Biologie au quotidien Ann Biol Clin 2013 ; 71 (2) : 203-6 Place du dosage plasmatique de l’imatinib (Glivec®) dans la prise en charge des effets indésirables cutanés à l’imatinib : étude de deux cas Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Imatinib plasma levels in the management of cutaneous side effects induced by imatinib (Glivec® ): 2 cases reports Sameh Trabelsi1,2 Emna Gaïes1,2 Samia Sraïri2,3 Rim Sahnoun1 Riadh Daghfous2,3 Mohamed Lakhal1,2,3 Sihem El Aïdli2,3 Anis Klouz1,2 Résumé. L’imatinib, un antinéoplasique indiqué dans le traitement de certains cancers, a de nombreux effets indésirables hématologiques, neurologiques ou cutanés. Ces effets sont liés à une forte concentration plasmatique d’imatinib et sont souvent contrôlés par la diminution de la dose du médicament ou par son arrêt. Nous rapportons dans ce travail deux cas d’atteintes cutanées à l’imatinib montrant la place du monitorage de ce médicament. Dans les deux cas, l’imatinib était responsable de la survenue de ces effets indésirables. Le monitorage de l’imatinib nous a permis de juger si nous étions dans la zone de toxicité et d’éviter parfois son arrêt. 1 Service de pharmacologie clinique, Centre national de pharmacovigilance, Tunis, Tunisie Mots clés : imatinib, effet indésirable cutané, dosage plasmatique 2 Faculté de médecine, Tunis, Tunisie <[email protected]> 3 Service de recueil et d’analyse des effets indésirables, Centre national de pharmacovigilance, Tunis, Tunisie doi:10.1684/abc.2013.0795 Article reçu le 6 juin 2012, accepté le 24 septembre 2012 Abstract. Imatinib, an antineoplastic drug used to treat certain cancers, has many side effects such as hematologic, neurologic or cutaneous toxicity. These toxicities seem to be due to a high imatinib plasmatic concentration and are frequently controlled by a discontinuation or a dosage reduction of the drug. We report here in 2 cases of cutaneous side effects induced by imatinib in order to demonstrate the necessity of drug monitoring in such cases. In our cases, imatinib is responsable in the occurrence of these side effects. Monitoring plasma levels of imatinib allowed us to judge if levels were toxic or not and to avoid discontinuation of imatinib in some cases Key words: imatinib, cutaneous side effect L’imatinib est un antinéoplasique qui a révolutionné le traitement et le pronostic de la leucémie myéloïde chronique (LMC) à chromosome Philadelphie positif et des tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) c-kit positives [1, 2]. Son mécanisme d’action repose sur l’inhibition spécifique de certaines tyrosines kinases dont Bcr-Abl, constituant anormal codé par le chromosome Philadelphie, surexprimé dans la LMC et c-kit surexprimé dans les GIST [3-5]. Toutefois, la sélectivité d’inhibition des tyrosines kinases n’est pas absolue ce qui peut être à l’origine de nombreux effets indésirables. Ceux-ci peuvent être graves, à type de toxicité hématologique, neurologique et hépatobiliaire ou modérés et représentés principalement par de la rétention hydrique, des nausées, fatigue, rash cutané, troubles gastrointestinaux et myalgies. Ces effets indésirables sont le plus souvent de mécanisme toxique [6-8]. Contrairement à la majorité des autres médicaments utilisés au cours de la chimiothérapie anticancéreuse conventionnelle, ce médicament a l’avantage d’être administré par voie orale. Toutefois, par cette voie, la biodisponibilité de ce médicament est caractérisée par une grande variabilité interindividuelle de ses concentrations plasmatiques. En effet, plusieurs études ont montré l’absence de corrélation entre les doses et les concentrations plasmatiques de ce médicament, alors que la corrélation entre la réponse thérapeutique (hématologique, cytogénétique et moléculaire) et les concentrations plasmatiques est établie [8-14]. En pratique clinique, la survenue d’un effet indésirable à l’imatinib met le praticien entre deux situations embarrassantes : l’arrêt de l’imatinib et le passage aux alternatives plus chères et plus agressives, ou la poursuite de l’imatinib avec la possibilité de voir les effets indésirables Pour citer cet article : Trabelsi S, Gaïes E, Sraïri S, Sahnoun R, Daghfous R, Lakhal M, Aïdli SE, Klouz A. Place du dosage plasmatique de l’imatinib (Glivec® ) dans la prise en charge des effets indésirables cutanés à l’imatinib : étude de deux cas. Ann Biol Clin 2013 ; 71(2) : 203-6 doi:10.1684/abc.2013.0795 203 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Biologie au quotidien s’aggraver, en particulier les effets hématologiques, cutanés et hépatiques. Dans tous les cas et quelle que soit la décision prise, cette dernière doit être justifiée et argumentée en se basant sur des critères objectifs évaluant la balance bénéfice-risque du médicament. Si la poursuite du traitement a été préconisée, elle ne peut être justifiée que si on trouve le moyen de contrôler le risque encouru tout en s’assurant de l’efficacité attendue. Le dosage des concentrations circulantes chez le patient prenant ce médicament est capable de répondre à cet objectif. En effet, le dosage permet de situer les concentrations plasmatiques par rapport au seuil d’efficacité. Nous rapportons deux cas d’atteintes cutanées à l’imatinib (rash lichénoïde et éruption eczémato-psoriasiforme), observés en janvier 2010 au Centre national de pharmacovigilance (CNPV) et validés selon la méthode d’imputabilité de Bégaud et al. [15] afin de montrer la place du dosage plasmatique de ce médicament dans la prise en charge de ce type d’effet indésirable. tement symptomatique à base de dermocorticoïdes. Une biopsie cutanée et un dosage des concentrations plasmatiques de l’imatinib ont été pratiqués le jour même. Le patient a été revu à la consultation de pharmacovigilance le 5 février 2010 (soit une semaine après la première consultation) pour évaluation de l’état cutané après la poursuite du traitement pendant une semaine. Au cours de cette consultation, l’examen clinique a objectivé une nette régression des lésions eczémato-psoriasiformes et du prurit avec disparition des pustules. La biopsie cutanée a montré des remaniements dermo-épidermiques en accord avec une toxidermie médicamenteuse. La concentration plasmatique de l’imatinib dosée le 29 janvier 2010 était de 1 790 ng/mL. La conduite à tenir était de continuer l’imatinib à la même dose moyennant la poursuite du traitement symptomatique et la surveillance rapprochée de l’état cutané. Deux mois après, le patient était encore sous imatinib sans aggravation de l’état cutané. L’observation 2 L’observation 1 Monsieur T., âgé de 68 ans, traité depuis le 25 octobre 2009 par imatinib à la dose de 400 mg/j pour une Gist opérée le 6 octobre 2009. Le 20e jour de traitement, le patient a présenté un œdème périorbitaire, suivi de l’apparition d’un œdème des lèvres, et des extrémités (mains et pieds). L’évolution a été marquée par la diminution de l’œdème du visage, mais aussi par la persistance de l’œdème au niveau des extrémités. Le 14 janvier 2010, soit 82 jours après le début du traitement, le patient a présenté une éruption cutanée prurigineuse pour laquelle il a consulté en pharmacovigilance le 29 janvier 2010. À l’examen clinique, l’éruption cutanée était de type eczémato-psoriasiforme avec présence de quelques lésions lichénoïdes localisées au niveau du tronc, des membres supérieurs et des aisselles. Ces lésions étaient associées à des œdèmes du visage (périorbitaire et des lèvres) et des membres inférieurs. Les muqueuses n’étaient pas atteintes mais l’examen a objectivé 4 pustules au niveau palmaire. À l’interrogatoire, le patient a rapporté la notion d’évolution des lésions en 2 phases. Une première phase pendant les 6 premiers jours était marquée par l’accentuation des lésions et du prurit, et une seconde phase était caractérisée par la stabilisation des lésions et la diminution progressive de l’intensité du prurit. Devant ce tableau clinique et en absence d’autres étiologies, une origine médicamenteuse a été fortement suspectée et le rôle de l’imatinib a été retenu puisqu’il était le seul médicament pris par ce patient. Malgré cela, nous n’avons pas arrêté l’imatinib en raison de la nécessité thérapeutique de ce produit. Nous avons donc recommandé la poursuite de l’imatinib à la même dose et la mise du patient sous trai204 Madame G.D., âgée de 50 ans, est traitée depuis le 18 septembre 2009 par imatinib à la dose de 400 mg/j pour LMC à chromosome Philadelphie positive avec une bonne réponse hématologique à 1 mois et à 2 mois. Le contrôle de la fonction rénale et hépatique n’a pas objectivé d’anomalie. Le 30 novembre 2009 (soit 74 jours après le début de traitement par imatinib), la patiente a développé une éruption érythémateuse, maculo-papuleuse, lichénoïde, non prurigineuse. Les lésions sont apparues au début au niveau de la face interne de la cuisse gauche puis se sont étendues après une semaine vers la cuisse droite et ensuite vers les faces internes des 2 bras et vers les flancs. La patiente a consulté en dermatologie au mois de décembre, mais elle n’a pas pris le traitement symptomatique qui lui a été prescrit par peur des interactions médicamenteuses avec l’imatinib. En raison de l’évolution vers l’extension des lésions cutanées aux membres inférieurs et supérieurs et au tronc, la patiente a consulté en pharmacovigilance le 5 février 2010 (soit 67 jours après le début des lésions). À l’interrogatoire, l’imatinib était le seul médicament pris par la patiente. Une biopsie pratiquée le 14 janvier 2010 en dermatologie (compte rendu apporté par la patiente) a montré un aspect cadrant avec une toxidermie lichénoïde. Le rôle de l’imatinib était fortement suspecté dans la genèse de ces lésions cutanées et la conduite à tenir préconisée était de poursuivre l’imatinib à la même dose de 400 mg/j, de mettre la patiente sous dermocorticoïdes, et de revoir la patiente après une semaine pour évaluation de l’état cutané. Un dosage plasmatique de l’imatinib a été pratiqué. Une semaine après, les lésions cutanées ont nettement diminué sous traitement symptomatique et ce malgré la poursuite Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 2, mars-avril 2013 Imatinib plasmatique et effets indésirables de l’imatinib à la même dose. Le dosage plasmatique de l’imatinib a révélé une concentration de 1 094 ng/mL, nous amenant à poursuivre l’imatinib à la même dose. Le 2 avril 2010, la patiente n’avait pas des lésions cutanées malgré la poursuite de l’imatinib. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Discussion Dans les deux cas, le rôle de l’imatinib dans la genèse des lésions cutanées était retenu en raison du délai d’apparition des lésions cutanées (80 j dans le premier cas et 72 j dans le second cas), suggestif de l’origine médicamenteuse. Par ailleurs, l’imatinib était le seul médicament pris dans les deux cas ; la sémiologie et en particulier la diversité des lésions élémentaires plaidaient également en faveur de l’origine médicamenteuse et la biopsie a montré des remaniements cadrant avec une toxidermie. Dans la littérature, les effets indésirables cutanés de l’imatinib sont bien décrits. Les éruptions maculo-papuleuses semblent les plus fréquentes alors que les éruptions lichénoïdes et psoriasiformes sont rares [16-19]. L’œdème périorbitaire a également été rapporté [6]. La conduite à tenir dans les deux cas était de poursuivre l’imatinib pendant une semaine à la même dose après mise des patients sous traitement symptomatique à base de dermocorticoïdes avant de prendre la décision finale d’arrêter ou de poursuivre l’imatinib. La décision de la poursuite de l’imatinib pendant une semaine, malgré son implication et le risque d’aggravation des lésions, a été basée sur les arguments suivants : – le mécanisme toxique et non allergique de ces atteintes cutanées : en effet, en cas de mécanisme allergique, la contre-indication absolue du médicament est la règle et la poursuite du traitement est contre-indiquée ; par contre, en cas de mécanisme toxique, les effets indésirables sont dose-dépendants et plus particulièrement concentrationdépendants, donc la diminution des doses peut entraîner la disparition des effets ; – sur le plan sémiologique, il y a eu stabilisation spontanée des lésions cutanées et diminution du prurit rapportées dans le 1er cas et extension très lente des lésions dans le second cas ; – l’absence d’alternative thérapeutique, en particulier dans le premier cas : en effet, le sunitinib (Sutent® ) qui est le médicament de seconde intension dans le Gist est non commercialisé en Tunisie et l’arrêt de l’imatinib aurait exposé le patient aux risques liés à la prolifération tumorale. Dans le second cas, les médicaments de deuxième intention dans la LMC (dasatinib et nilotinib) sont disponibles, mais ils sont beaucoup plus chers et plus agressifs que l’imatinib, d’autant plus que l’imatinib a donné de bonnes réponses hématologiques [20-22]. Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 2, mars-avril 2013 Toutefois, la décision finale de poursuivre l’imatinib à la même dose n’a pu être prise qu’après : – avoir vérifié l’évolution favorable des lésions après une semaine à la poursuite du traitement et sous dermocorticoïdes. L’évolution était marquée dans le premier cas par la stabilisation des lésions, l’apparition des squames, la disparition des pustules et la diminution du prurit. Dans le second cas, il s’agissait d’une régression nette des lésions ; – avoir réalisé le dosage plasmatique de l’imatinib. En effet, plusieurs études ont montré une corrélation entre des concentrations plasmatiques supérieures à 1 000 ng/mL et une bonne réponse hématologique, cytogénétique et moléculaire dans la LMC et bonne réponse thérapeutique dans les Gist [14]. Avant de prendre le risque de poursuivre l’imatinib et de déclencher les lésions plus graves comme le syndrome de Stevens-Johnson ou le syndrome de Lyell, il a fallu vérifier l’efficacité de ce médicament dans les deux cas. Dans le premier cas, il était très tôt (au 80e j) pour vérifier l’efficacité de l’imatinib par des moyens cliniques et radiologiques. Dans le second cas, la patiente avait une bonne réponse hématologique, mais il était également trop tôt pour vérifier la réponse cytogénétique et moléculaire. Dans les deux cas, le dosage plasmatique était le seul moyen objectif nous permettant de vérifier que les concentrations plasmatiques étaient au-dessus du seuil d’efficacité. La décision finale était donc de poursuivre l’imatinib, dont les concentrations plasmatiques étaient au-dessus du seuil d’efficacité et dont les effets indésirables cutanés étaient contrôlés par les dermocorticoïdes. Deux mois après, les 2 patients étaient encore sous imatinib sans aucune complication. Conclusion Dans les deux cas présentés, le dosage plasmatique de l’imatinib a permis de vérifier que les concentrations plasmatiques étaient supérieures au seuil d’efficacité. Ce dosage a constitué un argument permettant de prendre la décision de poursuivre l’imatinib. La survenue d’effet indésirable cutané à l’imatinib ne doit pas conduire systématiquement à l’arrêt de ce médicament car, d’une part, c’est un médicament dont l’efficacité a été démontrée dans des pathologies considérées comme mortelles et, d’autre part, ces effets sont de mécanisme toxique et peuvent être contrôlés soit par une réduction de la dose (sans pour autant exposer le patient au risque d’échec thérapeutique) soit par le maintien de la même dose si on arrive à contrôler les lésions cutanées par un traitement symptomatique et sous contrôle rigoureux des lésions cutanées. Liens d’intérêts : aucun. 205 Biologie au quotidien Références 1. Hochhaus A. Imatinib mesylate (Glivec, Gleevec) in the treatment of chronic myelogenous leukemia (CML) and gastrointestinal stromal tumors (GIST). Ann Hematol 2004 ; 83 : S65-6. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 2. 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