La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2015) 19, 308—314
Disponible en ligne sur
ScienceDirect
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RUBRIQUE PRATIQUE
La chimiothérapie hyperthermique
intra-péritonéale (CHIP) (podcast)
Hyperthermic intraperitoneal chemotherapy (HIPEC)
Sophie Dagoisa,∗, Marion Grienaya, Marc Pocardb,c,
Étienne Gayata,c, Rea Lo Dicob, Lucie Marrya,
François Barta, Nathalie Poiriera, Matthieu Le Dorzea,
Charles Damoisela, Clarisse Evenob,
Alexandre Mebazaaa,c
a
Département d’anesthésie-réanimation, SMUR, hôpitaux universitaires
Saint-Louis-Lariboisière, AP—HP, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France
b
Service de chirurgie digestive, hôpitaux universitaires Saint-Louis-Lariboisière,
AP—HP, 75010 Paris, France
c
Université Paris Diderot Paris VII, 75013 Paris, France
Disponible sur Internet le 9 octobre 2015
MOTS CLÉS
CHIP ;
Carcinose
péritonéale ;
Pseudomyxome ;
Chimiothérapie
∗
Résumé La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) décrite au début des
années 1990 est une procédure utilisée dans le traitement des carcinoses péritonéales (cancers colorectaux, maladies primitives du péritoine) dont la survie était souvent inférieure à
6 mois. Elle associe une chirurgie de cytoréduction complète et une chimiothérapie par voie
intra-péritonéale et systémique. C’est une chirurgie grevée d’une morbi-mortalité élevée pour
laquelle la sélection des patients est primordiale afin de garder un bon rapport bénéfice/risque.
Elle doit être réalisée par des équipes entraînées. En phase peropératoire, la prise en charge
anesthésique consiste principalement à maintenir l’équilibre hydroélectrolytique, à gérer les
variations hémodynamiques et la température du patient tout au long de la chirurgie qui peut
durer plus de 10 heures. Les complications postopératoires les plus fréquentes peuvent être
chirurgicales (hémopéritoine, péritonite, fistule) ou médicales (hématotoxicité, embolie pulmonaire, sepsis, pneumopathie). Grâce à la CHIP, la survie médiane des patients est passée de
6 mois à 22 à 63 mois selon les séries. Après une phase de convalescence d’environ 3 mois, la
qualité de vie des patients est bonne.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Dagois).
http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2015.07.009
1279-7960/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) (podcast)
KEYWORDS
HIPEC;
Peritoneal
carcinomatosis;
Pseudomyxoma;
Chemotherapy
Summary Hyperthermic intraperitoneal chemotherapy (HIPEC) was first described in the
early 1990s. This procedure is used in the treatment of peritoneal carcinomatosis (colorectal cancers, primitive diseases of the peritoneum) with an expected survival time less
than 6 months. It combines a complete cytoreductive surgical procedure with both systemic and intra-peritoneal chemotherapy. It is associated with a high morbidity and mortality.
Patient’s selection is paramount to keep a reasonable risk/benefit ratio. HIPEC requires a
good coordination between surgical teams, anesthesiologist and intensivists familiar with the
management of these patients. During intra-operative phase, the anesthetic management aims
primarily maintaining fluid and electrolyte balance, reducing hemodynamic and temperature
changes throughout surgery which can last more than 10 hours. Surgical (hemoperitoneum,
peritonitis, fistula) or medical (hematologic toxicity, pulmonary embolism, sepsis, pneumonia)
complications may occur. The median survival time of patients increased from 6 months to 22 to
63 months with HIPEC. After a convalescence phase of approximately 3 months, the patients’
quality of life is usually good.
© 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Abréviations
CHIP
TDM
IRM
IPC
309
chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale
tomodensitométrie
imagerie par résonance magnétique
index péritonéal de carcinose
La version audio de cet article est disponible en podcast
(Annexe 1 en fin d’article).
Introduction
La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP)
est une thérapie complémentaire agressive des cancers
digestifs avec carcinose péritonéale. Associée à une chirurgie de cytoréduction tumorale complète et à une
chimiothérapie par voie intraveineuse, elle consiste à administrer un bain de chimiothérapie directement au sein de
la cavité péritonéale. Elle a permis un gain de survie
considérable dans les cancers dont l’extension péritonéale était auparavant souvent synonyme de décès à court
terme. Cette technique comporte un taux important de
complications médico-chirurgicales. Il est fondamental pour
les anesthésistes amenés à prendre en charge ces patients
d’appréhender de façon optimale les enjeux de la prise
en charge pré-, per- et postopératoire afin d’en limiter les
complications et d’améliorer le confort des patients. Notre
équipe, après 8 ans d’expérience, a pris en charge plus de
550 patients pour CHIP.
Indications
Quelles pathologies ?
Les indications de CHIP peuvent être classées en
2 catégories :
• les cancers pour lesquels l’intérêt de la CHIP est démontré
depuis une dizaine d’années : les carcinoses péritonéales
d’origine colorectale, appendiculaire et les cancers primitifs du péritoine (pseudomyxomes péritonéaux et
mésothéliomes péritonéaux) [1] ;
• les cancers pour lesquels l’introduction de la CHIP
dans l’arsenal thérapeutique est plus récente et/ou
moins consensuelle : carcinoses péritonéales d’origine
ovarienne [2] ou gastrique [3].
Dans tous les cas, le degré d’extension de cette carcinose
péritonéale doit faire l’objet d’une évaluation préopératoire la plus précise possible. Cette phase repose sur la
confrontation des données radiologiques (TDM injectée,
IRM et pet-scanner), biologiques (dosage des marqueurs
tumoraux) et chirurgicales avec une place de plus en plus
importante donnée à la laparoscopie exploratrice. Elle
permet de faire une estimation de l’index péritonéal de carcinose (IPC) décrit par le Dr. Sugarbaker. Cet index reflète le
niveau d’extension intra-abdominale de la maladie, plus il
est élevé, plus la maladie est étendue. Outre son intérêt
descriptif, il a un intérêt pronostique. Au-delà d’un certain
niveau d’envahissement (seuil d’IPC), l’indication de la CHIP
ne sera plus retenue, ou fortement discutée car la survie
avec la CHIP rejoint la survie spontanée de la maladie ou la
survie avec chimiothérapie systémique seule. Ce seuil d’IPC
varie selon la nature de la carcinose : IPC > 20 pour une carcinose d’origine colique, > 10 pour une carcinose d’origine
gastrique [4]. Le Peritoneal Surface Disease Severity Score
est un autre score utilisé pour les cancers colorectaux. Il
prend en compte le retentissement clinique de la carcinose,
l’IPC et l’analyse histologique de la tumeur [5].
Avec l’ensemble des résultats, chaque dossier doit
faire l’objet d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) associant chirurgiens, oncologues, gastroentérologues, anatomopathologistes et radiologues. À
l’issue de cette RCP, l’indication de CHIP est retenue ou non.
Classiquement, les maladies avec métastases extraabdominales, atteinte rétro-péritonéale, ou progressant
sous chimiothérapie restent des contre-indications à la CHIP.
Cependant, les prises en charge évoluent, et les métastases
310
S. Dagois et al.
pulmonaires ne sont plus considérées comme une contreindication absolue [6].
Tableau 2
Index ECOG.
Description
Quels patients ?
La CHIP est grevée d’une morbi-mortalité
importante. Actuellement, dans les équipes
ayant une activité régulière dans ce domaine, la
mortalité des CHIP pour carcinose colique est
schématiquement de moins de 2 % et le taux de
complication de 30 %.
Les patients proposés pour une CHIP doivent donc avoir
un état général conservé pour supporter ses risques. Le clinicien peut s’aider de différents scores pour évaluer leur
état.
En anesthésie, les scores classiques d’évaluation du
risque (le score de l’American Society of Anesthesiology
[ASA] pour le risque anesthésique global, et le score de Lee
pour le risque cardiovasculaire) sont pertinents. Un score
ASA ≥ 3 ou un score de Lee ≥ 2 doivent alerter l’équipe. La
décision de maintien ou non de l’indication sera prise lors de
la RCP et après une discussion entre l’équipe d’oncologie,
celle de chirurgie et celle d’anesthésie-réanimation. Une
étude récente a montré que le diabète était un facteur
prédictif indépendant de complications postopératoires,
d’augmentation de la durée de séjour et de la mortalité
après une CHIP, mais il s’agit d’un facteur de risque non
spécifique de ce type d’intervention [7].
Les chirurgiens et les oncologues utilisent plus fréquemment le statut OMS des patients (Tableau 1) et l’index
Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG) (Tableau 2)
pour évaluer l’état physiologique des patients. Les patients
ayant un score OMS ou un index ECOG ≤ 2 ont un état physiologique jugé satisfaisant pour le traitement [6].
Le statut nutritionnel pré-opératoire fait l’objet d’une
évaluation par le chirurgien. Les patients recoivent tous une
immunonutrition la semaine précédant la chirurgie.
En pratique
La chirurgie
La chirurgie de cytoréduction ou debulking a été développée
dans le traitement des cancers ovariens. Elle se différentie
Tableau 1
Score OMS.
Activité
Score
Capable d’une activité identique à celle
précédant la maladie
Activité physique diminuée, mais ambulatoire
et capable de mener un travail
Ambulatoire et capable de prendre soin de
soi-même. Incapable de travailler et alité
moins de 50 % du temps
Capable seulement de quelques activités. Alité
ou en chaise plus de 50 % du temps
Incapable de prendre soin de soi-même. Alité
ou en chaise en permanence
0
1
2
3
4
Pleinement actif — le malade peut exercer son activité
normale sans aucune restriction
Restreint dans les activités physiques fatigantes, mais
pouvant ambulatoire, pouvant exercer une activité
sans contraintes physiques importantes — activité
domestique légère, bureau, etc.
Patient ambulatoire et capable de s’occuper de
lui-même pour ses soins personnels, mais incapable
d’activité professionnelle ou à la maison. Debout plus
de 50 % de la journée
Ne pouvant faire que le minimum pour ses soins
personnels. Confiné au lit ou à la chaise plus de 50 %
de la journée
Complètement handicapé dans sa vie, confiné au lit ou à
la chaise, nécessitant l’assistance pour sa toilette et
ses soins quotidiens
d’une approche palliative car la résection tumorale est la
plus complète possible afin d’augmenter l’efficacité d’une
chimiothérapie complémentaire [8]. La chimiothérapie
hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) n’est efficace que
sur les tumeurs microscopiques car elle ne pénètre pas les
nodules mesurant plus de 3 à 6 mm. Après évaluation de
l’extension de la carcinose péritonéale selon l’index de
Sugarbaker, la chirurgie cytoréductive doit concerner tous
les implants tumoraux supra millimétriques. La qualité de
la résection chirurgicale est ensuite stratifiée [4] :
• CC0 = pas de résidu tumoral ;
• CC1 = résidu < 2,5 mm ;
• CC2 = 2,5 mm < résidu < 2,5 cm ;
• CC3 = résidu > 2,5 cm.
On parle de résection complète pour les résections CC0 ou
CC1, elles seules autorisent à compléter la procédure par
la CHIP, pour les carcinoses d’origine colique, ovarienne ou
gastrique.
Le but de la CHIP est d’exposer directement les reliquats
tumoraux péritonéaux à des concentrations élevées de principe actif, en limitant le risque de toxicité systémique de la
chimiothérapie. L’intérêt de réaliser la CHIP immédiatement
en peropératoire est justifié par la formation rapide des
adhérences après la cytoréduction, l’implantation préférentielle des cellules cancéreuses dans les sites de cicatrisation
et leur contact avec des facteurs de croissance qui favoriseront le développement tumoral. Un délai, même court,
entre la chirurgie et la CHIP compromet donc l’efficacité de
la procédure.
L’effet cytotoxique de l’hyperthermie a été démontré
in vitro. L’augmentation de la température est corrélée à
celle de la cytotoxicité des molécules de chimiothérapie
et à leur pénétration dans les tissus tumoraux. Pendant
l’intervention, on administre une chimiothérapie par voie
intraveineuse (5 fluoro-uracile et acide folique) pendant
l’heure précédant le bain de CHIP, afin d’exposer simultanément les cellules néoplasiques aux agents cytotoxiques
par les 2 voies d’administration (locale directe et IV).
Le système d’administration (Fig. 1) comprend une
pompe et un réchauffeur permettant de maintenir la
La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) (podcast)
Figure 1.
Le système d’administration.
température du bain à 42◦ —43 ◦ C. Un monitorage précis de
la température est effectué à l’aide de capteurs thermiques
répartis dans les différents cadrans de la cavité péritonéale, afin que la température du bain soit homogène. Une
température insuffisante (< 42 ◦ C) risque de compromettre
l’efficacité de la procédure, alors qu’une température trop
élevée (> 43 ◦ C) accroît le risque de nécrose de l’intestin
grêle et de mauvaise tolérance de l’hyperthermie centrale.
La technique appliquée dans le service est celle dite
« du coliseum à ventre ouvert » (Fig. 2). La quantité de
liquide nécessaire est déterminée en fonction de la surface corporelle des patients (2 L/m2 ). Le sérum glucosé à
Figure 2.
La technique dite « du coliseum à ventre ouvert ».
311
5 % utilisé pour le bain permet la stabilité de l’agent cytotoxique. La chimiothérapie la plus fréquemment utilisée est
l’oxaliplatine. La mitomycine est préférée pour les procédures redux ou en cas de neuropathie périphérique liée à
la chimiothérapie intraveineuse. La durée du bain est de
30 minutes pour l’oxaliplatine, et 45 minutes pour la mitomycine.
En conséquence, l’intervention comporte plusieurs
niveaux d’agressivité :
• l’agression chirurgicale directe : elle est liée aux résections multiples et étendues comportant au minimum
une omentectomie, une appendicectomie (risque carcinologique) et une cholécystectomie (risque de nécrose
postopératoire). D’autres résections ont leur propre
implication, par exemple, le retentissement des résections diaphragmatiques sur la fonction respiratoire
postopératoire ;
• l’agression liée à la CHIP et l’hyperthermie locale
sont responsables de dommages tissulaires importants,
notamment au niveau du péritoine. Elles provoquent
une inflammation systémique et des déperditions hydroélectrolytiques par fuite capillaire et intra-abdominale
majeure ;
• la durée importante de la procédure et de l’anesthésie :
la durée de la viscérolyse est souvent supérieure à
5 heures, et la durée totale de l’intervention est de 8 à
10 heures ou plus ;
• la chimiothérapie IV comporte une toxicité propre
(vasoconstriction coronaire du 5FU, thrombopénie postopératoire) qu’il convient de ne prendre en compte.
La prise en charge anesthésique
La prise en charge anesthésique pré- per- et postopératoire
des patients s’effectue selon des protocoles de soins standardisés.
Consultation d’anesthésie
Un délai minimum d’une dizaine de jours est nécessaire
entre la consultation d’anesthésie et la chirurgie, afin
d’évaluer au mieux les patients et de leur laisser un délai de
réflexion suffisant. Au-delà de 70 ans, les patients ne seront
éligibles que s’ils n’ont pas de comorbidité importante et si
la chirurgie de cytoréduction prévue n’est pas trop agressive
[9]. Ce délai est mis à profit pour effectuer une préparation à la chirurgie comprenant une immunonutrition, de la
kinésithérapie et d’autres mesures non spécifiques comme
l’arrêt du tabac le cas échéant et l’adaptation des traitements en cours et l’évaluation de l’état cardiovasculaire
et respiratoire. Un programme d’autokinésithérapie est mis
en place lors de la consultation, avec remise d’un spiromètre personnel au patient. Ces mesures s’inscrivent dans
le cadre d’une politique dite d’habilitation à la chirurgie.
Les patients bénéficient d’une prise en charge multidisciplinaire et rencontrent le même jour, l’infirmière d’annonce,
la psychologue et les kinésithérapeutes du service [10].
Le patient est ainsi informé sur son parcours de soins lors
de son hospitalisation (séjour en unité de soin continu en
postopératoire) comprenant une information sur la technique d’analgésie (péridurale) et les soins de support qui
312
lui seront dispensés en postopératoire. Le risque hémorragique est faible et le recours à la transfusion rare, sauf en
cas d’anémie pré opératoire ou lors des reprises chirurgicales pour hémopéritoine (près de 10 % des patients pour
les CHIP par oxaliplatine). Une attention particulière est
portée au chiffre de plaquettes préopératoire qui doit être
supérieur à 150 giga/L en raison de l’hématotoxicité de la
chimiothérapie administrée en peropératoire. Les thrombopénies postopératoires peuvent notamment compliquer
l’utilisation de l’analgésie péridurale (j4).
Le risque thromboembolique de cette chirurgie est
majeur et doit faire l’objet d’une prévention systématique
(ordonnance de bas de contention à mettre en pré- per- et
postopératoire). Les axes veineux du territoire cave supérieurs sont vérifiés par échographie en cas d’antécédents de
thrombose notamment sur PAC.
En peropératoire
Conduite de l’anesthésie
Les patients doivent être réchauffés dès l’induction (matelas à air pulsé). Un cathéter d’analgésie péridurale est
mis en place en position thoracique haute (T8—T10) avant
l’induction de l’anesthésie et peut être éventuellement
utilisé en peropératoire (Annexe 1). Une technique alternative, en cas de problème d’hémostase contre indiquant
la réalisation de l’analgésie péridurale, consiste à utiliser
la lidocaïne en perfusion intraveineuse continue durant la
chirurgie. Après l’induction de l’anesthésie générale, une
attention particulière doit être portée à l’installation du
patient, aux points d’appui, et à la protection oculaire au
début de la chirurgie qui peut durer plus de 10 heures.
On évite toute fixation circulaire de sonde ou de capteur
de pression car les patients développent des œdèmes dès
la fin d’intervention, notamment dans les zones déclives.
L’entretien de l’anesthésie se fait indifféremment par voie
veineuse ou par inhalation.
Le monitorage de la pression artérielle invasive (position radiale) est recommandé. Le monitorage de la volémie
et de ses variations, par Doppler œsophagien, permet
d’adapter le volume des perfusions (goal-directed hemodynamic treatment) [11], le monitorage de la température
centrale continue par sonde œsophagienne, de la profondeur de l’anesthésie (BIS), et de la curarisation (qui doit être
profonde = surveillance du post-tetanic count) sont requis.
Enfin, un cathéter veineux central est mis en place pour la
chimiothérapie intraveineuse.
Maintien de la volémie
La première phase de la chirurgie, la plus longue, est celle de
la cytoréduction. Il est primordial de conserver une volémie
adaptée avant la phase de chimiothérapie hyperthermique.
Les patients atteints de carcinose ont un péritoine très
inflammatoire qui est le siège d’une exsudation très supérieure au péritoine sain. Les pertes liquidiennes sont
supérieures à celles d’une chirurgie abdominale majeure
(souvent plus de 10 mL/kg/h). Le remplissage comporte
uniquement des cristalloïdes, avec un rapport Ringer lactate/sérum physiologique de 2/1, afin de limiter l’acidose
hyperchlorémique postopératoire. Les solutés de dialyse
type Hémosol® , bien que n’ayant pas l’autorisation de mise
S. Dagois et al.
sur le marché dans cette indication, pourraient constituer une alternative intéressante. Le remplissage, pouvant
atteindre 16 à 18 mL/kg/h en fin de procédure, est guidé
par le monitorage des index hémodynamiques mesurés à
l’aide du Doppler œsophagien ou des autres techniques de
monitorage hémodynamique (index de variation du volume
d’éjection, de variation de la pression systolique, etc.) et les
mesures répétées du taux d’hémoglobine (hémocueTM ) qui
apprécie le niveau d’hémodilution ou d’hémoconcentration.
De même, on suit le retentissement hydro-électrolytique par
des bilans biologiques (ionogramme, gaz du sang, lactates)
en particulier à la fin de la phase de cytoréduction et après
la CHIP.
La stratégie de remplissage restrictive, souvent préconisée en chirurgie abdominale lourde, doit être évitée
chez ces patients largement hypovolémiques. Elle majore
l’acidose lactique et augmente le risque de défaillance
d’organe notamment rénale.
Les vasoconstricteurs en limitant la vasodilatation
et donc les échanges thermiques, majore et prolonge
l’hyperthermie centrale et l’inflammation induite.
Contrôle de la température
La température centrale du patient doit approcher 36 ◦ C au
moment du bain de chimiothérapie pour qu’il n’existe pas
une trop grande différence entre la température du patient
et celle du bain de chimiothérapie. Augmenter la température à 42 ◦ C dans l’abdomen chez un patient hypotherme
provoque en effet un « choc thermique » responsable d’une
vasoplégie majeure. Inversement, si le patient a une température centrale supérieure à 37 ◦ C au début du bain, sa
température risque de dépasser 39 ◦ C en fin de procédure.
Administration de la chimiothérapie
La chimiothérapie intraveineuse est perfusée sur une voie
veineuse centrale. On prend soin de contrôler rigoureusement la durée de la perfusion (risque de vasospasme
coronaire avec le 5FU). Les produits cytotoxiques doivent
être manipulés avec les précautions d’usage (gants, lunettes
de protection, casaque). Pendant le bain, tous les personnels dont la présence n’est pas obligatoire doivent sortir de
salle d’opération pour éviter tout contact accidentel avec la
chimiothérapie. De même, les déchets souillés émanant du
patient sont alors collectés dans des containers appropriés.
Des prélèvements d’air ont été réalisés pendant la procédure pour doser l’oxaliplatine dans la salle et n’ont retrouvé
aucune contamination aérienne par la chimiothérapie dans
la salle [12].
Contrôle de la glycémie
Un pic d’hyperglycémie est toujours observé après la CHIP, il
est secondaire au syndrome inflammatoire provoqué par la
CHIP et à l’insulino-résistance qui en découle. Il est le plus
souvent spontanément résolutif en quelques heures.
Suites postopératoire
Les patients stables sur le plan hémodynamique sont suivis SSPI et transférés en unité de soins continus à j1 pour
une durée de 5 à 7 jours. L’extubation est souvent possible
La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) (podcast)
dans les 3 premières heures postopératoires. Le contrôle
de la douleur postopératoire est basé sur l’association de
l’analgésie péridurale thoracique et d’une analgésie systémique classique associant opiacés et non opiacés.
Le maintien de la volémie reste un problème en
postopératoire : la CHIP provoque une exsudation péritonéale majeure qui se poursuit en postopératoire pendant
12 à 24 heures. Malgré une compensation systématique de
l’intégralité des drainages et une perfusion de base journalière de 2 à 3 litres, le remplissage postopératoire est toujours nécessaire et doit être poursuivi. L’hyperlactatémie
postopératoire immédiat se corrige parallèlement à la
réanimation dans les 24 premières heures. Les pertes hydroélectrolytiques majeures induisent aussi des perturbations
ioniques qu’il convient de surveiller et de corriger (acidose
hyperchlorémique, hyponatrémie, hypomagnésémie).
Prévention des complications postopératoire
Elle repose sur :
• la prévention précoce (H8) de la maladie thromboembolique veineuse en l’absence de trouble de l’hémostase
postopératoire (bas de contention et héparine de bas
poids moléculaire) ;
• la prévention des complications respiratoires par la kinésithérapie respiratoire précoce (éducation préopératoire) ;
• la prévention des vomissements associant une prévention
médicamenteuse et l’aspiration gastrique systématique.
L’iléus postopératoire peut durer jusqu’à 5—6 jours et
s’associe aux vomissements induits par la chimiothérapie
pendant plusieurs jours ;
• la prévention de l’ulcère de stress par les inhibiteurs de
la pompe à protons ;
• la mise au fauteuil précoce.
Complications
La CHIP est grevée d’une morbidité importante de l’ordre
de 30 % dans les équipes entraînées. Les pourcentages
indiqués sont variables selon les études mais souvent comparables d’une équipe à une autre. En peropératoire, il
existe un risque hémorragique variable durant la phase
de résection et qui dépend de l’étendue de celle-ci.
Au cours de l’intervention, l’hypovolémie non compensée peut aboutir à un bas débit cardiaque avec un risque
d’insuffisance rénale majoré par la chimiothérapie néphrotoxique. L’administration de 5FU peut provoquer un spasme
coronaire dont la traduction clinique est variable et qui peut
conduire à une élévation du taux de troponine en postopératoire. La chimiothérapie peut également provoquer des
réactions anaphylactiques sévères : état de choc, bronchospasme.
En postopératoire, les complications chirurgicales sont :
l’hémopéritoines (10 %), les péritonites (5 %), les fistules
digestives (5 %). Les complications médicales rencontrées
sont d’ordre hématologique : la thrombopénie est la plus fréquente, souvent à partir de j5, elle semble influencée par la
durée de la chirurgie [13], mais aussi pulmonaires : pneumopathie d’inhalation, atélectasies épanchement pleural, thromboemboliques, rénales : insuffisance rénale
aiguë fonctionnelle, organique (liée à la chimiothérapie),
313
rhabdomyolyse initiale, infectieuses : notamment liées aux
dispositifs médicaux (infection urinaire sur sonde, infection
de cathéters).
Devenir des patients et perspectives
Le délai de retour à l’état antérieur après une CHIP est
d’environ 3 mois [14] mais la qualité de vie est bonne et
revient totalement à son niveau préopératoire à 6 mois.
Les patients atteints de cancers colorectaux au stade de
carcinose péritonéale ayant une CHIP voient leur survie
médiane passer de moins de 6 mois à 22 à 63 mois (selon les
études). La survie à 5 ans atteint 20 à 51 % [13,15—18]. Certains patients en récidive plusieurs années après peuvent
même bénéficier une deuxième fois du traitement.
La chimiothérapie locale peropératoire poursuit son
développement dans d’autres indications (cancers gastriques, pancréatiques), et sur d’autres sites notamment la
plèvre (chimiothérapie hyperthermique intra-thoracique).
Annexe 1. Matériel complémentaire
Le matériel complémentaire accompagnant la version
en ligne de cet article est disponible sur http://www.
sciencedirect.com et http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.
2015.07.009.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
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