14-a-Demazeux_Mise en page 1 22/05/14 11:10 Page90 À quoi tient le succès de la psychologie évolutionniste ? Steeves Demazeux* S AVEZ-VOUS pourquoi la peau des rhinocéros est sèche, rugueuse, plissée et irrégulière ? Et aussi pourquoi cet animal passe le plus clair de son temps à se rouler dans la boue ou à se frotter contre les arbres ? Il y a bien longtemps, quelque part en Asie, un Parsi entreprit de se venger d’un rhinocéros qui lui avait dérobé son repas. Pendant que le rhinocéros se baignait, le Parsi s’empara de sa peau, restée accrochée à un arbre (et qui « ressemblait alors à un ciré »), et il y incrusta toutes sortes de saletés, comme de vieilles miettes de gâteau ou des groseilles séchées. « Depuis ce jour, les rhinocéros ont tous de grands plis sur la peau et mauvais caractère, tout ça à cause des miettes de gâteau qui sont dessous. » Le titre original de ce conte issu des Just So Stories for Little Children de Rudyard Kipling (1865-19361), publiées en 1902, est devenu l’argument numéro un des critiques de la psychologie évolutionniste, cette discipline récente qui s’est fixée pour tâche d’examiner l’esprit humain à la lumière de l’évolution naturelle. Selon ces critiques, la plupart des « contes étiologiques » que racontent les psychologues au sujet de l’origine de nos facultés mentales ne seraient pas plus vraisemblables que ces « histoires comme ça » inventées par Kipling pour amuser les enfants et les disposer à de * Maître de conférences en philosophie à l’université Bordeaux Montaigne, membre du centre de recherches « Sciences, philosophie, humanités » (SPH). Il a récemment publié Qu’estce que le DSM ? Genèse et transformation de la bible américaine de la psychiatrie, Paris, Ithaque, 2013. 1. Rudyard Kipling, Histoires comme ça, Paris, Le Livre de poche, 2007. Juin 2014 90