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d’après-midi, que si un membre de leur famille vient les cher-
cher. « Certaines se plaignent et disent que nous sommes enfer-
mées. Moi, je suis contente de bénéficier d’une bonne éducation
et d’être en sécurité », dit Yakoura. « On nous apprend à ne pas
trop parler, à ne pas trop discuter et à ne pas faire de dessins au
henné sur nos mains avant de nous marier. Et, dans notre école,
les garçons nous laissent tranquilles. Ils ne sont pas autorisés à
porter un couteau sur eux. » Cela est en effet digne d’être men-
tionné car, dans les écoles publiques des villes, les rixes à l’arme
blanche ou à l’arme à feu ne sont pas rares. Les élèves se battent
en classe pour obtenir un siège – ils sont parfois cent vingt à
devoir s’entasser dans des classes de trente. Et les jeunes filles
subissent des intimidations en permanence. La situation est dif-
férente dans les madrassas et dans les écoles franco-arabes, car
toutes sont supervisées par un imam. Ce sont les seuls établisse-
ments qui attirent davantage de filles que de garçons, ce qui en
soi est déjà un argument en faveur de ce type d’enseignement.
Mais les non-musulmans ne se sentent pas à l’aise. Il est un
fait que la politique d’encouragement de l’emploi de l’arabe
coïncide avec la prise d’influence de toutes les variétés de
l’islam, y compris l’islam fondamentaliste, depuis quatre ou
cinq ans. Paradoxalement, cette situation est en partie due au
fait que des traductions françaises d’extraits du Coran et
d’autres textes religieux, réalisées dans des pays comme le
Sénégal et le Maroc, sont désormais disponibles au Tchad.
« Grâce à ces brochures et à ces cassettes, je comprends les
prières et les rituels et je pratique ma religion avec plus de
sérieux qu’auparavant », témoigne une fonctionnaire. Pour la
première fois depuis des dizaines d’années, les mosquées se
remplissent de jeunes, de plus en plus d’hommes refusent de
serrer la main aux femmes et l’une des principales artères de
la capitale, N’Djamena, ferme chaque vendredi pour per-
mettre à des centaines de fidèles de s’y rassembler pour la
prière commune.
Rares sont les chrétiens du Tchad qui pensent que l’arabe
véhiculaire est introduit dans un objectif pédagogique. Ils ont
en réalité très peur de la polarisation de la population, dans ce
pays qui a connu trente ans de guerre civile depuis son indé-
pendance (en général, depuis vingt ans, au détriment du Sud
chrétien). Pour eux, l’arabe standard est la langue de l’islam,
c’est l’arabe du Coran (une langue morte). Lorsqu’ils entendent
parler cette langue à la radio, ils ont le réflexe de l’éteindre : « Ils
vont se mettre à prier… » Et puis, ils se répètent le deuxième
passage le plus cité de la Constitution : « Le Tchad est un pays
laïque » – au cas où d’aucuns l’oublieraient.
Mais cette crainte de la progression de l’arabe standard n’est-
elle pas légèrement exagérée ? Tout comme le parallélisme qui
est fait avec la montée en puissance de l’islam ? Mahamat
Abbas, de l’Isesco (l’Organisation islamique pour l’éducation,
les sciences et la culture), nous a donné son sentiment : « Cela
me fait sourire. Il y a cinquante ans, nous craignions l’endoc-
trinement chrétien dans les écoles françaises. Aujourd’hui, c’est
l’inverse qui se produit. Bien sûr, la langue et la culture sont
liées. Mais l’objectif n’est pas d’enseigner l’islam. »
Cela étant, le musulman moyen identifie totalement l’arabe
standard à sa foi. Pour lui, il serait inconcevable que radio Vatican
émette des émissions en arabe, par exemple ! Et puis, la pénurie
de matériel pédagogique est telle que les textes utilisés aux cours
d’arabe sont souvent des passages du Coran ou du hadith.
L’islam qui s’impose au Tchad est malgré tout beaucoup
plus réaliste que les interprétations strictes qui ont cours en
Libye et au Soudan, les pays voisins. Malgré cela, Mahamat
Kodi, qui est lui-même musulman, prend très au sérieux la
possibilité que l’arabe standard devienne le véhicule de cet
islam plus dur : « Le problème avec l’éducation en arabe, c’est
que, même sans toujours le vouloir, elle fait gagner du terrain
à l’intégrisme. Toutes ces femmes que vous voyez aujourd’hui
dans les rues habillées en noir, elles sont d’ici ! Mais nous
sommes impuissants. Pendant des années, le gouvernement a
été incapable d’assurer l’enseignement de nos enfants.
Aujourd’hui l’argent afflue. Et il vient d’organisations isla-
miques comme Dadawa ou de pays comme la Libye… » ■
n° 197 mars-avril 2003 le Courrier ACP-UE 19
Le centre de N’Djamena
Au Tchad, le 9
e
FED, qui sera mis en œuvre en 2003, couvrira deux
grands domaines : les infrastructures (routes et approvisionnement
en eau) et l’aide financière aux secteurs sociaux, avec un budget de
50 millions d’euros. La majeure partie de cette enveloppe sera affec-
tée à la santé et à l’éducation.
En l’an 2000, le ministère de l’Education avait un budget de 19 mil-
liards de francs CFA (environ 29 millions d’euros), soit 2,28 % du pro-
duit national brut et 19,1 % du budget de l’Etat. Les fonds affectés
à l’éducation ont considérablement augmenté au cours de ces cinq
dernières années. « Mais cela ne signifie pas pour autant », estime
Bernard François, un fonctionnaire de l’Union européenne, « que cet
argent parvient sans encombres aux structures éducatives. » Bernard
François prépare un programme de soutien au développement des
capacités institutionnelles pour le ministère de l’Education.
« L’éducation est une priorité de tout premier plan au Tchad. La
demande est très forte. Maintenant que la première phase d’exploi-
tation du pétrole tchadien est lancée, il est plus clair que jamais que
ce pays a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée. Les entreprises qui
construisent des routes et d’autres types d’infrastructures ont les
pires difficultés à trouver du personnel tchadien compétent. Il est
urgent de renforcer les capacités de l’ensemble du secteur éducatif. »
L’Union européenne, avec plusieurs instances nationales tcha-
diennes, a choisi d’apporter un soutien général au ministère de
l’Education en créant une unité d’experts tchadiens et expatriés, spé-
cialisés dans le domaine de la gestion financière et de la planification.