É
D I T O R I A L
“Ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique”. C’est clair, pré-
cis, définitif. Le postulat ressemble aux sentences énoncées en
latin par les jurisconsultes romains, aux brocards de notre ancien
droit coutumier, aux adages vulgarisés sous forme populaire, aux
axiomes de Maxime de La Rochefoucauld (sic). Je ne l’entends
jamais sans réticences.
Certes, attendu que l’enrichissement des connaissances biomédi-
cales comporte en étape obligée l’expérimentation humaine,
autant que le caractère philosophiquement contestable d’un tel
acte soit atténué par le sérieux de sa réalisation. Mais, a contra-
rio, le propos ne tient pas la distance. Ce qui est scientifique n’est
pas nécessairement éthique. D’autre part, le médecin, dans
l’exercice de son art, peut agir de façon non scientifique, tout en
restant dans le droit fil de la morale hippocratique.
Par surcroît, l’expression n’est pas dépourvue d’effets secon-
daires regrettables : on voit avec désolation la réflexion sur
l’éthique d’universitaires de qualité se figer dans ce type de for-
mulation standard. Sans être tenu d’avoir impérativement lu tout
Spinoza avant d’être habilité à s’exprimer, il convient de dépas-
ser, à partir d’un certain niveau d’études, le stade du slogan à
visée éducative. En outre, l’évaluation de la qualité éthique d’une
recherche par des critères dépendant du degré d’adéquation du
protocole aux canons de la méthode, c’est-à-dire à des critères
inhérents à la seule compétence du chercheur, est une démarche
singulièrement inappropriée.
Appliquons ici la méthode d’analyse chère aux théologiens, en
distinguant la thèse de l’hypothèse, la thèse de la valeur morale
de l’aphorisme de l’hypothèse de son application.
La valeur morale est l’indisponibilité du corps d’autrui, principe
ne supportant la transgression qu’aux fins indiscutablement
scientifiques d’enrichir les connaissances. L’application est, à
n’en pas douter, au premier chef, la protection des personnes,
confiée dans la mise en place d’une recherche biomédicale tant
à l’investigateur, au promoteur qu’aux Comités Consultatifs
de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale
(CCPPRB), aux autorités administratives compétentes, ainsi, in
fine, qu’aux juridictions pénales et civiles.
Une autre application pourrait être, pour certains, au nom de
l’éthique, d’influer sur les activités scientifiques des promoteurs
et des investigateurs, voire de tenter de les contler.
Détournement de procédure dont le législateur a voulu prémunir
les membres des CCPPRB en affirmant, à quatre reprises, que ces
institutions ne sont ni des comités d’éthique, ni des comités
scientifiques. Leur mission consiste à s’assurer que, dans le pro-
jet de recherche biomédicale, promoteur et investigateur(s) se
mettent dans les conditions de respecter la loi.
On ne doit pas, dans l’exercice de cette fonction sociale essen-
tielle, décourager l’altruisme bien intentionné. Mais il est permis
de dissuader ceux qui pourraient avoir par trop tendance à se
mêler de ce qui ne les regarde pas.
On doit, quoi qu’il en soit, rechercher d’autres présupposés aux
devoirs du chercheur que la phrase citée en introduction. Et si le
précepte de Kant “Agis de telle sorte que tu traites la personne
humaine en toi-même comme en autrui toujours comme une fin,
jamais comme un moyen”, paraît trop complexe à beaucoup, il est
loisible d’avoir recours à des énoncés élémentaires :“Avant d’y
toucher, demander au monsieur (ou à la dame) sa permission”.
Car ce qui n’est pas librement consenti n’est jamais
éthique.
À propos de la mission des CCPPRB
J.P. Demarez*
*Département de pharmacologie, Hôpital Saint-Antoine, Paris.
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