Rabah Robert, troisième volet dʼun triptyque
Rabah Robert part dʼun principe assez simple, le père qui
est mort est là avec les autres sur le plateau, il est lʼabsent
toujours présent. La mère, qui avait pris des cachets dans
Au pied du mur sans porte, parle de la maladie de la
mélancolie. Dans cette nouvelle pièce, on va essayer de
voir quels sont les systèmes de pensée qui mènent à la
violence. Jʼavais évité ce thème sur Passé je ne sais où
qui revient, et là jʼai trouvé un moyen de le traiter, en
passant par des clowns, des personnages comme les
chapeliers, qui évaluent, jugent, créent des modes de
fonctionnement quʼils diffusent, communiquent,
transportent et transmettent. Les chapeliers, ce sont des
virus. Des maladies qui aliènent les modes de
fonctionnement. Ils sont le virus du libéralisme le plus total,
ces maladies qui arrivent dans les maisons, au cœur dʼune
famille, par le biais dʼune faiblesse et qui engendrent des
comportements.
Je me suis posé la question du
but de la colonisation : est-ce
une immense affaire
commerciale, dʼexpropriation,
de razzia, de vol ? Et
aujourdʼhui, ne pourrait-on pas
parler dʼune forme de
colonisation économique, une
forme de colonisation par
lʼabêtissement ? Artaud dit :
« Un esprit qui dort est envahi
par dʼautres esprits ». Quʼest-
ce que cʼest que de ne pas
être sujet ? Pour être sujet
quand on est colonisé, que ce
soit par lʼéconomie, que ce soit
par la pensée, ne faut-il pas
passer par la violence ? Cʼest
une question, je nʼai pas de
réponse.
Le colon, cʼest aussi le père.
Avec la mort du père, se pose
la question de notre plénitude
à chacun de nous, et de ce
que lʼon va faire de notre vie.
Être colonisé, cʼest percevoir
lʼastre qui hante nos prisons à
travers les barreaux, percevoir
le monde, les couleurs, les
mouvements, et cet appel à se
créer avec le monde qui va.
Dans cette pièce, Ouria, environnée de violences, se met
peindre comme Vincent van Gogh, alors quʼelle est femme
de ménage et ne connaît rien à la peinture. Un contrepoint,
une forme de révolution par lʼindividu. Dans Rabah Robert,
il est question de révolution. Et après le changement tant
espéré, le retour à lʼordre, la récupération par les généraux
prenant le pouvoir et spoliant le peuple.
[…]
Ouria, la mère a toujours été, dans mes pièces, une figure,
une sorcière qui, dans un pot de cendres, fait renaître le
feu. Elle a toujours eu un rapport à lʼart qui était justement
un art assez sauvage, proche dʼune Médée. Elle construit
cette magie depuis longtemps. La mère est dans ce
mouvement-là, qui est toujours, en passant par le rêve, de
peindre un tableau et en même temps, ce pays où ils sʼen
vont prendre le train, elle le connaît puisquʼelle lʼa peint.
Elle nʼest pas du tout barrée, maman. Loin de là, maman
nʼest jamais barrée. Elle est un contrepoint important. Jʼai
choisi deux points très opposés : Ouria et van Gogh.
Jʼaurais pu prendre un autre peintre moins connu. Mais la
puissance rythmique de son geste me semble essentielle.
La mère vit un passage à la conscience : dans mes pièces,
bien que sa vie soit très dure et quʼelle travaille réellement,
elle est souvent prisonnière dans un monde dʼenfants, et
là, il y a cette prise de conscience. Pour elle et pour
Libellule.
Lʼécriture de Rabah Robert marque pour moi un passage à
une poésie plus écrite, qui porte la trace de plusieurs
voyages, en Algérie, en Hollande, en Russie. Les auteurs
russes ont été présents tout au
long de ce cheminement.
Certains vers sont inspirés de la
rythmique de Marina Tsvetaeva,
cʼest très rapide, très précis,
assez monstrueux en fait.
Dʼautres auteurs que
jʼaffectionne sont présents dans
lʼécriture de Rabah Robert,
comme Kafka ou Rimbaud.
Certains mouvements du texte
changent complètement la
phrase, la démolissent et la
mettent ailleurs. On retrouve du
Alice au pays des merveilles
dans les chapeliers. Et Beckett,
dans le sens où les gens ne
comprennent pas leur vie et
voudraient quʼau théâtre on
comprenne tout.
Les personnages arrivent
toujours dʼun endroit pour
arriver à une fin, un ailleurs. La
tension des corps fait exister la
situation sur un objet, un objet
imaginaire ou un objet concret.
Il nʼy a pas de parole sans quʼil
y ait le corps avant. Je
demande au corps de lʼacteur
dʼouvrir des temps de lʼordre de
lʼimaginaire, de les ouvrir
comme étant un espace
habitable. (…) Le geste vient, et
après on dit ce qui a eu lieu, on peut jouer avec le temps,
le changer, le déformer, le sceller.
La question du temps est souvent posée dans ce théâtre-
là : temps dʼexistence, temps des mémoires, temps du
maintenant, temps impossible. Le temps impossible est lié
au temps du rêve ou à des choses qui ne devraient pas
être là, mais se trouvent là. (…) Ce qui mʼintéresse, cʼest
de rentrer dans des temps de perception. Dans mes
pièces, les personnages sont des ensembles, ils
ressemblent à une page dʼécriture où tout est déjà presque
déterminé par des mouvements. (…) Ce à quoi jʼaspire
dans Rabah Robert, cʼest de travailler sur du temps réel.
La fiction naît du corps, le réel est tissé de fiction. Cʼest
parce que mon corps rentre dans un endroit précis, ou une
forme ou un mouvement, que se crée de nouveau du réel.