Universel-Singulier
Vendredi 30 Octobre 2009
Rennes, Archives Départementales
Déterminants psychosociaux du
racisme et de la discrimination
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Pascal Morchain
Psychologue Social
CRPCC-LAUREPS (EA 1285)
Université Européenne de Bretagne Rennes2
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Ce texte reprend le diaporama présenté lors de la conférence, et en précise, voire en développe certains points, en regard des
interventions de l’auditoire.
Pascal Morchain -Déterminants psychosociaux du racisme et de la discrimination- Rennes, 30 Octobre 2009
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« Si la relativité se révèle juste, les Allemands diront que je
suis allemand, les Suisses que je suis citoyen suisse, et les
Français que je suis un grand homme de science. Si la
relativité se révèle fausse, les Français diront que je suis
suisse, les Suisses que je suis allemand, et les Allemands que je
suis juif »
Albert Einstein
Par cette citation d’Albert Einstein, je veux montrer dès l’entrée que les stéréotypes, et la
discrimination qui peut en résulter, sont toujours relatifs à un contexte, en l’occurrence ici la
validation ou l’échec d’une théorie scientifique, qui aura pour conséquence l’attribution d’une
nationalité, d’une confession,d’une identité, à son auteur. Et qui contribuera, d’une manière
ou d’une autre, à rehausser la valeur de l’identité d’un groupe social dans son ensemble.
Préjugés, Stéréotypes, et Discrimination. Définitions.
Les termes « préjugés » et « stéréotypes » ont souvent, dans le langage quotidien, une
connotation jorative. Personne n’aime ainsi à être décrit comme quelqu’un « à préjugés »,
tout comme le fait de « développer une pensée stéréotypée » implique, dans le sens commun
tout au moins, une certaine rigidité et une certaine fermeture. Mais si préjugés et stéréotypes
peuvent présenter un contenu négatif, ils ont aussi un contenu positif. Par ailleurs, les
stéréotypes ne présentent pas qu’un contenu, ils nous permettent d’expliquer les différences
entre les groupes. Ils ont de plus une fonction essentielle : ils nous permettent de nous adapter
à autrui. En d’autres termes, si je ne savais pas comment sont -ou qui sont-, en général, les
chefs d’entreprise, je ne saurais pas comment rentrer en relation avec Dupond, chef
d’entreprise
2
.
Qu’est-ce qu’un préjugé ? C’est un jugement porté à l’égard -ou à l’encontre- de
personnes dès lors que ces personnes sont reconnues comme membres d’un groupe. Il s’agit
donc de la dimension évaluative d’une attitude. Ce jugement n’implique pas une quelconque
interaction avec les personnes concernées. Ainsi, sans les avoir jamais rencontrés, je peux
émettre un préjugé concernant les Abitibi-Témiscaminguais. Mais j’émets un préjugé si la
situation le demande (je réponds à une enquête et j’aurais vraiment l’air idiot de ne pas
répondre à l’enquêtrice qui est vraiment charmante). Comme attitude, le préjugé peut avoir
trois dimensions : une dimension affective j’aime » ou « je n’aime pas »), évaluative (je
trouve « bon », « mauvais », « meilleur »...), et conative j’ai l’intention d’agir de telle
2 Il s’agit ici de Françoise Dupond. Y aviez-vous spontanément pensé ?
Pascal Morchain -Déterminants psychosociaux du racisme et de la discrimination- Rennes, 30 Octobre 2009
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manière »). Certains auteurs (voir De la Haye, 1998 ; Sales-Wuillemin 2006) estiment que les
dimensions sont affectif/évaluatif ; conatif ; cognitif. Dans ce cas, cette dernière dimension
renvoie aux connaissances que les personnes ont du contenu, et font alors référence au
stéréotype comme une dimension du préjugé. Si pour Allport (1954) le préjugé est gatif,
pour Saenger dès 1953, un préjugé peut-être favorable. Si le mot préjugé est souvent connoté
négativement, c’est parce que les chercheurs se sont évidemment intéressés aux préjugés
défavorables, en raison de leurs conséquences. Les effets des préjugés favorables ne sont pas
conçus comme problématiques.
Selon Ashmore et Del Boca (1981), le terme de « stéréotype » a été formé par
l’imprimeur français Didot en 1798. Formé du grec
στερεοσ
(solide), et
τψποσ
(caractère),
il désigne un bloc obtenu par le moulage d’une page entière d’un ouvrage composée en
caractères mobiles, et pouvant servir à plusieurs tirages. Etymologiquement donc, le
stéréotype est un terme d’imprimerie, dont le synonyme est « cliché ». En psychologie
sociale, on parle de stéréotype en matière d’opinion. Le terme apparaît chez le journaliste
Walter Lippmann (1922), et désigne les « images dans notre tête », qui s’intercalent entre la
réalité et la perception que nous en avons. Depuis Lippman, diverses définitions ont été
proposées. On s’accorde toutefois pour dire qu’un stéréotype est une croyance concernant les
caractéristiques communes des membres d’un groupe ou d’une catégorie sociale (voir par
exemple Stroebe & Insko, 1989 ; Leyens, Yzerbyt & Schadron, 1994, 1996). Ce type de
définition relie un contenu informatif (traits de personnalité, comportements, etc ...) à un
groupe social : je vais dire que les femmes sont « intuitives », « sensibles », « sensuelles », et
« bavardes », etc ... Les stéréotypes sont par ailleurs partagés, qu’on les utilise ou non
(Devine, 1989 a,b) et qu’on soit ou non d’accord avec leur contenu. En d’autres termes, il faut
dire tout de suite que l’on ne peut pas ne pas avoir de stéréotypes. Sans ces « images », on
ne comprendrait pas notre monde social, on ne pourrait pas interagir avec autrui. C’est le
contenu des stéréotypes qui peut vous amener à sourire à la boutade suivante : « Le Ciel ou
l’Enfer ? Le Ciel, c’est un endroit les cuisiniers sont Français, les amants Italiens, les
policiers Anglais, les mécaniciens Allemands, et tout est organisé par les Suisses. L’Enfer,
c’est le lieu les cuisiniers sont Anglais, les amants Suisses, les policiers Allemands, les
mécaniciens Français, et le tout est organisé par les Italiens ». Aujourd’hui, plus qu’à leur
contenu, on s’intéresse à la nature du lien entre le contenu et le groupe (Schadron, Morchain,
& Yzerbyt, 1996), au processus de stéréotypisation.
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La discrimination est liée aux stéréotypes et aux préjugés. Elle en est une conséquence
comportementale, et renvoie aux comportements d’exclusion, ou à l’agression, pour autant
que ces comportements soient liés aux jeux d’appartenances groupales (voir pour un exemple
quotidien, Griffin, 1962). Dans cette présentation toutefois, on parlera aussi de discrimination
en termes de perceptions et de jugements (Salès-Wuillemin, 2006).
Bien sûr la discrimination ne concerne pas qu’une seule catégorie de personnes, il en existe
différentes formes : Origine (nom, couleur de peau) ; Age ; Genre ; Handicap ; Apparence et
surpoids ; Confession, etc. Le graphique suivant montre les discriminations à l’embauche
suivant différents critères :
Discrimination dans le recrutement : quelques résultats d’Amadieu (2006)
http://www.adia.fr/AnnonceDis.htm, le 20 Avril 2007
A ce point de l’exposé, on retiendra ces deux encadrés :
stéréotype : « perception »
préjugé : jugement
discrimination : conduite
Le préjugé est contrôlé
Le stéréotype est automatique
La discrimination peut-être automatique ou contrôlée
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Origines des stéréotypes, des préjugés, et de la discrimination
Comme le montre le schéma suivant, 3 origines ont été repérées dans la littérature en
psychologie sociale :
Les origines « psychodynamique » et « sociale » font référence au contenu des stéréotypes et
aux formes de la discrimination, l’origine cognitive (« catégorisation ») fait référence à des
processus.
Origines (1) : Personnalité
Le modèle de la « Personnalité autoritaire » (Adorno & al. 1950) est représentatif du
courant psychodynamique. Pour Adorno et ses collègues, qui développent leur théorie dans
une perspective freudienne, l’origine des stéréotypes renvoie à un type particulier de
personnalité, marquée par la rigidité, le dogmatisme. Les stéréotypes (négatifs) et la
discrimination seraient, dans cette optique, liés au type de relations au sein de la famille. Mais
ce courant néglige les contextes situationnels et socio-culturels dans lesquels les stéréotypes
sont élaborés et émis. Ces contextes apparaissent pourtant déterminants dans la
compréhension du phénomène. Ainsi Minard (1952) montre que, dans une communauté
minière de Virginie, plus de 80 % des blancs manifestent de l’estime et de la solidarité envers
les noirs, quand tous sont dans la mine. En dehors de cette situation, à peine 20 %
maintenaient de telles relations ... Si les évaluations des mêmes personnes varient selon les
contextes, comment peuvent-elles renvoyer à la personnalité, censée rendre compte de
stabilité ? Par ailleurs, une approche en termes de personnalité ne peut rendre compte, par
exemple, ni du changement d’attitude américain envers les japonais, changement survenu
juste après Pearl Harbour, ni des attitudes anti-sémites dans l’Allemagne hitlerienne. Ces
Stéréotypes
Psychodynamique :
Personnalité
autoritaire
Catégorisation
« Sociale »
:
Apprentissage,
Contexte de
l’interaction …
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