Droit à la connaissance, respect des personnes et recherche clinique
Le système anglais
Docteur Frank Wells
Directeur et conseiller médical, MedicoLegal Investigations Limited
Directeur du Comité des problèmes éthiques, Faculté de médecine pharmaceutique, Collège royal des
médecins du Royaume-Uni
Il m’a été demandé de m’exprimer sur le système de recherche anglais sous l’angle du
processus de contrôle éthique des études cliniques. J’ai cependant demandé la permission, qui
m’a été accordée, de concentrer mon propos principalement sur la prévention et le contrôle
des fautes dans le déroulement d’une recherche clinique, avec son point extrême la fraude,
dans la mesure où cela constitue l’essentiel de mon activité actuelle.
La majorité des recherches cliniques se déroule de façon honnête et honorable. Il peut
cependant arriver, de manière occasionnelle, que le promoteur d’une étude clinique puisse
être confronté à des données qui lui semblent suspectes. Ces données peuvent être
frauduleuses ou non. Il est d’une importance vitale pour la société dans son ensemble, et pour
les personnes qui financent la recherche clinique en particulier, que tous les efforts soient
accomplis pour éliminer ce type de recherches frauduleuses.
Les comités d’éthique de recherches (dénomination sous laquelle sont connus au Royaume-
Uni les comités d’éthique indépendants) jouent un rôle extrêmement important à cet égard. Le
système anglais de contrôle éthique fonctionne à l’aide d’un système double, comprenant des
comités d’éthique multicentriques et locaux. Il existe dix comités d’éthique multicentriques en
Grande-Bretagne ; chacun d’entre eux pouvant faire fonction de Comité national (pour le
Royaume-Uni), et être chargé de l’examen du protocole d’un projet de recherches devant se
dérouler dans au moins cinq centres du pays. J’emploie le mot contrôle du protocole à
dessein, dans la mesure où chaque projet doit être soumis à un comité d’éthique local. Ces
comités locaux contrôlent les protocoles de tous les projets destinés à se dérouler dans les
limites de leur propre district, à la condition qu’un maximum de quatre centres y participent.
En outre, ils prennent en considération les circonstances locales qui prévalent dans toutes les
études effectuées à une échelle locale, qu’ils aient eux-mêmes contrôlé le protocole, ou que
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celui-ci ait été contrôlé par un comité multicentrique. On ne peut pas attendre qu’un comité
régional ou central comprenne les circonstances locales, notamment les références d’un
investigateur local, et ce dernier rôle est considéré comme très important pour un comité
local.
La structure des comités d'éthique au Royaume-Uni est très complexe, elle suit en cela celle
de notre Service national de santé (National Health Service, NHS) ! Sur les dix comités
multicentriques auxquels j'ai fait référence, huit d'entre eux dépendent du Secrétaire d'État
pour la santé (en Angleterre), et les comités multicentriques nationaux uniques d'Écosse et du
Pays de Galles sont tous les deux sous la responsabilité du Ministre de la santé de leurs pays
respectifs. Il n'existe jusqu'à présent aucun comité multicentrique en Irlande du Nord. Plus de
150 comités d'éthique locaux ont été mis en place, chacun d'entre eux ayant été investi d’un
caractère légal par une autorité sanitaire du Service national de santé, auquel le comité
prodigue ses conseils. En pratique, toutes les autorités sanitaires délèguent à leurs comités
locaux respectifs leur responsabilité pour accorder (ou rejeter) l'approbation éthique à un
projet de recherche. Ces derniers constituent par conséquent les organismes responsables de la
sauvegarde des intérêts des patients (et des volontaires sains), qui vivent dans le district
couvert par l'autorité sanitaire, et qui sont susceptibles d’être recrutés dans un essai clinique.
Outre les organisations ci-dessus, il existe aujourd'hui une Association des comités d'éthique,
mise en place il y a deux ans, et qui est destinée à permettre aux comités d'éthique
multicentriques et locaux de se rencontrer afin de discuter des sujets et des problèmes liés à
leurs fonctions, et d’envoyer des représentants au sein des Départements (c'est-à-dire des
ministères) de la santé des quatre pays du Royaume-Uni. Les comités rejoignent l’Association
de manière volontaire, et la grande majorité d'entre eux ont choisi de le faire. Il y a quatre
mois, le Département de la santé d'Angleterre a mis en place un Bureau central des comités
d'éthique, qui fournit (pour l'Angleterre) un service en relation permanente avec l'Association,
et qui utilise celle-ci comme un intermédiaire pouvant être consulté sur tous les sujets ayant
trait à l'éthique de la recherche médicale. Une organisation similaire est en passe d’être mise
en place en Écosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord.
Le comité d'éthique local auquel je suis rattaché passe une partie significative de ses réunions
mensuelles à s'assurer que chaque investigateur nous soit connu. Elle s’attache également à ce
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qu’il sache ce que nous attendons de lui ou d'elle, en ce qui concerne le projet spécifique à
l'étude. Nous avons rejeté des investigateurs individuels dont l'engagement envers les
principes des Bonnes pratiques (de recherches) cliniques était insuffisant, qui étaient trop
occupés, et entreprenaient un nombre de projets de recherche dépassant les limites de ce qui
pouvait être assumé de façon adéquate, ou dont les établissements locaux n'étaient pas adaptés
au projet de recherche spécifique en question.
Toutes les personnes responsables du parrainage, du déroulement et de l'examen des projets
de recherche biomédicale, notamment les comités d'éthique, doivent être alertés de la
possibilité de l’existence de fautes dans la réalisation d’une étude, ou même d'une fraude
intentionnelle. Un certain nombre de laboratoires et d'institutions sont d'ores et déjà dotés de
procédures permanentes indiquant les étapes qui doivent être adoptées par une équipe ou par
un confrère suspectant une faute dans la conduite d'une recherche. En outre, ces procédures
doivent souligner la philosophie et l'engagement de la direction de l'organisation concernée.
Je souhaiterais que cette conférence puisse inciter les organisations à mettre en place une telle
procédure, dans le cas où elle n'existerait pas déjà.
Dans un monde idéal, la fraude n'existerait pas. Malheureusement, nous ne vivons pas dans un
tel monde. Bien qu'aujourd'hui, des normes très exigeantes soient appliquées presque
systématiquement dans les recherches cliniques, et auxquelles toutes les parties intéressées
sont censées adhérer, des fraudes sont encore commises. En fait, il est même hautement
improbable que quiconque travaillant dans le domaine de la recherche clinique n'ait jamais été
confronté à un cas de fraude au cours de sa carrière professionnelle. Des procédures à mettre
en œuvre en cas de suspicion d'une faute dans la conduite d'une recherche clinique doivent par
conséquent être mises en place malgré l'existence de ces normes. Dans le cas de recherches
portant sur des médicaments, les normes exigées pour la conduite des essais cliniques existent
déjà, et ont été adoptées par tous les organismes réglementaires autorisant la mise sur le
marché des médicaments, ainsi que par tous les laboratoires pharmaceutiques internationaux
et les organisations de recherche sous contrat. Il s'agit des directives des Bonnes pratiques [de
recherches] cliniques (BPC), établies sous les auspices de la Conférence internationale sur
l'harmonisation (CHI) (des procédures d'autorisation des produits médicaux). Cela signifie
qu'il existe désormais des directives globales, et par conséquent des normes globales, qui ont
été adoptées par les trois secteurs principaux d'Europe, des États-Unis et du Japon.
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Même si l'harmonisation a été obtenue en ce qui concerne les normes, celle-ci n'a pas court
lorsqu'il s'agit de fraude et de faute dans la conduite d'une recherche clinique. En vérité, même
en Europe, il n’existe jusqu'à aujourd'hui aucune attitude commune sur la façon d'aborder ce
problème. En tant qu'anglais, je suis parfaitement averti de l'attitude négative de certains de
mes compatriotes envers l'harmonisation européenne ; cependant, dans ce contexte particulier,
je pense que notre système anglais fonctionne plutôt bien, et je n'ai aucune hésitation à
recommander que cela soit pris en compte outre-Manche !
La fraude est beaucoup moins fréquente que la négligence, bien que son incidence soit
difficile à quantifier. Néanmoins, elle a été estimée entre 0,1 et 0,4 %. En me basant sur le
travail que j'effectue actuellement sur certains cas de fraude, mon opinion personnelle est
qu'elle doit être plus élevée, et s'approcher de 1 %. Si nous adoptons le chiffre de 1 %, cela
signifie qu'au Royaume-Uni, où je travaille, à un moment quelconque, il peut exister trente
études en cours de réalisation pouvant être frauduleuses. En extrapolant ces chiffres au reste
du monde, et il n'existe aucune preuve que l'incidence de la fraude dans les recherches
cliniques soit différente en France, ou bien en Europe ou en Amérique du Nord (bien qu'il soit
plus facile de traiter de ce problème strictement au Royaume-Uni), on obtient alors entre 125
et 150 essais cliniques en cours de réalisation, au cours desquels certaines des données
produites sont frauduleuses, des investigateurs maquillent certains des résultats soumis à un
laboratoire, et, le plus grave, exploitent leurs patients impliqués dans ce processus.
La meilleure définition de la fraude dans une recherche clinique est la suivante : « la
production de données fausses avec l'intention de tromper ». Cette définition couvre tous les
aspects de la fraude : la falsification d’informations qui n'existent pas, et l'intention de
tromper les autres de façon flagrante afin de leur faire croire que ces informations sont vraies.
La plupart des cas de fraude documentés précédemment dans le domaine de la recherche
médicale proviennent des États-Unis, et un certain nombre d'entre concernent des articles
publiés, mais le phénomène est général.
Ma première expérience personnelle concernant une faute dans le déroulement d'une
recherche clinique est survenue lorsque j'étais directeur médical de l'ABPI, l'Association
commerciale de l'industrie pharmaceutique au Royaume-Uni. Il s'agissait du cas du docteur
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Uzair Siddiqui, un psychiatre de la ville de Durham. Un astucieux moniteur d'essai clinique,
membre d'un laboratoire pharmaceutique, a découvert que ce médecin avait inventé certaines
des données biologiques concernant la plupart des patients qui auraient participé à l'essai, et
qu’il avait inventé complètement un patient. Les laboratoires d'analyses médicales participant
à cette étude étaient situés dans deux hôpitaux, l'un à l'intérieur et l'autre à l'extérieur de la
ville, et le moniteur n'a pas pu trouver de preuves, dans aucun laboratoire, que des
échantillons avaient été soumis à des analyses. Lorsqu'il a été confondu, le médecin a déclaré
qu'il n'avait pas effectué l'étude lui-même, mais avait délégué cette tâche à son chef de
clinique (un médecin en formation), dont il avait oublié le nom, et qu'il ne savait pas où elle
travaillait aujourd'hui. L'aide de l'association commerciale pour le Royaume-Uni (ABPI) a été
sollicitée, et il n'a pas été difficile d'établir le nom et l'adresse du médecin assistant que le
docteur Siddiqui avait accusé. Cependant elle a farouchement nié toute participation à l'étude,
les preuves qu'elle a apportées ont été acceptées, et confirmées par la suite.
Le cas était grave, et justifiait de prendre des mesures disciplinaires. Mais, comme on peut le
comprendre à cette époque, le laboratoire a été très préoccupé qu'on puisse le critiquer pour
avoir fait une allégation de fraude. En fait, il était contrarié de pouvoir perdre la confiance des
médecins, et par conséquent leurs prescriptions, s'il entreprenait une telle action. Par
conséquent, avec une certaine appréhension, le cas a été soumis au Conseil de l’Ordre des
médecins, je reviendrais sur cette procédure au plus loin. Le docteur Siddiqui a finalement été
déclaré coupable, et il a été radié.
La réaction des médecins de Durham a été exactement celle que le laboratoire redoutait ; ils
ont été furieux qu'un laboratoire pharmaceutique, même s'il était soutenu par l'ABPI, ait osé
porter plainte contre un éminent psychiatre auprès du Conseil de l’Ordre. Ils ont par
conséquent imposé une sanction contre le laboratoire en l'éliminant du centre local de
formation médicale de troisième cycle, auquel tous les laboratoires pharmaceutiques ont
normalement accès pour parrainer des réunions. Heureusement, en deux semaines, il a été
possible de tenir un congrès indépendant à Durham, au cours duquel l'intégralité des faits a été
exposée, le cas ayant été traité dans la plus parfaite confidentialité jusqu'à l'audition du
Comité des règles professionnelles et déontologiques (Professional Conduct Committe) en
public, ce qui a permis de rétablir la situation antérieure.
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