URSS et pays socialistes Après avoir parcouru divers textes et analyses je retiens quelques éléments qui me paraissent relever de dysfonctionnements majeurs des pays dit du socialisme réel. Je ne reviens pas sur les agressions systématiques subies par ces pays. Nous savons que les systèmes capitalistes n’ont cessé de combattre tout ce qui ressemblait à une nouvelle société antagonique au capitalisme. Cette situation a compliqué la vie des dirigeants des pays socialistes et nous sommes tous d’accord avec cela. Cependant, ces difficultés n’expliquent pas à elles seules l’échec final du système soviétique. Tout d’abord quelques questions préoccupantes. Pourquoi la pratique économique n’a pas respecté la théorie de Marx ? Pourquoi l’idée communiste a-t-elle été pervertie ? Pourquoi l’homme nouveau n’est-il pas né ? Un premier dysfonctionnement porte sur l’économie. Selon Marx, le développement économique devait apporter à chacun tous les moyens économiques, politiques et culturels pour pouvoir développer pleinement toutes les possibilités humaines qui sont en lui. « Pour que chaque enfant qui porte en lui le génie de Mozart puisse devenir Mozart », écrivait-il. Telle était la définition du socialisme et de son projet de société, sa finalité. La socialisation des instruments de production n’en était qu’un moyen. Ce critère est non-économique. Pour cela, il est impératif de rompre avec la logique du marché qui est à la base de toute aliénation du travail et de l’homme. Le dépassement des contradictions du capitalisme exige en effet de rompre avec le déterminisme aliéné et aliénant de l’économie libérale. Marx ne réduisait pas le mouvement de l’histoire à celui de l’économie, qui en est, avec le capitalisme, devenu le moteur. Un second dysfonctionnement porte sur le socialisme scientifique. Cette distorsion a joué un rôle considérable dans la conduite politique de l‘URSS. Beaucoup de perversions ont commencé avec un contresens sur la définition même de ce que l’on appelait le « socialisme scientifique ». Le terme scientifique a été pris au sens de cette prétention à atteindre une vérité définitive. Ce raisonnement réduit la connaissance, y compris celle des êtres humains, de leur histoire et de leurs créations, à celle de « faits » et de « lois » et à tirer de là une morale et une politique. C’est oublier que la science et la technique nous fournissent des moyens, non des fins et que le socialisme ne peut être scientifique que dans ses moyens. Marx montre comment l’utopie de « l’être humain total » trouve la force capable de passer de l’utopie au « mouvement réel ». En face de l’économie de marché et de la concurrence isolant les êtres humains, cette utopie permettra de créer « selon un plan conscient », une société où le libre épanouissement de chacun devient la condition du libre épanouissement de tous, comme le dit le Manifeste. Marx ne cherche nullement à construire un système socialiste. Il analyse seulement la structure et les lois de croissance de la société capitaliste la plus développée de son temps, celle de l’Angleterre. Dans une économie de marché, c'est-à-dire une société dans laquelle tout est marchandise, s’instaure une jungle sans finalité proprement humaine. Après avoir lu Darwin, Marx écrit à Engels : l’économie de marché du capitalisme « n’est pas sortie des formes animales de l’économie » ! Dans ce système, tout ce que veut chaque individu est empêché par chaque autre, et ce qui s’en dégage est quelque chose que personne n’a voulu. De ces concurrences darwiniennes résulte une polarisation croissante de la richesse et du pouvoir d’un côté, de la misère et de la dépendance de l’autre. Un troisième dysfonctionnement conduit l’URSS dans les méandres de l’étatisation. Reconnaissons que Trotsky n’avait pas tord lorsqu’il écrivait : le parti parle au nom de la classe, puis l’appareil au nom du parti, les dirigeants au nom de l’appareil et, finalement, un seul parlera et pensera au nom de tous ! Lénine est conscient de ces paradoxes : la spontanéité, c’est le contraire de la conscience, l’initiative de millions d’hommes apporte toujours quelque chose de plus génial que les pensées, même les plus géniales, de quelques dirigeants et théoriciens. Il démontre aussi que la formule coopérative est la seule qui permettrait d’associer les masses, y compris la paysannerie, à l’élaboration et à la prise de décision. Mais pour parvenir à cette autogestion, il prévoyait de longues années, afin que les paysans se convainquent à partir de leur propre expérience. Cela suppose que la révolution se développe à un rythme lent. En 1920, Lénine se rend compte que sont oeuvre est vouée à l’échec. « Nos soviets fonctionnent aujourd’hui sans réelle participation à la prise de décision des masses, mais seulement sous la direction de quelques-uns des plus instruits de nos militants, ces Soviets peuvent à la rigueur construire encore le socialisme pour le peuple, mais ils ne le construisent plus par le peuple ». Peu avant sa mort, il exprimait ce constat « il est évident que nous avons échoué. Nous voulions construire une nouvelle société socialiste avec une formule magique. Alors qu’un tel processus exige des dizaines d’années et plusieurs générations. La mentalité des hommes et des habitudes acquises ne peuvent changer en un instant ». Ainsi dans la pratique, la socialisation des moyens de production ne fut plus conçue sous la forme d’un réseau de coopératives autogérées mais se transformera en son contraire : l’étatisation. On peut résumer cette approche critique de l’URSS par trois perversions fondamentales. 1. Les lois de croissances exponentielles décrites de manière critique par Marx devinrent des lois normatives du socialisme soviétique. Erreur fatale qui empêchait de penser le socialisme à partir de ses fins. 2. La deuxième perversion consista à confondre socialisation et étatisation. Le plan économique, au lieu de devenir un instrument d’humanisation de l’économie devint une institution hiérarchisée de manière quasi militaire, sans participation de la base. 3. La troisième perversion fut de confondre la planification qui n’a qu’un rôle d’orientation avec une méthode de gestion par en haut. La construction d’une autre société Je continue de penser que pour l’être humain, il est plus facile de trahir l’idée communiste que de la construire pas à pas. Pour dépasser cette difficulté, il me semble nécessaire de développer la démocratie jusqu’à ses fins. Cela sous-entend que nous devons sortir des rapports de dominations sous toutes leurs formes et reprenant le programme des zapatistes : « le peuple gouverne, le gouvernement obéit ». Pour aller dans ce sens, un moyen consiste à compléter les réflexions théoriques par une meilleure analyse du comportement humain. Brecht écrivait: « Ne dites jamais, c’est naturel, afin que rien ne passe pour immuable » Cette citation n’empêche pas de revenir à la sélection darwinienne qui constitue le mécanisme principal de l’évolution biologique, la sélection naturelle. Pour la science, l’histoire humaine est une sauvage exploitation collective et une destruction irresponsable des ressources naturelles, vivantes et non vivantes, toutes pratiquées pour un bénéfice immédiat, sans égard aux conséquences à long terme. La sélection naturelle ne voit que l’immédiat et ne prévoit pas l’avenir. Elle privilégie toutes les qualités personnelles susceptibles de contribuer au succès immédiat des individus. Elle n’a que peu favorisé des qualités dont les avantages ne se manifestent qu’à long terme, telle que la prévoyance, la prudence, le sens de la responsabilité et la sagesse. C’est aussi la sélection naturelle qui agit sur la cohésion à l’intérieur des groupes et sur l’hostilité entre groupes différents. Après l’époque où existaient de petites bandes de préhumains se disputant les meilleures ressources que leur offraient les forêts et les savanes africaines, le groupe s’est étendu pour comprendre des territoires partagés, des besoins partagés, des intérêts partagés, des privilèges partagés, des croyances partagées, des valeurs partagées, des préjugés partagés, des haines partagées, soit le partage de tout ce qui pouvait servir à « nous unir, nous contre eux ». Aujourd’hui, ce sont principalement les nationalismes et les fondamentalismes religieux qui jouent ce rôle rassembleur dans la méfiance de l’autre. Pour les scientifiques, cette faille est inscrite dans les gènes humains par la sélection naturelle, mais la citation de Brecht, n’est pas oubliée. L’être humain possède le cerveau le plus élaboré. Celui-ci a le pouvoir de regarder l’avenir et de raisonner, de décider et d’agir à la lumière de nos prédictions et expectatives, même contre notre intérêt immédiat, s’il le faut, et au bénéfice d’un bien ultérieur. Ainsi l’être humain possède la faculté unique de pouvoir agir contre la sélection naturelle, mais pour pouvoir y parvenir, il devra s’opposer activement à certains traits génétiques clés et parfois à sa propre nature. Conclusions Si on tisse des liens entre les perversions du « communisme » à la soviétique et les analyses scientifiques darwiniennes, il me paraît possible de parvenir à quelques règles pour que la construction d’un autre monde devienne possible et nous donne les directives nécessaire à poursuivre notre engagement. Sortir des rapports de domination. Mesurer les conséquences à long terme de nos décisions. Intégrer la protection de l’environnement dans nos choix. Elaborer des règles favorisant le développement comportemental. Quitter la règle faîtière du développement économique. Réduire progressivement le rôle « supérieur » de l’Etat. Développer la démocratie. Inscrire un mouvement pédagogique et éducatif permanent pour construire avec le peuple, ces nouvelles règles. Etc. Un pour tous Tous pour un Ensemble avec la nature Alain Bringolf Novembre 2009