Droit à la connaissance, respect des personnes et recherche clinique Le système anglais Docteur Frank Wells Directeur et conseiller médical, MedicoLegal Investigations Limited Directeur du Comité des problèmes éthiques, Faculté de médecine pharmaceutique, Collège royal des médecins du Royaume-Uni Il m’a été demandé de m’exprimer sur le système de recherche anglais sous l’angle du processus de contrôle éthique des études cliniques. J’ai cependant demandé la permission, qui m’a été accordée, de concentrer mon propos principalement sur la prévention et le contrôle des fautes dans le déroulement d’une recherche clinique, avec son point extrême la fraude, dans la mesure où cela constitue l’essentiel de mon activité actuelle. La majorité des recherches cliniques se déroule de façon honnête et honorable. Il peut cependant arriver, de manière occasionnelle, que le promoteur d’une étude clinique puisse être confronté à des données qui lui semblent suspectes. Ces données peuvent être frauduleuses ou non. Il est d’une importance vitale pour la société dans son ensemble, et pour les personnes qui financent la recherche clinique en particulier, que tous les efforts soient accomplis pour éliminer ce type de recherches frauduleuses. Les comités d’éthique de recherches (dénomination sous laquelle sont connus au RoyaumeUni les comités d’éthique indépendants) jouent un rôle extrêmement important à cet égard. Le système anglais de contrôle éthique fonctionne à l’aide d’un système double, comprenant des comités d’éthique multicentriques et locaux. Il existe dix comités d’éthique multicentriques en Grande-Bretagne ; chacun d’entre eux pouvant faire fonction de Comité national (pour le Royaume-Uni), et être chargé de l’examen du protocole d’un projet de recherches devant se dérouler dans au moins cinq centres du pays. J’emploie le mot contrôle du protocole à dessein, dans la mesure où chaque projet doit être soumis à un comité d’éthique local. Ces comités locaux contrôlent les protocoles de tous les projets destinés à se dérouler dans les limites de leur propre district, à la condition qu’un maximum de quatre centres y participent. En outre, ils prennent en considération les circonstances locales qui prévalent dans toutes les études effectuées à une échelle locale, qu’ils aient eux-mêmes contrôlé le protocole, ou que 1/12 celui-ci ait été contrôlé par un comité multicentrique. On ne peut pas attendre qu’un comité régional ou central comprenne les circonstances locales, notamment les références d’un investigateur local, et ce dernier rôle est considéré comme très important pour un comité local. La structure des comités d'éthique au Royaume-Uni est très complexe, elle suit en cela celle de notre Service national de santé (National Health Service, NHS) ! Sur les dix comités multicentriques auxquels j'ai fait référence, huit d'entre eux dépendent du Secrétaire d'État pour la santé (en Angleterre), et les comités multicentriques nationaux uniques d'Écosse et du Pays de Galles sont tous les deux sous la responsabilité du Ministre de la santé de leurs pays respectifs. Il n'existe jusqu'à présent aucun comité multicentrique en Irlande du Nord. Plus de 150 comités d'éthique locaux ont été mis en place, chacun d'entre eux ayant été investi d’un caractère légal par une autorité sanitaire du Service national de santé, auquel le comité prodigue ses conseils. En pratique, toutes les autorités sanitaires délèguent à leurs comités locaux respectifs leur responsabilité pour accorder (ou rejeter) l'approbation éthique à un projet de recherche. Ces derniers constituent par conséquent les organismes responsables de la sauvegarde des intérêts des patients (et des volontaires sains), qui vivent dans le district couvert par l'autorité sanitaire, et qui sont susceptibles d’être recrutés dans un essai clinique. Outre les organisations ci-dessus, il existe aujourd'hui une Association des comités d'éthique, mise en place il y a deux ans, et qui est destinée à permettre aux comités d'éthique multicentriques et locaux de se rencontrer afin de discuter des sujets et des problèmes liés à leurs fonctions, et d’envoyer des représentants au sein des Départements (c'est-à-dire des ministères) de la santé des quatre pays du Royaume-Uni. Les comités rejoignent l’Association de manière volontaire, et la grande majorité d'entre eux ont choisi de le faire. Il y a quatre mois, le Département de la santé d'Angleterre a mis en place un Bureau central des comités d'éthique, qui fournit (pour l'Angleterre) un service en relation permanente avec l'Association, et qui utilise celle-ci comme un intermédiaire pouvant être consulté sur tous les sujets ayant trait à l'éthique de la recherche médicale. Une organisation similaire est en passe d’être mise en place en Écosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord. Le comité d'éthique local auquel je suis rattaché passe une partie significative de ses réunions mensuelles à s'assurer que chaque investigateur nous soit connu. Elle s’attache également à ce 2/12 qu’il sache ce que nous attendons de lui ou d'elle, en ce qui concerne le projet spécifique à l'étude. Nous avons rejeté des investigateurs individuels dont l'engagement envers les principes des Bonnes pratiques (de recherches) cliniques était insuffisant, qui étaient trop occupés, et entreprenaient un nombre de projets de recherche dépassant les limites de ce qui pouvait être assumé de façon adéquate, ou dont les établissements locaux n'étaient pas adaptés au projet de recherche spécifique en question. Toutes les personnes responsables du parrainage, du déroulement et de l'examen des projets de recherche biomédicale, notamment les comités d'éthique, doivent être alertés de la possibilité de l’existence de fautes dans la réalisation d’une étude, ou même d'une fraude intentionnelle. Un certain nombre de laboratoires et d'institutions sont d'ores et déjà dotés de procédures permanentes indiquant les étapes qui doivent être adoptées par une équipe ou par un confrère suspectant une faute dans la conduite d'une recherche. En outre, ces procédures doivent souligner la philosophie et l'engagement de la direction de l'organisation concernée. Je souhaiterais que cette conférence puisse inciter les organisations à mettre en place une telle procédure, dans le cas où elle n'existerait pas déjà. Dans un monde idéal, la fraude n'existerait pas. Malheureusement, nous ne vivons pas dans un tel monde. Bien qu'aujourd'hui, des normes très exigeantes soient appliquées presque systématiquement dans les recherches cliniques, et auxquelles toutes les parties intéressées sont censées adhérer, des fraudes sont encore commises. En fait, il est même hautement improbable que quiconque travaillant dans le domaine de la recherche clinique n'ait jamais été confronté à un cas de fraude au cours de sa carrière professionnelle. Des procédures à mettre en œuvre en cas de suspicion d'une faute dans la conduite d'une recherche clinique doivent par conséquent être mises en place malgré l'existence de ces normes. Dans le cas de recherches portant sur des médicaments, les normes exigées pour la conduite des essais cliniques existent déjà, et ont été adoptées par tous les organismes réglementaires autorisant la mise sur le marché des médicaments, ainsi que par tous les laboratoires pharmaceutiques internationaux et les organisations de recherche sous contrat. Il s'agit des directives des Bonnes pratiques [de recherches] cliniques (BPC), établies sous les auspices de la Conférence internationale sur l'harmonisation (CHI) (des procédures d'autorisation des produits médicaux). Cela signifie qu'il existe désormais des directives globales, et par conséquent des normes globales, qui ont été adoptées par les trois secteurs principaux d'Europe, des États-Unis et du Japon. 3/12 Même si l'harmonisation a été obtenue en ce qui concerne les normes, celle-ci n'a pas court lorsqu'il s'agit de fraude et de faute dans la conduite d'une recherche clinique. En vérité, même en Europe, il n’existe jusqu'à aujourd'hui aucune attitude commune sur la façon d'aborder ce problème. En tant qu'anglais, je suis parfaitement averti de l'attitude négative de certains de mes compatriotes envers l'harmonisation européenne ; cependant, dans ce contexte particulier, je pense que notre système anglais fonctionne plutôt bien, et je n'ai aucune hésitation à recommander que cela soit pris en compte outre-Manche ! La fraude est beaucoup moins fréquente que la négligence, bien que son incidence soit difficile à quantifier. Néanmoins, elle a été estimée entre 0,1 et 0,4 %. En me basant sur le travail que j'effectue actuellement sur certains cas de fraude, mon opinion personnelle est qu'elle doit être plus élevée, et s'approcher de 1 %. Si nous adoptons le chiffre de 1 %, cela signifie qu'au Royaume-Uni, où je travaille, à un moment quelconque, il peut exister trente études en cours de réalisation pouvant être frauduleuses. En extrapolant ces chiffres au reste du monde, et il n'existe aucune preuve que l'incidence de la fraude dans les recherches cliniques soit différente en France, ou bien en Europe ou en Amérique du Nord (bien qu'il soit plus facile de traiter de ce problème strictement au Royaume-Uni), on obtient alors entre 125 et 150 essais cliniques en cours de réalisation, au cours desquels certaines des données produites sont frauduleuses, des investigateurs maquillent certains des résultats soumis à un laboratoire, et, le plus grave, exploitent leurs patients impliqués dans ce processus. La meilleure définition de la fraude dans une recherche clinique est la suivante : « la production de données fausses avec l'intention de tromper ». Cette définition couvre tous les aspects de la fraude : la falsification d’informations qui n'existent pas, et l'intention de tromper les autres de façon flagrante afin de leur faire croire que ces informations sont vraies. La plupart des cas de fraude documentés précédemment dans le domaine de la recherche médicale proviennent des États-Unis, et un certain nombre d'entre concernent des articles publiés, mais le phénomène est général. Ma première expérience personnelle concernant une faute dans le déroulement d'une recherche clinique est survenue lorsque j'étais directeur médical de l'ABPI, l'Association commerciale de l'industrie pharmaceutique au Royaume-Uni. Il s'agissait du cas du docteur 4/12 Uzair Siddiqui, un psychiatre de la ville de Durham. Un astucieux moniteur d'essai clinique, membre d'un laboratoire pharmaceutique, a découvert que ce médecin avait inventé certaines des données biologiques concernant la plupart des patients qui auraient participé à l'essai, et qu’il avait inventé complètement un patient. Les laboratoires d'analyses médicales participant à cette étude étaient situés dans deux hôpitaux, l'un à l'intérieur et l'autre à l'extérieur de la ville, et le moniteur n'a pas pu trouver de preuves, dans aucun laboratoire, que des échantillons avaient été soumis à des analyses. Lorsqu'il a été confondu, le médecin a déclaré qu'il n'avait pas effectué l'étude lui-même, mais avait délégué cette tâche à son chef de clinique (un médecin en formation), dont il avait oublié le nom, et qu'il ne savait pas où elle travaillait aujourd'hui. L'aide de l'association commerciale pour le Royaume-Uni (ABPI) a été sollicitée, et il n'a pas été difficile d'établir le nom et l'adresse du médecin assistant que le docteur Siddiqui avait accusé. Cependant elle a farouchement nié toute participation à l'étude, les preuves qu'elle a apportées ont été acceptées, et confirmées par la suite. Le cas était grave, et justifiait de prendre des mesures disciplinaires. Mais, comme on peut le comprendre à cette époque, le laboratoire a été très préoccupé qu'on puisse le critiquer pour avoir fait une allégation de fraude. En fait, il était contrarié de pouvoir perdre la confiance des médecins, et par conséquent leurs prescriptions, s'il entreprenait une telle action. Par conséquent, avec une certaine appréhension, le cas a été soumis au Conseil de l’Ordre des médecins, je reviendrais sur cette procédure au plus loin. Le docteur Siddiqui a finalement été déclaré coupable, et il a été radié. La réaction des médecins de Durham a été exactement celle que le laboratoire redoutait ; ils ont été furieux qu'un laboratoire pharmaceutique, même s'il était soutenu par l'ABPI, ait osé porter plainte contre un éminent psychiatre auprès du Conseil de l’Ordre. Ils ont par conséquent imposé une sanction contre le laboratoire en l'éliminant du centre local de formation médicale de troisième cycle, auquel tous les laboratoires pharmaceutiques ont normalement accès pour parrainer des réunions. Heureusement, en deux semaines, il a été possible de tenir un congrès indépendant à Durham, au cours duquel l'intégralité des faits a été exposée, le cas ayant été traité dans la plus parfaite confidentialité jusqu'à l'audition du Comité des règles professionnelles et déontologiques (Professional Conduct Committe) en public, ce qui a permis de rétablir la situation antérieure. 5/12 Sous certains aspects, ce cas a constitué un événement essentiel, dans la mesure où une mentalité différente s'est alors imposée au Royaume-Uni : il était considéré comme une obligation pour l'industrie pharmaceutique, et cela est plus que jamais le cas aujourd'hui, qu'elle intente une action contre tout médecin, dont il a été prouvé, sans l’ombre d’un doute, qu’il a commis une fraude. Cela a conduit, depuis le cas Siddiqui, à la présentation de seize autres cas de fraude au cours de recherche clinique devant le Conseil de l’Ordre des médecins. Tous ont été déclarés coupables de fautes professionnelles graves, et la majorité d'entre eux a été radiée du Conseil de l’Ordre. En dehors de la discipline des recherches cliniques, un faible nombre de médecins sont conscients, ou comprennent, les principes des Bonnes pratiques [de recherches] cliniques (BPC). Il s'agit d'un fait que ceux qui sont plongés dans ce domaine tous les jours oublient parfois. Par conséquent, il est essentiel de consacrer du temps et des efforts à l'explication des principes des Bonnes pratiques cliniques, non seulement aux investigateurs individuels, mais également à leurs collègues, aux comités d'éthique et aux responsables de la profession médicale. Cela est motivé par plusieurs raisons, mais plus particulièrement dans le but de prévenir la fraude. Les directives des BPC soulignent très clairement la justification de contrôler et d'effectuer des audits des procédures. Par ailleurs, il est extrêmement important que celles-ci soient parfaitement comprises par toutes les personnes concernées, notamment au niveau des conséquences des actions qui seront intentées si des données sont falsifiées. Il est beaucoup plus probable que la fraude puisse être empêchée si les investigateurs et leurs collègues sont parfaitement informés des normes des BPC, des fréquentes références aux comités d'éthique dans le document des BPC établi par la CIH, et de l'engagement des laboratoires à mener des actions catégoriques contre toute irrégularité. La recherche scientifique, en dehors du contexte de la recherche clinique, n'est pas soumise à des normes agréées. Il est donc justifié de suggérer que des normes équivalentes aux BPC soient, de la même manière, appliquées aux études scientifiques non cliniques. À part les investigateurs formateurs, toutes les mesures doivent être prises pour éviter de recruter des investigateurs dont le profil risquerait d'être inadapté. Cela comprend notamment les personnes trop occupées, trop fatiguées, trop contrariées par la bureaucratie ambiante, trop paresseuses, trop cupides ou trop négligentes. Les investigateurs ayant précédemment participé à des études cliniques sur lesquels, dans le laboratoire, ou a fortiori dans le comité 6/12 d'éthique local, plane un doute sur leur engagement passé dans un projet de recherche doivent être activement rejetés. Il existe un certain nombre de raisons pour lesquelles les médecins se portent volontaires pour devenir des investigateurs. Certaines d'entre elles sont mauvaises. Celles-ci comprennent la nécessité de publier, qui est entièrement légitime, sauf si la publication devient une fin en soi, et se substitue à la volonté de produire des résultats exacts, ce qui peut alors créer des problèmes. Les autres mauvaises motivations peuvent être l'ennui profond que provoque la pratique clinique routinière, la cupidité, à ce propos, il est important de définir un tarif pour la participation des investigateurs, des troubles émotionnels ou une maladie mentale, et enfin la vanité. En ce qui concerne la somme d'argent qu'il est raisonnable de verser pour la rémunération des investigateurs, il est nécessaire de disposer de deux garde-fous : le premier est l'approbation du comité d'éthique local déclarant que la somme payée à l'investigateur est acceptable ; et le second est de disposer d'un chiffre admis, suggéré par un organisme dont l'influence est largement acceptée par les médecins du pays concerné. Par exemple au Royaume-Uni, l'Association médicale britannique, par l'intermédiaire de son Comité des honoraires professionnels, suggère une rémunération horaire, qui doit être réglée par les laboratoires pharmaceutiques pour le paiement des investigateurs prenant part à des essais cliniques, qui est généralement acceptée comme le prix de référence. Il est nécessaire de garder en permanence à l'esprit qu'une fraude peut se produire à tout moment. Le cas le plus important de recherche frauduleuse aux États-Unis a fait l'objet d'une investigation après que l'équipe de recherche d'un laboratoire pharmaceutique ait émis des soupçons sur des données soumises par un médecin spécialiste qui semblaient « trop parfaites ». Il s'agissait bien en fait de cela, elles étaient trop bonnes pour être vraies. Par ailleurs, un petit nombre d'investigateurs sont totalement obsédés, et montrent une attitude fanatique envers l’ordre et la propreté, et ses quelques personnes irréprochables doivent, bien entendu, être identifiées. Il est également nécessaire de mentionner des cas au cours desquels il a été découvert une collusion entre un employé ou un département d'un laboratoire et la personne commettant la fraude. Toutefois, ces cas ne sont pas publiés dans la littérature et sont heureusement très rares. Ils peuvent néanmoins être minimisés en disposant d'une procédure opérationnelle standard qui demande clairement à un membre quelconque d'un laboratoire qui considère que ses préoccupations ne sont pas suffisamment prises au sérieux de rapporter ces doutes à un 7/12 niveau supérieur de la direction, ou à l'organisme extérieur compétent. La fraude est la plupart du temps détectée par le moniteur de l'essai clinique, dont les soupçons peuvent naître à partir de schémas ou de tendances concernant l'apparence des cahiers d'observation ou des fiches cliniques. On peut citer différents exemples de ce type de fraudes : l'utilisation d'un seul stylo pour une étude portant sur des patients évalués dans différents centres pendant une période prolongée, l'arrivée de manière groupée de données provenant d'un certain nombre de patients, la manière dont le « patient » a inscrit les lignes sur des échelles visuelles analogiques de façon constamment identique, rappelant parfois une manière caractéristique de l'investigateur, l'apparence des fiches cliniques qui restent en parfait état et dont certaines d'entre elles semblent remplies de la même écriture, des visites de suivi qui se déroulent pendant des jours fériés (les lundis au Royaume-Uni) pendant lesquels les cliniques ne sont pas censées être ouvertes, et des écritures similaires apparaissant sur différents formulaires de consentement éclairé, écrits soit par les « patients » ou par les « témoins ». Le contrôle régulier des matériaux de l'essai clinique retournés peut être intéressant, soit parce qu'il permet de déceler des médicaments retournés ou des cahiers d'observation en parfait état, soit qu'il révèle des similitudes inattendues. Un exemple de ce type de cas se produit lorsque les tubes d'un produit topique à appliquer sur la peau sont retournés pressés d'une manière exactement identique, tous montrant même parfois l'exacte empreinte de la main de l'investigateur. Toute suspicion émise par un moniteur doit être prise en considération, et justifier la mise en place d'un audit « motivé » ; et dans ce contexte, le rapport du responsable de l'audit, joint à celui du moniteur, revêt une importance essentielle. Les statisticiens jouent un rôle important car ils permettent d'apporter des preuves complémentaires lorsque des soupçons ont été émis. Ils peuvent notamment déterminer si des groupes de patients présentent des données atypiques par rapport aux autres patients d'un même centre, ou d'autres centres de la même étude. La capacité des statisticiens à appliquer différentes techniques spécialisées à des données suspectes s'est avérée essentielle dans différents cas déjà traités. On n’insistera par conséquent jamais assez sur l'importance de la vérification des documents sources et des procédures d'audit associées dans les processus de détection et d'investigation d'une fraude suspectée. Il est également essentiel de souligner que cela exige la plus grande 8/12 vigilance de la part des moniteurs des essais, ainsi que l'application constante des contrôles qualité afin de minimiser les risques que la fraude ne passe inaperçue. Lorsqu'il a été montré, sans l'ombre d'un doute, qu'un investigateur a soumis des données frauduleuses à un laboratoire pharmaceutique ou une organisation sous contrat, il est essentiel, dans l’intérêt du public, de la profession et de l'industrie, que le cas de ce médecin soit traité de manière disciplinaire. Au Royaume-Uni, la plainte est généralement déposée au Conseil de l’Ordre, pour qu'elle soit examinée par le Comité des règles professionnelles et déontologiques. Par ailleurs, le médecin peut également être poursuivi pour le délit de tromperie. Au Royaume-Uni, la procédure passant par le Conseil de l’Ordre est privilégiée dans la mesure où elle aboutit plus rapidement que les tribunaux, bien que le Conseil de l’Ordre ait déclaré très clairement qu'il ne chercherait pas à usurper l'autorité de la police ou de la justice si un délit avait été commis. En outre, l'organisme ayant financé l'étude peut considérer qu'il a été frauduleusement exploité par un médecin, et entamer des poursuites judiciaires afin de récupérer les fonds qu'il aurait versés sous des prétextes fallacieux. Considérons maintenant les détails de certains cas récents : Malcolm Pearce était un éminent gynécologue obstétricien à l'hôpital Saint-Georges, reconnu pour avoir effectué une intervention chirurgicale complètement nouvelle, lorsqu'une enquête ultérieure a permis d'établir que cela n'était pas le cas. Il avait déclaré avoir transplanté avec succès une grossesse extra-utérine, et permis de réaliser l’accouchement à terme par voie vaginale. Si les faits étaient avérés, il s'agirait de la première intervention de ce type effectuée avec succès. Les détails de ce cas sont intéressants à plus d'un titre. En premier lieu, l'enquête sur l'intervention fabriquée a révélé que Pearce avait fait état d'une étude portant sur 191 patientes présentant un syndrome des ovaires polykystiques, qui s'est également avérée frauduleuse. En second lieu, tous les rapports ont été publiés dans le Bristish Journal of Obstetrics and Gynaecology. L'article concernant la remise en place de la grossesse ectopique était cosigné par deux autres auteurs, dont l'un était le professeur Geoffrey Chamberlain, qui était également le chef du département de Pearce. En outre, Chamberlain était le rédacteur en chef du journal en question, et président du Collège royal des obstétriciens et des gynécologues. Évidemment, Chamberlain ne pouvait avoir joué aucun rôle dans le cas de l'opération factice, et sa cosignature ne pouvait par conséquent plus être maintenue. Par la suite, il a démissionné de sa 9/12 position de rédacteur en chef et de son mandat de président. En troisième lieu, aucun doute n'était permis sur le fait que Pearce menait ses activités frauduleuses pour en retirer des gains financiers. Son cas illustre l'objectif de certains fraudeurs, qui est généralement dérisoire, et qui consiste à vouloir être considéré comme un pionnier. Encore une fois, son cas a été déféré devant le Conseil de l’Ordre, et il en a été radié. Les recherches sur l'animal peuvent également être frauduleuses, bien qu'il soit beaucoup plus difficile de les détecter. J'ai pour ma part conduit l'investigation des éléments fournis par un professeur britannique à un laboratoire pharmaceutique français. Ce professeur se proposait de démontrer que les rats pouvaient être soumis un stress, puis traités à l'aide d'un médicament expérimental destiné à le traiter, ce qui permettait de traiter les signes de stress qu'ils présentaient. Cependant, un étudiant travaillant à sa thèse de doctorat a révélé que les rats n'avaient jamais été stressés au préalable, et donc que cette prétendue recherche était totalement sans intérêt. Le laboratoire a été très surpris d'avoir été trompé de cette manière, et a donné son accord pour transmettre cette affaire aux autorités universitaires. Elles ont licencié le professeur. Le docteur Geoffrey Fairhust était un éminent médecin généraliste à Saint Helens, Lancashire, une ville du Nord-Ouest de l'Angleterre. À cette occasion, c'est le partenaire du médecin qui a « vendu la mèche ». En effet, il a alerté les autorités des activités que Fairhust faisait tout son possible pour dissimuler. Le partenaire a découvert un certain nombre de consentements éclairés qui n'étaient pas signés par les patients concernés, ceux-ci n'étant pas au courant de leur participation à un essai clinique. En outre, il avait été demandé à l'infirmière du cabinet de modifier les dates imprimées sur les tracés des électrocardiogrammes effectués dans le cadre de l'essai clinique, parfois d'un délai de neuf mois, au risque de perdre son emploi si elle s’y refusait. Après d'importantes enquêtes complémentaires, son cas a été soumis au Conseil de l’Ordre, et pour finir, il en a été radié. Le dernier exemple est celui du docteur John Anderton, un néphrologue universitaire consultant d'Édimbourg, qui avait auparavant été Secrétaire du Collège royal des médecins d'Édimbourg. Un moniteur d'essai clinique perspicace a découvert que les formulaires sur lesquels le docteur Anderton avait inscrit des données concernant des examens de résonance magnétique nucléaire et d'échocardiographie avaient été abandonnés par les laboratoires 10/12 concernés quelque six mois avant le début d'une certaine étude. Les services d'une agence d'investigation ont alors été sollicités afin de mener des enquêtes complémentaires, qui comprenaient l'interrogatoire d'un certain nombre de patients, dont le consentement pour être interrogé de la sorte avait été obtenu par les autorités hospitalières locales. Ces enquêtes ont révélé que le docteur Anderton n'avait pas obtenu le consentement d'un certain nombre de patients pour leur participation à un essai clinique, et, ce qui est pire, qu'il avait demandé à son assistante personnelle de signer en tant que témoin pour les prétendues signatures des patients qui étaient supposés avoir donné leur consentement. Son cas a été présenté devant le Conseil de l’Ordre, qui l'a également déclaré coupable de faute professionnelle grave, et l'a radié. Bien qu'il ait fait appel pour être réinscrit, il reste radié. Deux autres cas n'ont pu être complètement menés à leur terme, car les médecins impliqués sont décédés prématurément. Pour le premier, le coroner a déclaré que le décès était dû à un suicide, pour l'autre le coroner a constaté une mort violente sans en déterminer la cause. Dans les deux cas, la fraude découverte était multiple, et à très grande échelle. Les médecins impliqués n'ont reculé devant rien pour déguiser la nature de leurs activités frauduleuses, et ont par conséquent trompé les moniteurs des essais cliniques et les responsables d'audit qui n'ont décelé aucune irrégularité. Dans l'un des cas, les dossiers originaux des patients ont été fabriqués de toutes pièces, et dans l'autre une importante « bibliothèque » d'électrocardiogrammes de rechange, vraisemblablement effectués sur un petit nombre de patients sur des périodes de plusieurs heures, et ensuite divisés, a été découverte. Des centaines de consentements éclairés ont été fabriqués, avec des signatures très différentes, mais aucune d'entre elles n'étant celles des patients supposés participer aux différentes études. Nous connaissons d'autres cas dans lesquels l'approbation du comité d'éthique a été contrefaite, des patients ont été inclus dans plusieurs études à la fois sans que les promoteurs de n'en sache rien, des infirmières étaient chargées de recruter des patients sans tenir compte des critères d'inclusion et d'exclusion, des investigateurs ont échantillonnés eux-mêmes des matériaux soumis à une procédure en aveugle afin de tenter de la lever, etc.. En conclusion, dans la mesure où, à la fois en Angleterre et en France, nous sommes destinés à vivre dans un climat de plus en plus critique pour la recherche, en particulier celle portant sur les sciences biologiques, la possibilité de survenue d'une fraude doit être clairement identifiée par ceux dont la responsabilité de maintenir les normes de qualité. En outre, il est 11/12 essentiel que les responsables du parrainage et de l'approbation des recherches, à quelque niveau que ce soit, et quelle qu'en soit la localisation, prennent des mesures énergiques destinées à la fois à prévenir la fraude à chaque fois que cela est possible, mais également à assurer qu'elle soit détectée et soumise à une investigation si elle survient, et que toute personne s'étant rendu coupable de fraude soit poursuivie. Toute personne participant à une recherche clinique, qu'il ou elle soit un moniteur, un responsable d'audit, un statisticien, un conseiller médical, un directeur médical, un chef de département, un co-investigateur, un laboratoire ou un directeur de service de santé, un membre de comité d'éthique ou un vice-président d'université, doit s'engager à appliquer et à faire connaître une telle politique, autant par effet de dissuasion que dans l'intention d'enrayer la fraude dans la recherche clinique, si toutefois cela est humainement possible. Chacun doit faire tous les efforts pour s'assurer qu'il existe un mécanisme efficace en place, dans chaque pays, auquel tout fraudeur confondu sera soumis sans concession. Seule la vigueur la plus extrême dans l'application de cette politique peut conduire au succès ; et il va des intérêts suprêmes de la sécurité des patients que cela se produise. 12/12