Les troubles du langage dans la petite enfance : dépister, évaluer et

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Les troubles du langage dans la petite enfance :
dépister, évaluer et prévenir des troubles secondaires
Language disorders in early childhood: detection, screening, secondary trouble prevention
IP A. Dumont*
 rÉsumÉ
Un retard dans l’évolution normale du langage doit attirer
l’attention et inciter à réaliser au minimum un examen
audiométrique et une évaluation orthophonique.
mots-clés : Étapes du développement du langage - Orthophonie - Audition - Dysphasie.
Summary. Any delay in language development requires
an audiometric evaluation and an evaluation by a speech
therapist.
Keywords: Language development steps - Speech therapy Hearing - Dysphasia.
L’
enjeu de la maîtrise du langage revêt une importance
considérable dans le devenir personnel et scolaire des
enfants, et les attentes de l’entourage familial sont très
présentes. Ainsi, pour le jeune enfant, âgé de 2 ans et demi et
dont l’entrée en maternelle est prévue dans quelques mois, les
parents s’inquiètent si leur tout-petit ne dit que quelques mots,
difficilement compréhensibles. De nombreuses questions sont
alors posées au médecin :
Mon enfant présente-t-il des troubles du langage ? A-t-il un
retard ? Est-il dysphasique ? Deviendra-t-il dyslexique comme
son cousin ? Quand faut-il s’inquiéter ? Que doit-on faire ?
le lanGaGe et les Bases de son acquisition
Le langage est une conquête majeure de l’espèce humaine et
l’on conçoit que son acquisition ne se fasse pas sans heurts. Les
questions de l’origine et des diversités des langues ont longtemps
fasciné les hommes et, à la lumière des travaux des neurologues,
des linguistes, des orthophonistes, des psychologues, on sait
aujourd’hui que la parole s’inscrit dans les développements
fondamentaux de l’humain : développement anatomique, perceptif, moteur, cognitif, affectif, social.
* Orthophoniste, attachée à l’hôpital Robert-Debré, chargée d’enseignement à l’université de
Paris-VI.
En l’absence de problèmes particuliers, cette faculté humaine
de langage émerge chez tous les enfants du monde au cours des
trois ou quatre premières années de leur vie, quelle que soit la
communauté linguistique dans laquelle ils grandissent.
En fait, l’enfant s’approprie la langue parlée autour de lui sur la
base de ses capacités spécifiques et des réponses adaptées de son
environnement à travers des interactions de communication.
L’importance du “travail” réalisé par l’enfant et son entourage
est inapparente, alors que les processus en cours sont complexes
et que les différents développements en jeu sont multiples et
interactifs.
La construction et l’élaboration du langage sont en lien avec
l’émergence de la personnalité, de la motricité et de la cognition,
dont les grandes étapes couvrent les premières années de la vie
de l’enfant. Les stades de ces développements entre 0 et 4 ans
sont schématiquement représentés dans le tableau I.
Ce découpage en étapes du développement normal fournit des
repères utiles, mais demeure schématique, car chaque enfant
évolue à son rythme, en fonction de son “style”, de son parcours
et de son histoire. Cependant, quel que soit le niveau de maîtrise
auquel parvient l’enfant, il utilise le langage pour communiquer,
exprimer des émotions, agir sur l’autre, évoquer des souvenirs,
formuler des concepts… L’acte de parler se situe toujours dans
une intention de communication et une situation d’échange et
de connaissance partagée par le locuteur et l’interlocuteur. Si la
parole est une capacité humaine extraordinairement puissante,
elle est néanmoins fragile et peut se dérégler sous l’effet du stress,
de la fatigue ou de l’émotion.
Le langage est avant tout fonctionnel, et pouvoir parler nécessite de l’apprenti parleur plusieurs compétences simultanées :
capacités physiques, enchaînement des idées, choix des mots et
gestion des mouvements nécessaires à la production des sons
et à la régulation du souffle pour adapter le débit et l’intensité,
moduler l’intonation et créer des effets de sens. Même si les
enfants passent par des cheminements comparables entre le
premier cri de leur venue au monde et les récits organisés de
leurs aventures quotidiennes, de grandes variabilités existent,
notamment dans les domaines du lexique et de la phonologie.
Les mécanismes de production claire des mots sont très dépendants des différents domaines de développement et occupent
l’enfant de nombreuses années avant d’atteindre un état stable. Le
jeune enfant a sa façon propre de parler. Il crée, imite ou répète
des mots qu’il simplifie phonétiquement afin de les adapter à
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ac tualités sur les pathologies de l’automne
a ctualités sur les pathologies de l’automne
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ac tualités sur les pathologies de l’automne
a ctualités sur les pathologies de l’automne
Tableau I. Étapes du développement langagier, psychomoteur et psychologique du jeune enfant.
Âge
14
Communication et langage
Développement psychomoteur
Développement psychologique
0-3 mois
Réactions aux voix,
Identification de la voix de la mère
Perception catégorielle
Productions : cris, pleurs, vocalisations, soupirs,
bruits de succion
Interactions : mimiques, mouvements buccaux,
sourires
Succion
Réflexes circulaires primaires
Grasping réflexe
Poursuite oculaire
Maintien de la tête
Pas de gestes volontaires
Indifférenciation moi/non-moi
Relation symbiotique
Stade oral
3-6 mois
Réactions aux intonations à l’appel du prénom
Reconnaissance des syllabes et des voyelles,
Interactions : routines de communication,
sourires, regard, mimiques
Productions : sons vocaliques et glottaux “areu”,
début de contrôle phonatoire
Babillage exploratoire et en réponse aux procédures
d’attention réciproque
Exploration du regard
Tient assis vers 5 mois
Tend les bras
Saisie manuelle puis préhension volontaire
Coordination main-bouche
Passage à l’alimentation solide
Début d’utilisation des objets
Décentration progressive à travers expérience
sensorimotrice
Stade sadique-oral : début de la morsure
Découverte de l’objet, de l’espace
Ambivalence dans la relation
6-9 mois
Interactions : attention conjointe, dialogue vocal
Compréhension : “non, bravo, au revoir”
Babillage canonique : “baba, mama, papapa...”
Vocalisations face au miroir et aux objets,
Imitations des sons produits par l’entourage
Contours intonatifs de la langue maternelle
Tient assis sans soutien
Saisit ses pieds
Peut passer un objet d’une main dans l’autre,
le jeter, le chercher
Vers 9 mois, commence à ramper,
peut se mettre debout avec soutien ou appui
Angoisse de séparation (8 mois)
Permanence de l’objet
Stade objectal : la mère est perçue comme
un objet total
Repérage des causalités comme résultat
de l’action
9-12 mois
Compréhension d’environ 30 mots familiers
en contexte
Identification de la structure phonologique
de la langue maternelle
Gestes symboliques : “non, bravo, au revoir, merci,
coucou”, pointe du doigt
Babillage varié en longueur et intonation
Production d’une sorte de jargon pour communiquer
Apparition des premiers mots “papa”, “maman”
de façon spécifique
Se déplace à 4 pattes puis se met debout et marche
tenu par une seule main
Prend des objets entre le pouce et l’index et aime les
jeter un à un
Peut attraper une balle
Pointe avec l’index
Explore les trous, les encastrements
Aime vider et remplir
Boit seul à la timbale
Le stade oral s’achève avec le sevrage à la fin
de la première année
L’enfant se reconnaît dans le miroir et se découvre
entier et sujet
D’après Winnicott, stade de l’inquiétude,
position dépressive
12-18 mois
Compréhension 100 à 150 mots et petites phrases
en contexte et/ou avec gestes
Interactions : conduites d’étayage, la mère reprend
et enrichit les propositions de l’enfant
Produit environ 50 mots, quelques mots-phrases
Premières associations de deux mots
Monte un escalier à 4 pattes
Fait une tour de 2 cubes
Tourne les pages d’un livre
Peut tenir une cuillère
Aime pousser, jeter, tirer un objet
Explore l’environnement
Peut ébaucher un gribouillage,
imiter un trait, utiliser une ficelle, un bâton
Stade anal
Passage de l’action pure aux premières
représentations mentales
Accès au symbolisme
Ouverture sociale
Réactions circulaires tertiaires : faire pour voir
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Âge
Communication langage
Développement psychomoteur
Développement psychologique
18-24 mois
Comprend des phrases quotidiennes sans geste
d’accompagnement, les questions “où”, “à qui”,
Désigne des images
Produit de 50 à plus de 100 mots (variabilité
interindividuelle +++)
Énonce son prénom, “moi”
Émet des petites phrases
Précise sa prononciation
Utilise genre et nombre
Peut ouvrir une porte, allumer la lumière, faire
du tricycle, encastrer des ronds, des carrés, visser,
dévisser, aligner des cubes
Peut changer rapidement de position, sauter
sur deux pieds, monter, escalader,
imiter des gestes de l’adulte
Représentation mentale et passage au stade
préopératoire
24-36 mois
Comprend des phrases complexes, la question “quand”,
des termes de temps et d’espace
Connaît 3 couleurs et 5 parties du visage et du corps,
Dénomme des images
Interactions : conduites conversationnelles
Utilise “je”
Accroissement exponentiel du lexique, précision
articulation et parole
Production de phrases de 3 ou 4 mots
avec verbe/adjectif /nom, mais inverse
Pose des questions “c’est quoi ça ?”
Propreté diurne et nocturne acquise
Peut sauter sur un pied, marcher sur les pointes ou les
talons, mettre des chaussures et enlever des boutons
Fait des tours de 8 à 9 cubes
Peut faire un “bonhomme têtard” et bouger ses doigts
indépendamment
Stade urétral ou phallique
Crise d’opposition
Apparition de la relation triangulaire
(père-mère-enfant)
Début d’angoisse de castration
36-48 mois
Comprend les questions "pourquoi, comment"
en termes de temps et d’espace
Connaît toutes les parties de son corps
Utilise un vocabulaire de 500 mots, comprend
1 000 mots
Utilise les pronoms : "tu, il, elle"
Prononce des sons complexes, est intelligible
Exprime le présent, le futur et le passé
Fait des phrases de plus de 6 mots, peut faire des récits
Se libère de l’action, entre dans l’imaginaire
Peut faire du vélo sans petite roue
Saute à pieds joints
Peut s’habiller seul
Recopie un carré, une croix
Fait des puzzles
Poursuite du stade phallique
Début du complexe d’Œdipe
ses possibilités d’articulation et d’enchaînements phonétiques
et syllabiques, et ce n’est que passé 6 ans qu’il possède véritablement les 34 phonèmes qui composent la langue française
(tableau II).
Pour terminer ce survol du cadre de référence des bases du
langage, il faut rappeler que la mémoire et l’attention occupent
une place fondamentale dans toutes les fonctions verbales. Pour
parler, l’enfant doit trouver le mot connu, programmer les gestes
articulatoires qui permettent de le dire et calculer l’organisation
grammaticale pour le positionner correctement dans la phrase.
La parole sollicite la mémoire motrice pour la programmation
du geste, la mémoire auditive pour le contrôle perceptif du mot,
la mémoire sémantique pour le sens des paroles, la mémoire
affective pour l’intonation et le choix des expressions adaptées
à la situation et à l’impact souhaité.
Compte tenu de l’ensemble des facteurs impliqués dans l’acquisition du langage, on conçoit que la conquête soit inégale. La
parole parfaite n’existe pas, et les accidents de parcours peuvent
surgir, notamment dans les premières années, mais il importe
de déterminer la frontière entre les aléas de mise en route et
les troubles spécifiques.
ac tualités sur les pathologies de l’automne
a ctualités sur les pathologies de l’automne
les siGnes d’alerte de trouBles du lanGaGe
D’après les observations des enseignants de maternelle, 20 à
25 % des enfants qui commencent leur scolarité présentent
des difficultés de langage. Ce décalage et ces particularités ne
sont pas systématiquement pathologiques, car chaque enfant
suit son rythme d’acquisition. Cependant, parmi ces écoliers
en difficulté, certains sont de futurs dyslexiques, d’autres sont
déjà dysphasiques ou bègues, d’autres encore présentent un
retard d’acquisition de la parole ou du langage, qu’il faudra
traiter pour prévenir d’autres difficultés. Certains troubles du
langage, comme la dysphasie, sont très invalidants et peuvent,
s’ils ne sont pas dépistés et traités précocement, entraver le
développement affectif, cognitif et scolaire des enfants qui en
sont atteints. Quatre à 8 % des enfants d’une classe d’âge présentent des troubles spécifiques du langage, dont au moins 1 %
une déficience sévère. Il faut donc repérer le plus tôt possible
les troubles éventuels et les prendre en charge de façon adaptée
afin de les traiter et de prévenir les troubles secondaires.
Les parents sont fréquemment les acteurs principaux du repérage
des difficultés de communication et de langage de leur enfant.
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Tableau II. Calendrier de développement phonologique (les limites des
traits correspondent à l’âge auquel environ 50 % des enfants prononcent le son correctement et à l’âge auquel le phonème est acquis par la
très grande majorité des enfants).
2 ans
3 ans
a
----------
i
----------
ou
----------
o
----------
é
---------------------
è
---------------------
eu
---------------------
u
---------------------
an
---------------------
in
---------------------
on
---------------------
4 ans
6 ans
7 ans
les causes PossiBles
De nombreuses raisons peuvent expliquer qu’un tout-petit tarde
à parler ou parle mal, mais attendre que “ça se débloque” ou que
“ça vienne tout seul” n’est jamais la bonne solution.
p
---------------
t
-----------------------------
k
-----------------------------
b
---------------
d
-----------------------------
g
-----------------------------
m
---------------
n
-----------------------------
gn
-----------------------------
f
5 ans
Entend-il bien ?
--------------
v
--------------------------------------------
s
---------------------------------------------------------
z
--------------------------------------------
ch
--------------------------------------------
j
--------------------------------------------
l
---------------------------------------------------------
r
---------------------------------------------------------
Ils interrogent alors leur médecin en lui faisant part de leurs
interrogations, de leurs doutes et de leurs craintes.
Les points sensibles qu’ils évoquent concernent :
✓ La communication : certaines mamans s’inquiètent face à un
bébé qui ne les regarde pas, dort beaucoup, ne rentre pas dans
les jeux d’échanges.
✓ Les productions sonores avant un an : la famille signale que
l’enfant est assez silencieux, qu’il ne produit pas de syllabes, mais
qu’il est très présent par le regard ou les gestes. À l’inverse, il
peut s’agir d’un enfant qui crie beaucoup.
✓ L’absence d’apparition des premiers mots vers 18 mois : “Il
comprend tout, mais il ne dit pas un mot”.
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✓ L’inintelligibilité des propos de l’enfant : “Il n’arrête pas de
parler, mais on ne comprend rien à ce qu’il dit”.
✓ Une stagnation après l’apparition des premiers mots vers
2 ans : “Il a dit papa/maman, puis il s’est arrêté et ne dit aucune
phrase”.
✓ Les colères fréquentes autour de 3 ans : “Il est infernal, se
roule par terre, on ne le comprend pas”.
Dans d’autres situations, les parents n’ont rien repéré, et c’est
l’école qui signale les difficultés et alerte la famille. Les enseignants évoquent des enfants inintelligibles ou très silencieux, des
enfants qui ne trouvent pas leurs mots, ne font pas de phrases
ou sont très opposants.
Il faut toujours vérifier l’audition d’un enfant, car les troubles
sensoriels de perception auditive constituent un facteur causal.
Pour bien parler, il faut bien entendre. Une otite séreuse peut
entraîner une perte provisoire, mais il suffit de 20 à 30 dB de
perte pour entendre le langage de façon confuse et mélanger les
mots, notamment dans le bruit. En période d’apprentissage et de
découverte de la langue, vers 2 ans, les répercussions peuvent
être importantes. L’enfant qui perçoit de façon approximative
le langage ne peut en toute sécurité ni l’imiter, ni réagir de
façon adéquate.
L’examen ORL complet est nécessaire. Audiométrie, otoémissions, éventuellement PEA permettront d’évaluer la perception
auditive et d’apporter les soins nécessaires : traitement des surdités de transmission, appareillage accompagné de prise en charge
orthophonique dans le cas de surdité de perception.
Comment va-t-il ?
Quel est son développement psychologique ?
Apprendre à parler, c’est accepter de grandir, et donc de se
mettre à distance de sa maman. Un enfant très anxieux peut
reculer devant l’ampleur de la tâche et des enjeux. De même,
un événement important dans la vie de la famille peut engendrer un retard dans le développement, et tout particulièrement
dans les capacités d’expression par le langage : la naissance d’un
bébé, une séparation des parents, le décès d’un grand-parent,
un changement de pays… Les rapports avec les frères et sœurs
peuvent aussi avoir des implications : face à une grande sœur très
bavarde et habile à manier l’humour, le cadet préférera demeurer
silencieux pour marquer sa différence. Un petit dernier dont
les aînés comprennent tout et auquel ils servent d’interprète ne
ressent pas la motivation de mieux s’exprimer. Ne pas pouvoir
communiquer avec une nounou qui ne parle pas la même langue,
se montrer trop empressé et devancer ses moindres désirs sont
des éléments qui ne favorisent pas l’éclosion du langage…
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La prise en compte des facteurs environnementaux est
nécessaire.
Comment entre-t-il dans le code linguistique ?
Le langage est un code qui demande des compétences et des
capacités d’accès à la catégorisation, à la symbolisation et à
l’organisation. Un enfant a besoin d’aide pour y pénétrer et pour
préciser les règles d’usage. La vie quotidienne, avec sa précipitation, ne permet pas d’être à l’écoute et d’avoir les conduites
d’étayage qui permettent à l’enfant de s’appuyer sur les propositions de l’adulte pour perfectionner les mots, construire des
phrases correctes…
Les questionnaires proposés aux familles permettent de repérer les interactions verbales dans le cadre familial quotidien
et de guider la mise en place d’échanges adaptés. En prenant
soin de proposer des phrases bien structurées, en orientant le
langage vers des récits d’événements, l’expression de sensations, d’émotions – et pas simplement un langage utilitaire du
type “dépêche-toi ! range tes affaires !” –, on peut modifier les
conditions de développement et d’appropriation du langage.
Toutes les véritables conversations, les histoires racontées, les
comptines sont autant de déclencheurs du langage pour ceux qui
tardent à utiliser les mots, mais quand des troubles spécifiques
du langage existent, il faut une guidance familiale très précise
pour amener les parents à utiliser les stratégies accessibles et
efficaces pour l’enfant.
quelles suites donner
auX Plaintes des Parents ?
En interrogeant les familles et en se repérant d’après les échelles
de développement normal (tableaux I et II), le médecin peut
confirmer ou infirmer la plainte de la famille. Prenant en compte
l’enfant dans sa globalité, il oriente vers les spécialistes (orthophoniste, psychologue, psychomotricien), qui vont effectuer les
examens spécialisés. Mais, avant l’analyse des capacités cognitives,
motrices ou linguistiques, le médecin réalisera ou fera réaliser des
examens sensoriels, car il faut rappeler que 15 % des enfants ont
un problème visuel et qu’un enfant sur 1 000 présente une surdité.
L’examen neuromoteur des déplacements, des mouvements et
des postures permettra de préciser la part motrice et praxique
dans les troubles sévères de développement du langage.
Si, autour d’un an, l’enfant ne produit pas de syllabes dupliquées
et ne cherche pas à entrer en communication, après avoir vérifié
son audition, il sera nécessaire de pratiquer des examens complets : développement moteur, visuel, psychologique, examen
neurologique…
S’il ne dit pas de phrase à 2 ans, mais comprend des ordres simples et désigne correctement, il faut s’intéresser à ses stratégies
d’interaction, relever précisément (analyse qualitative et quantitative) les niveaux d’expression. S’il ne tente pas de communiquer,
il faut comme toujours vérifier son audition, mais également
évaluer son développement cognitif et général, car un retard
global, un trouble du comportement, un syndrome spécifique
sont peut-être en cause. À l’inverse, un enfant opposant n’est pas
forcément un enfant avec un trouble du comportement primaire.
En effet, un enfant dysphasique cherche à communiquer, mais,
n’y parvenant pas, il devient opposant et difficile.
Si, à 3 ans, il n’associe pas les mots pour faire des phrases et
produit une syntaxe réduite sans les petits mots-fonctions, il
est nécessaire de pratiquer rapidement une évaluation orthophonique complète.
S’il présente des troubles de l’intelligibilité orale, il est intéressant
de se référer au tableau II du développement phonologique et
de tenter de situer ses caractéristiques de prononciation, mais
là aussi un bilan orthophonique s’impose, car le trouble phonologique est parfois la partie visible d’un trouble plus sévère
du langage (tableaux III et IV).
Tableau III. Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) :
cotations des actes médicaux d’orthophonie (AMO) en fonction de la
pathologie pour les bilans initiaux et les bilans de renouvellement.
Pathologies explorées
Bilan “initial”
Bilan “de renouvellement”
Problèmes ORL “mécaniques”
– Troubles de la déglutition
– Troubles de l’articulation
AMO 16
AMO 11.20
Problèmes de langage versant “expressif”
– Langage oral
– Langage écrit
– Logique mathématique
– Troubles de la voix
AMO 24
AMO 16.80
Bégaiement
AMO 30
AMO 21
Problèmes de langage versant “élaboration du langage”
– Maladies neurologiques
– Maladies psychiatriques
– Maladies génétiques
– IMC
– Surdités
AMO 30
AMO 21
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a ctualités sur les pathologies de l’automne
Les médecins peuvent utiliser les outils de dépistage (Dialogoris
0-4, L’Inventaire français de développement communicatif, DPL3,
PER 2000, BREV, ERTL4), qui permettent d’approcher les difficultés et de différencier les enfants pour lesquels il faut proposer une
surveillance et ceux qu’il faut orienter rapidement vers des bilans
complets orthophoniques permettant un diagnostic d’éventuels
troubles spécifiques de développement du langage. Il est toujours
essentiel d’éliminer un déficit sensoriel, une pathologie neurologique, un trouble envahissant du développement ou des carences
importantes dans l’environnement de l’enfant.
les Bilans ortHoPHoniques
Des bilans orthophoniques peuvent être réalisés avec de jeunes
enfants au moyen d’outils standardisés et de situations spécifiques. Ils ont pour objectifs d’observer et d’analyser avant
deux ans :
– les stratégies de communication de l’enfant et de la famille ;
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ac tualités sur les pathologies de l’automne
a ctualités sur les pathologies de l’automne
Tableau IV. Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) : cotations des actes médicaux d’orthophonie (AMO) pour chaque rééducation
spécifique et durées de prise en charge correspondantes.
Rééducation pour les pathologies
Cotation NGAP
Nombre de séances possible
AMO 8
Bilan initial ➞
Problèmes “mécaniques” ORL non liés au langage
Trouble de la déglutition
Pathologie vélo-tubotympanique
AMO 8
Dysphagie
AMO 10
DEP* pour 30 séances
Problèmes “mécaniques” liés au langage : articulation et voix
Trouble de l’articulation simple
AMO 5
Trouble de l’articulation (anatomie)
AMO 8
Trouble de l’articulation
(neuromusculaire)
AMO 10
Dysphonie (toutes étiologies)
Voix œsophagienne et/ou prothèse phonatoire
AMO 10
Acquis scolaires
± 20 séances
Maximum : 50 séances
si insuffisant :
Problème d’écriture
AMO 10
“bilan de renouvellement” ➞
Problème de lecture et/ou d’orthographe
AMO 10.1
DEP pour 20 séances
Problème de logique mathématique
AMO 10.2
Retard de parole et langage simple
AMO 12.1
Problèmes de langage spécifiques
Bégaiement
Trouble du langage chez l’enfant handicapé :
- Maladies neurologiques
- Maladies psychiatriques
- Maladies génétiques
- IMC
Maintien du langage et développement
de la lecture labiale chez le sourd postlingual
AMO 12
(séries de 20 séances
AMO 12
à chaque renouvellement)
Atteintes du langage complexes
Bilan initial ➞
Dysphasie
AMO 13
Surdités ± appareillées avec prothèse
conventionnelle et/ou implant cochléaire :
– Éducation précoce
– Rééducation
– Développement du langage oral
AMO 15
DEP pour
50 séances
± 50 séances
Maximum : 100 séances
si insuffisant :
“bilan de renouvellement” ➞
DEP pour
50 séances
(séries de 50 séances
à chaque renouvellement)
* DEP : demande d’entente préalable.
– la dynamique des interactions : sollicitation et maintien de
l’attention, respect des tours de parole, conduites d’étayage,
relance et clôture de l’échange ;
– le profil langagier de l’enfant en compréhension et
expression ;
– les capacités cognitives dans le traitement du langage : perception, attention, mémorisation.
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À partir de l’anamnèse, de l’observation et de l’analyse des
composantes lexicales, phonologiques, syntaxiques et pragmatiques évaluées au moyen de tests standardisés, l’examen complet
du langage permet de réaliser un diagnostic et de proposer un
projet thérapeutique adapté.
Le trouble du langage peut être :
– un retard de parole ;
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– un retard de langage ;
– un trouble spécifique du développement du langage ;
– un trouble du langage secondaire à une autre pathologie (déficit
sensoriel ou moteur, déficience mentale, syndrome génétique,
épilepsie, trouble envahissant du développement, carences
affectives ou éducatives sévères) ;
– un trouble d’articulation de type praxique ou d’origine perceptive ou, encore, lié à des déficiences organiques ;
– un trouble structurel de type dysphasique (trouble sévère
et durable).
En fonction du trouble identifié et de la nomenclature en vigueur,
on proposera à l’enfant et à la famille des interventions spécifiques en termes d’intensité, de durée et de programme thérapeutiques. Dans tous les cas, la participation des familles est
indispensable.
Le bilan orthophonique permet de situer le développement de
l’enfant à un instant de son évolution langagière ; il ne débouche
pas systématiquement sur une rééducation lourde (figure 1).
Parfois, une guidance parentale et des conseils suffisent, car les
troubles sont fonctionnels et modérés. Quand les difficultés sont
plus sévères, il faut rapidement mettre en place une rééducation,
même si le diagnostic n’est pas encore affirmé avec certitude
(cas d’une dysphasie probable chez un enfant de 2 ans). C’est
la réponse au traitement (au moins 6 mois de rééducation) et
l’évolution du langage qui permettront de différencier un retard
de langage d’une dysphasie de développement. Le pronostic et le
type de traitement rééducatif seront alors différents. Alors que,
dans la dysphasie, le caractère sévère et durable accompagnera de
façon constante l’enfant (figure 2), dans les cas de retard de langage, le caractère transitoire pourra être véritablement confirmé
Prise en charge souhaitée
dans la foulée
Médecin
prescripteur
Ordonnance “BOARSN”
Orthophoniste A
Bilan
CRO
Diagnostic
Si rééducation
proposée
DEP (+ ordonnance)
+ délai de 15 jours
Début de rééducation
Avis pour étoffer un dossier,
préciser un diagnostic
Ordonnance “BOI”
CRO
± proposition Orthophoniste A
Si de rééducation
Bilan
rééducation
Diagnostic
souhaitée
Orthophoniste A ou B
Ordonnance de “rééducation orthophonique”
avec le nombre de séances et la cotation précise
de la NGAP (ex. : “30 AMO 12”)
DEP (+ ordonnance)
+ délai de 15 jours
Début de rééducation
BOARSN = bilan orthophonique avec rééducation si nécessaire ; BOI = bilan orthophonique d’investigation ;
CRO = compte-rendu d’orthophonie ; DEP = demande d’entente préalable.
Figure 1. Déroulement d’une prescription de bilan orthophonique.
Orthophoniste
“Fin du traitement” = a fini toutes
les séances prescrites :
– soit 50 séances AMO 5 à 12
– soit 100 séances AMO 13 ou 15
CRO avec “note d’évolution”
± demande d’un “BOR” avec
une nouvelle série de séances
DEP (+ ordonnance)
Médecin
prescripteur
Ordonnance “BOR”
avec 20 ou 50 séances
+ délai de 15 jours
Poursuite de la rééducation
“Fin du traitement”
= a fini toutes les séances prescrites :
– soit 20 séances AMO 5 à 12
– soit 50 séances AMO 13 ou 15
BOR = bilan orthophonique de renouvellement ; CRO = compte-rendu d’orthophonie ;
DEP = demande d’entente préalable.
Figure 2. Déroulement d’une prescription de bilan orthophonique de
renouvellement.
a posteriori, quand l’enfant accédera au langage élaboré et aura
maîtrisé le langage écrit (vers 8 ans). Il faut donc se garder de
banaliser et continuer à demander un bilan de langage annuel
pour les enfants qui ont présenté des troubles du langage dans
la petite enfance, car de nombreuses études révèlent les liens
existant entre le langage oral et le langage écrit et les difficultés
rencontrées dans l’apprentissage de la lecture.
ac tualités sur les pathologies de l’automne
a ctualités sur les pathologies de l’automne
conclusion
Le dépistage des troubles du langage oral revêt des conséquences
différentes selon l’âge de l’enfant, les profils et la gravité du
déficit. Toute plainte concernant le développement du langage
oral doit être prise en compte dès deux ans et demi, trois
ans. Un bilan orthophonique complet, avec rééducation si
nécessaire, doit être proposé. À cet âge, les déficits langagiers
secondaires à une autre pathologie (surdité, troubles massifs
de la communication et du langage) doivent également
bénéficier d’une prise en charge de la pathologie responsable du
trouble du langage. Dans le cas de la surdité, les interventions
orthophoniques doivent débuter dès le diagnostic. Les troubles
spécifiques et sévères (enfant inintelligible, ne réalisant pas
d’association de mots, souffrant de trouble de la compréhension)
doivent être orientés le plus précocement possible vers un(e)
orthophoniste pour une évaluation et une prise en charge de
l’enfant et de sa famille.
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 306-307 - septembre-décembre 2006
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