C’est oublier que la science et la technique nous fournissent des moyens, non
des fins et que le socialisme ne peut être scientifique que dans ses moyens.
Marx montre comment l’utopie de « l’être humain total » trouve la force capable de
passer de l’utopie au « mouvement réel ». En face de l’économie de marché et de la
concurrence isolant les êtres humains, cette utopie permettra de créer « selon un
plan conscient », une société où le libre épanouissement de chacun devient la
condition du libre épanouissement de tous, comme le dit le Manifeste.
Marx ne cherche nullement à construire un système socialiste. Il analyse seulement
la structure et les lois de croissance de la société capitaliste la plus développée de
son temps, celle de l’Angleterre.
Dans une économie de marché, c'est-à-dire une société dans laquelle tout est
marchandise, s’instaure une jungle sans finalité proprement humaine.
Après avoir lu Darwin, Marx écrit à Engels : l’économie de marché du capitalisme
« n’est pas sortie des formes animales de l’économie » !
Dans ce système, tout ce que veut chaque individu est empêché par chaque
autre, et ce qui s’en dégage est quelque chose que personne n’a voulu.
De ces concurrences darwiniennes résulte une polarisation croissante de la richesse
et du pouvoir d’un côté, de la misère et de la dépendance de l’autre.
Un troisième dysfonctionnement conduit l’URSS dans les méandres de l’étatisation.
Reconnaissons que Trotsky n’avait pas tord lorsqu’il écrivait : le parti parle au nom
de la classe, puis l’appareil au nom du parti, les dirigeants au nom de l’appareil
et, finalement, un seul parlera et pensera au nom de tous !
Lénine est conscient de ces paradoxes : la spontanéité, c’est le contraire de la
conscience, l’initiative de millions d’hommes apporte toujours quelque chose
de plus génial que les pensées, même les plus géniales, de quelques
dirigeants et théoriciens.
Il démontre aussi que la formule coopérative est la seule qui permettrait d’associer
les masses, y compris la paysannerie, à l’élaboration et à la prise de décision.
Mais pour parvenir à cette autogestion, il prévoyait de longues années, afin que
les paysans se convainquent à partir de leur propre expérience.
Cela suppose que la révolution se développe à un rythme lent.
En 1920, Lénine se rend compte que sont oeuvre est vouée à l’échec. « Nos soviets
fonctionnent aujourd’hui sans réelle participation à la prise de décision des
masses, mais seulement sous la direction de quelques-uns des plus instruits
de nos militants, ces Soviets peuvent à la rigueur construire encore le
socialisme pour le peuple, mais ils ne le construisent plus par le peuple ».
Peu avant sa mort, il exprimait ce constat « il est évident que nous avons échoué.
Nous voulions construire une nouvelle société socialiste avec une formule