Le Praticien en anesthésie réanimation (2015) 19, 308—314 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com RUBRIQUE PRATIQUE La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) (podcast) Hyperthermic intraperitoneal chemotherapy (HIPEC) Sophie Dagoisa,∗, Marion Grienaya, Marc Pocardb,c, Étienne Gayata,c, Rea Lo Dicob, Lucie Marrya, François Barta, Nathalie Poiriera, Matthieu Le Dorzea, Charles Damoisela, Clarisse Evenob, Alexandre Mebazaaa,c a Département d’anesthésie-réanimation, SMUR, hôpitaux universitaires Saint-Louis-Lariboisière, AP—HP, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France b Service de chirurgie digestive, hôpitaux universitaires Saint-Louis-Lariboisière, AP—HP, 75010 Paris, France c Université Paris Diderot Paris VII, 75013 Paris, France Disponible sur Internet le 9 octobre 2015 MOTS CLÉS CHIP ; Carcinose péritonéale ; Pseudomyxome ; Chimiothérapie ∗ Résumé La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) décrite au début des années 1990 est une procédure utilisée dans le traitement des carcinoses péritonéales (cancers colorectaux, maladies primitives du péritoine) dont la survie était souvent inférieure à 6 mois. Elle associe une chirurgie de cytoréduction complète et une chimiothérapie par voie intra-péritonéale et systémique. C’est une chirurgie grevée d’une morbi-mortalité élevée pour laquelle la sélection des patients est primordiale afin de garder un bon rapport bénéfice/risque. Elle doit être réalisée par des équipes entraînées. En phase peropératoire, la prise en charge anesthésique consiste principalement à maintenir l’équilibre hydroélectrolytique, à gérer les variations hémodynamiques et la température du patient tout au long de la chirurgie qui peut durer plus de 10 heures. Les complications postopératoires les plus fréquentes peuvent être chirurgicales (hémopéritoine, péritonite, fistule) ou médicales (hématotoxicité, embolie pulmonaire, sepsis, pneumopathie). Grâce à la CHIP, la survie médiane des patients est passée de 6 mois à 22 à 63 mois selon les séries. Après une phase de convalescence d’environ 3 mois, la qualité de vie des patients est bonne. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Dagois). http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2015.07.009 1279-7960/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) (podcast) KEYWORDS HIPEC; Peritoneal carcinomatosis; Pseudomyxoma; Chemotherapy Summary Hyperthermic intraperitoneal chemotherapy (HIPEC) was first described in the early 1990s. This procedure is used in the treatment of peritoneal carcinomatosis (colorectal cancers, primitive diseases of the peritoneum) with an expected survival time less than 6 months. It combines a complete cytoreductive surgical procedure with both systemic and intra-peritoneal chemotherapy. It is associated with a high morbidity and mortality. Patient’s selection is paramount to keep a reasonable risk/benefit ratio. HIPEC requires a good coordination between surgical teams, anesthesiologist and intensivists familiar with the management of these patients. During intra-operative phase, the anesthetic management aims primarily maintaining fluid and electrolyte balance, reducing hemodynamic and temperature changes throughout surgery which can last more than 10 hours. Surgical (hemoperitoneum, peritonitis, fistula) or medical (hematologic toxicity, pulmonary embolism, sepsis, pneumonia) complications may occur. The median survival time of patients increased from 6 months to 22 to 63 months with HIPEC. After a convalescence phase of approximately 3 months, the patients’ quality of life is usually good. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Abréviations CHIP TDM IRM IPC 309 chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale tomodensitométrie imagerie par résonance magnétique index péritonéal de carcinose La version audio de cet article est disponible en podcast (Annexe 1 en fin d’article). Introduction La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) est une thérapie complémentaire agressive des cancers digestifs avec carcinose péritonéale. Associée à une chirurgie de cytoréduction tumorale complète et à une chimiothérapie par voie intraveineuse, elle consiste à administrer un bain de chimiothérapie directement au sein de la cavité péritonéale. Elle a permis un gain de survie considérable dans les cancers dont l’extension péritonéale était auparavant souvent synonyme de décès à court terme. Cette technique comporte un taux important de complications médico-chirurgicales. Il est fondamental pour les anesthésistes amenés à prendre en charge ces patients d’appréhender de façon optimale les enjeux de la prise en charge pré-, per- et postopératoire afin d’en limiter les complications et d’améliorer le confort des patients. Notre équipe, après 8 ans d’expérience, a pris en charge plus de 550 patients pour CHIP. Indications Quelles pathologies ? Les indications de CHIP peuvent être classées en 2 catégories : • les cancers pour lesquels l’intérêt de la CHIP est démontré depuis une dizaine d’années : les carcinoses péritonéales d’origine colorectale, appendiculaire et les cancers primitifs du péritoine (pseudomyxomes péritonéaux et mésothéliomes péritonéaux) [1] ; • les cancers pour lesquels l’introduction de la CHIP dans l’arsenal thérapeutique est plus récente et/ou moins consensuelle : carcinoses péritonéales d’origine ovarienne [2] ou gastrique [3]. Dans tous les cas, le degré d’extension de cette carcinose péritonéale doit faire l’objet d’une évaluation préopératoire la plus précise possible. Cette phase repose sur la confrontation des données radiologiques (TDM injectée, IRM et pet-scanner), biologiques (dosage des marqueurs tumoraux) et chirurgicales avec une place de plus en plus importante donnée à la laparoscopie exploratrice. Elle permet de faire une estimation de l’index péritonéal de carcinose (IPC) décrit par le Dr. Sugarbaker. Cet index reflète le niveau d’extension intra-abdominale de la maladie, plus il est élevé, plus la maladie est étendue. Outre son intérêt descriptif, il a un intérêt pronostique. Au-delà d’un certain niveau d’envahissement (seuil d’IPC), l’indication de la CHIP ne sera plus retenue, ou fortement discutée car la survie avec la CHIP rejoint la survie spontanée de la maladie ou la survie avec chimiothérapie systémique seule. Ce seuil d’IPC varie selon la nature de la carcinose : IPC > 20 pour une carcinose d’origine colique, > 10 pour une carcinose d’origine gastrique [4]. Le Peritoneal Surface Disease Severity Score est un autre score utilisé pour les cancers colorectaux. Il prend en compte le retentissement clinique de la carcinose, l’IPC et l’analyse histologique de la tumeur [5]. Avec l’ensemble des résultats, chaque dossier doit faire l’objet d’une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) associant chirurgiens, oncologues, gastroentérologues, anatomopathologistes et radiologues. À l’issue de cette RCP, l’indication de CHIP est retenue ou non. Classiquement, les maladies avec métastases extraabdominales, atteinte rétro-péritonéale, ou progressant sous chimiothérapie restent des contre-indications à la CHIP. Cependant, les prises en charge évoluent, et les métastases 310 S. Dagois et al. pulmonaires ne sont plus considérées comme une contreindication absolue [6]. Tableau 2 Index ECOG. Description Quels patients ? La CHIP est grevée d’une morbi-mortalité importante. Actuellement, dans les équipes ayant une activité régulière dans ce domaine, la mortalité des CHIP pour carcinose colique est schématiquement de moins de 2 % et le taux de complication de 30 %. Les patients proposés pour une CHIP doivent donc avoir un état général conservé pour supporter ses risques. Le clinicien peut s’aider de différents scores pour évaluer leur état. En anesthésie, les scores classiques d’évaluation du risque (le score de l’American Society of Anesthesiology [ASA] pour le risque anesthésique global, et le score de Lee pour le risque cardiovasculaire) sont pertinents. Un score ASA ≥ 3 ou un score de Lee ≥ 2 doivent alerter l’équipe. La décision de maintien ou non de l’indication sera prise lors de la RCP et après une discussion entre l’équipe d’oncologie, celle de chirurgie et celle d’anesthésie-réanimation. Une étude récente a montré que le diabète était un facteur prédictif indépendant de complications postopératoires, d’augmentation de la durée de séjour et de la mortalité après une CHIP, mais il s’agit d’un facteur de risque non spécifique de ce type d’intervention [7]. Les chirurgiens et les oncologues utilisent plus fréquemment le statut OMS des patients (Tableau 1) et l’index Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG) (Tableau 2) pour évaluer l’état physiologique des patients. Les patients ayant un score OMS ou un index ECOG ≤ 2 ont un état physiologique jugé satisfaisant pour le traitement [6]. Le statut nutritionnel pré-opératoire fait l’objet d’une évaluation par le chirurgien. Les patients recoivent tous une immunonutrition la semaine précédant la chirurgie. En pratique La chirurgie La chirurgie de cytoréduction ou debulking a été développée dans le traitement des cancers ovariens. Elle se différentie Tableau 1 Score OMS. Activité Score Capable d’une activité identique à celle précédant la maladie Activité physique diminuée, mais ambulatoire et capable de mener un travail Ambulatoire et capable de prendre soin de soi-même. Incapable de travailler et alité moins de 50 % du temps Capable seulement de quelques activités. Alité ou en chaise plus de 50 % du temps Incapable de prendre soin de soi-même. Alité ou en chaise en permanence 0 1 2 3 4 Pleinement actif — le malade peut exercer son activité normale sans aucune restriction Restreint dans les activités physiques fatigantes, mais pouvant ambulatoire, pouvant exercer une activité sans contraintes physiques importantes — activité domestique légère, bureau, etc. Patient ambulatoire et capable de s’occuper de lui-même pour ses soins personnels, mais incapable d’activité professionnelle ou à la maison. Debout plus de 50 % de la journée Ne pouvant faire que le minimum pour ses soins personnels. Confiné au lit ou à la chaise plus de 50 % de la journée Complètement handicapé dans sa vie, confiné au lit ou à la chaise, nécessitant l’assistance pour sa toilette et ses soins quotidiens d’une approche palliative car la résection tumorale est la plus complète possible afin d’augmenter l’efficacité d’une chimiothérapie complémentaire [8]. La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) n’est efficace que sur les tumeurs microscopiques car elle ne pénètre pas les nodules mesurant plus de 3 à 6 mm. Après évaluation de l’extension de la carcinose péritonéale selon l’index de Sugarbaker, la chirurgie cytoréductive doit concerner tous les implants tumoraux supra millimétriques. La qualité de la résection chirurgicale est ensuite stratifiée [4] : • CC0 = pas de résidu tumoral ; • CC1 = résidu < 2,5 mm ; • CC2 = 2,5 mm < résidu < 2,5 cm ; • CC3 = résidu > 2,5 cm. On parle de résection complète pour les résections CC0 ou CC1, elles seules autorisent à compléter la procédure par la CHIP, pour les carcinoses d’origine colique, ovarienne ou gastrique. Le but de la CHIP est d’exposer directement les reliquats tumoraux péritonéaux à des concentrations élevées de principe actif, en limitant le risque de toxicité systémique de la chimiothérapie. L’intérêt de réaliser la CHIP immédiatement en peropératoire est justifié par la formation rapide des adhérences après la cytoréduction, l’implantation préférentielle des cellules cancéreuses dans les sites de cicatrisation et leur contact avec des facteurs de croissance qui favoriseront le développement tumoral. Un délai, même court, entre la chirurgie et la CHIP compromet donc l’efficacité de la procédure. L’effet cytotoxique de l’hyperthermie a été démontré in vitro. L’augmentation de la température est corrélée à celle de la cytotoxicité des molécules de chimiothérapie et à leur pénétration dans les tissus tumoraux. Pendant l’intervention, on administre une chimiothérapie par voie intraveineuse (5 fluoro-uracile et acide folique) pendant l’heure précédant le bain de CHIP, afin d’exposer simultanément les cellules néoplasiques aux agents cytotoxiques par les 2 voies d’administration (locale directe et IV). Le système d’administration (Fig. 1) comprend une pompe et un réchauffeur permettant de maintenir la La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) (podcast) Figure 1. Le système d’administration. température du bain à 42◦ —43 ◦ C. Un monitorage précis de la température est effectué à l’aide de capteurs thermiques répartis dans les différents cadrans de la cavité péritonéale, afin que la température du bain soit homogène. Une température insuffisante (< 42 ◦ C) risque de compromettre l’efficacité de la procédure, alors qu’une température trop élevée (> 43 ◦ C) accroît le risque de nécrose de l’intestin grêle et de mauvaise tolérance de l’hyperthermie centrale. La technique appliquée dans le service est celle dite « du coliseum à ventre ouvert » (Fig. 2). La quantité de liquide nécessaire est déterminée en fonction de la surface corporelle des patients (2 L/m2 ). Le sérum glucosé à Figure 2. La technique dite « du coliseum à ventre ouvert ». 311 5 % utilisé pour le bain permet la stabilité de l’agent cytotoxique. La chimiothérapie la plus fréquemment utilisée est l’oxaliplatine. La mitomycine est préférée pour les procédures redux ou en cas de neuropathie périphérique liée à la chimiothérapie intraveineuse. La durée du bain est de 30 minutes pour l’oxaliplatine, et 45 minutes pour la mitomycine. En conséquence, l’intervention comporte plusieurs niveaux d’agressivité : • l’agression chirurgicale directe : elle est liée aux résections multiples et étendues comportant au minimum une omentectomie, une appendicectomie (risque carcinologique) et une cholécystectomie (risque de nécrose postopératoire). D’autres résections ont leur propre implication, par exemple, le retentissement des résections diaphragmatiques sur la fonction respiratoire postopératoire ; • l’agression liée à la CHIP et l’hyperthermie locale sont responsables de dommages tissulaires importants, notamment au niveau du péritoine. Elles provoquent une inflammation systémique et des déperditions hydroélectrolytiques par fuite capillaire et intra-abdominale majeure ; • la durée importante de la procédure et de l’anesthésie : la durée de la viscérolyse est souvent supérieure à 5 heures, et la durée totale de l’intervention est de 8 à 10 heures ou plus ; • la chimiothérapie IV comporte une toxicité propre (vasoconstriction coronaire du 5FU, thrombopénie postopératoire) qu’il convient de ne prendre en compte. La prise en charge anesthésique La prise en charge anesthésique pré- per- et postopératoire des patients s’effectue selon des protocoles de soins standardisés. Consultation d’anesthésie Un délai minimum d’une dizaine de jours est nécessaire entre la consultation d’anesthésie et la chirurgie, afin d’évaluer au mieux les patients et de leur laisser un délai de réflexion suffisant. Au-delà de 70 ans, les patients ne seront éligibles que s’ils n’ont pas de comorbidité importante et si la chirurgie de cytoréduction prévue n’est pas trop agressive [9]. Ce délai est mis à profit pour effectuer une préparation à la chirurgie comprenant une immunonutrition, de la kinésithérapie et d’autres mesures non spécifiques comme l’arrêt du tabac le cas échéant et l’adaptation des traitements en cours et l’évaluation de l’état cardiovasculaire et respiratoire. Un programme d’autokinésithérapie est mis en place lors de la consultation, avec remise d’un spiromètre personnel au patient. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une politique dite d’habilitation à la chirurgie. Les patients bénéficient d’une prise en charge multidisciplinaire et rencontrent le même jour, l’infirmière d’annonce, la psychologue et les kinésithérapeutes du service [10]. Le patient est ainsi informé sur son parcours de soins lors de son hospitalisation (séjour en unité de soin continu en postopératoire) comprenant une information sur la technique d’analgésie (péridurale) et les soins de support qui 312 lui seront dispensés en postopératoire. Le risque hémorragique est faible et le recours à la transfusion rare, sauf en cas d’anémie pré opératoire ou lors des reprises chirurgicales pour hémopéritoine (près de 10 % des patients pour les CHIP par oxaliplatine). Une attention particulière est portée au chiffre de plaquettes préopératoire qui doit être supérieur à 150 giga/L en raison de l’hématotoxicité de la chimiothérapie administrée en peropératoire. Les thrombopénies postopératoires peuvent notamment compliquer l’utilisation de l’analgésie péridurale (j4). Le risque thromboembolique de cette chirurgie est majeur et doit faire l’objet d’une prévention systématique (ordonnance de bas de contention à mettre en pré- per- et postopératoire). Les axes veineux du territoire cave supérieurs sont vérifiés par échographie en cas d’antécédents de thrombose notamment sur PAC. En peropératoire Conduite de l’anesthésie Les patients doivent être réchauffés dès l’induction (matelas à air pulsé). Un cathéter d’analgésie péridurale est mis en place en position thoracique haute (T8—T10) avant l’induction de l’anesthésie et peut être éventuellement utilisé en peropératoire (Annexe 1). Une technique alternative, en cas de problème d’hémostase contre indiquant la réalisation de l’analgésie péridurale, consiste à utiliser la lidocaïne en perfusion intraveineuse continue durant la chirurgie. Après l’induction de l’anesthésie générale, une attention particulière doit être portée à l’installation du patient, aux points d’appui, et à la protection oculaire au début de la chirurgie qui peut durer plus de 10 heures. On évite toute fixation circulaire de sonde ou de capteur de pression car les patients développent des œdèmes dès la fin d’intervention, notamment dans les zones déclives. L’entretien de l’anesthésie se fait indifféremment par voie veineuse ou par inhalation. Le monitorage de la pression artérielle invasive (position radiale) est recommandé. Le monitorage de la volémie et de ses variations, par Doppler œsophagien, permet d’adapter le volume des perfusions (goal-directed hemodynamic treatment) [11], le monitorage de la température centrale continue par sonde œsophagienne, de la profondeur de l’anesthésie (BIS), et de la curarisation (qui doit être profonde = surveillance du post-tetanic count) sont requis. Enfin, un cathéter veineux central est mis en place pour la chimiothérapie intraveineuse. Maintien de la volémie La première phase de la chirurgie, la plus longue, est celle de la cytoréduction. Il est primordial de conserver une volémie adaptée avant la phase de chimiothérapie hyperthermique. Les patients atteints de carcinose ont un péritoine très inflammatoire qui est le siège d’une exsudation très supérieure au péritoine sain. Les pertes liquidiennes sont supérieures à celles d’une chirurgie abdominale majeure (souvent plus de 10 mL/kg/h). Le remplissage comporte uniquement des cristalloïdes, avec un rapport Ringer lactate/sérum physiologique de 2/1, afin de limiter l’acidose hyperchlorémique postopératoire. Les solutés de dialyse type Hémosol® , bien que n’ayant pas l’autorisation de mise S. Dagois et al. sur le marché dans cette indication, pourraient constituer une alternative intéressante. Le remplissage, pouvant atteindre 16 à 18 mL/kg/h en fin de procédure, est guidé par le monitorage des index hémodynamiques mesurés à l’aide du Doppler œsophagien ou des autres techniques de monitorage hémodynamique (index de variation du volume d’éjection, de variation de la pression systolique, etc.) et les mesures répétées du taux d’hémoglobine (hémocueTM ) qui apprécie le niveau d’hémodilution ou d’hémoconcentration. De même, on suit le retentissement hydro-électrolytique par des bilans biologiques (ionogramme, gaz du sang, lactates) en particulier à la fin de la phase de cytoréduction et après la CHIP. La stratégie de remplissage restrictive, souvent préconisée en chirurgie abdominale lourde, doit être évitée chez ces patients largement hypovolémiques. Elle majore l’acidose lactique et augmente le risque de défaillance d’organe notamment rénale. Les vasoconstricteurs en limitant la vasodilatation et donc les échanges thermiques, majore et prolonge l’hyperthermie centrale et l’inflammation induite. Contrôle de la température La température centrale du patient doit approcher 36 ◦ C au moment du bain de chimiothérapie pour qu’il n’existe pas une trop grande différence entre la température du patient et celle du bain de chimiothérapie. Augmenter la température à 42 ◦ C dans l’abdomen chez un patient hypotherme provoque en effet un « choc thermique » responsable d’une vasoplégie majeure. Inversement, si le patient a une température centrale supérieure à 37 ◦ C au début du bain, sa température risque de dépasser 39 ◦ C en fin de procédure. Administration de la chimiothérapie La chimiothérapie intraveineuse est perfusée sur une voie veineuse centrale. On prend soin de contrôler rigoureusement la durée de la perfusion (risque de vasospasme coronaire avec le 5FU). Les produits cytotoxiques doivent être manipulés avec les précautions d’usage (gants, lunettes de protection, casaque). Pendant le bain, tous les personnels dont la présence n’est pas obligatoire doivent sortir de salle d’opération pour éviter tout contact accidentel avec la chimiothérapie. De même, les déchets souillés émanant du patient sont alors collectés dans des containers appropriés. Des prélèvements d’air ont été réalisés pendant la procédure pour doser l’oxaliplatine dans la salle et n’ont retrouvé aucune contamination aérienne par la chimiothérapie dans la salle [12]. Contrôle de la glycémie Un pic d’hyperglycémie est toujours observé après la CHIP, il est secondaire au syndrome inflammatoire provoqué par la CHIP et à l’insulino-résistance qui en découle. Il est le plus souvent spontanément résolutif en quelques heures. Suites postopératoire Les patients stables sur le plan hémodynamique sont suivis SSPI et transférés en unité de soins continus à j1 pour une durée de 5 à 7 jours. L’extubation est souvent possible La chimiothérapie hyperthermique intra-péritonéale (CHIP) (podcast) dans les 3 premières heures postopératoires. Le contrôle de la douleur postopératoire est basé sur l’association de l’analgésie péridurale thoracique et d’une analgésie systémique classique associant opiacés et non opiacés. Le maintien de la volémie reste un problème en postopératoire : la CHIP provoque une exsudation péritonéale majeure qui se poursuit en postopératoire pendant 12 à 24 heures. Malgré une compensation systématique de l’intégralité des drainages et une perfusion de base journalière de 2 à 3 litres, le remplissage postopératoire est toujours nécessaire et doit être poursuivi. L’hyperlactatémie postopératoire immédiat se corrige parallèlement à la réanimation dans les 24 premières heures. Les pertes hydroélectrolytiques majeures induisent aussi des perturbations ioniques qu’il convient de surveiller et de corriger (acidose hyperchlorémique, hyponatrémie, hypomagnésémie). Prévention des complications postopératoire Elle repose sur : • la prévention précoce (H8) de la maladie thromboembolique veineuse en l’absence de trouble de l’hémostase postopératoire (bas de contention et héparine de bas poids moléculaire) ; • la prévention des complications respiratoires par la kinésithérapie respiratoire précoce (éducation préopératoire) ; • la prévention des vomissements associant une prévention médicamenteuse et l’aspiration gastrique systématique. L’iléus postopératoire peut durer jusqu’à 5—6 jours et s’associe aux vomissements induits par la chimiothérapie pendant plusieurs jours ; • la prévention de l’ulcère de stress par les inhibiteurs de la pompe à protons ; • la mise au fauteuil précoce. Complications La CHIP est grevée d’une morbidité importante de l’ordre de 30 % dans les équipes entraînées. Les pourcentages indiqués sont variables selon les études mais souvent comparables d’une équipe à une autre. En peropératoire, il existe un risque hémorragique variable durant la phase de résection et qui dépend de l’étendue de celle-ci. Au cours de l’intervention, l’hypovolémie non compensée peut aboutir à un bas débit cardiaque avec un risque d’insuffisance rénale majoré par la chimiothérapie néphrotoxique. L’administration de 5FU peut provoquer un spasme coronaire dont la traduction clinique est variable et qui peut conduire à une élévation du taux de troponine en postopératoire. La chimiothérapie peut également provoquer des réactions anaphylactiques sévères : état de choc, bronchospasme. En postopératoire, les complications chirurgicales sont : l’hémopéritoines (10 %), les péritonites (5 %), les fistules digestives (5 %). Les complications médicales rencontrées sont d’ordre hématologique : la thrombopénie est la plus fréquente, souvent à partir de j5, elle semble influencée par la durée de la chirurgie [13], mais aussi pulmonaires : pneumopathie d’inhalation, atélectasies épanchement pleural, thromboemboliques, rénales : insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, organique (liée à la chimiothérapie), 313 rhabdomyolyse initiale, infectieuses : notamment liées aux dispositifs médicaux (infection urinaire sur sonde, infection de cathéters). Devenir des patients et perspectives Le délai de retour à l’état antérieur après une CHIP est d’environ 3 mois [14] mais la qualité de vie est bonne et revient totalement à son niveau préopératoire à 6 mois. Les patients atteints de cancers colorectaux au stade de carcinose péritonéale ayant une CHIP voient leur survie médiane passer de moins de 6 mois à 22 à 63 mois (selon les études). La survie à 5 ans atteint 20 à 51 % [13,15—18]. Certains patients en récidive plusieurs années après peuvent même bénéficier une deuxième fois du traitement. La chimiothérapie locale peropératoire poursuit son développement dans d’autres indications (cancers gastriques, pancréatiques), et sur d’autres sites notamment la plèvre (chimiothérapie hyperthermique intra-thoracique). Annexe 1. Matériel complémentaire Le matériel complémentaire accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www. sciencedirect.com et http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan. 2015.07.009. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Eveno C, Dagois S, Guillot E, Gornet JM, Pocard M. Treatment of peritoneal carcinomatosis with surgery and hyperthermic peroperative intraperitoneal chemotherapy (HIPEC): new aspects and validated indications. Bull Cancer 2008;95:141—5. [2] Bakrin N, Bereder JM, Decullier E, Classe JM, Msika S, Lorimier G, et al. 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