si cette exigence du service public caractérisée par la
discrétion, la prévenance et les égards envers autrui, n’est encore limitée qu’à
quelques cas concernant l’appareil judiciaire, en France par exemple on peut
bien y apercevoir un écho de l’exigence fondamentale de traiter avec dignité
tout usager puisque « les hommes naissent libres et égaux en droits et en
devoirs ».27 Ne doit-on pas d’ailleurs lire dans une certaine mesure les trois
principes du service public dégagé par Rolland !
En outre, le contentieux de la responsabilité sans faute, tel qu’il s’est
développé depuis l’arrêt Regnaut-Desroziers du Conseil d’Etat ou encore
société la Fleurette28 et qui marque bien le fondement de la responsabilité
sans faute sur la base de la rupture d’égalité devant les charges publiques, du
fait des lois, témoigne bien de ce que la confiance donnée à l’Etat peut seule
suffire à lui exiger des prestations de qualité : ce qui rentre bel et bien dans la
notion de gouvernance responsable.
L’Etat moderne ou postmoderne a donc posé pour piliers
indéboulonnables l’autorité qui permet de rendre compte de la solidité de ses
institutions et de la légitimité qui est l’autre pendant de la liberté des
gouvernés de choisir des gouvernants auxquels ils obéiront plus
spontanément. Tous ces apports ont partie liée avec la gouvernance
responsable qui se trouve d’ailleurs aux confins de l’Etat lorsqu’il est en action.
Au surplus et à défaut de pouvoir s’abstenir de toute atteinte aux
libertés fondamentales, les Etats doivent organiser l’indemnisation de ceux
dont les droits ont été violés en favorisant l’accès au juge.
3- Par la qualité de l’offre de Service public
a– Le lustre des conditions classiques d’adhésion des citoyens
au projet de l’Etat
– Le libre choix des gouvernants : le droit à la démocratie et la
revitalisation des droits liés à la participation politique – la
décentralisation
- gouvernance responsable et dé-présidentialisation des régimes
africains
26
27
Article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
Voir C.E. 28 mars 1919 ; C.E. Ass, 14 janvier 1938, Société La Fleurette, in Frédéric COLIN, L’essentiel de la
jurisprudence administrative, Paris, Gualiano, 2009, pp. 184 – 185.
28
11
b– La performance des
contemporain de légitimité
organisations
publiques,
critère
La Charte africaine sur les valeurs et principes du service public et de
l’administration en son article 3 relatif aux Principes indique clairement que :
-
Les Etats membres s’engagent à mettre en œuvre la charte
conformément aux principes suivants : Principe 9. L’usage effectif,
efficace et responsable des ressources. L’Article 7 du même texte
renseigne que « les prestations de service public doivent être offertes
de la manière la plus effective, efficace et économique et être de
meilleure qualité possible. L’Administration publique doit mettre en place
des mécanismes appropriés de suivi et d’évaluation périodique de
l’efficacité des prestations du service public ».
L’impératif catégorique de gestion rentable et efficace : la primauté de
l’efficacité et de l’efficience dans la gestion contemporaine. La performance,
une exigence « élevée dans les sociétés contemporaines à la hauteur d’un
véritable dogme »29. « Partout de par le monde, des constats, aux mieux, de
rigidité et de lenteur, et, au pire, d’inefficacité et d’inefficience dans l’usage
des deniers publics sont reprochés à l’Etat »30. Et, « c’est par un manquement
allégué d’efficacité et d’efficience, partant d’économie (…) qu’on juge
aujourd’hui l’Etat et l’ensemble de la sphère publique » 31. De ce fait, la
légitimité de l’Etat tient désormais à sa capacité de décrire ce qu’il fait, avec
quels moyens et dans quel but et surtout à son aptitude à ‘‘faire plus et mieux
avec moins’’.C’est-à-dire, utiliser adroitement et judicieusement les ressources
mises à sa disposition. Ce qui est attendu désormais, c’est « un mode de
gouvernance publique justifiant les attentes des contribuables en matière
d’efficacité et d’efficience dans le service public rendu »32.
En fait, pour la doctrine, l’Etat aujourd’hui « ne conserve sa légitimité et
sa prééminence que dans la mesure où il est performant »33. Or, « une fois
admis le fait que l’Etat ne peut dissocier totalement la légitimité de son
intervention des questions relatives à son efficacité même »34 et que, « la
légitimité comme l’efficacité de l’intervention de l’Etat exigent désormais, de
29
Jacques Chevallier « Rapport de synthèse », in Performance et droit administratif, sous la dir. de Nathalie Albert, Actes
du Colloque organisé par le Laboratoire d’Etudes des Réformes Administratives et de la Décentralisation (LERAD), les 29 et
30 janvier 2009, LexisNexis Litec, 2010, pp.293-305, spéc.p.305.
30
Bachir Mazouz et Jean Leclerc avec la collaboration de Marcel J.B. Tardif, La gestion intégrée par résultats, concevoir et
gérer autrement la performance dans l’administration publique, Préface de Pierre Roy, Presses de l’Université du Québec,
2010, p.5.
31
Bachir Mazouz et Jean Leclerc, op.cit., p.8.
32
Lire Bachir Mazouz et Jean Leclerc, La gestion intégrée par résultats p.134.
33
Allen Schick, L’Etat performant, op.cit., p.81.
34
Didier Migaud, Préface de Gestion publique, l’Etat et la performance, p.13.
12
façon urgente, d’améliorer la productivité et la qualité des services publics »35,
« il est indéniable que le souci de la performance publique impose, dans une
époque comme la nôtre, de revoir certains instruments traditionnels de l’action
publique administrative »36.
Une exigence tempérée par l’éthique
- l’éthique une composante de l’Etat de droit
- l’éthique un frein à la recherche débridée de l’efficacité (Voir Jacques Le
Mouël, Critique de l’efficacité. Pour lui, l’efficacité ne saurait être « la
mesure de toute chose ». C’est dans ce sens qu’il fustige ‘‘le sophisme
du management’’, à savoir : « ce qui est efficace est vrai. Or, ce qui est
vrai est juste. Donc, ce qui est efficace est juste37.
4- Les implications dans l’affermissement de l’Etat de droit
L’action des pouvoirs publics ne trouve plus en elle-même sa raison d’être.
Elle tournée vers les usagers.
a– Le renforcement qualitatif de l’action de l’Etat et le rôle de
l’administration dans le renforcement de l’Etat de droit.
- Le droit à une bonne administration et à la qualité du service
public : une créance pour le citoyen vis-à-vis de l’administration.
Il faut comprendre ici que la bonne administration constitue un standard dont
découlent différents droit que les individus peuvent faire valoir contre
l’administration : le droit de voir ses affaires traitées impartialement,
équitablement et dans un délai raisonnable ; le droit d’être entendue avant
d’être affecté par une mesure individuelle défavorable, le droit d’accès à son
propre dossier et aux informations administratives, le droit à la réparation
pour les dommages causés par les actions des personnes publiques, le droit de
s’adresser à l’administration dans une des langues officielles et de recevoir la
réponse dans la même langue…38
Il ya aussi, le souci de satisfaction des citoyens bénéficiaires, une mesure de
confiance – La prolifération des Programmes d’Appui à l’Amélioration de la
qualité des Services rendus aux Usagers des Services Publics / La prolifération
des Guides des usagers – La sanction des contre performances
35
F. Mordacq, La réforme de l’Etat par l’audit, p.28.
Didier Migaud, Préface de Gestion publique, l’Etat et la performance, op. cit., p.13.
37
Jacques Le Mouël, Critique de l’efficacité, Essai, Seuil, 1991, p.14.
38
Voir Olivier Dubois, « Performance, droit administratif et droits européens : transmutation », in Performance et droit
administratif, sous la dir. de Nathalie Albert, Actes du Colloque organisé par le Laboratoire d’Etudes des Réformes
Administratives et de la Décentralisation (LERAD), les 29 et 30 janvier 2009, LexisNexis Litec, 2010,p.46.
36
13
- La démocratisation des procédures administratives : la
déligitimation d’un droit administratif exorbitant. La mode des pratiques liées
à : la concertation, la consultation, les études d’impact, les enquêtes publiques
de satisfaction, participation au processus budgétaire la
consolidation du
droit citoyen de « suivre l’emploi de la contribution publique » et de
« demander compte à tout agent public de son administration».
b- Des obligations objectives pour les personnes publiques
La Charte africaine sur les valeurs et principes du service public et de
l’administration renseigne à suffisance sur cette question. Toutefois, on
pourrait rappeler deux exigences au demeurant complémentaires.
 la réorganisation du système de contrôle interne et l’évaluation de
l’action administrative : les normes de rendement.
 l’élaboration et l’appropriation des nouveaux outils de gouvernance
pouvant être regroupés en trois catégories :
- les outils liés à la performance : budget programme, cadre de dépenses
à moyen terme, feuilles de route ministérielles…
- les mesures de simplification et de raccourcissement des procédures
en faveur des citoyens et des usagers des administrations –mesures de
simplification et de raccourcissement des procédures en faveur des
entreprises, la codification etc.
- les outils liés à l’éthique : la charte éthique (Voir Viviane ONDOUA
BIWOLE, La budgétisation par programme en Afrique subsaharienne,
entre balbutiements et résistances, Edit. EBURNIE, Abidjan, Edit. CLE,
Yaoundé, 2015, 229 p. ; Joseph Kankeu, La réforme de l’Etat par la
performance, Presses Universitaires de la périphérie (PUP), mars 2012,
208 p.)
II – Un renforcement qualitatif de l’action de l’Etat
Avec la gouvernance responsable, l’Etat de droit qui guide le travail de
l’administration publique n’est plus perçu comme une simple notion
intéressante pour les débats politiques et constitutionnels des académiciens.
Le citoyen ordinaire la vit, puisque la qualité du service public auquel il a droit
apparait comme une créance certaine dont il dispose (A), ce d’autant plus que
les valeurs éthiques sont introduites dans l’implémentation des politiques
publiques (B).
A- La qualité du service public, une créance pour le citoyen vis-àvis de l’administration.
Il est question ici de l’obligation qui pèse sur l’Administration dès lors
qu’il est postulé que le Service public est sa raison d’être à titre principal.
14
1- L’Obligation de l’administration publique de répondre de ses
actes.
S’il est une notion que les juristes perçoivent comme liée
consubstantiellement à l’administration, c’est bien le service public. Celui-ci a
profondément influencé le droit administratif dans son évolution. C’est parce
que l’administration doit accomplir le service public qu’elle est soumise à un
droit dérogatoire du droit commun, qui est le droit administratif.
Dans l’arrêt Blanco, le tribunal des conflits viendra instaurer ce privilège
de juridiction qui a sa pierre d’attente dans l’article 13 de la loi des 16-24 août
1790 : « les juges ne pourront à peine de forfaiture, troubler de quelque
manière que ce soit les opérations les corps administratifs, ni citer devant eux
les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». Même si la solution de
l’arrêt Blanco s’est complexifiée plus tard39, il faut admettre que le service
public reste encore attaché solidement à l’administration, qui dans son sens
matériel renvoie à une fonction de l’Etat. De ce point de vue, l’administration
est une activité juridique au sens étroit, en sens que l’administration participe
à la législation en créant des normes conformément aux termes fixés par la
Constitution.
Cela signifie également que l’administration, doit se conformer au droit,
quand elle délivre le service public. Mais au surplus, il faut souligner que le
citoyen est à même de se fonder sur cette obligation du service public de
qualité pour demander à l’administration de répondre de son manquement à
cette exigence. On le voit très bien avec le contentieux de la gestion du
domaine public de l’Etat, où l’administration peut avoir à répondre d’un
mauvais entretien de la voie publique, qui vient à causer un accident
dommageable à un particulier.40 De même, la qualité du service public exige
qu’aucune discrimination, qu’elle soit direct ou indirecte ne vienne à rompre le
principe de l’égalité entre les citoyens ; ces derniers pouvant d’ailleurs s’en
prévaloir pour attraire l’Etat en justice.
2- La nécessité de protéger les droits fondamentaux des
citoyens.
S’il est une exigence incontournable dans un Etat de droit, c’est bien la
protection des droits fondamentaux de l’être humain. Les droits fondamentaux
constituent en effet cet irréductible humain qui fait la dignité de l’être
rationnel. Les droits et libertés fondamentaux constituent en effet, l’un de ces
piliers de l’arche sacrée que constitue l’Etat de droit. Qui est « à la fois esclave
39
40
Notamment parce que la seule présence du service public ne renvoie plus automatiquement à la Juridiction Administrative.
Voir arrêt Dame KIEFFER Marguerite au Cameroun
15
et protecteur des droits fondamentaux (qui) tire sa légitimité de son aptitude à
les développer et à s’y soumettre »41.
L’administration est donc appelée à jouer un rôle important dans la
garantie des droits et libertés, ainsi qu’on le voit notamment dans l’édiction
d’un certain nombre d’exigences, de prescriptions et d’interdiction. C’est ainsi
que le législateur a inscrit comme crime au Cameroun, les actes de
discriminations, parce qu’ils violent non seulement le droit fondamental à la
différence, mais aussi le droit à l’égalité de tous les citoyens dans l’Etat
républicain. On peut lire dans le Code Pénal camerounais : « Est puni d’un
emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amande de 5 000 à 500 000 f
CFA celui qui refuse à autrui l’accès dans les lieux ouverts au public, soit dans
les emplois en raison de sa race ou sa religion ».
Il en est de même de tous les principes de Rolland à l’instar de celui de
la continuité du service public, traduit aussi cette exigence de qualité pour que
les citoyens ne soient jamais privés du service public aux heures dues, en
raison de l’indisponibilité d’une autorité ou d’un agent. Voilà pourquoi les
techniques de délégation de pouvoir et de signature doit être systématisées
afin de répondre à cette obligation s’agissant de gratuité du service public, elle
témoigne bien que le service de l’administration ne se monnaye pas. Du coup,
l’on voit bien le lien entre gouvernance responsable et lutte contre la
corruption. La qualité du service public, renvoie donc à des considérations qui
ne sont pas étrangères à l’éthique.
B – La prise en compte de l’éthique dans l’action administrative
Un volet manquerait à cette réflexion s’il n’était pas évoqué : il s’agit de
l’éthique considéré à la fois comme une composante de l’Etat de droit et un
tempérament aux excès de la recherche de l’efficacité dans l’action
administrative.
1- L’éthique, une composante de l’Etat de droit
Alors que l’éthique avait été cartonnée aux considérations morales, la
gouvernance responsable l’en dégage pour la replacer dans le civisme
républicain. L’éthique est donc bien une composante de l’Etat de droit qui doit
alimenter l’action administrative. L’OCDE considère d’ailleurs à bon droit que
« éthique et intégrité sont des piliers de la gouvernance publique ». L’éthique
renvoie toutes ces considérations d’humanité, de loyauté, d’impartialité
d’honnêteté et d’intégrité qui doivent animer l’action administrative. A l’heure
où l’on parle de plus en plus de réforme dans les administrations publiques,
41
Adolphe MINKOA SHE, Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun, Paris, Economica, 1999, P. 2.
16
l’éthique est une composante de l’Etat de droit qu’il faut absolument intégrer
dans la recherche de la performance.
Celle-ci est en effet le leitmotiv de la nouvelle administration publique
projetée en Afrique. La performance dans le secteur public aujourd’hui induit
la recherche des résultats de façon à la fois efficace et efficiente. Dans cette
optique l’on va fixer des résultats quantitatifs et financiers comme critères de
performance. C’est donc par des évaluations in initineris, ainsi que par des
vérifications régulières que l’on va mesurer l’efficacité des actions des agents.
Le risque de cette nouvelle approche managériale est de privilégier les
résultats au point de négliger la dimension humaine de la relation avec
l’usager. L’introduction de l’éthique dans la gouvernance publique marque la
complémentarité des valeurs humaines, qui sont ces « considérations
d’humanité », empêchant qu’on en arrive à la ruine de l’âme. Les valeurs
éthiques sont ainsi de ce point de vue de véritables « boucliers face aux excès
des exigences de performance ».
2- L’éthique, un tempérament aux excès de la recherche de
l’efficacité
La mondialisation a fait entre autres notions, de l’efficacité ; l’une de ses
valeurs cardinales. Les critiques faites contre les administrations publiques en
Afrique en général, ont abouti à l’idée qu’elles doivent se tourner vers plus
d’efficacité. Les résultats quantitatifs et chiffrés doivent orienter la dynamique
d’une administration qui se doit de s’arrimer à la nouvelle donne néolibérale.
L’on a même voulu que désormais les administrations publiques fonctionnent à
la manière des entreprises. D’ailleurs, les logiques de réforme font appel à des
perspectives utilitaristes et ouvertement marchandes d’une administration, qui,
paradoxalement, doit encore travailler pour l’intérêt général.
Justement, et c’est là l’apport de la gouvernance responsable, la logique
du chiffre ne doit pas être le seul critère d’évaluation de l’efficacité de l’action
des administrations publiques et de réforme. Le pilotage par objectifs peut en
effet soulever la question de la pertinence de ses dispositifs et des systèmes
de gestion de ses outils.
L’éthique suppose aussi que des obligations comportementales liées à
l’exécution d’une fonction publique soient imposées aux agents de
l’administration. La gouvernance responsable rend donc concret, réaliste et
vérifiable l’intégration des principes de l’Etat de droit dans le fonctionnement
de l’administration. Etant entendu qu’on peut considérer la réforme comme un
processus de capitalisation par objectif des usages de l’administration on peut
étendre les actions de l’administration, considérant les avancées et les crises
17
comme des opportunistes à aller plus loin dans les corrections à effectuer
autour des comportements des agents.
C’est cette dimension éthique qu’apporte la gouvernance responsable
qui permettra certainement à nos administrations de tenir la dragée haute
face aux pressions économiques d’une mondialisation à laquelle on peine
encore à trouver un visage humain.42
Conclusion
En définitive, la notion de gouvernance responsable permet à
l’administration de rendre concrète celle de l’Etat de droit aux yeux des
citoyens et des usagers. L’Etat de droit qu’il soit formel ou substantiel parce
que renvoyant à la solidité des normes et des institutions, ainsi qu’à la
protection des droits et libertés, est mieux perçu par le citoyen lorsqu’il entre
en contact avec une administration responsable. La gouvernance responsable
participe donc de l’effectivité de l’Etat de droit dans les administrations
publiques et de réforme.
Nous avons traité de la corrélation entre la notion de gouvernance
responsable, l’administration et la construction de l’Etat de droit. Il s’avère
donc que les administrations doivent rendre compte de l’Etat de droit à
travers l’intégration du principe de gouvernance responsable. Cette réflexion a
soulevé de nombreuses questions qui traduisent la complexité de sa
problématique. Il y a en effet des aspects juridiques, institutionnels,
axiologiques et politiques qu’il convenait d’intégrer dans cette réflexion.
L’Etat de droit n’est donc plus seulement une valeur, une projection, mais
un principe, un ensemble de conduites que l’on peut vérifier dans l’action de
l’Etat. Les analyses effectuées ont permis de se rendre compte que la
« gouvernance responsable », si elle est nouvelle en termes de catégorie
discursive, était déjà présente dans les exigences introduites dans la
problématique de la réforme de l’Etat en Afrique depuis un certain temps.
Peut-être que son originalité viendra de sa réception et de son internalisation
dans les différents ordres juridiques et institutionnels.
De ce qui précède, il apparaît que la gouvernance responsable impose
toujours des défis à relever pour l’Afrique
42
Voir Jacques – Yvan MORIN, « La mondialisation, l’éthique et le droit », in Daniel MCKLE (Dir), Mondialisation
et Etat de droit, Bruxelles, Burylant, 2002.
18
-
l’indépendance des institutions juridictionnelles et de contrôle des
finances publiques ;
le pouvoir d’injonction des juges vis-à-vis de l’administration ;
la corruption « envers des droits de l’homme », menace à l’Etat de droit
et à l’Etat performant ;
continuisme politique et cumul des mandats, une préoccupation pour
la gouvernance responsable.
19
Téléchargement