Le gaspillage alimentaire - Conseil départemental des Hauts

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15ème rencontre du Club IDEES
Mardi 3 juin 2014
Le gaspillage alimentaire :
Quels enjeux ? Quelles solutions ?
Eric Birlouez – ingénieur agronome et sociologue de l’alimentation
Le gaspillage alimentaire (GA) est un phénomène aux responsabilités
multidimensionnelles qui couvre l’ensemble des acteurs de la production aux
consommateurs.
Dans les pays du sud, il se situe plutôt au moment de la récolte par manque
de capacités de stockage et d’infrastructures de transport suffisantes.
Dans les pays du nord, il est dû au calibrage des fruits et légumes. Les normes
ont ainsi conduit à éliminer 30 à 40 % de la production des circuits de
distribution.
Exemple : pour 9 pêches produites, 3 sont sorties du marché parce qu’elles ne répondent pas
au critère de calibrage ; 3 sont éliminées car elles sont trop abimées pour être
commercialisées (en cause le transport et la manipulation dans les magasins) ; 1 est gaspillée
par le consommateur et 2 sont réellement mangées.
Il faut également tenir compte du facteur de surproduction qui, pour éviter
l’effondrement des cours des récoltes, mène à la destruction des surplus.
Toutefois, il n’est pas aisé de connaître précisément l’ampleur du gaspillage
alimentaire et le rôle de chacun des acteurs. Bien que l’on sache que 20 kg
d’aliments non consommés par an et par personne sont jetés (soit 7 kg de
produits alimentaires encore emballés et 13 kg gaspillés). Ce qui, rapporter à
la journée ne représente plus que 55 g par personne et par jour (étude de
l’ADEME).
Et ramené au niveau mondial, en termes de terres cultivables, cela
représente 1.3 milliards de tonnes jetées à la poubelle, soit 1/3 de la
production mondiale, 28 % des terres cultivables et 250 km3 d’eau (source : la
FAO 11/09/2013).
Le phénomène de gaspillage alimentaire s’explique par le fait que la valeur
de l’alimentation a fortement évolué au cours des années.
Traditionnellement l’alimentation se rapporte à 4 valeurs :
-
La valeur vitale : la nourriture nous est indispensable.
-
La valeur économique : si dans les années 60 le budget consacré à
l’alimentation représentait 30 %, elle ne représente plus aujourd’hui que
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-
15 %. Les raisons en sont que se nourrir coûte moins cher de nos jours,
que nous n’avons pas connu de période de pénurie et que nous
évoluons dans une société de surconsommation.
-
La valeur humaine : le lien avec la production agricole s’est perdu.
Aujourd’hui, les produits que nous consommons sont pour beaucoup
transformés sans que l’on sache vraiment par qui et comment ils ont
été fabriqués.
-
La valeur sacrée : toutes les religions confèrent à la nourriture un
caractère sacré. Celui-ci s’est lui aussi perdu.
Les valeurs attachées traditionnellement à l’alimentation sont en déclin, ce
qui explique le fort pourcentage de gaspillage aujourd’hui et son
acceptation par la société.
Autre aspect de l’évolution de la société, concourant au gaspillage
alimentaire : l’accélération du rythme de vie de nos concitoyens qui ne
prennent plus le temps de cuisiner, notamment de cuisiner les restes.
Eric Birlouez s’est également intéressé au gaspillage alimentaire en milieu
scolaire. Il s’avère qu’en moyenne 30 % des denrées dans les cantines sont
jetées.
Pour appréhender ce phénomène il est nécessaire de l’aborder à la fois d’un
point de vue sociologique mais aussi de travailler en parallèle sur le terrain
(prendre des mesures, mise en place d’actions, évaluation des résultats et
enquêtes de perception des collégiens).
Il en ressort que si un lien humain a été créé entre les élèves et les équipes de
cuisine et de service, le gaspillage sera moindre. Les élèves prennent
conscience que derrière l’alimentation il y a des hommes.
Il est assez facile de mettre en œuvre des actions pour réduire ce gaspillage.
Plusieurs leviers possibles :
-
communiquer sur ce thème via les élèves,
réfléchir en amont sur la gestion des élèves, des stocks, des
commandes
travailler sur l’environnement des repas car le facteur bruit est un
facteur aggravant. Plus l’atmosphère est apaisée lors d’un repas, moins
il y aura de gaspillage.
En conclusion, pour lutter contre le GA, il existe de nombreuses solutions
techniques à mettre en œuvre ; toutefois il faut redonner du sens, de la valeur
à l’alimentation.
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Les pouvoirs publics se sont également intéressés à cette problématique, et
ont initié avec Monsieur Guillaume Garot, alors Ministre délégué à
l’agroalimentaire, une politique anti gaspillage qui a aboutit à l’instauration
en juin 2013 d’un pacte national de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Cette démarche non coercitive, s’appuie sur une prise de conscience, une
volonté commune d’agir qui vise à réduire par deux le gaspillage alimentaire
d’ici 2025.
11 mesures ont été engagées et ont permis de faire émerger des projets
innovants tels que celui d’Eqosphère.
Le pacte national a eu un impact sur la valeur économique via les réductions
d’impôt, mais cela a aussi été une ouverture vers la création de valeur
sociale et environnementale.
Il a également mis en relation des acteurs d’horizons différents et permis
d’identifier les freins et la mise en œuvre de solutions concertées dans les
groupes de travail, qui à ce jour, continuent de se rencontrer et de travailler
sur ce sujet.
LES SOLUTIONS
1ère solution proposée par l’entreprise sociale EQOSPHERE
Xavier Corval, Directeur et fondateur
Eqosphère a pour objectif de détourner de la poubelle les surplus alimentaires
et non alimentaires des distributeurs et de les revaloriser grâce à sa
plateforme collaborative en ligne permettant de les redistribuer. Leur
approche non culpabilisante amène les acteurs de la distribution à adopter
de nouveaux comportements. De plus, il propose des solutions de valorisation
des surplus et des déchets pérennes (recyclage, dons alimentaires aux
associations, dons de déchets aux zoos,…) modifiant ainsi en profondeur les
process internes.
La conduite de changement d’Eqosphère passe par :
* une phase d’observation au sein de l’entreprise pour connaître leur
habitude de traitements des invendus dans la zone de tri ;
* une phase de proposition de nouvelles pratiques ;
* une phase de communication : afin de faire partager à tous les
ambitions de l’entreprise. Les collaborateurs reçoivent un livret de
sensibilisation à la revalorisation des produits décommercialisés et
incommercialisables ;
* une phase de solutions pratiques.
Cette méthode permet d’obtenir des résultats intéressants puisque 50 % des
produits sont détournés de la poubelle, au profit d’associations caritatives,
par rapport au mois précédent leur intervention.
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L’intérêt pour le distributeur :
-
-
réduire ses frais de destruction qui s’élève aujourd’hui à 125 euros la
tonne ;
réduction des frais de stockage et de manutention ;
réduction d’impôt ; L’article 238 bis du code général des impôts
permet aux entreprises de réduire leur impôt à hauteur de 60 % de la
valeur en stock des produits s’ils sont donnés à des structures
associatives ;
offrir à l’entreprise la possibilité de mettre en œuvre de la RSE par la
réduction de leur impact négatif sur le plan social et
environnemental.
Résultat, le projet devient un projet managérial qui implique fortement les
collaborateurs et les rendent fières de l’initiative mise en œuvre.
2ème solution proposée par l’Association Nationale de Développement des
Epiceries Solidaires (ANDES)
Guillaume Bapst, Directeur et fondateur
L’aide alimentaire est considérée comme un geste de charité. Or, ANDES a
choisi de mettre en application le principe de don et contre don. C’est-à-dire
qu’accepter un don engendre une contrepartie ce qui permet au
bénéficiaire de ne pas se sentir redevable.
Principe de fonctionnement : les gens font leurs courses dans les épiceries
solidaires et s’acquittent d’une légère compensation financière (20 % du prix
réel des articles). Ils sont alors libérés de cette dette morale.
ANDES a fait le choix de privilégier les produits frais, tels que les fruits et
légumes, les poissons et les produits laitiers, car ce sont ceux qui font le plus
défaut à l’aide alimentaire en raison de leur difficulté de gestion.
Ils sont présents sur les marchés de gros (les MIN de RUNGIS et de Perpignan)
et implanter dans de nombreuses villes de France et d’ailleurs ; ils travaillent
avec des personnes en insertion ; et les fruits et légumes non
commercialisables sont récupérés. 55 % de ces aliments sont utilisés.
Pour une part des 45 % restants, ANDES a mis en place une unité de
transformation afin de fabriquer des soupes fraiches (commercialisées dès
septembre dans les Simply Market, Monoprix et Carrefour). Leur objectif est de gagner
2 % de part du marché français. Les bénéfices seront reversés à un fond de
dotation pour le réapprovisionnement des épiceries solidaires.
Ces initiatives ne vont par résoudre les problèmes du manque de nourriture
pour les publics précaires par la diminution du gaspillage alimentaire, mais
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elles vont y contribuer. Le risque toutefois est de créer d’autres types de
problématiques liées à l’alimentation.
En termes d’impact, lorsque l’on redonne envie à ce public défavorisé de
consommer et de cuisiner des produits frais de qualités, le taux de
consommation de fruits et légumes augmente de façon significative (passe de
1.2 % à 6.4 %).
L’action d’ANDES permet d’augmenter la consommation de fruit de 50 % et
de légumes de 30 %.
Autre initiative entreprise et expérimentée dans un premier temps en Poitou
Charente par ANDES en travaillant aussi sur cette thématique en amont.
ANDES a répertorié les besoins des épiceries solidaires, et en parallèle, a
contacté des petits producteurs locaux en difficultés ou en cours
d’installation.
En réunissant des représentants de la FNSEA, de la Confédération paysanne,
les chambres d’agriculture et de la MSA, ils ont ensemble défini l’offre de
chacun des producteurs par rapport aux besoins, puis déterminé quel était le
juste prix de ces produits.
ANDES s’est ensuite adressé aux pouvoirs publics (Conseil Général, les régions
par exemple) et proposé qu’ils financent 60 % et ANDES 40 % de la
production de denrées sur une période de 2 ans.
Ce système permet d’une part d’assurer l’approvisionnement en produits frais
les épiceries solidaires et d’autre part de contribuer à la survie des petites
exploitations locales.
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