Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 1.4
l'œuvre révolutionnaire pensaient que seule une République pouvait la servir. Le problème,
c'était que la République évoquait certes de bons souvenirs (la gloire de Valmy, le salut de la
nation et des acquis révolutionnaires de 1789, l'égalité réelle des citoyens devant la loi, le
gouvernement du peuple, la vertu de gouvernants "incorruptibles") mais aussi de fort sinistres
(la Terreur, dès les débuts de la République avec les massacres de septembre, et la dictature
du Comité de Salut public, puis l'impuissance du Directoire à gouverner: plus généralement,
l'incapacité à résoudre le problème du pouvoir exécutif, l'unanimisme et le refus du débat
politique, l'exclusion de l'adversaire traité comme un ennemi à abattre). Les perceptions en
étaient donc fort contrastées. Au total, la République devait inquiéter beaucoup de Français,
même attachés aux principes révolutionnaires: ceux-là pensaient qu'une monarchie
constitutionnelle, avec un roi partisan du régime cette fois, était mieux à même de sauver les
acquis de 1789 sans verser dans la dictature ou dans l'anarchie: c'était un régime plus
équilibré, plus modéré. Du reste le régime de Juillet se présentait lui-même comme "la
meilleure des Républiques"1… Mais dans les années 1840 l'impopularité croissante des
1 À l'origine, la formule était de La Fayette. Le premier Empire aussi s'intitulait à ses débuts "République
française, Napoléon Empereur": ici "République" est à comprendre dans le sens de "gouvernement du peuple",
quelle que soit sa forme — c'était sur ce sens que jouait aussi la monarchie de Juillet.
Pour plus de précisions à ce sujet, vous pouvez lire l'article "République" dans le dictionnaire de la
Révolution française de Pierre Nora: celui-ci montre comment le mot est apparu avant l'abolition de la
monarchie, pour désigner deux choses assez différentes. La République, c'était d'abord, à l'antique, ce que nous
appellerions aujourd'hui la "cité", c'est-à-dire la communauté politique, ou plus précisément la communauté des
citoyens, c'est-à-dire toute communauté dont le ressort moral reposait sur la vertu civique et non sur l'obéissance
au Prince; étant bien entendu que le pouvoir, dans la république (la cité), peut être représenté, par une assemblée
(comme le Sénat romain) ou par un monarque (un monarque civique, c'est-à-dire tirant sa légitimité du peuple,
comme l'Empereur romain; et non, comme les rois de l'Ancien Régime, un homme qui n'obéissait qu'à Dieu).
Dans cette première acception qui était en réalité synonyme de "démocratie", l'Empire et la monarchie de Juillet,
régimes monarchiques qui se réclamaient d'une légitimité populaire, pouvaient parfaitement être qualifiés de
Républiques… Et ce ne fut qu'à cause des événements tragiques de 1791-1792 que la "République" finit par être
largement identifiée à un régime sans monarque à sa tête, par opposition à la "monarchie" (forcément hostile au
peuple, comme la traîtrise de Louis XVI semblait l'avoir montré); mais cette opposition a mis du temps à être
admise par tous les Français comme une évidence, à devenir absolue et irrémédiable, comme le montre la
formule de La Fayette. Jusqu'en 1870, certains ne renoncèrent pas à trouver une formule qui fût républicaine par
ses principes et monarchique par la forme en laquelle s'incarnait le pouvoir — car un pouvoir sans tête visible
risquait d'être faible, de sombrer dans l'anarchie, d'être la proie de démagogues. Les Républiques antiques
n'avaient pas précisément laissé que de bons souvenirs! Cette formule, d'autres pays d'Europe l'ont trouvée et s'y
sont tenus: la Grande-Bretagne notamment. Nous parlons aujourd'hui à leur propos de monarchies
démocratiques, de monarchies constitutionnelles… En France, les choses se sont passées différemment, mais la
République française a eu du mal à se débarasser de l'image d'un régime d'exception, né par défaut (parce qu'il
fallait bien trouver quelque chose une fois le Roi déchu de ses fonctions), d'un corps sans tête apparu dans une
ambiance de confrontation et très vite de guerre civile, d'un régime instable et violent enfin — comme la
démocratie (République) athénienne l'avait été.
Tout ce qui précède explique en particulier pourquoi en France les "principes républicains"
sont ceux "de 1789", c'est-à-dire ceux élaborés… sous la monarchie constitutionnelle! Les
circonstances de l'avènement de la République en France (l'invasion étrangère, le sursaut de
Valmy) expliquent aussi pourquoi l'idée de République, en France, a longtemps été liée à celle de
défense de la patrie, de levée en masse (les républicains du XIXe siècle étaient fort nationalistes!
Voyez un peu plus bas…); cette idée a couru de Valmy à Verdun et à l'appel du 18 juin 1940, en
passant par la défense de la nation contre ses ennemis réactionnaires en 1871 (Gambetta) comme
en 1917 (Clemenceau). Elles expliquent aussi pourquoi l'idée de la République a longtemps été liée
à une exigence de vertu, de morale (pour l'"incorruptible" Robespierre, la morale était "le